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SG/SM/7357

LE SECRETAIRE GENERAL EVOQUE LES PROMESSES ET LES DEFIS DE LA MONDIALISATION A L'UNIVERSITE DE LA HAVANE, A LA VEILLE DU SOMMET SUD-SUD

12 avril 2000


Communiqué de Presse
SG/SM/7357


LE SECRETAIRE GENERAL EVOQUE LES PROMESSES ET LES DEFIS DE LA MONDIALISATION A L'UNIVERSITE DE LA HAVANE, A LA VEILLE DU SOMMET SUD-SUD

20000412

On trouvera ci-après le texte de l'allocution prononcée le 11 avril par le Secrétaire général des Nations Unies, M. Kofi Annan, à l'Université de La Havane :

Je vous remercie de votre accueil si chaleureux. C’est un grand honneur d’être ici avec vous dans cette prestigieuse université, une des plus anciennes du Nouveau Monde, dont sont issus tant d’artistes, de scientifiques et de philosophes de renom, et qui s’est toujours caractérisée par un sens aigu de l’humeur politique nationale.

Je suis très heureux d’être à Cuba. C’est ma deuxième visite; la première en tant que Secrétaire général. Je suis venu pour rendre visite à un des États Membres fondateurs de l’Organisation des Nations Unies. Mais il est des raisons plus profondes pour lesquelles je suis heureux d’être ici.

Cuba a beau être un des plus petits pays au monde, en termes de population comme de superficie, sa géographie et son histoire lui ont donné une place à part dans la conscience mondiale. Cuba connaît, pour les avoirs subis, les ravages du colonialisme. Cuba connaît les retombées de la rivalité des superpuissances et de la bataille idéologique qu’elles ont livrée au cours de ce siècle. Cuba connaît la pénurie et les difficultés qui sont le lot d’une bonne partie de l’humanité. Et Cuba connaît les tensions mais, aussi, et c’est plus important, les satisfactions, que suppose l’édification d’une société brassant des populations et des influences diverses. Les échos de votre histoire continuent de se faire entendre dans le monde entier. On pourrait dire que visiter Cuba, c’est, à bien des égards, avoir rendez-vous avec l’histoire. Je me réjouis que ma brève visite sur l’île m’en donne l’occasion.

Le retentissement qu’a l’histoire de Cuba sur la scène internationale m’incite à vous parler aujourd’hui du phénomène qui caractérise notre monde à l’aube de ce nouveau siècle. Je veux bien sûr parler de la mondialisation.

Il peut paraître étrange que j'aborde ce sujet ici à Cuba, pays qui vit sous embargo depuis tant d'année. Mais la mondialisation touche tous les pays du monde, et la plupart des citoyens du monde, même ceux qui n'ont jamais entendu le mot. La mondialisation n’est pas un phénomène nouveau : cela fait des siècles que routes commerciales et courants culturels sillonnent toute la planète. Coca-Cola a beau faire figure de symbole de la mondialisation, l'humble pomme de terre des Amériques

avait déjà conquis la planète il y a de cela des centaines d'années. Cuba, qui a servi d’étape aux premiers explorateurs transatlantiques, a été à la fois le lieu de destination et le magasin de l’un des premiers marchés mondiaux : l’ignoble commerce des êtres humains. La mondialisation avait déjà ses aspects monstrueux. Mais la mondialisation que nous connaissons aujourd’hui est différente : sa logique semble inexorable, son élan irrésistible et son potentiel sans précédent.

Pour ceux qui en jouissent déjà, les fruits de la mondialisation sont évidents : croissance économique plus soutenue, niveau de vie plus élevé, diffusion plus rapide des technologies et des méthodes de gestion modernes. De nouvelles perspectives et des choix plus divers s’ouvrent aux individus comme aux pays. Et, bravant la distance, la différence et l’indifférence, les gens s’unissent en de nouvelles et productives alliances.

Je m’empresse d’ajouter que, pour le moment, seul un nombre relativement petit de pays jouissent de ces bienfaits. Des millions de laissés-pour-compte en sont exclus, non parce qu’ils ont subi trop de mondialisation, mais parce qu’ils en ont été privés.

Ainsi, les pays en développement qui veulent participer à l’économie mondiale sont confrontés à une série d’obstacles : tarifs douaniers prohibitifs, fardeau de la dette écrasant, et sans compter le poids de leur propre pauvreté et de leur sous-développement. Les conflits, la corruption et la maladie, notamment l’épidémie de sida, qui devient une véritable tragédie mondiale, sont autant d’autres contraintes, non moins redoutables.

