SG/SM/7312

DANS SON INTERVENTION DEVANT LE CLUB AUSTRALIEN DE LA PRESSE, LE SECRETAIRE GENERAL DEMANDE QUE LA NOTION D'INTERET GENERAL SOIT ELARGIE

23 février 2000


Communiqué de Presse
SG/SM/7312


DANS SON INTERVENTION DEVANT LE CLUB AUSTRALIEN DE LA PRESSE, LE SECRETAIRE GENERAL DEMANDE QUE LA NOTION D’INTERET GÉNÉRAL SOIT ELARGIE

20000223

On trouvera ci-après la déclaration faite par le Secrétaire général, M. Kofi Annan, devant le Club australien de la presse, le 22 février :

Je tiens tout d’abord à ce que vous sachiez combien je suis heureux d’être en Australie aujourd’hui. En effet, l’Australie est l’amie fidèle de l’Organisation des Nations Unies depuis plus d’un demi-siècle ( de fait, depuis la création même de l’Organisation, création à laquelle l’Australie a pris une part importante. Et si pour beaucoup l’Australie est aux antipodes, à l’Organisation des Nations Unies, nous n’avons pas habituellement le sentiment d’en être si éloignés. Alors que nous nous apprêtons à affronter ce nouveau millénaire, l’ONU va avoir besoin du peuple et du Gouvernement australiens. Nous espérons pouvoir compter sur votre soutien indéfectible et je pense que, si l’on peut se fier à notre collaboration au Timor oriental, nous pourrons accomplir de grandes choses si nous coopérons.

J’ai pu, pendant mon bref séjour, voir un peu votre pays. J’étais à Sydney avant de venir ici, j’ai vu votre magnifique opéra, je me suis promené au bord de l’eau et tout le monde était très accueillant et, à ma grande surprise, j’ai rencontré un collègue qui, après 30 ans à Genève, venait de prendre sa retraite et s’était installé en Australie; il m’a donné son adresse et je pense que vous serez surpris de la connaître : disons qu’il s’appelle Jean, et qu’il habite 1 rue du Paradis, Paradise Beach, Avalon. Alors que la plupart d’entre nous passons notre vie à chercher le paradis, j’ai rencontré quelqu’un qui l’avait trouvé.

Je voudrais aussi vous faire part aujourd’hui des impressions visuelles et sonores que j’ai eu pendant mon voyage en Asie du Sud-Est. En l’espace de deux petites semaines, j’ai pu me rendre compte directement des principales tendances et des grands défis qui vont façonner notre monde ( et notre travail ( pendant de nombreuses années à venir.

Commençons par Bangkok, ville où les nations développées et en développement étaient réunies pour la dixième session de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement. Parmi les principales questions qu’elles ont abordées figurait la nécessité de réparer les brèches qui étaient apparues en décembre lors des négociations commerciales de Seattle qui avaient mis en lumière les inconvénients et les risques de la mondialisation.

Nous étions nombreux à espérer pouvoir lancer à Seattle ce que nous avions décidé d’appeler les « négociations du développement » : soit une série de négociations commerciales consacrée au développement qui visait à mettre en place un système commercial véritablement libre et ouvert. Un système commercial qui serait également juste pour les pauvres. Mais la rencontre a échoué, non pas à cause des manifestations de rue, mais en grande partie à cause des grandes puissances économiques qui n’ont pas pu s’entendre sur les priorités à adopter et n’ont pas pu oublier leurs différences.

