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CNUCED/B/251

L'ACCES AUX MARCHES DES PAYS INDUSTRIALISES RAPPORTERAIT HUIT FOIS PLUS PAR AN QUE LE MONTANT DE L'AIDE PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT

17 février 2000


Communiqué de Presse
CNUCED/B/251


L’ACCES AUX MARCHES DES PAYS INDUSTRIALISES RAPPORTERAIT HUIT FOIS PLUS PAR AN QUE LE MONTANT DE L’AIDE PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT

20000217

La dixième session de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) a consacré sa séance de cet après-midi à l’audition des organisations non gouvernementales (ONG) qui ont insisté sur la nécessité d’instaurer un système commercial non discriminatoire qui soit au service du développement. Les ONG ont plaidé pour que les prochaines négociations commerciales de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dites Cycle du développement, tiennent compte des préoccupations des pays en développement en ce qui concerne leur accès aux marchés, le transfert des technologies et les questions liées à la propriété intellectuelle. S’agissant de l’accès aux marchés, les ONG ont plaidé pour la baisse des mesures tarifaires pratiquées par les pays développés, l’élimination des barrières non tarifaires et l’accès sans conditions des produits des pays les moins avancés aux marchés des pays riches. Selon les statistiques citées par ces ONG, l’accès des pays en développement aux marchés des pays développés rapporterait quelque 700 milliards de dollars par an, soit une augmentation de 12% de leur PNB et représenterait plus de 8 fois l’Aide publique au développement. Les ONG ont également plaidé pour que les institutions de Bretton Woods – le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale – élaborent des politiques reconnaissant le lien entre la stabilité financière et la stabilité sociale. A cet égard, et sans vouloir faire de la CNUCED une instance de négociations commerciales, les ONG ont souhaité qu’elle aille au-delà de ses fonctions d’analyse et d’assistance technique aux pays en développement et devienne auprès des organismes concernés l’avocat du développement. Pour ces ONG, la CNUCED doit prendre une part pratique aux efforts visant la mise en place d’un système commercial international équitable et à l’élaboration d’une nouvelle architecture financière internationale. A cet égard, International South Group Network a regretté qu’à la lumière du Plan d’action en discussion, la CNUCED ne se dirige pas du tout dans cette direction par crainte, a-t-il estimé, de froisser ces principaux donateurs. Le Focus on the Global South a souhaité que la CNUCED encourage la création d’une commission des Nations Unies qui sera chargée d’évaluer la structure financière du FMI et l’impact de ses politiques sur le monde en développement.

Les représentants des ONG suivantes ont pris la parole : Third World Network, Association internationale des petites et moyennes entreprises, Consumers International, Focus on the Global South, Catholic Fund for Overseas Development, Oxfam International, World Vision International, Christian Aid, Confédération international des syndicats libres, et International south Group Network.

La dixième session de la CNUCED se poursuivra demain, vendredi 18 février, à 9 heures. Elle entendra une allocution du Président de l’Algérie et Président en exercice de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), M. Abdelaziz Bouteflika.

Débat général

M. MARTIN KHOR (Directeur du Third World Network) : concernant les finances internationales, nous savons aujourd’hui que la crise asiatique a été provoquée par les distorsions des mécanismes financiers internationaux. Les interventions du Fonds monétaire international (FMI) ont aggravé la crise. Le FMI a, tardivement, posé un mauvais diagnostic et prescrit de mauvaises solutions à la crise. Le FMI devrait revoir ses accords d’association et d’intervention avec les pays de la région d’Asie du Sud-Est, et l’OCDE, pour sa part, devrait revoir ses mécanismes de conseil ou d’intervention dans les pays en développement. Une fois que les crises se déclenchent, il faudrait qu’il y ait des mécanismes pour en limiter les conséquences et l’expansion. Les gouvernements des pays donateurs devraient, quant à eux, être capables de restreindre les activités de spéculations de leurs firmes financières à l’étranger, et la communauté internationale doit adopter des textes contraignants à ce sujet dans le cadre de la réforme de l’architecture financière. Un système permettant d’assurer la stabilité des monnaies est aussi nécessaire, et les pays en développement doivent être rendus capables de maîtriser l’impact des obligations du service de la dette extérieur sur leurs économies et leur balances de paiement. La CNUCED est une institution capable de promouvoir les intérêts des pays en développement, et son mandat le lui permet, mais l’OMC, quant à elle, a jusqu’à maintenant toujours joué contre les intérêts de ces pays, ceci en contradiction totale avec les dispositions sous-tendent sa création. L’OMC ne devrait pas se positionner comme un obstacle devant les objectifs de développement véritable. La libéralisation du commerce n’est pas forcément synonyme de croissance économique. Des problèmes de déficit et de déséquilibres de la balance extérieure, ont jusqu’à maintenant fortement handicaper le développement des pays en développement et des divergences entre le Nord et le Sud ont rendu les pourparlers sur le commerce international déséquilibrés en faveur des pays riches. Ces pays devraient honorer les engagements qu’ils ont pris devant la communauté internationale après la conclusion des Accords du Cycle d’Uruguay.

