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SG/SM/7339

KOFI ANNAN EXPOSE SA VISION DU MAINTIEN DE LA PAIX AU XXIEME SIECLE A LA REUNION MINISTERIELLE SUR LA BRIGADE D'INTERVENTION RAPIDE DES FORCES EN ATTENTE

27 mars 2000


Communiqué de Presse
SG/SM/7339
PKO/87


KOFI ANNAN EXPOSE SA VISION DU MAINTIEN DE LA PAIX AU XXIEME SIECLE A LA REUNION MINISTERIELLE SUR LA BRIGADE D'INTERVENTION RAPIDE DES FORCES EN ATTENTE

20000327

L'ONU doit avoir la capacité d'intervenir efficacement, rapidement chaque fois qu'une opération de maintien de la paix s'impose

On trouvera ci-après le texte de l'allocution du Secrétaire général, M. Kofi Annan, à la réunion ministérielle sur la Brigade d'intervention rapide des forces en attente, ayant lieu à New York le 27 mars 2000:

Laissez-moi tout d'abord vous remercier d’être venus à New York pour donner un nouvel élan aux efforts que nous déployons en vue de renforcer les capacités de maintien de la paix des Nations Unies. Comme vous le savez, je soutiens depuis longtemps votre initiative, la Brigade d’intervention rapide des forces en attente (BIRFA), et j'ai beaucoup d'admiration pour votre volonté d'agir concrètement. Vous avez bien compris combien il importe de donner à l’Organisation des Nations Unies la capacité d’intervenir non seulement efficacement, mais aussi rapidement, chaque fois qu’une opération de maintien de la paix s’impose.

En tant que vétérans du maintien de la paix, nous connaissons tous les grandes questions qui se posent aujourd'hui dans ce domaine. Elles procèdent de toute une série de facteurs allant de l’évolution de la nature même des conflits aux changements intervenus dans la notion de souveraineté, et nous devons y réfléchir sous un angle nouveau si nous voulons relever les défis du maintien de la paix au XXIe siècle.

Comme je l’ai indiqué dans mon rapport sur la chute de Srebrenica, nous avons tous, au cours des 10 dernières années, appris des leçons fort douloureuses et compris combien il est difficile de réussir dans le domaine du maintien de la paix. Nous savons aujourd'hui mieux que jamais que le mal est une réalité, que l'impartialité a des limites et que des exigences impossibles sont imposées à une force de maintien de la paix lorsqu’il n’y a pas de paix à maintenir. Ces enseignements figurent au nombre de ceux que nous explorerons plus en détail dans le prochain rapport sur les opérations de maintien de la paix qui va être établi, à ma demande, sous la direction de l’Ambassadeur Brahimi. J’ai prié le groupe chargé de cette tâche de porter un regard global sur l’ensemble des problèmes dans ce domaine et j’espère que le rapport en question servira de base à l’échange de vues auquel procéderont les chefs d’État au Sommet du millénaire.

Aujourd’hui, je voudrais aborder deux questions fondamentales qui doivent, à mon sens, être examinées si nous voulons assurer le succès du maintien de la paix dans les années à venir.

La première, que vous connaissez tous très bien, touche à l'évolution de la nature des conflits. Aujourd’hui, nous avons rarement à faire face à la violence inter-États. Mais, à vrai dire, nous avons aussi rarement à nous occuper de conflits purement internes. De nos jours, les conflits procèdent souvent d’un mélange complexe de ces deux éléments : leurs racines peuvent être essentiellement internes, mais la participation, par-delà les frontières, d’acteurs étatiques ou non étatiques les rendent encore plus compliqués. Leurs conséquences peuvent rapidement s’internationaliser, en raison du caractère déstabilisateur des flux de réfugiés et des dangers que créent les factions qui se poursuivent par-delà les frontières.

