En cours au Siège de l'ONU

CS/1153

L'ENVOYE SPECIAL POUR LES BALKANS ESTIME QU'UNE ATTITUDE PASSIVE DE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE RISQUE DE DONNER LIEU A DE NOUVEAUX CONFLITS DANS LA REGION

28 février 2000


Communiqué de Presse
CS/1153


L'ENVOYE SPECIAL POUR LES BALKANS ESTIME QU'UNE ATTITUDE PASSIVE DE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE RISQUE DE DONNER LIEU A DE NOUVEAUX CONFLITS DANS LA REGION

20000228

Dans l'immédiat, il convient de trouver un équilibre entre les forces d'intégration et les forces d'éclatement qui déchirent encore l'ensemble des Balkans

«A l'heure actuelle, il n'est pas possible d'affirmer que l'on a réussi à parvenir à une stabilité durable dans la région des Balkans », a reconnu l'Envoyé spécial du Secrétaire général pour les Balkans, M. Carl Bildt, lors d'un exposé présenté, aujourd'hui, au Conseil de sécurité. Toutefois, si la communauté internationale se retirait aujourd'hui de la région, on risquerait de nouvelles guerres demain, a-t-il mis clairement et à plusieurs reprises mis en garde. Le plus grand problème à résoudre est dans l immédiat la confrontation entre les forces d'intégration et les forces de désintégration. Un autre obstacle à la stabilité durable de la région est lié au fait qu'il n'existe pas d'accord de paix à proprement parler sur le Kosovo, et que la question centrale de la situation à long terme du Kosovo et de la République fédérale de Yougoslavie n'est pas réglée. L'heure est peut-être venue pour la communauté internationale d'envisager de reprendre sa quête en vue d'un règlement pacifique du conflit, a suggéré M. Bildt. Pour cela, il faudrait tout d'abord que le Conseil de sécurité entame un dialogue sur la forme que pourrait prendre ce règlement régional. Le futur du Kosovo affectant de manière profonde l'ensemble de la région des Balkans, les Etats de la région devraient ensuite participer activement à la recherche de ce règlement, pour lequel les négociations devraient répondre aux demandes minimales de tous et non aux exigences maximales de chacun. Cet accord ferme pourrait enfin intervenir dans le contexte d'un accord régional plus large, voire éventuellement d'un accord européen, car il existe des liens évidents entre les différents conflits ayant cours dans la région.

Toutefois, selon l'Envoyé spécial du Secrétaire général, en l'état actuel des choses, il n'existe pas de possibilité réelle de s'engager sur ce chemin en raison du "handicap" que constitue le régime de Belgrade. Le fait que certains dirigeants politiques et militaires de la République fédérale de Yougoslavie soient mis en accusation par le Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie, les excluant ainsi de facto de tout dialogue diplomatique, pose en effet un véritable dilemme. Si d'un côté, l'on ne peut faire la paix sans Belgrade et sans tenir compte de la Serbie, en choisissant l'attente, on risque de voir éclater de nouveaux conflits. A cet égard, M. Bildt a jugé tout à fait révélatrice la situation particulière entre la Serbie et le Monténégro, où les deux entités se retrouvent lentement mais sûrement sur la voie de l'affrontement.

Les membres du Conseil se sont félicités de l'initiative du Secrétaire général de désigner un Envoyé spécial pour l'ensemble des Balkans, car cela permet d'avoir un regard et une approche d'ensemble coordonnée, seule manière de parvenir à une stabilité durable prenant justement en compte les intérêts de toutes les parties en présence. Dans ses efforts, la communauté internationale ne doit pas avoir peur d'employer le mot «réforme» et notamment réforme démocratique, a estimé le représentant de la France, une nécessité à laquelle les acteurs de la région doivent soit se rallier, soit s'effacer. Une force internationale ne pouvant être présente indéfiniment dans les Balkans, il convient de toute manière d'établir des mécanismes internes aux sociétés qui composent la région qui permettraient de contenir les tensions et d'éviter qu'elles ne dégénèrent en conflit. Le représentant de la Fédération de Russie a affirmé, quant à lui, que le régime de Belgrade n'est pas un obstacle à la résolution des problèmes et notamment celui du Kosovo. Pour lui, une solution n'est pas possible sans la République fédérale de Yougoslavie, et c'est pourquoi il convient de s'attaquer à l ensemble des problèmes des Balkans en garantissant la participation de tous les acteurs régionaux et en évitant surtout toute politisation à l égard des différentes parties. Selon lui, les problèmes auxquels la mission des Nations Unies sur place est actuellement confrontée proviennent d'ailleurs du fait que ses dirigeants ne coopèrent pas suffisamment avec les autorités de la République fédérale de Yougoslavie.

