En cours au Siège de l'ONU

SG/SM/7343

LES ETATS DOIVENT îUVRER POUR GARANTIR LE DROIT DE VIVRE A L'ABRI DU BESOIN, UN MONDE LIBERE DE LA PEUR ET UN ENVIRONNEMENT PROPICE POUR UN DEVELOPPEMENT DURABLE

3 avril 2000


Communiqué de Presse
SG/SM/7343
GA/9705


LES ETATS DOIVENT ŒUVRER POUR GARANTIR LE DROIT DE VIVRE A L’ABRI DU BESOIN, UN MONDE LIBERE DE LA PEUR ET UN ENVIRONNEMENT PROPICE POUR UN DEVELOPPEMENT DURABLE

20000403

L’utilité de l’ONU sera jugée à l’aune de l’action visant à répondre aux problèmes et tâches qui influent sur la vie quotidienne de nos peuples, souligne le Secrétaire général

On trouvera ci-après le texte de la déclaration que le Secrétaire général, M. Kofi Annan, a faite aujourd’hui à l’Assemblée générale au Siège l’occasion de la présentation de son rapport intitulé “Nous, les peuples : le rôle des Nations Unies au XXIe siècle” :

J’ai l’honneur de vous présenter mon rapport du millénaire.

Le passage d’un millénaire à l’autre aurait pu n’être qu’un caprice du calendrier. Mais vous, gouvernements et peuples de la Terre, vous avez voulu que ce soit davantage : un moment de joie et un moment de réflexion.

Le monde entier, d’un fuseau horaire à l’autre, a célébré le Nouvel An. Quant à vous, en tant qu’Assemblée générale, vous avez donné à chacun de nous une occasion exceptionnelle de réfléchir à notre destinée commune en organisant une rencontre de responsables politiques qui sera sans aucun doute la plus grande que le monde ait jamais connue.

Mon rapport est destiné à offrir à toutes ces personnalités réunies matière à réflexion et à débat. Je me suis efforcé d’y cerner les principaux problèmes que nous devons nous préparer à trouver sur notre chemin alors que nous commençons à nous avancer dans le XXIe siècle, et j’ai voulu esquisser un plan qui pourrait guider notre action face à ces défis.

S’il est un mot qui résume à lui seul toutes les transformations auxquelles nous assistons, c’est le mot « mondialisation ».

Nous vivons dans un monde où les hommes sont plus connectés entre eux qu’on ne l’a jamais vu – où, individuellement ou en groupe, ils entretiennent des rapports de plus en plus directs à travers les frontières nationales, souvent sans que l’État joue aucun rôle dans leurs relations.

Cela n’est bien sûr pas sans danger. Criminalité, stupéfiants, maladies, armes, tout circule plus rapidement et en plus grande quantité qu’autrefois. On en vient à se sentir menacé par des événements lointains.

Mais les bienfaits de la mondialisation ne sont pas moins évidents : accélération de la croissance, relèvement du niveau de vie et nouvelles possibilités, non seulement pour l’individu mais aussi pour les nations, qui devraient parvenir à mieux se comprendre et à progresser sur la voie de l’unité d’action.

L’ennui, c’est notamment que, pour le moment, ces possibilités sont loin d’être partagées de façon égale. Comment pourrait-on prétendre que la moitié de l’humanité qui n’a jamais utilisé un téléphone, encore moins un ordinateur, prend part à la mondialisation? C’est impossible, du moins sans faire injure à ceux qui vivent dans le dénuement.

Autre difficulté, la mondialisation du marché ne peut pas, même là où elle fait sentir ses effets, s’appuyer, comme c’est le cas pays par pays, sur des règles inspirées par des objectifs communs sur le plan de la société. Faute de règles de cette nature, bien des gens ont l’impression que la mondialisation les met à la merci de phénomènes imprévisibles.

Aussi, Monsieur le Président, l’enjeu fondamental de notre époque est-il la transformation de la mondialisation en quelque chose de plus que l’existence de marchés plus étendus. Pour que ce grand bouleversement soit un bienfait, il nous faut apprendre à mieux gouverner et surtout à mieux gouverner ensemble.

Il nous faut des pouvoirs publics plus puissants et plus efficaces à l’échelon national. Ensuite, il nous faut parvenir à faire collaborer les États au règlement des problèmes mondiaux, chacun ayant son rôle à jouer et son mot à dire.