M. JAYANTI DURAI (Directrice générale de Consumers international) : le mouvement des consommateurs que l’ONG défend ne va pas à l’encontre de la libéralisation du commerce. L’ONG insiste pour que le consommateur puisse bénéficier des avantages actuels de la mondialisation et œuvre pour que les droits des consommateurs soient une réalité pour tous. Les politiques de consommation doivent être en harmonie avec les objectifs du développement et viser l’élimination de la pauvreté, le renforcement de l’efficacité des marchés, le rétablissement de la confiance du consommateur dans le marché et la promotion de la bonne gouvernance avec la participation des consommateurs au processus de prise de décisions. La CNUCED doit entreprendre un travail analytique pour montrer l’impact des politiques de développement qui renforcent les droits des consommateurs. Elle doit aussi encourager la participation des mouvements de consommateurs aux négociations de l’OMC et analyser le rôle des politiques de consommation dans le développement.

M.CHAKRADHARI AGRAWAL (Secrétaire général de l’Association mondiale des petites et moyennes entreprises) : il est paradoxal que malgré l’importance des petites et moyennes entreprises dans la création d’emplois et de richesses, rien n’ait été prévu dans le cadre actuel des mécanismes de la mondialisation pour assurer l’épanouissement de ces entreprises. Nous pensons qu’il faille améliorer les capacités des petites entreprises et renforcer leur compétitivité sur le marché international. Les PME ont un nombre important de défis à relever et ces défis ont été exacerbés par la mondialisation. Comme l’a dit M. Kofi Annan, la mondialisation exige que l’on absorbe et maîtrise rapidement de nouvelles techniques et de nouvelles connaissances. Les PME n’ont pas toujours les moyens de se mettre rapidement au jour des nouvelles évolutions technologiques. Elles auraient besoin que des mesures favorables soient prises à leur égard. L’existence au sein de l’OMC de normes qui ne tiennent pas compte du besoin d’appuis institutionnels en faveur des PME est profondément préjudiciable à l’évolution des petites entreprises. La CNUCED peut jouer un rôle important pour que la libéralisation profite à tous, et nous la remercions d’avoir organisé une Table ronde sur les PME et la mondialisation au cours de cette session. Les ressources humaines, le transfert de technologies, la restructuration d’un système d’appui public aux PME sont des thèmes importants, et nous remercions les instituts qui nous aident à faire progresser ces questions au niveau international.

Mme SHALMALI GUTTAL (Focus on the Global South) : la Xe CNUCED a lieu au moment où deux institutions internationales, le FMI et la Banque mondiale traversent une crise de crédibilité. Les pays en développement ont maintenant la possibilité d’appeler à la création d’organisations plus légitimes et la CNUCED peut jouer un rôle dans ce sens. La CNUCED a besoin d’aller de l’avant et faire fonctionner son pouvoir législatif et exécutif dans les domaines du commerce, des investissements et du développement. Les pays en développement ne profiteront d’un système réglementé que lorsqu’il sera créé une nouvelle architecture financière internationale. La CNUCED peut aider à la mise en place d’un nouvel ordre économique. Elle doit incorporer ses éléments d’analyses écologiques avec la justice écologique, la parité entre hommes et femmes et la sécurité alimentaire. Elle doit cesser de percevoir son rôle comme purement technique car il doit s’efforcer d’intégrer les pays en développement dans le système commercial articulé autour de l’OMC. Elle doit avoir une stratégie hardie pour mettre fin à la marginalisation du Sud. Ce qu’il faut, c’est que la CNUCED travaille à l’octroi aux pays en développement de traitements spéciaux et différenciés en matière de commerce, d’investissements et de finances.