Les représentants se sont aussi déclarés préoccupés par les récents troubles survenus à Mitrovica qui attestent de la dégradation de la situation au Kosovo et soulignent la nécessité d'entreprendre un processus de réconciliation, au cours duquel justice doit être rendue. La question du retour des réfugiés tant au Kosovo qu'en Bosnie-Herzégovine et en Croatie demeure préoccupante pour une majorité des intervenants qui ont insisté sur la nécessité de rétablir et de préserver l'ordre public pour les inciter au retour.

Les membres suivants du Conseil ont fait une déclaration: Malaisie, Bangladesh, France, Ukraine, Fédération de Russie, Chine, Canada, Royaume-Uni, Namibie, Jamaïque, Tunisie, Pays-Bas, Etats-Unis et Argentine.

En fin de séance, le Secrétaire général est intervenu pour indiquer que l'exposé de M. Bildt est le premier d'une série de présentations, prévues en mars, sur tous les aspects des problèmes rencontrés dans les Balkans et qui donneront lieu, au cours du mois d'avril, à la publication d'un rapport exhaustif.

Exposé de M. Carl Bildt, Envoyé spécial du Secrétaire général pour les Balkans

M. CARL BILDT, a observé que le Kosovo ne constitue qu'une petite partie d'une région entière actuellement à la recherche de la stabilité. L'instabilité et les conflits dans les Balkans ne sont pas des faits nouveaux mais il y a environ une décennie la communauté internationale a de nouveau été confrontée à ces problèmes et a dû non seulement venir en aide à la région en quête d'un nouvel ordre de stabilité, désormais fondé sur les droits de l'homme et la démocratie. Les Nations Unies ont été dès le début en première ligne des efforts visant à soulager les souffrances et à aider les populations et ces objectifs se sont avérés difficiles et ingrats laissant parfois une impression d'échec.

A l'heure actuelle, il n'est pas possible d'affirmer que l'on a réussi à parvenir à une stabilité durable dans la région, a reconnu M. Bildt. Dans les faits, l'implication de la communauté internationale, tant au niveau politique, humanitaire, économique que militaire, est plus importante et plus exigeante que jamais; et si l'on se retire aujourd'hui on risque de nouvelles guerres demain. Le plus grand problème à résoudre, ou du moins à identifier, est la confrontation entre les forces d'intégration et les forces de désintégration. Aujourd'hui, malheureusement, les forces de désintégration sont plus grandes que les forces d'intégration et tant que cela sera le cas la stabilité durable et auto-soutenue sera difficile à atteindre, a mis en garde l'Envoyé spécial. Un autre obstacle est lié au fait qu'il n'existe pas d'accord de paix à proprement parler sur la question du Kosovo. C'est cette lacune qui rend la tâche de la mission des Nations Unies si difficile et si compliquée. Le passage à la stabilité est en outre ralenti dans la mesure où la question centrale de la situation à long terme du Kosovo n'est pas réglée. Il y a encore trop d'attentes concernant les questions liées au conflit qui ne sont pas résolues. Il faut donc envisager de reprendre notre quête en vue d'un règlement pacifique du conflit, a estimé l'Envoyé spécial avant d'énumérer pour cela 4 points de départ. Il faut tout d'abord le soutien solide du Conseil de sécurité qui doit instaurer en son sein un dialogue sur la forme que pourrait prendre ce règlement régional. Les Etats de la région doivent ensuite participer activement à la recherche de ce règlement car le futur du Kosovo affecte de manière profonde l'ensemble de la région des Balkans. Il est fondamental d'affirmer clairement qu'une négociation réelle devra répondre aux demandes minimales de tous et non aux exigences maximales de quelques-uns. Il faut aussi être à même d'établir un accord ferme dans le contexte d'un accord régional plus large et éventuellement d'un accord européen. Il existe des liens évidents entre les différents conflits dans la région. C'est pourquoi en dépit des efforts louables déployés par l'Union européenne, il est nécessaire de mettre en place une structure allant au-delà de ce qui a été fait à ce jour.

