"NOUS NE DEVONS PAS FUIR NOS RESPONSABILITES FACE A LA VIOLENCE", DECLARE LA VICE-SECRETAIRE GENERALE DEVANT LE CONSEIL DE SECURITE
Communiqué de Presse
DSG/SM/84
SC/6804
"NOUS NE DEVONS PAS FUIR NOS RESPONSABILITES FACE A LA VIOLENCE", DECLARE LA VICE-SECRETAIRE GENERALE DEVANT LE CONSEIL DE SECURITE
20000210Mme Fréchette suggère des mesures pour améliorer les procédures de sécurité
Voici le texte de lallocution que la Vice-Secrétaire générale, Mme Louise Fréchette, a prononcée le 9 février lors de la réunion du Conseil de sécurité consacrée à la protection du personnel des Nations Unies et du personnel associé, ainsi que du personnel des organismes humanitaires déployés dans des zones de conflit:
Je me réjouis tout particulièrement de souhaiter la bienvenue au nouveau Ministre des relations extérieures de lArgentine à loccasion de sa première visite à lOrganisation des Nations Unies. Je voudrais saisir cette occasion pour remercier lArgentine du soutien précieux quelle ne cesse dapporter à cette organisation et, en particulier, exprimer ma profonde reconnaissance pour ses contributions importantes aux opérations de maintien de la paix dans le monde entier. Linitiative daujourdhui montre que lArgentine est toujours aussi fermement résolue à appuyer notre action dans les régions les plus dangereuses du monde.
Je tiens à vous remercier, vous et votre pays, davoir pris linitiative de cette rencontre pour susciter un débat sur une question vitale qui est souvent négligée: la protection du personnel des Nations Unies et du personnel associé. On ne saurait faire un meilleur usage de la présidence que celui qui consiste à focaliser lattention sur les femmes et les hommes courageux qui risquent leur vie pour instaurer la paix dans le monde et porter secours aux victimes des conflits.
Je suis convaincue que cette initiative et la nouvelle prise de conscience quelle devrait susciter auront des retombées bénéfiques non seulement pour le personnel des Nations Unies mais aussi pour la communauté internationale tout entière. En effet, lorsquun «casque bleu», un agent des services de secours ou un interprète local est victime de la haine et de la violence, les membres de sa famille, ses
amis et ses collègues ne sont pas seuls à être affectés par leur disparition. Elle est également ressentie par tous ceux qui sont tributaires de leur assistance: les enfants malades ou affamés, les réfugiés et les personnes déplacées; et les civils touchés par des conflits armés.
Nous sommes confrontés à une augmentation spectaculaire du nombre dassassinats, dagressions et denlèvements parmi le personnel civil depuis le début des années 90 et je constate que nos partenaires travaillant pour le Comité international de la Croix-Rouge et des organisations non gouvernementales sur le terrain ont été touchés dans la même proportion. Nous ne pouvons pas poursuivre simplement nos activités comme si de rien nétait.
Se tenir à lécart des situations dangereuses nest pas non plus une option acceptable. Bien souvent, lOrganisation des Nations Unies a le devoir de rester sur place car elle représente la dernière lueur despoir pour les populations affectées. Si nous partons, il ny aura peut-être personne dautre pour nous remplacer. Nous ne devons pas nous laisser intimider par des menaces; nous ne devons pas fuir nos responsabilités face à la violence. Nous avons une trop lourde responsabilité à assumer à légard des personnes que nous nous sommes engagés à secourir.
Parallèlement, notre responsabilité à légard des agents qui assurent la distribution des secours dans des conditions très dangereuses nen est pas diminuée pour autant. Nous sommes au moins tenus de nous assurer quils ne sont pas exposés à des dangers superflus.
A ce stade, je voudrais apporter une précision sur un point très important: quand je fais référence au personnel des Nations Unies, il sagit non seulement du personnel militaire et des membres de la police mais aussi des milliers de civils qui sont au service des missions de maintien ou de rétablissement de la paix et des opérations humanitaires; outre les membres du personnel international, ce sont aussi les agents hommes et femmes qui sont recrutés localement et sans lesquels nous ne pourrions tout bonnement pas nous acquitter des tâches que les États Membres nous confient. Nous avons des obligations à légard de toutes ces personnes.
Je vous suis reconnaissante davoir invité la Directrice exécutive du Programme alimentaire mondial, Mme Catherine Bertini, ainsi que le représentant du CICR, à participer à cette rencontre. Ils sont bien placés pour vous exposer les difficultés que rencontre le personnel des organismes humanitaires dans les environnements hostiles où il doit accomplir sa tâche, le plus souvent.
Quand je dis que «nous» sommes responsables, ce pronom désigne les fonctionnaires du Secrétariat, mais aussi les États Membres que vous représentez. Les agents qui interviennent dans des situations périlleuses sont nos collègues mais aussi citoyens des États Membres ici présents. Au sein du Secrétariat, nous sommes fermement convaincus que nous pouvons faire beaucoup par nous-mêmes pour mieux assurer la sécurité de nos collègues des Nations Unies. Au cours des derniers mois,
jai tenu des consultations avec les principaux agents dexécution des Nations Unies qui opèrent dans des situations de conflit et nous envisageons un certain nombre de mesures concrètes pour améliorer nos procédures de sécurité.
