SG/SM/7297

DANS UN MONDE DECHIRE PAR LES CONFLITS, LE MAINTIEN DE LA PAIX EST UNE NOBLE TACHE, DECLARE LE SECRETAIRE GENERAL A BANGKOK

11 février 2000


Communiqué de Presse
SG/SM/7297
PKO/84


DANS UN MONDE DECHIRE PAR LES CONFLITS, LE MAINTIEN DE LA PAIX EST UNE NOBLE TACHE, DECLARE LE SECRETAIRE GENERAL A BANGKOK

20000211

l'ONU a besoin d'une capacité d'intervention rapide

Vous trouverez ci-joint le texte de la déclaration prononcée par le Secrétaire général, M. Kofi Annan, le 11 février 2000 à l'Université Thammasat, à Bangkok (Thaïlande):

J'attache un prix tout particulier au diplôme honoris causa que votre prestigieuse université a bien voulu m'octroyer. Je sais que je ne suis pas seul à l'honneur aujourd'hui et qu'à travers moi, vous rendez hommage à l'Organisation des Nations Unies et à sa mission mondiale de paix. Permettez-moi de vous en remercier du fond du coeur au nom de la communauté des Nations Unies.

Je suis venu en Thaïlande pour bien des raisons. Bangkok est l'un des grands centres de l'Organisation. La Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement organise une conférence importante sur l'orientation future de l'économie mondiale. Enfin et surtout, je rends visite au peuple de Thaïlande qui entretient d'excellentes relations d'amitié avec l'Organisation depuis plus d'un demi-siècle.

Vous êtes bien placés pour savoir que les activités de l'ONU sont aussi diverses que la communauté des hommes elle-même. Aujourd'hui, c'est du maintien de la paix que je voudrais vous parler. Premièrement, parce que la Thaïlande nous apporte dans ce domaine une contribution décisive. Deuxièmement, parce que l'Organisation a lancé non loin d'ici, au Timor oriental, avec une participation thaï, une nouvelle opération qui a des incidences importantes dans la région et au-delà. Et troisièmement, parce qu'en nous efforçant d'endiguer un conflit meurtrier quel que soit l'endroit où il menace d'éclater, nous accomplissons la tâche qui est la raison d'être de l'Organisation.

À en croire les gros titres et les émissions de télévision, l'Organisation ne fait quasiment rien d'autre que maintenir la paix. En fait, la majeure partie de nos activités visent à aider les gens à améliorer leurs conditions de vie. Le développement est bien entendu la meilleure forme possible de prévention des conflits. Et rien ne nuit davantage au développement que la guerre.

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L'ONU a connu de nombreux succès en matière de maintien de la paix : l'indépendance de la Namibie; les élections démocratiques au Mozambique; une réforme politique de grande envergure en El Salvador; de nouvelles garanties pour les droits de l'homme au Guatemala; la fin des conflits armés dans tous ces pays. La plupart des gens ajouteraient le Cambodge à cette liste, même si la paix y a été instaurée trop tard et si certains des problèmes que le conflit a laissés dans son sillage n'ont pas encore trouvé de solution.

L'année dernière a été particulièrement tumultueuse. On nous a donné d'énormes responsabilités nouvelles en nous demandant d'aider à reconstruire le Kosovo sur la base d'une société multiethnique. On nous a confié une mission tout aussi importante au Timor oriental. Notre mission en Sierra Leone a été élargie. Nous avons jeté les premiers jalons d'une opération en République démocratique du Congo, où sévit un conflit complexe qui déstabilise près de la moitié du continent africain. On dénombre aujourd'hui dans le monde entier 17 missions des Nations Unies dont les effectifs autorisés comprennent plus de 30 000 personnes troupes, police civile et observateurs militaires. La communauté internationale continue de compter sur l'Organisation pour maintenir la paix.