Quels sont-ils, ces problèmes mondiaux? Je les ai regroupés sous trois rubriques, dont chacune se rapporte à un des droits fondamentaux de l’être humain : le droit de vivre à l’abri du besoin, le droit de vivre libéré de la peur et le droit, pour les générations à venir, d’hériter d’une planète où elles pourront survivre.

Prenons d’abord le droit de vivre à l’abri du besoin. Comment pouvons-nous prétendre que les êtres humains sont libres et égaux en dignité, alors que plus d’un milliard d’entre eux se démènent pour survivre avec moins d’un dollar par jour, sans eau potable, et que la moitié de l’humanité est privée de services d’assainissement dignes de ce nom? Pendant que certains d’entre nous s’inquiètent de l’éventualité d’un krach boursier ou se débattent avec l’ordinateur dernier cri qu’ils n’arrivent pas à maîtriser, plus de la moitié des hommes et des femmes avec lesquels nous partageons cette planète ont des soucis beaucoup plus terre-à-terre – par exemple celui de savoir où trouver la nourriture pour le prochain repas de leurs enfants.

Si nous ne redoublons pas d’efforts et si nous ne menons pas une action concertée, les problèmes de la pauvreté et des inégalités s’aggraveront encore. En effet, la population mondiale s’accroîtra encore de 2 milliards d’individus au cours du prochain quart de siècle, presque toute l’augmentation étant concentrée dans les pays les plus pauvres.

C’est en Afrique subsaharienne que nombre de ces problèmes se posent de la manière la plus aiguë. C’est là que la proportion des habitants vivant dans les conditions de pauvreté les plus extrêmes est plus forte que nulle part ailleurs, ce à quoi viennent s’ajouter des fléaux comme les conflits et le VIH/sida, qui y font encore plus de ravages. Je lance un appel à la communauté mondiale pour qu’elle s’occupe tout particulièrement des problèmes de l’Afrique et qu’elle apporte aux Africains toute l’aide possible dans la lutte qu’ils mènent pour surmonter ces difficultés.

Je fixe dans mon rapport une série d’objectifs à poursuivre afin d’inverser, dans le monde entier, ces tendances effrayantes.

Je suis persuadé que nous pouvons, dans les 15 ans qui viennent, réduire de moitié la proportion de l’humanité qui vit dans des conditions d’extrême pauvreté; parvenir à ce que tous les enfants, c’est-à-dire toutes les filles et tous les garçons, reçoivent une éducation primaire et la suivent jusqu’au bout; et stopper la progression du VIH/sida. En 20 ans, nous pouvons aussi transformer la vie de 100 millions de personnes qui habitent des taudis de par le monde. Et j’estime que nous devrions pouvoir offrir à tous les jeunes de 15 à 24 ans la possibilité de trouver un emploi convenable.

Ces objectifs sont réalistes, si nous tirons pleinement parti des possibilités qu’offrent la mondialisation et la révolution des techniques informatiques.

Il est essentiel à cette fin que les pays en développement eux-mêmes adoptent les politiques qui conviennent, mais le monde industrialisé a lui aussi un rôle vital à jouer. Il doit ouvrir entièrement ses marchés aux produits des pays en développement. Il doit offrir un allégement de la dette qui soit beaucoup plus rapide et plus important. Il doit enfin donner une aide au développement qui soit plus généreuse et mieux ciblée.

Le rôle du secteur du privé est lui aussi crucial, cela va sans dire. Il est essentiel que nous formions de nouveaux partenariats pour tirer le meilleur parti des technologies nouvelles. J’annonce à cet égard plusieurs exemples dans mon rapport.

Le premier est un réseau de 10 000 sites Internet qui donneraient aux hôpitaux et dispensaires dans les pays en développement accès aux informations et aux ressources dont ils ont besoin dans le domaine de la santé.

Le deuxième est un consortium d’associations bénévoles au fait des techniques de pointe dans les pays industrialisés, qui formerait des groupes de personnes dans les pays en développement à l’utilisation et aux applications de l’informatique.