Il sagit tout dabord de mettre le Bureau du Coordonnateur des Nations Unies pour les mesures de sécurité mieux à même de remplir ses fonctions de coordination dans lensemble du système des Nations Unies. En tout état de cause, sa tâche nest pas facile. Pour faire du bon travail, le Bureau doit être capable de mener des missions dévaluation, des activités de formation et des enquêtes sur la sécurité mais cela ne suffit pas. Il doit pouvoir assumer dautres fonctions, par exemple envoyer des agents sur le terrain dans le cadre de missions de courte durée, pour faire face à des situations de crise; assurer un soutien psychologique pour les cas de stress; ou élaborer des programmes informatiques pour améliorer ses capacités de gestion. Pour répondre à toutes ces exigences, nous avons besoin dun personnel plus nombreux, qui devra être doté de moyens adéquats et dirigé par des cadres expérimentés capables de prendre les décisions difficiles requises par leurs attributions.
Aussi nous félicitons-nous de la récente résolution par laquelle lAssemblée générale a considéré quil fallait renforcer le Bureau du Coordonnateur des Nations Unies pour les mesures de sécurité, et créer un poste de coordonnateur pour les mesures de sécurité à plein temps. Jai le plaisir de vous informer que le Secrétaire général entend donner suite à cette résolution en nommant dès que possible un coordonnateur pour les mesures de sécurité à plein temps.
En second lieu, il sagit de faire en sorte que les missions puissent compter sur un nombre suffisant de professionnels de la sécurité et disposent du matériel indispensable tel que radios, téléphones par satellite et gilets pare-balles. On a entrepris dévaluer durgence les besoins exacts de chaque pays dans ce domaine.
En troisième lieu, il faut faire une plus grande place à la formation aux questions de sécurité. Les contingents reçoivent normalement une formation approfondie en matière de sécurité; on leur inculque la nécessité dêtre constamment conscient du danger potentiel. Mais bien des membres du personnel non militaire fonctionnaires de police, personnel des organismes de secours, observateurs des droits de
lhomme et autres remplissent leurs fonctions dans des conditions tout aussi difficiles. Ils doivent être sensibilisés aux questions de sécurité tout autant que leurs collègues des forces armées et être bien préparés pour faire face à toute situation dangereuse.
On pourrait y parvenir par exemple en ouvrant des centres de formation où le personnel international, quel que soit le mandat qui lui aurait été confié, recevrait avant dêtre déployé une formation intensive en matière de sécurité. Les États Membres pourraient également envisager dinviter du personnel non militaire à participer à lélément de leur programme de formation des agents de maintien de la paix qui concerne la sécurité.
Monsieur le Président, votre pays dispose dun programme excellent à cet égard et, au cours dune récente session de formation sadressant aux Volontaires des Nations Unies, votre gouvernement a organisé une journée dorientation à leur intention. La MINUTO et lATNUTO en sont un autre bon exemple. Une base dopérations préalable au déploiement a été créée dans les environs immédiats de la zone de la mission à Darwin (Australie) pour former les agents de sécurité et autres avant leur déploiement au Timor oriental.
Enfin, nous entendons améliorer nettement la coordination des arrangements de sécurité entre toutes les entités des Nations Unies qui se trouvent souvent dans la même zone, ainsi quavec les autres organismes à vocation humanitaire qui peuvent également y être présents. Lamélioration de la coordination a été lun des principaux éléments de notre action réformatrice dans dautres secteurs. En loccurrence, il pourrait littéralement sagir dune question de vie ou de mort. Les informations existantes devraient faire lobjet dune diffusion plus large et plus systématique; il faudrait mettre en place et respecter des procédures précises; et le matériel de sécurité devrait être partagé dans la mesure du possible.
Pour réaliser tous ces objectifs, le Secrétariat a besoin de lappui des États Membres à plusieurs niveaux.
En premier lieu, nous devons tous être bien conscients quune sécurité digne de ce nom demande des moyens financiers. Il faut payer le personnel. Il faut payer le matériel. Nous devons disposer de ressources suffisantes qui doivent être prévisibles. Actuellement, elles ne le sont pas. Le financement de la gestion et de la formation en matière de sécurité demeure sporadique les fonds venant dun très grand nombre de sources différentes et, il faut bien le dire, il demeure également insuffisant.
Cette année, nous avons innové: la plupart des appels globaux interinstitutions lancés pour 2000 incluent les demandes présentées par les organismes à vocation humanitaire pour quils portent également sur les besoins de chaque pays en matière de sécurité. Jespère sincèrement que ces appels seront entendus.
Le Fonds daffectation spéciale pour la sécurité du personnel des Nations Unies, créé à lété 1998, est une autre source de financement. Malheureusement, le montant des contributions qui y ont été versées jusquà présent est franchement décevant. Il sagit dun peu plus de 1,2 million de dollars, montant qui ne nous permet même pas de former les agents affectés aux 20 pays et régions où les conditions sont les plus précaires.