C'est au Liban, en 1958, que la Thaïlande a participé pour la première fois à nos activités de maintien de la paix. Elle a été présente aussi en Namibie et au Cambodge, et on trouve aujourd'hui du personnel thaï en Sierra Leone, en Bosnie- Herzégovine, le long de la frontière entre l'Iraq et le Koweït et au Timor oriental. Un colonel thaï est appelé à jouer un rôle de premier plan au Timor oriental puisqu'il commande l'un des principaux secteurs de notre opération. Vous pouvez être fiers de la contribution de votre pays.

Le maintien de la paix a évolué de façon spectaculaire depuis quelques années. Il y a 10 ou 15 ans, le rôle des forces de l'ONU était surtout de s'interposer entre des belligérants pour surveiller le respect d'un cessez-le-feu ou rendre compte de l'application d'un accord de paix. Mais depuis quelques années nous organisons aussi des élections, nous démobilisons des rebelles, nous rapatrions des réfugiés et nous prenons une part très active au redressement et au renforcement des institutions. Les opérations à multiples facettes sont devenues la norme.

La plus grande des nouveautés est qu'autrefois, la plupart des missions de maintien de la paix étaient déployées dans le cadre de conflits entre États alors qu'aujourd'hui, nous avons le plus souvent affaire à des conflits internes. Cette évolution est en partie due à la dimension internationale que présentent souvent les guerres civiles en particulier lorsqu'elles entraînent des exodes transfrontières de réfugiés ou, comme il arrive parfois, se propagent d'un pays à l'autre. Un autre facteur déterminant a été la fin de la guerre froide; un certain nombre de conflits ont éclaté que les superpuissances ne veulent plus ou ne peuvent plus désamorcer. Ces conflits font surface à un moment où les membres du Conseil de sécurité s'accordent d'autant plus facilement sur le rôle réservé à l'Organisation qu'il n'y a plus de superpuissances rivales pour prendre systématiquement des positions diamétralement opposées à l'occasion de crises locales.

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La presse mondiale et la solidarité entre les hommes jouent également un rôle : quand les téléspectateurs voient un enfant en détresse sur leur écran, ils se sentent interpellés, même si l'image leur vient de l'autre bout du monde. À l'origine, c'est pour cela que la communauté internationale a dépêché des soldats de la paix en Somalie. Elle a également décidé de lancer des opérations de maintien de la paix lorsqu'elle a assisté à d'effroyables tragédies humanitaires ou été témoin de consternantes violations des droits de l'homme. Tous ces facteurs font que l'Organisation est appelée bien plus souvent qu'autrefois à maintenir la paix en cas de luttes intestines.

La tâche n'est pas facile. On nous demande bien trop souvent d'intervenir dans des situations inextricables où personne d'autre ne veut se risquer. Le maintien de la paix peut prendre la forme d'une présence stabilisatrice qui vise à empêcher les parties de retomber dans l'ornière de la guerre. C'est l'une des raisons pour lesquelles il y a des soldats de la paix à Chypre et sur les hauteurs du Golan depuis plus d'un quart de siècle. Mais la communauté internationale ne doit jamais renoncer à résoudre les conflits. Dans les deux cas que je viens de mentionner, nous espérons que des progrès véritables seront accomplis cette année.

Mais si nous avons connu des succès, nous avons aussi essuyé des revers. Certaines de nos missions ont été mal conçues. Ainsi, en Bosnie-Herzégovine, le Conseil de sécurité avait fixé un objectif limité qui consistait à atténuer les conséquences humanitaires du conflit. Une telle aide était en effet indispensable, mais elle ne devait pas se substituer à l'action politique et à l'engagement de longue durée qui auraient été nécessaires pour mettre fin au "nettoyage ethnique" et s'attaquer aux racines profondes de la crise. En fait, la réticence du Conseil à approuver des mesures plus énergiques a apporté de l'eau au moulin de ceux qui estimaient que les États Membres usaient ou abusaient des opérations de maintien de la paix pour se donner l'apparence de "faire quelque chose" face à une crise.