M. GEORGE GELBER (Chef des politiques publiques du Fonds catholique pour le développement outre-mer) : notre organisation est très fière d’être impliquée dans le mouvement pour une élimination totale de la dette. Lors des réunions des groupes d’église sur la dette, nous nous demandons comment les mécanismes de réduction de la dette feront pour que la réduction de la dette ne mène pas à un nouveau réendettement et favorise le développement durable, au lieu de relancer les grands projets dont bénéficient les grandes entreprises et non les populations. La réduction de la dette doit faire l’objet d’un débat de la société civile internationale pour que les bénéfices

qui en seront issus profitent réellement aux plus pauvres. La date de 2015 sera–t-elle réellement respectée comme date de suppression de la pauvreté dans le monde ? C’est la question à laquelle on doit répondre. Une croissance durable doit veiller à éliminer totalement la pauvreté, et nous ne pensons pas que les filets de sécurité soient une solution durable aux vrais problèmes que le monde connaît. Les intérêts des pays en développement sont sans aucun doute contraires à ceux des pays riches, mais nous pensons qu’il devrait y avoir un minimum de consensus pour sauvegarder la vie humaine et la décence. L’échec de Seattle a prouvé qu’il est difficile de trouver des termes qui satisfassent tout le monde, mais nous pensons que des discussions devraient reprendre dans un esprit de consensus et de plus grande équité.

M. MICHAEL BAILEY (Représentant d’OXFAM International) : la priorité des pourparlers commerciaux, dans le cadre de l’OMC, est de faire que les pays développés ouvrent leurs marchés et libéralisent les règles de la propriété intellectuelle, en réduisant la durée et la portée de la protection des brevets et en tenant compte de l’intérêt public de l’objet d’un brevet. Les pays développés doivent faire des concessions immédiates aux pays en développement, à savoir se pencher sur les lacunes des Accords du Cycle d’Uruguay, accepter sans conditions les exportations des PMA sur leurs marchés et s’engager dans le domaine du renforcement des capacités de négociations des pays en développement. Du fait de ce manque de capacités, ils doivent renvoyer à plus tard les négociations sur la concurrence d’autant qu’il est clair que les pays riches ne poursuivent en la matière que leurs propres intérêts. Les pays développés doivent s’abstenir de forcer les pays en développement à ouvrir leurs économies trop rapidement et d’exposer ainsi leur secteur vulnérable à la concurrence. Ils doivent, comme mesures essentielles, accepter des coupes tarifaires et réduire les tarifs sur les produits agricoles manufacturés, mettre fin aux législations antidumping, éliminer les barrières non tarifaires et simplifier les procédures liées aux règles d’origine.

M. KELLY RUSSEL CURRAH (World Vision International) : nous avons beaucoup entendu sur la manière dont la mondialisation pourrait prendre un visage humain. On parle de relier des villages d’Afrique à l’Internet. C’est beau, mais pour cela, il faudrait d’abord que les gens aient l’électricité et ne meurent pas par millions du sida. Nous avons entendu les leaders de la Banque mondiale et du FMI se plaindre qu’ils sont continuellement critiqués. Mais il suffit d’aller sur le terrain pour se rendre compte des impacts destructeurs des ajustements qu’ils ont imposés à des pays déjà socialement fragiles. MM. Wolfenshon et Camdessus ont tenu de beaux discours à cette tribune, mais nous aimerions voir davantage de résultats positifs et d’actions concrètes aux bénéfices des pays en développement, et notamment de ceux d’Afrique, de la part de leurs institutions. La CNUCED peut jouer un rôle de catalyseur au cours de l’examen des questions de développement humain. Le cas du sida est exemplaire. La CNUCED devrait faire rapidement une étude analytique sur l’impact de cette maladie et sur la viabilité des économies et la progression

sociale des pays affectés. Bientôt le sida, qui ravage l’Afrique, touchera l’Asie, dont la main-d’œuvre sera affectée par la pandémie. Il faut d’urgence tirer la sonnette d’alarme. Le commerce international et les transnationales peuvent engendrer des guerres et des conflits. Il n’y a qu’à voir les ravages dus aux trafics des diamants et autres minerais précieux en Afrique. Ces produits aliment la richesse des pays développés. Ne faudrait-il pas mettre des garde-fous au commerce à tout prix.