Toutefois, à l'heure actuelle, il n'existe pas de possibilité réelle de s'engager sur ce chemin en raison du "handicap" que constitue la nature du régime de Belgrade, a poursuivi M. Bildt. Le fait que certains dirigeants politiques et militaires de la République fédérale de Yougoslavie soient mis en accusation par le Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie les exclut de facto de tout dialogue diplomatique. Or c'est un dilemme véritable qui est ainsi posé

car l'on ne peut faire la paix sans Belgrade et sans tenir compte de la Serbie. Mais comment avoir un dialogue avec ces personnalités ou leurs proches, s'est interrogé l'Envoyé spécial? Avant d'ajouter que si l'on choisit l'option de l'attente on risque de nouveaux conflits. Dans ce contexte, M. Bildt a évoqué la situation particulière entre la Serbie et le Monténégro, estimant que sans changement de régime à Belgrade ces deux pays se retrouveront lentement mais sûrement sur la voie de l'affrontement. Il a appelé la communauté internationale à multiplier ses efforts pour leur venir en aide, précisant que la confrontation entre la Serbie et le Monténégro est en fait le résultat de l'incertitude sur l'avenir de la République fédérale de Yougoslavie. Un règlement régional ne saurait être possible tant que l'on n'aura pas réglé la question capitale de l'avenir de la République fédérale de Yougoslavie. Il devra également réaliser un équilibre entre les intérêts des Serbes aussi bien que des Slaves et des Albanais de la région. Le nationalisme et la démocratie ne sont pas nécessairement incompatibles, a poursuivi M. Bildt, ajoutant qu'il faut cependant être conscient des tensions qui existent et qu'il ne faut pas prétendre que l'on ne peut pas reconnaître les groupes extrémistes déterminés à exploiter ces tensions où qu'ils soient. Si les forces de la désintégration l'emportent pendant trop longtemps, l'on ne pourra assister qu'à une montée des tensions et peut-être à l'éclatement de conflits encore plus violents que ceux auxquels on a déjà assisté, a mis en garde en outre, l'Envoyé spécial. La situation est complexe et même s'il existe des signes encourageants, comme le changement politique en Croatie, dans l'ensemble on est encore loin d'avoir atteint la stabilité dont rêve tous les individus de la région, a-t-il averti.

Déclarations

M. AGAM ASMY (Malaisie) s'est déclaré préoccupé par la question du retour des réfugiés et des personnes déplacées tant en Bosnie-Herzégovine qu'au Kosovo. Le problème des réfugiés n'a toujours pas trouvé de solution en Bosnie quatre ans après la signature des accords de Dayton. A cet égard, il a estimé qu'il importe de rétablir et de préserver l'ordre public pour encourager leur retour. Il a insisté sur la nécessité de mettre l'accent sur le processus de réconciliation. Ainsi, il est crucial pour les communautés que justice soit rendue. Il a souligné l'importance du travail du Tribunal international spécial qui doit être soutenu par la communauté internationale. Celle-ci doit également s'investir dans le processus de reconstruction tant économique que politique. Il a estimé que le succès de la communauté internationale dépend de la coopération avec les dirigeants régionaux.

M. ANWARUL KARIM CHOWDHURY (Bangladesh) a estimé que les récents événements de Mitrovica risquent de déstabiliser d'autres régions du Kosovo, ce qui confirme, à l'instar de ce que recommande M. Bildt depuis longtemps, que l'Occident devrait s'engager plus avant dans les efforts de reconstruction non seulement au Kosovo et en Bosnie, mais dans tous les Balkans. Du fait de l'ampleur des tensions ethniques dans cette région, qui remontent à plusieurs générations, la présence internationale, même renforcée, ne saurait être une

solution permanente. Il conviendrait plutôt d'établir des mécanismes internes à ces sociétés qui permettent de contenir ces tensions et d'éviter qu'elles ne dégénèrent en conflit. Il importe que la communauté internationale travaille à l'établissement d'une culture de la paix dans la région.

M. ALAIN DEJAMMET (France) a indiqué que la très riche expérience de l'Envoyé spécial dans la région rend son intervention d'autant plus enrichissante pour le Conseil et ses membres. Il a estimé que le Secrétaire général a eu pleinement raison de désigner un Envoyé spécial pour l'ensemble des Balkans, ce qui permet d'avoir un regard d'ensemble sur toute la région. Par l'ampleur de ses attributions, M. Bildt peut en effet dépasser les efforts parfois composites déployés par les différents acteurs présents dans différents points de la région. De manière générale, il est essentiel de renforcer les facteurs de solidarité par rapport aux facteurs d'éclatement et de désintégration. C'est là la seule politique viable, a affirmé M. Dejammet. Il ne faut pas non plus avoir peur du mot "réforme" et notamment de la réforme démocratique. Il y a dans la région des acteurs qui doivent soit prendre conscience de la nécessité d'une telle réforme, soit s'effacer. Parallèlement, il faut continuer d'apporter aide et assistance pour permettre la reconstruction et faire que l'espérance et la stabilité l'emportent, a fait remarquer le représentant.