Les soldats du maintien de la paix ont également été envoyés dans des endroits où il n'y avait pas de paix à maintenir. En Somalie, les parties ont violé à plusieurs reprises les accords de cessez-le-feu et le personnel de l'ONU a connu meurtres, enlèvements et manoeuvres d'intimidation. Les auteurs de ces crimes savaient pertinemment que toute perte en vies humaines pouvait éroder l'appui apporté à une mission de maintien de la paix par les pays qui fournissaient des contingents. Même là où il existait un accord de paix, comme en Angola ou au Cambodge, les Casques bleus ont dû lutter contre des groupes rebelles récalcitrants qui contrôlaient l'accès à de précieux produits de base destinés à l'exportation tels les diamants, les drogues ou le bois de charpente, et pour lesquels la guerre était donc source de profit.

J'ai fait faire de grandes études l'an dernier sur nos deux principaux échecs en matière de maintien de la paix et je souscris pleinement aux conclusions de ces rapports : l'Organisation des Nations Unies et la communauté internationale au sens plus large ont abandonné à leur sort le peuple du Rwanda et les habitants de Srebenica (Bosnie). Nous devons tout faire pour éviter que de telles horreurs ne se reproduisent. Et ne vous y trompez pas : il est sûr et certain que nous serons de nouveau mis à l'épreuve. C'est pourquoi je fais faire

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actuellement une étude approfondie sur notre expérience en matière de maintien de la paix. Il me sera sans doute possible de renforcer certains aspects du système de ma propre autorité. Je ferai des propositions concrètes aux États Membres sur d'autres points.

Nous devons absolument être en mesure de déployer des forces rapidement pour faire respecter un cessez-le-feu ou circonscrire un conflit. Or il s'écoule en moyenne trois ou quatre mois entre le moment où la décision est prise et celui où les personnels arrivent sur le terrain. L'Organisation a besoin d'une capacité d'intervention rapide. Tout se passe aujourd'hui comme si, appelés à éteindre un incendie, nous commencions par construire une caserne de pompiers.

Voilà bien des années que l'ONU cherche à se doter d'un système fiable grâce auquel elle disposerait de troupes entraînées et équipées dès que le Conseil de sécurité aurait décidé de lancer une opération. Dans le cadre de ce qu'il est convenu d'appeler des arrangements prévisionnels, plus de 80 pays ont identifié plus de 80 000 hommes qui pourraient ainsi être mis à disposition. Mais comme les États Membres sont libres de refuser de participer à une opération, ces arrangements sont un peu comme ces chèques de voyage comportant une seule signature et inutilisables sans le contreseing du porteur. Dans la pratique, ils ne se sont pas révélés suffisants pour répondre aux besoins du déploiement rapide.

Un certain nombre de gouvernements ne se sont pas contentés de désigner des troupes ou de prévoir du matériel. Sous l'impulsion du Danemark, ils ont collaboré à la formation d'une brigade multinationale d'intervention rapide des forces en attente connu sous le nom de BIRFA dont certaines unités pourraient être prêtes à l'action dans les 48 heures suivant la prise d'une décision par le Conseil de sécurité, pour autant que les États Membres concernés acceptent de participer à l'opération prévue. Les pays qui participent à cette initiative se réuniront à New York le mois prochain pour se concerter sur les prochaines étapes; nous encourageons les autres pays à créer des capacités d'intervention rapide pouvant être mises à la disposition de l'Organisation.

Le déploiement rapide est un moyen d'éviter de terribles tragédies et nous devons continuer à nous efforcer, en collaboration avec les États Membres, de réduire le temps de latence entre la prise de décisions et l'envoi de Casques bleus sur le terrain.

Il faut aussi qu'un nouveau consensus se forge entre les États Membres sur le rôle que l'ONU peut ou ne peut pas jouer en matière de maintien de la paix. Surveiller une ligne de cessez-le-feu est une chose; faire la guerre en est une autre, bien différente. Monter une opération complexe est une chose; imposer un accord de paix en est une autre, bien différente. L'Organisation n'a pas les moyens de mener une opération de combat; de manière générale, les "coalitions de pays disposés à agir" sont mieux équipées pour cela. Mais l'autorisation préalable du Conseil de sécurité demeure indispensable pour garantir la légitimité d'une telle opération et lui ménager un large appui dans la communauté internationale.