Malgré l'embargo dont il fait l'objet, votre pays a atteint un niveau de développement social remarquable par rapport à son PNB par habitant. Comme l’indicateur du développement humain des Nations Unies le montre année après année, Cuba devrait faire l’envie de beaucoup d’autres nations apparemment plus prospères. Cette réussite ne diminue en rien la nécessité de créer un environnement mondial, aux niveaux économique et politique, qui soit plus porteur pour les pays du sud. Mais elle montre ce qu’une nation peut faire avec ses propres ressources si elle prend soin de bien choisir ses priorités : santé, éducation et alphabétisation. Le jour, prochain je l’espère, où Cuba jouera pleinement son rôle dans la mondialisation, elle ne partira pas de zéro, tant s’en faut.

Si l’exclusion est un des grands points faibles de la mondialisation, un autre en est le déséquilibre qui est apparu entre ce que les marchés mondiaux peuvent faire et ce qu’ils ne peuvent pas faire. Or, la mondialisation ne doit pas être envisagée comme un phénomène purement économique, complètement détaché du tissu social et politique. Elle doit être bien plus que l’expansion des marchés, car les lois du marché, n’obéissant qu’à leur propre logique, ne suffiront jamais à satisfaire les besoins de tous, partout. Beaucoup a été fait pour élaborer et appliquer des règles qui facilitent l’expansion des marchés mondiaux. En revanche, d’autres objectifs tout aussi urgents, comme la lutte contre la pauvreté, la protection de l’environnement, la défense des droits de l’homme et la réglementation du travail, ont reçu moins d’attention.

Voilà pourquoi on assiste à un retour de bâton. Pour des millions de gens, la mondialisation n’est pas un vecteur de progrès mais un facteur de déstabilisation : elle est capable de détruire emplois, traditions et même la cohésion sociale, parfois du jour au lendemain. Même dans les pays considérés comme les moteurs de la mondialisation, les gens ont souvent l’impression qu’ils sont à la merci de forces imprévisibles. Notre mission est claire : nous devons faire en sorte que la mondialisation soit une force bénéfique pour tous les peuples du monde, en toute équité.

À mon sens, c’est avant tout une question de gouvernance : il s’agit de faire en sorte que la communauté internationale, faite d’États souverains et d’organisations multilatérales, soit capable de relever les défis qui se posent au niveau mondial; de faire en sorte que les nations gèrent leurs affaires de façon à servir leur population en jouant pleinement leur rôle sur la scène mondiale.

La gouvernance au niveau international, c’est bien sûr l’affaire de l’Organisation des Nations Unies. Le système multilatéral que nous connaissons aujourd’hui n’est pas une mince réussite, surtout si l’on considère la terrible période d’isolationnisme et de conflit qui l’a précédé. On ne sait pas assez qu’il existe aujourd’hui des normes et des institutions qui aident les États à gérer diverses formes d’activités mondiales. La navigation, l’aviation, les télécommunications, la météorologie, les marques, les brevets, les statistiques, les produits pharmaceutiques : tous ces domaines, et encore bien d’autres, relèvent de la compétence d’institutions des Nations Unies. Plus nous vivrons dans un espace économique unique, plus nous aurons besoin de ces règles, normes et services essentiels.

Cependant, le système multilatéral actuel doit être modernisé et renforcé. Il nous faut transformer la façon dont les décisions sont prises au Conseil de sécurité des Nations Unies et dans les institutions du système financier international. Nous devons ouvrir le domaine public international aux divers acteurs de la société civile. Il faut que les entreprises privées fassent preuve de plus de civisme, de plus de solidarité. Et nous avons besoin d’un ordre juridique international solide, reposant sur des organes efficaces comme la Cour pénale internationale et fondé sur un respect plus strict des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, l’aune à laquelle se mesure le progrès humain. Le droit international est véritablement le langage de la communauté mondiale. Grâce à lui, les États souverains peuvent se rapporter les uns aux autres et décider ensemble de leur commune destinée.

Mais en cette ère planétaire, dans ce monde où les notions de frontières et de souveraineté deviennent plus fluides en théorie comme dans la pratique, les États ont un rôle double à jouer. Ils sont à la fois responsables devant leurs citoyens et devant la communauté des nations. Je ne veux pas seulement dire que la conduite d’une nation a des ramifications internationales, comme on peut l’observer dans différents contextes, des flux de réfugiés à la pollution transfrontière. Je pense surtout qu’il existe un lien essentiel entre la façon dont un État organise ses affaires et la mesure dans laquelle la population peut tirer parti des changements économiques. Un système international opérationnel, c’est-à-dire

ouvert, démocratique et équitable, ouvrirait une multitude de nouvelles perspectives à tous les États. Notre mission consiste à mettre en place un tel système. Mais, même si nous parvenions à atteindre cet objectif aujourd’hui, certaines nations seraient mieux armées que d’autres pour saisir les occasions qui se présentent. En fin de compte, le facteur déterminant, c’est l’action nationale. Et s’il est une notion qui englobe la somme des actions nationales, c’est l’idée de bonne gouvernance.