M. VOLODYMYR YEL'CHENKO (Ukraine) s'est déclaré préoccupé par la dégradation continue de la situation au Kosovo. Il s'est inquiété des récents troubles de Mitrovica qui attestent de la dégradation de la situation et de son extension géographique. L'amélioration dépend d'une politique active de réconciliation et de reconstruction, a-t-il estimé. En outre, il s'est déclaré convaincu que le retour des réfugiés constitue un élément important dans le règlement du conflit. Le retour des réfugiés et des personnes déplacées, tant au Kosovo qu'en Bosnie et en Croatie, est fondamental. A cet égard, il s'est déclaré satisfait de la tendance accrue au retour et des déclarations récentes de la Croatie à cet effet. Toutefois, il s'est inquiété de la campagne d'intimidation en vue de créer une région monolithique au Kosovo. Il a estimé que les efforts pour assurer la stabilité de l'Europe du Sud-Est, dans son ensemble, représentent un élément important qui aidera à résoudre les problèmes actuels, notamment grâce à une meilleure stabilité économique. Il a souhaité que l'Ukraine soit associée plus étroitement aux efforts de la Communauté internationale en tant que facilitateur et qu'elle participe au processus de reconstruction économique.

Il convient d'établir une coordination étroite entre les acteurs sur le terrain et les institutions des Nations Unies. Il a regretté l'absence de dialogue suivi entre l'Envoyé spécial du Secrétaire général et le Conseil de sécurité. Les Membres du Conseil ne disposent que d'informations succinctes quant au mandat très large de M. Bildt dans les Balkans, a-t-il poursuivi, estimant que l'action positive de celui-ci sera sans doute plus efficace si une meilleure communication existait entre le Conseil de sécurité et M. Bildt, notamment en ce qui concerne les aspects de son mandat qui dépasse le cadre du Conseil de sécurité. Il s'est félicité de la réunion d'information de ce jour et a espéré qu'il y en ait d'autres. Il a souhaité recevoir davantage d'information sur les activités du deuxième Envoyé spécial du Secrétaire général. M. SERGUEY LAVROV (Fédération de Russie) a partagé l'opinion de M. Bildt selon laquelle les problèmes des Balkans ne peuvent être résolus que dans leur ensemble et avec la participation de tous les acteurs régionaux. Il a souligné la nécessité d'avoir un accord dans le sens du progrès qui sont la décision, non seulement du Conseil de sécurité mais celle de toute la communauté internationale. Ceci est essentiel pour avancer dans la même direction et ne pas exploiter tel ou tel aspect des conflits pour promouvoir des intérêts nationaux, a-t-il affirmé. Il faut donc que la communauté internationale suive une ligne convenue telle que reflétée dans les décisions du Conseil de sécurité et de l'Union européenne. Comme l'a indiqué l'Envoyé spécial, l'une des tâches les plus importantes est effectivement de faire cesser le plus rapidement possible les activités des extrémistes de toutes parts et faire taire les forces de désintégration. Le Représentant a insisté sur le fait que sans la République fédérale de Yougoslavie, il ne saurait y avoir de stabilité et de paix dans la région. L'Envoyé spécial pourrait en fait jouer un rôle positif pour coordonner les différents efforts de la communauté internationale, engagée notamment dans l'initiative du Pacte de stabilité de l'Europe du Sud-Est. Il est essentiel que les différentes initiatives en faveur des Balkans soient au mieux et idéalement coordonnées et au minimum qu'elles partagent des informations communes. M. Lavrov a appelé M. Bildt à envisager ce qu'il pourrait faire dans cette direction, ce qui lui permettra de contribuer ainsi au développement de l'ensemble de la région sans exception. En revanche, il a exprimé son désaccord avec l'idée selon laquelle le régime de Belgrade est un obstacle à la résolution des problèmes et notamment celui du Kosovo. Selon lui, les problèmes auxquels la mission des Nations Unies sur place est actuellement confrontée proviennent surtout du fait que ses dirigeants ne coopèrent pas suffisamment avec les autorités de la République fédérale de Yougoslavie. Il est indispensable de modifier le plus rapidement possible cette attitude qui prévaut aussi bien au plans politique, économique que celui de la coopération. Il ne faut pas oublier non plus que le groupe le plus important de réfugiés en Europe se trouve actuellement en République fédérale de Yougoslavie, or ces personnes sont par trop oubliées des donateurs. Pour la Fédération de Russie cela ne peut que laisser penser que la politisation de l'attitude envers les parties dans les Balkans se poursuit. Cette tendance se manifeste aussi dans les activités du Tribunal pour l'ex-Yougoslavie, a fait également observer le représentant, ajoutant qu'en aucune manière les préjugés ne permettront de réaliser des progrès en ce qui concerne la crise dans les Balkans. Prenant l'exemple du problème de Prevlaka, il a espéré que le nouveau Gouvernement de Croatie prendra les mesures qui s'imposent pour respecter la zone définie par les Nations Unies et surtout qu'il répondra aux invitations de la République fédérale de Yougoslavie pour reprendre les négociations. Le fait que les autorités croates refusent cette invitation sous prétexte que certains dirigeants serbes sont mis en accusation par le Tribunal de l'ex-Yougoslavie pose la question de savoir si l'on doit attendre que des élections aient lieu en République fédérale de Yougoslavie ou si l'on doit plutôt suivre la position de la communauté internationale qui a confirmé la légitimité de ce pays et adopter ainsi une démarche plus ouverte. Toutes les parties concernées doivent réfléchir à leurs obligations propres et rechercher une solution en accord avec les décisions prises.