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Témoin ce qui se passe au Timor oriental. Lorsque les violences ont éclaté après que l'Indonésie a failli à son obligation de garantir la sécurité du scrutin, l'Organisation a recouru à une force commandée par l'Australie pour rétablir l'ordre et permettre au peuple du Timor oriental d'exprimer librement sa volonté. Cette force australienne a commencé à céder le contrôle du territoire à une opération de maintien de la paix des Nations Unies.

L'administration transitoire des Nations Unies comprend une composante militaire qui aidera à créer un climat dans lequel les Timorais pourront édifier leurs propres institutions, et au bout du compte, devenir membres à part entière de la communauté des nations.

La Thaïlande a participé aux deux opérations et votre gouvernement est parfaitement conscient des exigences de ces deux rôles. Au moment où nous nous attaquons aux problèmes qui se posent au Timor oriental et, simultanément, au Kosovo et en Sierra Leone, et alors que nous envisageons une opération cruciale en République démocratique du Congo, il est évident que nous devons renforcer les moyens dont nous disposons au Siège pour monter et gérer de telles opérations. Le noyau de ressources du Département des opérations de maintien de la paix du Secrétariat de l'ONU, formé vers le milieu des années 90, a été réduit de façon inacceptable. Nous font également défaut les personnels civils policiers, juges, administrateurs que nécessitent les opérations complexes d'aujourd'hui. Le Conseil de sécurité a approuvé 4 700 policiers pour la Mission des Nations Unies au Kosovo mais, à ce jour, les États Membres ont fourni moins de la moitié des effectifs prévus.

Le poste de commandement le plus important, celui dont dépendent tous les autres, est bien entendu le Conseil de sécurité. Nous comptons sur le Conseil pour recourir au maintien de la paix quand maintenir la paix peut faire toute la différence et pour mettre ressources et volonté politique au service des missions qu'il crée. Nous comptons sur le Conseil pour définir des mandats réalistes et crédibles, des mandats qui puissent être remplis. Plus encore, nous comptons sur lui pour nous donner des outils adaptés à la tâche. Les moyens doivent être à la mesure du mandat et le Conseil de sécurité doit toujours se tenir prêt à revoir celui-ci en fonction des ressources disponibles et vice-versa, à mesure que la situation évolue. Nous devons faire preuve de souplesse et de fermeté.

Le maintien de la paix n'a jamais été conçu pour mettre fin aux guerres mais pour créer de l'espace, un espace diplomatique qui permette aux adversaires de régler leur différend non sur le champ de bataille mais à la table des négociations; un espace économique qui incite les nations à renoncer à se détruire et à prendre ou retrouver le chemin du développement. Dans un monde encore déchiré par les conflits, le maintien de la paix est une noble tâche. C'est un instrument trop précieux pour que nous ne lui donnions pas toutes les chances de fonctionner.

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Aujourd'hui nous sommes plus conscients que jamais du lien qui existe entre le règlement pacifique et la prévention des conflits et les problèmes plus profonds du développement, de la gestion démocratique des affaires de l'État, de la primauté du droit et du respect des droits de l'homme. Cette convergence forme la toile de fond sur laquelle le maintien de la paix est pratiqué de nos jours. Il est essentiel de bien le comprendre si l'on veut que le maintien de la paix demeure, au XXIe siècle, un outil de base pour la gestion et le règlement des conflits.

A vous les jeunes qui étudiez dans cette éminente université, je ne peux m'empêcher de souhaiter un monde où la guerre ne sévirait plus et où, par conséquent, le maintien de la paix n'aurait plus de raison d'être. Mais nous sommes tous réalistes et nous savons que le monde ne se conformera pas à nos rêves. Ce que je peux vous souhaiter de mieux, c'est donc d'hériter d'un monde qui aspire à la paix, même au plus fort du conflit et d'une Organisation des Nations Unies prête, apte et résolue à préserver la paix, et équipée

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