Loin de moi l’idée de minimiser l’importance des protestations de Seattle. Elles ont eu leur importance. Leur intérêt venait de ce qu’elles se sont fait l’écho de certaines peurs très largement ressenties quant aux effets de la mondialisation; à ses effets sur l’emploi, sur l’environnement, sur la santé publique et sur les droits de l’homme. Leurs auteurs ont d’ailleurs raison de se sentir concernés par l’affreuse misère dans laquelle vivent encore beaucoup trop de gens dans les pays en développement. Ces questions doivent être soulevées, elles doivent être abordées. Elles ne peuvent pas être passées sous silence. Mais elles ne doivent pas entraver le système commercial car, ce faisant, elles aggraveraient la pauvreté, feraient obstacle au développement et limiteraient le commerce international. Il y a d’autres solutions à ces problèmes. Et je suis persuadé que la meilleure d’entre elles consiste pour les gouvernements nationaux et les décideurs, et dans certains cas, pour les organisations internationales, à aborder ces questions de façon directe et à leur apporter une réponse directe elle aussi.

Et c’est la raison pour laquelle, en janvier 1999, lors du Forum économique mondial de Davos, j’ai proposé au monde des affaires de passer un contrat mondial avec l’Organisation des Nations Unies et de respecter, dans ses activités et ses domaines d’influence, les normes de base applicables à l’emploi, à l’environnement et aux droits de l’homme, en lui faisant valoir qu’il n’a pas besoin des pouvoirs publics, pas besoin d’attendre de ces derniers qu’ils promulguent des lois nationales avant de faire le bien, avant d’offrir des salaires corrects, avant de refuser d’employer des enfants, avant de commencer de protéger l’environnement et ce, avec l’aide des organismes des Nations Unies que sont le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, le Programme des Nations Unies pour l’environnement à Nairobi et, bien entendu, l’Organisation mondiale du Travail.

Je suis heureux de pouvoir annoncer que les réactions ont été très encourageantes et que plusieurs sociétés collaborent avec nous pour appliquer ces normes mondiales dans le cadre de leurs activités et je pense qu’elles peuvent donner l’exemple et encourager d’autres qu’elles à respecter ces normes. Bien sûr, je n’irais pas jusqu’à suggérer que le système commercial lui-même ne peut pas être amélioré. Le commerce doit être ouvert, libre et équitable et, comme je l’ai déjà dit, être favorable aux pauvres. Les pauvres préféreraient de beaucoup se servir du commerce pour sortir de la pauvreté plutôt que de vivre constamment de subventions et d’aumônes. Bien sûr, la mondialisation fait des victimes mais ceux qui perdent le plus au change ne sont pas ceux qui sont le plus exposés à la mondialisation mais ceux qui en sont exclus, ceux qui restent en marge.

On dit souvent qu’une société du savoir est en train de naître un peu partout dans le monde aujourd’hui. C’est vrai, mais il est aussi vrai que la moitié de la population mondiale ne s’est jamais servi d’un téléphone, et encore moins d’un ordinateur. Le but vers lequel nous devons tendre dans l’immédiat est de lutter contre l’exclusion et les inégalités dont souffre notre société et faire en sorte

que tous les peuples de la terre participent à la nouvelle économie mondiale. J’espère que la dixième session de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement qui s’est tenue à Bangkok aura permis de faire un pas dans cette direction. Bien entendu, elle n’a pas apporté une réponse à toutes nos questions mais elle a été l’occasion d’inscrire certains points à l’ordre du jour.

Par ailleurs, le lieu de la session était bien choisi pour examiner les questions relatives au développement mondial. En effet, la Thaïlande est le pays où la crise financière asiatique a commencé et elle est aussi le pays qui montre la marche à suivre pour sortir de cette crise. De même, la transition démocratique en cours en Indonésie a des répercussions régionales et mondiales et je suis heureux de pouvoir me rendre compte moi-même des progrès qui ont été faits. L’Indonésie a aujourd’hui un gouvernement qui a été élu par une grande partie de la population. La société civile devient plus active et efficace. Le Parlement se montre plus assuré et si j’en crois la foule de journalistes qui se pressait pour m’accueillir à chaque réunion, vos confrères de ce pays jouissent de plus en plus de liberté et font preuve d’une vitalité croissante dans leur travail et j’espère que cette tendance se confirmera.