M. SHEN GUOFANG (Chine) a estimé que Carl Bildt a fait beaucoup pour promouvoir la paix et la stabilité dans la région, pour lesquelles les Nations Unies déploient de nombreux efforts, certains couronnés de succès, d'autres moins. La stabilité durable dans les Balkans exige le strict respect des principes de la Charte des Nations Unies, en particulier ceux liés à la non-ingérence dans les affaires internes d'un pays, au respect de la souveraineté des Etats et à l'intérêt de toutes les populations en présence. L'évolution de la situation est tributaire autant des efforts et de la volonté des acteurs de la région, y compris ceux de la République fédérale de Yougoslavie, que de ceux de la communauté internationale. Ces activités se complètent et ne sont nullement contradictoires, a précisé le représentant.

Les tâches à réaliser pour parvenir à une stabilité durable sont encore immenses et la communauté internationale devrait continuer à appuyer les efforts des pays de la région pour garantir la stabilité politique et économique, a poursuivi M. Guofang. Une attention particulière doit être accordée au retour à l'autonomie, et notamment à l'autonomie économique, des pays de la région. Mais en dernier ressort, c'est à ces pays qu'incombe la responsabilité de parvenir à une solution définitive de la question. La Chine est particulièrement préoccupée par les événements récents survenus au Kosovo et notamment par la sécurité des populations qui y résident. Elle estime que les problèmes ethniques, religieux et territoriaux doivent être résolus de manière calme et par la négociation. Ceci est crucial pour l'ensemble de la région mais aussi pour toute la communauté internationale.

M. ANDRAS VAMOS-GOLDMAN (Canada) a estimé, à l'instar de M. Bildt, que la solution aux multiples problèmes des Balkans ne peut être trouvée que dans un contexte régional plus large. Ainsi les Nations Unies ont un juste milieu à préserver entre la nécessité d'apporter une aide humanitaire et celle de veiller à favoriser un gouvernement légitime. Il a estimé qu'en dépit des rumeurs selon lesquelles des sanctions contre la République fédérale de Yougoslavie aggravent la corruption, celles-ci s'avèrent toutefois nécessaires.

Au regard de la situation au Monténégro, il a posé la question de savoir comment une aide internationale pourrait être apportée, notamment dans le cadre du Pacte de solidarité pour l'Europe du Sud-Est, pour empêcher que ce territoire ne s'embarque dans une mauvaise voie.

M. STEWART ELDON (Royaume-Uni) a jugé très éclairante l'image employée ce matin par l'Envoyé spécial d'un équilibre à trouver entre les forces de désintégration et celles d'intégration dans les Balkans. "Veiller à ce que les forces d'intégration l'emportent est capital", a-t-il ajouté. Pour le Royaume-Uni, les chances de paix seront considérablement améliorées une fois que tous les intervenants concernés seront partie prenante et active au processus enclenché. M. Bildt a fort utilement souligné le dilemme de devoir traiter avec le Gouvernement de la République fédérale de Yougoslavie. Ce problème n'a pas de solution facile tant que les personnes seront poursuivies

par le Tribunal, a reconnu M. Eldon avant d'estimer toutefois que la solution n'est pas d'amenuiser le poids des institutions, y compris celui du Tribunal pour l'ex-Yougoslavie, organe impartial créé avec l'appui de tous les membres du Conseil de sécurité et qui doit avoir la possibilité d'effectuer son travail.