Je saisis cette occasion pour remercier les Gouvernements finlandais, japonais, monégasque, norvégien et sénégalais des contributions quils ont versées au Fonds. Et jen appelle à tous les États Membres pour quils montrent leur attachement à la sécurité du personnel en versant des contributions aussi généreuses que possible.
Comme je lai dit, les ressources mises au service de la sécurité ne doivent pas seulement être augmentées, elles doivent également être plus prévisibles. À plus long terme, nous devons abandonner la démarche ponctuelle qui a été la nôtre jusquici. Le financement de la sécurité du personnel ne devrait rien devoir à larbitraire. Il sagit dune responsabilité fondamentale des États Membres et les arrangements budgétaires devraient en tenir compte. Ensemble, nous devons commencer à étudier les moyens devant permettre dy parvenir.
Mais les États Membres peuvent faire beaucoup plus. Je voudrais suggérer une série de mesures concrètes que vous pourriez appliquer directement. Tout dabord, ceux qui ne lont pas encore fait pourraient signer et ratifier la Convention de 1994 sur la sécurité du personnel des Nations Unies et du personnel associé, qui est entrée en vigueur lannée dernière mais ne compte à ce jour que 29 États parties. Cest malheureusement exactement le même nombre que celui que jai cité lorsque je me suis exprimée sur la même question devant lAssemblée générale, il y a quatre mois.
Deuxièmement, la Convention sapplique actuellement au personnel des Nations Unies et au personnel associé fournissant un appui dans le cadre dune opération des Nations Unies autorisée par le Conseil de sécurité ou lAssemblée générale. Les États Membres devraient envisager détendre la portée de la Convention aux catégories de personnel qui ne font pas encore lobjet du régime de protection de la Convention.
Troisièmement, les États Membres devraient semployer à accélérer la ratification du Statut du Tribunal pénal international, qui assimile à des crimes de guerre les agressions délibérées contre le personnel daide humanitaire et des opérations de maintien de la paix.
Quatrièmement, les États Membres devraient aider à poursuivre et traduire en justice ceux qui ont blessé ou assassiné des personnes travaillant au service de lOrganisation des Nations Unies et des autres organisations oeuvrant au rétablissement de la paix ou à la distribution de secours dans les zones de conflit. Depuis janvier 1992, 184 fonctionnaires ont trouvé la mort au service des Nations Unies; 98 dentre eux ont été assassinés. Or, à ce jour, seuls deux auteurs de ces crimes ont été traduits en justice et condamnés. Quest-ce que le monde peut en déduire? Quil ny a pas de mal à tuer du personnel des Nations Unies? Que limpunité est garantie aux auteurs de ces meurtres? Certes non. Cest toutefois limpression que nous donnerons tant que les gouvernements nauront pas pris les mesures nécessaires pour mettre fin à limpunité.
Par exemple, le Conseil a été récemment saisi de rapports dans lesquels sont identifiées les personnes présumées responsables des attentats contre les deux avions de lONU en Angola, en décembre 1998 et janvier 1999, qui ont fait au total 23 victimes. Comme pour les nombreux autres cas qui nont pas encore été réglés, jespère sincèrement que les États Membres ne ménageront aucun effort pour quune enquête sérieuse soit menée à bien et que les coupables soient traduits en justice.
Il incombe en particulier au Conseil de veiller à ce que justice soit faite lorsque nos collègues sont victimes dactes de violence délibérés. Mais il a aussi un rôle vital à jouer à dautres égards.
Les mandats confiés aux opérations des Nations Unies ont dénormes répercussions pour la sécurité de notre personnel sur le terrain. Cest pourquoi, je vous engage à garder à lesprit deux éléments importants lorsque vous formulez ces mandats. Tout dabord, la taille et la structure de la force doivent être à la mesure des risques auxquels elle sera exposée, faute de quoi les parties seront tentées de mettre sa volonté à lépreuve, ce qui ne fera que mettre en péril la vie de notre personnel. Deuxièmement, les mandats ne devraient pas susciter des attentes irréalistes parmi la population locale. Bien souvent, le personnel des Nations Unies est lexutoire de la colère et de la rancoeur de personnes désespérées lorsquil apparaît que ce personnel nest pas en mesure de répondre à ces attentes.
Je pense avoir exprimé clairement ma conviction que nous devons repenser la sécurité du personnel des Nations Unies. La sécurité nest pas un luxe. Ce nest pas un avantage que lon accorde. Ce nest pas non plus un privilège. Nous avons le devoir dassurer la sécurité des militaires et des civils qui se portent volontaires pour servir dans des endroits éloignés dans les conditions les plus éprouvantes, ainsi que du personnel local qui nous aide à nous acquitter de nos mandats. La sécurité est également la clef de notre réussite et de celle des autres organisations qui oeuvrent de concert avec nous sur le terrain. En un mot, la sécurité fait partie intégrante de toute mission de maintien de la paix, de toute mission humanitaire ou autre que nous entreprenons où que ce soit dans le monde. Cessons dagir comme sil en était autrement.
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