La prochaine étape consiste maintenant à consolider les institutions démocratiques qui ont vu le jour. On ne naît pas bon citoyen; on le devient; de même les nations deviennent-elles des démocraties. Il s’agit dans les deux cas d’un processus continu qui évolue au fil des ans et doit être suivi de près. Rien de très nouveau dans tout cela pour une démocratie de longue date, comme l’Australie, mais, pour beaucoup de nations, le chemin qui mène ou ramène à la démocratie est semé de nombreuses embûches. Nous devons faire l’impossible pour encourager et soutenir ce genre de transitions. L’Australie est particulièrement bien placée pour jouer ce rôle.

L’expérience de l’Indonésie avec ses minorités trouve son écho un peu partout dans le monde, de l’Europe à l’Amérique, de l’Afrique à l’Océanie. Je pense que nous devons être extrêmement sensibles aux problèmes des minorités. Les minorités doivent être convaincues, dans toutes les sociétés, que l’État leur appartient à elles aussi, et que l’État n’appartient pas seulement à la majorité. Quand un groupe entier de personnes est victime d’une discrimination fondée sur l’appartenance ethnique ou religieuse ou exclus du processus politique, les élites et les hommes politiques peuvent tirer parti de cette situation qui peut alors devenir explosive. Les gouvernements doivent donc veiller à ce que chaque citoyen, chaque groupe, ait le sentiment de faire partie de la société.

À cet égard, une étude récente de l’Université des Nations Unies parle d’inégalités horizontales pour décrire la situation de groupes entiers d’êtres humains qui sont victimes de discrimination et, si l’on veut éviter les tensions au sein de la société, il faut faire attention à ne pas créer de telles situations.

Lorsque nous parlons de développement, de démocratie, de droits de l’homme, notre discussion ne peut que déboucher sur le Timor oriental, où je me trouvais juste avant de venir ici et où de nombreux Australiens collaborent avec l’Organisation des Nations Unies. Comme vous le savez, l’Organisation des Nations Unies s’est vu confier d’immenses responsabilités pour aider les Timorais orientaux à surmonter la longue et douloureuse expérience par laquelle est passé leur pays et à se réconcilier avec leurs concitoyens et leurs voisins. Et je suis persuadé que l’Organisation des Nations Unies fait tout ce qui est en son pouvoir pour

administrer ce territoire. Nous nous trouvons dans un territoire où presque tout ( institutions, infrastructure ( est à faire ou à refaire à partir de rien ou presque. Nous travaillons pour un peuple qui connaît de grandes privations et un immense désespoir et qui veut des emplois, qui veut que justice soit faite, qui veut être maître de son propre destin. Et bien sûr nous ne pouvons pas tout faire tout seuls. Nous avons besoin d’aide, nous avons besoin de soutien et j’espère pouvoir compter sur nos partenaires traditionnels, la communauté des donateurs et notamment l’Australie, les organismes des Nations Unies et les organisations non gouvernementales.

J’ai été très choqué lors de ma visite, émouvante, au Timor oriental de voir les destructions et la terreur qu’ont entraîné dans leur sillage les élections. Mais je dois ajouter que si j’ai été déprimé, j’ai aussi été impressionné. J’ai été à la fois impressionné et déprimé. Impressionné par le courage, la ténacité et la détermination du peuple timorais et déprimé par les destructions et la violence aveugle que j’ai vues tout autour de moi. Mais je crois que si nous unissons nos efforts pour venir en aide au Timor oriental nous pouvons aider ce territoire à se remettre sur pied.