La situation entre la Serbie et le Monténégro est également préoccupante et, à cet égard, M. Bildt devrait indiquer ce que la communauté peut faire pour garantir que le Monténégro ne s'engage pas sur la mauvaise voie. Pour ce qui est de la question du Kosovo, sa résolution définitive demande l'appui continu et infaillible de la communauté internationale et c'est pourquoi au cours du week-end, le Royaume-Uni a annoncé qu'il allait doubler sa contribution aux efforts de paix au Kosovo.

M. MARTIN ANDJABA (Namibie), rappelant la compléxité des problèmes culturels, économiques, sociaux et politiques qu’affrontent les populations d’Europe du Sud-Est, a fait remarquer que la guerre qui a suivi l’éclatement de l’ex-Yougoslavie avait détruit des marchés commerciaux viables, endommagé les voies de transport et engendré une population de réfugiés inconnue en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale.

La Namibie partage le point de vue du Secrétaire général, des membres de l’Union européenne et de la communauté internationale sur le fait qu’un cadre régional de stabilité en Europe du Sud-Est devra s’appuyer sur la Charte des Nations Unies comme sur les traités et conventions correspondants. La situation sécuritaire des Balkans en général, et les derniers événements de Mitrovica en particulier, appellent instament la communauté internationale à examiner rapidement les problèmes des pays de la région, et ce au sein d’un cadre régional prenant en considération les spécificités culturelles et la sensibilité propres à chaque communauté.

Selon le représentant, un plan général de réglement de la situation devra garantir aux réfugiés et aux personnes déplacées le droit de regagner leur maison et pays d’origine en toute dignité et comprendre la révision du Pacte de stabilité afin notamment d’y inclure la République fédérale de Yougoslavie. Il devra également permettre la reconstruction des institutions et mettre en place des formations et programmes socioéconomiques pour faciliter l’entrée des pays de la région sur le marché européen.

M. Andjaba a souligné qu’il était essentiel que les populations des Balkans coopèrent avec la communauté internationale pour faciliter leur intégration au système économique européen. A cet égard, la Namibie approuve la Conférence pour les annonces de contributions tenue à Sarajevo qui a permis de dégager suffisamment de ressources pour la région et d’adopter une position commune pour la création d’un pacte de stabilité.

Mme PATRICIA DURRANT (Jamaïque) a estimé qu'il importe de disposer d'un règlement d'ensemble pour la région tout entière. Il reste dans ce domaine beaucoup à faire comme le montrent les récentes violences au Kosovo et les incidents de Mitrovica qui risquent de déstabiliser un processus de paix très fragile. Les Nations Unies ont beaucoup à faire, notamment pour faciliter le

retour des réfugiés. La coexistence pacifique et l'établissement d'une société multiethnique sont indispensables à la construction de la paix dans la région. A cet égard, elle a condamné tout jugement ethnique et a souligné l'importance du rôle du Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie. La communauté internationale doit s'attacher, notamment, à la réforme du système juridique, à la mise en place d'un système judiciaire et à renforcer les institutions locales, qui sont des éléments fondamentaux de la construction de la paix, a-t-elle ajouté. Cela étant, Mme Durrant a mis l'accent sur la volonté politique ferme des dirigeants qui, au côté de l'engagement de la communauté internationale, doit faciliter le processus de construction de la paix.

Elle a déclaré que le Pacte de stabilité pour l'Europe du Sud-Est apporte la preuve que la coordination régionale est indispensable et a précisé que tout accord durable doit répondre aux exigences minimums de tous et aux exigences maximums de personne.

M. SEKOU KASSE (Mali) a estimé que la situation dans les Balkans est complexe et que la stabilité est loin d'y être une réalité, comme en témoignent les événements récents de Mitrovica. Il faudra toutefois garder son optimisme et le Mali est profondément convaincu que la réconciliation nationale et l'adoption d'une approche globale sont les piliers d'une solution définitive dans la région des Balkans.

M. SAID BEN MUSTAPHA (Tunisie) a estimé que la démarche exposée ce matin par M. Bildt se distingue par la globalité de l'approche choisie. Il a encouragé toutes les missions de paix dans les Balkans qui, a-t-il déclaré, font du bon travail malgré la situation très difficile. La question des réfugiés et des personnes déplacées est au coeur même du problème et toutes les parties doivent favoriser leur retour et trouver une solution à cette question très sérieuse. De l'avis de la Tunisie, le Pacte de stabilité pour l'Europe du Sud-Est proposé par l'Union européenne offre l'occasion de promouvoir la paix et la sécurité pour la région, notamment par la promotion de réforme politique et économiques. L'appartenance de cette région a un ensemble plus vaste est d'ailleurs de nature à favoriser la stabilité en éliminant les intégrismes de tout bord, a fait observer le représentant.