Mme CLAIRE MELAMED (Christian Aid) : la mondialisation peut être gérée de manière à être adaptée aux besoins des populations plutôt que le contraire. Les règles doivent être différentes de celles qui sont utilisées aujourd’hui et contribuer à la lutte contre la pauvreté. Il faut des marchés différents qui soient nos serviteurs et non pas nos maîtres, et qui ne portent pas préjudice aux ressources naturelles nécessaires aux populations pauvres.

M. RUCHI TRIPATHI (Action Aid) : nous souhaitons soutenir les pays en développement pour ce qui est de l’accès aux marchés de leurs produits agricoles. Les subventions que versent les pays de l’OCDE à leurs producteurs continuent d’être la source majeure de déséquilibres du secteur au niveau international. La sécurité alimentaire de nombreux pays est remise en question du fait de ces politiques. Une décision a été prise à Marrakech pour s’attaquer à ces problèmes mais, malheureusement, elle n’est pas encore mise en application. Nous pensons que la CNUCED pourrait jouer un rôle important en ce qui concerne le plaidoyer sur les questions agricoles et aussi en ce qui concerne, notamment, le problème des organismes génétiquement modifiés. La gestion de ces questions doit étroitement être liée au respect des termes de la Convention sur la biodiversité.

M. BEN CHIBANI MOHSEN (Confédération internationale des syndicats libres – CISL) : les discussions de Seattle ont montré que l’OMC devait s’attaquer à la question de savoir comment le commerce et l’investissement peuvent servir le développement social et que les droits des travailleurs et travailleuses ne peuvent pas être ignorés. Une mondialisation, sans aucune dimension sociale, ni réglementation, est inacceptable et ne peut être que rejetée par la communauté internationale. Le monde ne peut tolérer un système commercial qui permet la répression, l’exploitation des enfants à des fins lucratives et qui renforce l’injustice sociale dans le but d’accroître les exportations. La CISL craint que les inégalités, l’injustice, la détérioration des conditions sociales et la destruction de l’environnement risquent de s’aggraver si l’économie mondiale devait être confrontée à une plus grande libéralisation du commerce et des investissements selon les règlements actuels de l’OMC.

Nous estimons que la Xe CNUCED devrait concentrer son travail en faveur des pays en développement sur les trois aspects suivants : à veiller à un fonctionnement correct des marchés à travers une réglementation adéquate et une forte dimension sociale, garantir une répartition équitable des coûts et des avantages de la croissance entre les hommes et les femmes, les couches sociales et les pays riches et pauvres, et mettre en place un environnement extérieur favorable au succès des politiques intérieures de développement.

M. YASH TANDON (Directeur, International South Group Network) : nous sommes un réseau regroupant des organisations communautaires, des mouvements populaires et des organisations académiques basés dans les pays du Sud. Notre objectif est de faire avancer dans ces régions les causes de la justice, de la démocratie et de la paix, en vue de libérer et de laisser s’exprimer les potentialités, longtemps étouffées, des peuples de pays en développement. Nous militons pour la réforme agraire, les droits des femmes, l’équilibre des rapports Nord-Sud et la réduction de la dette. Le renforcement et l’amélioration des capacités des négociateurs africains chargés de mener des pourparlers à l’OMC est un de nos objectifs, car nous estimons que les Accords d’Uruguay n’ont pas vu une véritable participation des peuples du Sud et de l’Afrique. Nous pensons que le plan d’action de la CNUCED ne va pas assez loin en ce qui concerne la justice qui devrait accompagner la mondialisation. Nous nous opposons, en particulier, à la première phrase du projet de plan d’action, car elle ne reflète pas la réalité des peuples du Sud. De quelles possibilités parle-t-on ? Il faut réaliser qu’accablés par la dette, les peuples du Sud ne peuvent bénéficier d’aucune opportunité dans le contexte actuel. Nous savons que quand l’Occident parle de mondialisation, il veut dire protection de leurs propres marchés et ouverture forcée des marchés du Sud. Il ne faudrait pas que la recherche de consensus à tout prix amène la CNUCED à énoncer des contrevérités flagrantes. L’argent des donateurs ne devrait pas amener la CNUCED à vouloir nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Les responsables de la CNUCED devraient dire tout haut que les idées dont ils se targuent sont en vérité celles des campus universitaires occidentaux qui sont aussi le lieu d’élaboration des conditions oppressives de la mondialisation.

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