Le deuxième changement majeur auquel nous avons dû nous adapter est la disparition de certains des moyens de pression que les forces de maintien de la paix ont à leur disposition, non seulement pour amener les parties à honorer leurs engagements, mais aussi pour les convaincre de respecter les membres des missions et le mandat qui est le leur. Jusqu’à la fin de la guerre froide, les opérations de maintien de la paix avaient rarement à exercer des pressions directement. Lorsque les négociations et la persuasion échouaient, l’étape suivante était de signaler les violations à New York. À ce moment-là, après un appel discret du Secrétariat, on pouvait (habituellement) compter sur les grandes puissances pour faire pression sur leurs États-clients respectifs afin d’éviter d’être elles-mêmes entraînées dans le conflit. Leurs moyens de pression étaient habituellement les programmes d’aide économique et militaire mais, à la fin de la guerre froide, ces programmes ont été abandonnés, avec ce que cela suppose comme perte d'influence.

Face à ces deux grands changements, le maintien de la paix a dû s’adapter à maints égards. Pour faire face au premier – l'importante dimension interne des conflits –, il a fallu adopter une nouvelle stratégie de maintien de la paix. Bien entendu, cette stratégie doit être adaptée à chaque cas individuel mais, d’une manière très générale, nous cherchons à chaque fois à déplacer le conflit du champ militaire vers la scène politique. En d’autres termes, nous nous employons à faire en sorte que les différends soient réglés de manière pacifique et démocratique.

Il est évident que cette stratégie a des limites. Nous n'avons ni les moyens, ni la prétention de débarrasser des conflits les sociétés que nous essayons d’aider; dans toute société, il y aura toujours des intérêts qui s'opposent. Ce que nous essayons de faire, c’est de déplacer ces conflits du champ de bataille vers des institutions légitimes de sorte que tous les groupes aient – et sentent qu’ils ont – la possibilité de participer à la prise des décisions politiques et économiques. L’essentiel de notre tâche est donc d’aider les parties à renforcer les institutions existantes ou même à en créer de nouvelles. C’est là le principe de base sur lequel se fondent les opérations multidimensionnelles.

Dans ces cas-là, la composante militaire est essentielle, mais elle n’est pas suffisante. D’autres composantes sont nécessaires au renforcement des institutions. Mentionnons, à titre d’exemple, la composante électorale qui aide à réformer les institutions électorales, puis à organiser la surveillance internationale des élections pour veiller à ce que les réformes prennent effet. La composante police constitue un autre exemple; en donnant des conseils, en exerçant une surveillance et en menant des activités de formation, elle aide à créer une nouvelle force de police que les populations puissent considérer comme une protection contre le crime, plutôt que comme un instrument d’oppression. La composante droits de l’homme est un troisième exemple; elle s’occupe normalement de recenser les violations et de renforcer les capacités locales. Tous ces éléments doivent être accompagnés d’un développement économique. Si les populations ne perçoivent aucune perspective d’amélioration matérielle de leur existence, elles perdront rapidement leurs illusions au sujet des nouvelles institutions démocratiques.

A l'extrémité du spectre des opérations multidimensionnelles se trouve bien entendu l’Administration intérimaire, par laquelle nous administrons effectivement le territoire pendant que les institutions internes se mettent en place, comme c’est le cas au Timor oriental et au Kosovo.

Cette stratégie peut être appelée non seulement notre stratégie d’entrée mais également notre stratégie de sortie. Elle vise à créer les conditions dans lesquelles une opération de maintien de la paix pourra se retirer d'un pays avec l'espoir que la paix s'y installe.

Permettez-moi à présent d’aborder le deuxième grand changement auquel nous avons dû nous adapter et continuons en fait de nous adapter : l’évolution de la nature de l'influence que nous pouvons exercer. Je ne veux pas laisser entendre que l’appui politique des membres du Conseil de sécurité et l’influence que ces derniers exercent en coulisse ne sont plus importants. Ils sont essentiels mais ne sont pas suffisants. Aujourd’hui et à l’avenir, les opérations de maintien de la paix doivent avoir leurs propres moyens de pression, des moyens qu’elles puissent utiliser directement sur le terrain.