M. ALPHONS HAMER (Pays-Bas) a estimé que la communauté internationale ne pourra atteindre son objectif de paix dans les Balkans tant que M. Milosevic sera au pouvoir à Belgrade, car, avec ses acolytes, il représente les principaux protagonistes de la tendance à la violence dans cette région. La population de la Serbie doit mettre un terme au règne de M. Milosevic et confier son sort à d'autres mains. Il a ajouté qu'il convient de considérer la situation dans son ensemble. A cet égard, la coopération dans le domaine du retour des réfugiés est aussi importante que la stabilité, a-t-il estimé. Il a espéré que cette question sera discutée lors de la réunion du mois prochain.

M. RICHARD HOLBROOKE (Etats-Unis) a loué les activités de l'Envoyé spécial et a déclaré qu'il attachait la plus grande attention à ses déclarations en raison notamment de sa grande expérience. Le rapport de M. Bildt devrait tous nous encourager à concentrer notre attention sur la voie à suivre si l'on veut progresser, a estimé M. Holbrooke. Il faut pour cela s'assurer des efforts de la communauté internationale qui doit être conduite par les mêmes objectifs. Le problème sous-jacent depuis 1991 à tous les problèmes des Balkans reste celui des objectifs et des intentions des dirigeants de Belgrade. En ce qui concerne la Bosnie, il s'agit de rendre réalité aux accords de Dayton et à cet égard, il convient de mettre l'accent sur la question du retour des réfugiés et des personnes déplacées. Pour la région en général, le Gouvernement nouvellement élu en Croatie représente une évolution positive et le premier test de ce Gouvernement sera ce qu'il effectuera à Mostar, car si Mitrovica est la ville la plus dangereuse de l'Europe, Mostar en constitue la plus détruite. L'action de la communauté internationale est effectivement handicapée par le régime de Belgrade et la communauté internationale devra renforcer ses efforts pour traduire en justice les personnes inculpées, a souligné le représentant.

M. ARNOLDO LISTRE (Argentine) a observé que l'application d'une stratégie à long terme dépend de plusieurs facteurs, notamment de la mise en oeuvre de réformes politiques, sociales et économiques favorisant la réconciliation des pays de la région. Il a estimé qu'il est fondamental d'apporter une réponse au problème actuel de réfugiés et personnes déplacées, et d'assurer le respect de la loi.

Les forces de désintégration de la région, a-t-il poursuivi, ne pourront être renversées que lorsque la population et ses dirigeants auront pris conscience de la nécessité d'établir une société démocratique, dans le respect de l'état de droit, au lieu d'une société dominée par la violence et l'intolérance.

Reprenant la parole, M. CARL BILDT a constaté avec satisfaction l'appui général témoigné par le Conseil à l'égard des efforts visant à instaurer des structures stables dans la région. Toutefois, des défis énormes restent encore à surmonter et il faut en être pleinement conscient, a-t-il averti. Le Kosovo est un endroit très difficile mais relativement petit par rapport à cette région, qui présente dans son ensemble une situation complexe et une source d'instabilité. En ce qui concerne la République fédérale de Yougoslavie et principalement la Serbie, il a rappelé que l'approche régionale de ce problème a été suivie par les Nations Unies dès le début des problèmes et ce parce que, de par sa nature même, on ne peut pas régler cette question et ses problèmes par une approche morcelée. Le Pacte de stabilité pour l'Europe du Sud-Est préparé par l'Union européenne marque, à ce titre, la reconnaissance par la communauté internationale que l'on ne peut pas aborder cette question par petits bouts. Ce Pacte est un processus à deux voies, a expliqué M. Bildt. Il ne doit pas seulement être un mécanisme de financement des pays de la région mais aussi un cadre d'engagement pour que les pays qui la composent prennent eux-mêmes des engagements en vue d'éliminer les violences et parvenir à la

stabilité. Tous ces pays ont en effet, à plus ou moins grand degré, besoin d'une réforme politique économique substantielle. La réconciliation est un autre élément fondamental à réaliser; le troisième élément incontournable étant la réintégration, et ce pour des raisons politiques aussi bien qu'économiques. Cela étant, lorsqu'on pourra enfin se diriger vers un règlement politique, il faudra évoluer vers une structure allant plus loin que ce qui existe aujourd'hui, a averti l'Envoyé spécial.