Je suis aussi très heureux de constater que l’Australie fait déjà beaucoup pour nous aider dans les domaines du développement, de la démocratie, des droits de l’homme et de l’édification nationale. Vous avez joué un rôle clef dans chacun de ces secteurs de notre activité. Vous avez donné généreusement pour le développement et pour l’assistance humanitaire. Il est aussi important que vous soyez en train de consolider vos relations de bon voisinage avec l’Indonésie. Je sais que l’Indonésie compte en faire autant. Et je suis sûr que Son Excellence Monsieur l’Ambassadeur qui est ici présent ne me démentira pas car j’ai bien évoqué cette question avec les représentants de son pays. Vous êtes voisins et il est indispensable que vous ayez des relations de bon voisinage.

Je crois que vous avez fait vos preuves et j’espère que nous pourrons collaborer avec vous à l’avenir pour passer le cap du nouveau millénaire.

Je sais que lorsque nous parlons d’engagement international, il arrive que les nations aient du mal à supporter les pressions venues de l’extérieur qui s’exercent sur elles. L’économie mondiale est extrêmement compétitive et il est pratiquement impossible de s’isoler pour éviter des problèmes comme la pollution, le crime, la propagation des maladies et des armes fatales. Les problèmes que je décris sont des problèmes sans passeports. Et notre planète connaît toujours les fléaux de la guerre et de la misère, que nous nous efforçons toujours et encore d’éliminer et auxquels nous devons nous affronter dans un esprit de solidarité et de compassion. Mais je vois bien que nos problèmes ne sont pas seulement internationaux, qu’ils ont aussi une dimension nationale. Je dis toujours que la politique est une affaire résolument locale mais je constate aussi que toutes les autres questions se ressentent de plus en plus de la mondialisation et de l’interdépendance internationale. Nous acceptons que les échanges soient internationaux; nous acceptons que les flux financiers soient internationaux, nous acceptons que la pollution et les problèmes écologiques soient internationaux et pourtant, sur le plan politique, nous pensons en termes strictement locaux.

Comment réconcilier ces deux réalités et faire comprendre aux gens que nous ne pouvons plus penser en termes purement locaux et que ce qui se passe au-delà de nos frontières a des répercussions sur nous et que nos actions ont des répercussions sur nos voisins. Et que nous devons commencer à ne plus nous considérer seulement notre intérêt national mais à donner un sens plus large à cet intérêt national. Par ailleurs, nous vivons aujourd’hui dans un monde où l’intérêt collectif va presque toujours dans le sens de l’intérêt national. Nous devons aussi reproduire à l’échelle internationale ce que nous avons au niveau local. Chaque localité, chaque nation a ses propres lois, ses propres normes, ses propres casernes de pompiers. Nous avons besoin de tout cela au niveau mondial.

Je ne dis pas qu’il faut créer un gouvernement mondial. Ce que je dis est que nous avons l’Organisation des Nations Unies et ses institutions spécialisées; une tribune où toutes les nations du monde peuvent venir pour débattre de leurs problèmes communs. Si chaque communauté a un langage et des règles qui forgent des liens entre ses membres, de même la communauté internationale a-t-elle besoin de valeurs et de normes communes autour desquelles elle peut se mobiliser certes, mais aussi et surtout autour desquelles doivent tourner les rapports entre ses différents éléments. Que ces normes s’inspirent de la Déclaration universelle des droits de l’homme, de la Charte des Nations Unies ou les conventions que les Nations Unies ont élaborées, dans notre monde interdépendant, il est de plus en plus important que nous ayons ces normes et que nous développions encore le droit international. Le droit international est à mon avis le langage de la communauté internationale; sans lui, on peut imaginer quelles seraient nos relations entre nous et la nature de nos échanges.

Mes amis, c’est pour toutes ces raisons que nous avons l’Organisation des Nations Unies. Votre Organisation des Nations Unies. Soutenez-la, faites appel à elle, critiquez-la si vous le voulez et nous écouterons vos critiques et les accepterons mais surtout œuvrez avec nous au renforcement de l’Organisation et aidez-la à trouver de nouveaux repères en ce début de XXIe siècle pour qu’elle devienne l’ONU qu’elle doit être.

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