Le troisième est une initiative, dirigée par l’une des plus grandes sociétés internationales dans le domaine des télécommunications, qui permettrait d’assurer sans interruption les communications dans des régions frappées par des catastrophes naturelles – c’est-à-dire lorsque l’accès instantané à l’information peut sauver la vie de milliers de personnes.

Le deuxième grand titre du rapport est un monde libéré de la peur. Les guerres entre États sont heureusement moins nombreuses qu’elles ne l’étaient auparavant. Par contre, ces 10 dernières années, les guerres internes ont fait plus de 5 millions de victimes et chassé de chez eux des réfugiés en nombre incalculable. Qui plus est, nous vivons encore sous la menace des armes de destruction massive.

À mon sens, ces deux menaces nous obligent à concevoir la sécurité non plus comme étant simplement la défense d’un territoire, mais bien plus comme étant la protection des individus, ce qui signifie que nous devons nous attaquer à la menace des conflits meurtriers à chaque étape de leur formation.

Nous devons faire davantage pour prévenir purement et simplement les conflits. C’est le plus souvent dans les pays pauvres que se produisent les conflits, surtout dans ceux qui sont mal gouvernés ou dans lesquels puissance et richesse sont très inéquitablement réparties entre groupes ethniques ou groupes religieux. Ainsi, la meilleure façon de prévenir les conflits est de promouvoir des arrangements politiques auxquels tous les groupes sont équitablement représentés et, parallèlement, d’assurer le respect des droits de l’homme et des droits des minorités, et de promouvoir un développement économique largement participatif.

Par ailleurs, les transferts illicites d’armes, d’argent ou de ressources naturelles doivent être exposés au grand jour, de façon que nous soyons mieux à même de les contrôler.

Nous devons protéger les personnes vulnérables en trouvant de meilleurs moyens de faire respecter le droit humanitaire et les normes relatives aux droits de l’homme, et de veiller à ce que les violations les plus graves ne restent pas impunies. La souveraineté nationale offre une protection vitale aux États petits ou faibles, mais elle ne doit pas servir à protéger les crimes contre l’humanité. Dans des situations extrêmes, il peut être nécessaire de choisir entre la notion de souveraineté et l’impératif humanitaire et le Conseil de sécurité peut avoir l’obligation morale d’intervenir au nom de la communauté internationale.

Dans la plupart des cas, cela dit, la communauté internationale devrait être en mesure de préserver la paix en appliquant des mesures qui ne vont pas à l’encontre du principe de la souveraineté des États. Elle pourra le faire si nous renforçons notre capacité de mener des opérations de paix. Sur ce point, l’Assemblée du millénaire sera saisie de recommandations distinctes formulées par un groupe de haut niveau que j’ai chargé d’étudier la question.

Les sanctions économiques sont l’une des armes à la disposition du Conseil de sécurité et celui-ci y a eu fréquemment recours lors des 10 dernières années. Très souvent, malheureusement, ces sanctions ne réussissent pas à faire fléchir les dirigeants récalcitrants, tout en faisant souffrir inutilement les innocents. Il nous faut les cibler avec plus de précision.

Il importe enfin que nous poursuivions plus vigoureusement notre programme de désarmement. L’élan perdu depuis 1995 est alarmant. Le trafic d’armes légères devra être beaucoup plus étroitement contrôlé, et la question épineuse des armes nucléaire remise à l’étude.

La conférence d’examen du Traité sur la non-prolifération qui doit avoir lieu ce mois-ci risque fort de prendre un tour déprimant à moins que toutes les parties, y compris les États dotés d’armes nucléaires, ne signalent clairement qu’elles sont disposées à consentir un effort réel. Je propose que l’on envisage sérieusement maintenant d’organiser une conférence internationale élargie afin d’inventorier les moyens d’éliminer les dangers nucléaires de toutes sortes.

Le troisième droit fondamental dont traite mon rapport n’est pas clairement défini dans la Charte, pour la simple raison que les fondateurs de l’Organisation ne pouvaient guère imaginer en 1945 qu’il serait jamais menacé. Je veux parler du droit d’hériter une planète où elles pourront survivre que nous léguerons ou non aux générations à venir.