Poursuivant sur la situation particulière de la République fédérale de Yougoslavie, M. Bildt a reconnu qu'il faut bien évidemment avancer de manière prudente. D'un côté, il faut se préoccuper du sort des personnes, et un grand nombre d'entre elles se trouvent dans une situation désespérée, alors que de l'autre, il faut cependant faire attention à ce que l'on ne profite pas de la machine, car certaines structures du pays sont aujourd'hui délibérément corrompues. On ne peut que regretter le fait que d'une certaine manière la République fédérale de Yougoslavie se soit d'elle-même exclue de la scène internationale en n'entreprenant pas les réformes nécessaires au renforcement des institutions démocratiques et surtout en n'évinçant pas les personnes soupçonnées de crimes de guerre par le Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie. M. Bildt a ensuite attribué la dégradation de la situation entre la Serbie et le Monténégro à l'attitude de M. Milosevic qui de toute évidence crée toutes les conditions d'un basculement vers la violence. Une telle attitude représente une menace pour la survie même de la République fédérale de Yougoslavie, a mis en garde l'Envoyé spécial. A cet égard, ce que la communauté internationale peut faire, c'est constamment exposer les faits et accorder également une aide financière notamment au Monténégro, qui subit le poids de deux types de sanction.

L'Envoyé spécial a aussi fortement insisté sur l'importance du retour des réfugiés et des personnes déplacées. Si l'on refuse à ces personnes leur droit à revenir, on alimente en effet un réservoir de frustration et de violence qui sera néfaste à la région, a-t-il affirmé. C'est pourquoi, il examine actuellement avec le Pacte de stabilité pour l'Europe du Sud-Est les possibilités d'intégrer davantage cette question à l'aide économique prévue. S'agissant de la Bosnie, il a estimé que de nombreux progrès ont été accomplis sur place. Il s'est toutefois dit quelque peu déçu par les dirigeants bosniaques et les a appelés à un plus grand sens des responsabilités. Il a partagé l'opinion de M. Holbrooke selon laquelle ce que les autorités croates feront à Mostar aura valeur de test. Il a en conclusion rappelé que c'est l'absence d'un accord de paix, qui rend particulièrement difficile la situation au Kosovo et il a appelé la communauté internationale à se tourner désormais vers cet objectif, même si l'on sait que sans changement de régime à Belgrade, il sera tout simplement impossible d'y parvenir.

Reprenant la parole, M. SERGUEI LAVROV (Fédération de Russie) s'est interrogé sur la possibilité d'adopter une approche globale à la solution des Balkans en écartant délibérément les dirigeants de la République fédérale de Yougoslavie. La Fédération de Russie est convaincue que dans une certaine mesure les activités du Tribunal pour l'ex-Yougoslavie sont politisées et il ne faut par conséquent pas en devenir les otages. Il n'est pas possible de tout

rejeter sur une personne ou sur un régime, a insisté M. Lavrov, avant d'ajouter qu'il serait juste d'évaluer de manière tout aussi franche l'attitude des pays voisins, d'autant que les flux illicites d'armes et de drogues se poursuivent aux frontières du Kosovo. L'approche régionale d'ensemble prônée exige de dire la vérité sur tout ce qui se passe. Que fera la communauté internationale si dans un avenir proche la population de la République fédérale de Yougoslavie confirme le régime actuellement en place? M. Lavrov a rappelé que la République fédérale de Yougoslavie est membre de plein droit aux accords de Dayton et doit être associée aux principes consacrés par la résolution 1244. Aucune de ces décisions ne peut être appliquée sans la participation de la République fédérale de Yougoslavie, a-t- il insisté.

M. KOFI ANNAN, Secrétaire général des Nations Unies, a précisé aux membres du Conseil que l'exposé de M. Bildt n'est qu'un élément d'une série de présentations qui vont suivre avec la venue prochaine de l'Envoyé spécial en Bosnie et de M. Kouchner. A la suite de ces exposés, il a déclaré qu'il préparerait un rapport complet pour avril qui permettra aux membres du Conseil de considérer la situation dans son ensemble.

Au regard de la question de M. LAVROV concernant la participation des Serbes au processus, M. Annan a indiqué que ce n'est pas à M. Bildt d'y répondre. Il faudra se demander plus tard comment inscrire les Serbes dans les processus de négociations. M. Bildt a centré son rapport sur la région sans vouloir usurper sur les prérogatives de M. Kouchner qui viendra prochainement.

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