Le premier moyen de pression est, bien entendu, la composante militaire. Son rôle principal n’est pas d’exécuter un mandat à coups de canon. Cependant, comme nous l’avons malheureusement appris à nos dépens tout au long des années 90, la crédibilité militaire est aujourd’hui vitale pour le maintien de la paix. Même lorsqu’il existe un accord politique, nous pouvons nous attendre à ce qu’un groupe ou un autre cherche à mettre à l’épreuve la volonté de la communauté internationale, dont dérive l’opération de maintien de la paix.

Si nous avons l’air petits et faibles, nous ne nous attirerons que des ennuis. Si, au contraire, nous intervenons rapidement, avec force et détermination, nous imposerons le respect. Dans de telles circonstances, une capacité de dissuasion crédible est indispensable à notre succès. Mais d’autres moyens doivent entrer en jeu.

Le premier consiste à adopter des mesures d’incitation pour agir sur les causes du conflit. On peut trouver dans le domaine du désarmement et de la démobilisation un bon exemple d’utilisation de mesures d’incitation. Même lorsque les dirigeants signent des accords, les combattants de la base ne sont pas toujours disposés à déposer les armes. Beaucoup d’entre eux étaient des enfants quand ils ont été recrutés et sont à présent de jeunes adultes qui n’ont jamais rien connu d’autre que la vie de combattant. Il leur faut une raison de participer au processus de paix et cette raison, nous devons aider à la leur donner en leur fournissant nourriture et vêtements et en leur donnant accès à l'éducation et à la formation professionnelle.

Un deuxième moyen que nous avons d'exercer une influence est d’aider les parties qui le souhaitent à protéger leurs intérêts par des moyens pacifiques, et dans le respect des normes constitutionnelles. Un exemple classique est la transformation d’une armée de guérilla en un parti politique efficace. Grâce à des moyens allant de l’assistance politique en matière électorale aux activités de formation politique, nous pouvons assurer une sorte de cours accéléré de formation à la démocratie. D’El Salvador au Mozambique, cette démarche a été une des clefs d’une paix durable. Au Kosovo, nous cherchons à faire la même chose.

Une troisième forme d’influence qui sera importante à l'avenir pour le succès du maintien de la paix est la capacité de communication avec les populations vivant dans la zone de mission. J’ai indiqué auparavant que notre stratégie était fondée sur la mise en place d’institutions efficaces permettant à toutes les parties de protéger leurs intérêts. Cette démarche ne peut fonctionner que si les populations sont associées au processus et y participent activement. A défaut, elles se méfieront des résultats et, par là même, contribueront à les saper. Nous devons être en mesure de communiquer directement avec elles et de leur expliquer pourquoi nous sommes dans le pays, ce que nous attendons d’elles et de leurs dirigeants et ce qu’elles peuvent attendre de nous.

Une quatrième forme d’influence, essentielle actuellement et à l’avenir, a trait aux liens qui existent entre les factions armées et l’économie mondiale. J’ai indiqué précédemment que les sources de soutien que constituaient les programmes étrangers d’assistance militaire avaient en grande partie disparu. Comment, alors, les factions acquièrent-elles les moyens de se battre? Dans de nombreux cas, la réponse se trouve dans l’exportation de produits de base : pierres précieuses et bois au Cambodge; diamants en Angola et en Sierra Leone. Il y a plusieurs manières de rompre ce lien. La première, bien entendu, consiste à imposer des sanctions économiques. En fonction du type de produits, ces sanctions peuvent être difficiles à appliquer, comme l’a clairement montré le récent rapport du Conseil de sécurité sur l’Angola. Un seul individu peut emporter sur lui une fortune en diamants.