À ce jour même, nombre d’entre nous ne comprennent pas la gravité du péril pesant sur ce droit. Il m’est dit qu’au cours des 18 mois sur lesquels se sont étendus les travaux préparatoires que vous avez consacrés à l’Assemblée du millénaire, la question de l’environnement ne s’est jamais vu accorder l’importance qu’elle mérite. En établissant le chapitre de mon rapport qui y a trait, j’ai du reste relevé bien moins de recommandations de politique générale à mettre en application dans ce domaine que dans les autres que j’ai mentionnées.

Les faits recensés dans ce chapitre devraient en tout état de cause nous préoccuper au plus haut point. Je vous conjure d’y prêter au moins autant d’attention qu’au reste du rapport. Si je pouvais le résumer en une phrase, je dirais que nous sommes en train de piller l’héritage de nos enfants pour financer les pratiques incompatibles avec un développement durable qui sont les nôtres aujourd’hui.

Cela doit cesser. Nous devons réduire les émissions de gaz carbonique et autres « gaz à effet de serre » afin de mettre fin au réchauffement de la planète. L’application du Protocole de Kyoto constitue un premier pas décisif à cet égard.

La « Révolution verte », qui a donné lieu à de prodigieuses augmentations de la productivité agricole dans les années 70 et 80, a maintenant ralenti. Il nous faut la faire suivre d’une « révolution bleue » qui ait pour objet d’accroître la productivité par unité d’eau ainsi que d’assurer une gestion plus avisée de nos bassins versants et de nos plaines alluviales.

Le fait que la superficie des terres arables ne cesse de diminuer alors que chaque année nous apporte des millions de nouvelles bouches à nourrir doit compter parmi les premiers de nos soucis. Sans doute la biotechnologie offre-t-elle le meilleur des espoirs à cet égard, mais encore faudrait-il pour que celui-ci se réalise que nous parvenions à mettre un terme aux controverses et à dissiper les craintes dont elle fait l’objet. J’entends réunir sous peu un groupe d’étude chargé d’examiner l’incidence de ces questions à l’échelon mondial et de se prononcer sur les mesures qu’il y aurait lieu de prendre afin d’éviter que les pauvres et les affamés ne soient laissés pour compte.

Nous devons préserver nos forêts, nos pêcheries et la diversité des espèces, toutes menacées de disparition sous la pression que font peser la consommation et les agissements destructeurs de l’homme. Ce qu’il nous faut, en somme, c’est une nouvelle éthique de sauvegarde du patrimoine naturel. Il nous faut une opinion beaucoup mieux informée, et il nous faut prendre les coûts et avantages environnementaux pleinement en considération dans nos décisions de politique économique. Il nous faut des règlements et des mesures d’incitation propres à décourager la pollution et la surconsommation de ressources non renouvelables, et il nous faut encourager l’adoption de pratiques ne portant pas atteinte à l’environnement. Il nous faut des données scientifiques plus précises.

Il nous faut avant tout retrouver la sagesse ancestrale des Africains, qui m’a appris lorsque j’étais enfant que la terre ne nous appartient pas. Ce trésor qui nous a été légué, nous sommes tenus de le transmettre à notre tour à nos descendants.

Qu’en est-il donc de notre Organisation, commencez-vous peut-être à vous demander. Le thème du Sommet et du rapport n’est-il pas « Le rôle des Nations Unies au XXIe siècle »?

Il l’est, certes, et le rapport contient aussi un chapitre relatif au renouveau de l’Organisation, que j’espère voir prendre très au sérieux par les États Membres. N’oublions pas, cependant, pourquoi l’ONU importe. Elle n’importe que dans la mesure où elle peut utilement contribuer à résoudre les problèmes et à accomplir les tâches dont je viens de vous parler.

Ce sont là les problèmes et les tâches qui influent sur la vie quotidienne de nos peuples. L’utilité de l’ONU sera jugée à l’aune de l’action que nous mènerons pour y faire face. Ne perdons pas cela de vue, car le rôle que l’Organisation aurait à jouer au XXIe siècle se réduirait alors à peu, sinon à rien.

N’oublions jamais, Monsieur le Président, que notre Organisation a été fondée au nom des peuples auxquels j’ai choisi de consacrer le titre de mon rapport. Nous sommes au service des peuples du monde, que nous nous devons d’écouter. Ils nous disent que nos états de service ne suffisent pas. Ils nous disent que nous devons faire plus et le faire mieux.

* *** *

À l’intention des organes d’information. Document non officiel.