Lorsque je l'ai rencontré aujourd'hui, le Président Castro a insisté avec passion pour que, lorsque nous parlons de gouvernance, nous ne sous-estimions pas les mesures prises par un Gouvernement qui met l'accent sur le bien-être des membres de la société en favorisant un enseignement accessible et d'un coût abordable, des soins de santé pour tous, et divers moyens permettant aux individus de s'épanouir. Je ne crois pas que quiconque puisse nier de bonne foi l'importance de ces facteurs.

S’ils ne sont pas universellement pratiqués, les principes de la bonne gouvernance sont généralement acceptés : état de droit, transparence et responsabilité de l’administration publique, respect des droits de l’homme, efficacité des institutions, indépendance de la justice et participation de tous les citoyens, y compris les femmes et les minorités, aux décisions qui affectent leur vie. Si ces conditions sont réunies, les forces vives des nations se libèrent. Si elles ne le sont pas, les nations ne peuvent tenir leur rang dans l’économie mondiale. Si ces principes sont respectés, les nations ont davantage confiance en elles-mêmes et inspirent davantage confiance, notamment aux partenaires et aux investisseurs étrangers. S’ils ne le sont pas, les nations risquent davantage de stagner et de ne pas réaliser leur potentiel. Les nations qui se privent d’institutions et de processus démocratiques font obstacle au développement et au progrès de leurs peuples et les privent de la possibilité de participer pleinement à la vie mondiale. Si l’ONU veut aider les États Membres à gérer les forces de la mondialisation avec succès, elle doit aussi les aider, s’ils le lui demandent, à surmonter leurs problèmes internes.

Permettez-moi à présent de m’adresser en particulier aux étudiants réunis ici.

Je sais que vous le passage de la vie d'étudiant à la vie active, avec les nouvelles responsabilités qu'il implique, fait naître des espoirs, donne de l'enthousiasme, mais est également source d'inquiétude. Vous êtes mieux lotis que les étudiants de beaucoup d'autres pays puisque, selon l’Organisation internationale du Travail, 60 millions de jeunes cherchent du travail et n’en trouvent pas. Rien n’est plus décourageant et désespérant que le chômage chez ceux qui aspirent avec énergie et passion au changement social. En accord avec d'autres organisations multilatérales, y compris l'Organisation internationale du Travail, j’ai décidé de constituer un réseau de réflexion de haut niveau qui fera appel aux dirigeants les plus créatifs du secteur privé, de la société civile et des milieux économiques, afin de trouver des moyens originaux de résoudre ce problème difficile et créer des emplois pour les jeunes.

Les Nations Unies ont devant elle de grands thèmes et de grands projets. C'est là la matière du Rapport du Millénaire que je viens de présenter à l'Assemblée générale des États Membres. Ces thèmes et ces initiatives seront à l’ordre du jour lorsque, tout au long de cette année, des organisations non gouvernementales, des parlementaires, des responsables religieux et des chefs d’État et de gouvernement se réuniront à New York pour une série d’événements qui seront l’occasion de nous entendre sur une vision commune pour l’ère nouvelle. Ces événements auront comme point d'orgue l'ouverture, au Siège de l'Organisation des Nations Unies, le 6 septembre 2000, d'un Sommet du millénaire qui devrait réunir un nombre record de chefs d'Etat et de gouvernement. Ce Sommet, qui durera trois jours, aura pour thème général Les Nations Unies au XXIe siècle. Je suis convaincu que les résultats du premier Sommet des pays du Groupe de 77 qui s'ouvrira demain dans votre belle ville de La Havane, viendront enrichir le Sommet du millénaire, et je suis très reconnaissant au Gouvernement et au peuple cubain d'accueillir cette rencontre.

Lorsque je regarde autour de moi, dans cette superbe Aula Magna, je suis inspiré : par la diversité des enseignements qui sont prodigués dans cette université et par l’espoir que vous aborderez l’âge adulte reliés au reste du monde, à la faveur des échanges, des voyages et d’Internet, comme aucune autre génération ne l’a été avant vous. Et surtout, je suis inspiré par le sentiment que vous pouvez faire changer les choses et nous aider à mettre en oeuvre le programme ambitieux dont je viens de vous parler.

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