D’autres produits de base peuvent être plus faciles à intercepter. Par exemple, les routes par lesquelles les Khmers rouges exportaient du bois hors du Cambodge sont bien connues et faciles à repérer. Cependant, ce qui est facile sur le plan opérationnel peut être impossible sur le plan politique, surtout lorsque d’importants partenaires extérieurs qui participent au processus de paix entretiennent des rapports de complicité économique avec une ou plusieurs factions. Ainsi, les sanctions sont certes une possibilité, mais elles ne sont pas toujours applicables en pratique.

Une deuxième manière de rompre le lien – et une formule qui pourrait en définitive s’avérer plus prometteuse – consiste à remonter la filière plus haut. Si nous la remontons suffisamment, nous trouverons probablement une grande entreprise commerciale qui a intérêt à maintenir une image positive sur le marché, en particulier auprès de ses consommateurs occidentaux. Mettre à contribution ces entreprises pour qu’elles participent à la solution plutôt qu'au problème – et pour qu’elles soient perçues comme telles – pourrait constituer une formule prometteuse qu’il vaudrait la peine d’explorer plus avant. Par exemple, les engagements pris récemment par DeBeers, qui doivent certes encore être vérifiés et mis à l’épreuve, pourraient être un pas important dans la bonne direction. Les codes de conduite des sociétés et les associations publiques chargées de garder l’oeil sur les agissements des entreprises pourraient jouer un rôle important à cet égard.

Dans l’avenir du maintien de la paix tel que je l’ai décrit, le rôle d’une structure telle que la BIRFA est évident. Premièrement, celle-ci constitue une force militaire crédible dotée d’une capacité de dissuasion cruciale qui, à mon sens, restera essentielle pour le maintien de la paix.

Deuxièmement, dans les conflits caractérisés par une multiplicité d’acteurs, les accords peuvent se défaire si les forces de maintien de la paix n’arrivent pas rapidement à aider les parties à les mettre en oeuvre. D’où le caractère essentiel de la capacité d’intervention rapide.

Je ne pourrais pas ne pas évoquer une question qui nous préoccupe tous. Où faudra-t-il mener la prochaine grande opération de maintien de la paix? Quel pourrait être le premier grand test de la BIRFA? Malheureusement, si les conflits violents – et la réaction du Conseil de sécurité – ont quelque chose de prévisible, c’est leur caractère imprévisible. L’année dernière, nous avons déployé quatre nouvelles opérations, ce qui a plus que doublé nos effectifs autorisés sur le terrain.

Le personnel de maintien de la paix des Nations Unies va-t-il de nouveau doubler d’ici à l’année prochaine? Ou bien une ou deux années s’écouleront-elles sans que nous ayons à lancer une nouvelle opération? Il s’agit là d’une question à laquelle nous ne pouvons répondre avec certitude. Ce que je peux affirmer par contre, c’est que, lorsque le besoin se fera sentir, le secrétariat ne manquera pas de vous consulter.

Le conflit en République démocratique du Congo constitue un énorme défi que nous nous devons de relever. Le Conseil de sécurité a autorisé une mission chargée de surveiller le cessez-le-feu et de faciliter l’application d’autres dispositions des Accords de paix de Lusaka, y compris le «dialogue national» entre les parties congolaises.

Il m’a confié la lourde responsabilité de décider à quel moment les conditions seront mûres pour déployer cette mission. Le Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix, M. Bernard Miyet, vient tout juste de rentrer d’une mission d’évaluation dans la région.

Il est clair que nous devons tous rester vigilants et être prêts à agir. Le maintien de la paix est, au moins sur un point important, comme l’art de la guerre : dans un monde parfait, nous serions toujours prêts, mais nous n’aurions jamais à passer à l'action. Malheureusement, pour le maintien de la paix, c’est souvent le contraire qui s’est produit : nous n’avons pas maintenu nos capacités – nous ne nous sommes pas tenus prêts – et nous étions donc mal préparés lorsque l’appel à l’action a été lancé. S’il y a un objectif que nous pourrions tous chercher à atteindre, c’est assurément d’éviter qu’une telle situation se reproduise jamais.

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