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FEM/1112

LES EXPERTES METTENT LE BELARUS EN GARDE CONTRE LES EFFETS PERVERS D'UNE POLITIQUE TROP PROTECTRICE DES FEMMES DANS LE MONDE DU TRAVAIL

28 janvier 2000


Communiqué de Presse
FEM/1112


LES EXPERTES METTENT LE BELARUS EN GARDE CONTRE LES EFFETS PERVERS D'UNE POLITIQUE TROP PROTECTRICE DES FEMMES DANS LE MONDE DU TRAVAIL

20000128

Les expertes du Comité sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes ont poursuivi, cet après-midi, leur examen du troisième rapport périodique du Bélarus. Ce faisant, elles ont mis l'Etat partie en garde contre les effets pervers, principalement dans le secteur de l'emploi, d'une politique trop protectrice à l'égard des femmes. Les dispositions leur interdisant certaines formes de travail, l'approche très conservatrice à l'égard de la maternité, et la politique nataliste visant à ralentir le vieillissement de la population, bien que partant d'intentions louables, leur sont apparues comme autant de facteurs qui risquent d'entraver l'accès des femmes aux emplois, dans la mesure où les charges pesant sur les employeurs sont trop lourdes. Plusieurs expertes ont d'ailleurs regretté que la politique nationale de lutte contre le chômage ne comporte aucun volet spécifique à la situation des femmes. Tout en reconnaissant la vulnérabilité économique particulière des femmes, la délégation du Bélarus a néanmoins réfuté les inquiétudes des expertes en indiquant que les femmes ont obtenu la moitié des 65 000 nouveaux emplois créés l'an passé et que les tendances les plus récentes montrent une baisse du chômage des femmes les plus qualifiées.

La violence à l'égard des Bélarussiennes a également retenu l'attention des membres du Comité. Nombreuses ont ainsi été les expertes à encourager le Gouvernement à intensifier sa politique de lutte contre la violence domestique et conjugale, le viol et le harcèlement sexuel, en garantissant notamment aux victimes une aide et un accès rapide aux voies de recours. Dans le même temps, elles ont insisté sur l'importance de sensibiliser tous les acteurs sociaux pour leur faire comprendre que les violences contre les femmes sont absolument inacceptables. Il a été fait remarquer que les autorités ne semblent pas suffisamment faire participer les ONG et la société civile aux efforts qu'elles entreprennent, se privant ainsi de leur expérience du terrain. Plusieurs expertes ont, par ailleurs, exprimé des préoccupations quant à la santé des femmes. Elles ont mis en avant le nombre élevé des avortements et se sont demandées si ce phénomène pouvait s'expliquer par le manque d'accès aux méthodes contraceptives normales. Un autre membre du Comité a engagé le Gouvernement du Bélarus, au cas où il privatiserait également ce secteur, à garantir l'égalité de l'accès aux soins.

Lors de sa prochaine réunion, lundi 31 janvier à 10 heures, le Comité entendra les réponses de l'Inde aux questions posées par les expertes, le lundi 24 janvier, lors de la présentation du rapport initial.

EXAMEN DU TROISIEME RAPPORT PERIODIQUE DU BELARUS

Le rapport a été présenté dans notre communiqué FEM/1111.

Suite du dialogue entre l'Etat partie et les expertes

Mme SILVIA CARTWRIGHT, experte de la Nouvelle-Zélande, a demandé des informations complémentaires sur les cadres juridique et constitutionnel qui forment la base du droit des femmes. La loi autorise-t-elle, par exemple, les femmes à invoquer la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes lorsqu'elles s'estiment victimes d'une violation? S'inquiétant des effets pervers des dispositions législatives visant à protéger les femmes dans le domaine de l'emploi, l'experte s'est demandée si l'amendement porté au Code de travail et interdisant certaines formes de travaux aux femmes n'a pas eu pour conséquence de priver certaines de ces dernières d'un emploi qu'elles auraient préféré conserver plutôt que de se retrouver au chômage. Elle a encouragé également le Gouvernement à intensifier sa politique de lutte contre la violence domestique et conjugale, afin de permettre notamment aux femmes d'obtenir rapidement et facilement une protection et des voies de recours. Il est aussi important de sensibiliser la société pour lui faire comprendre que les violences contre les femmes sont absolument inacceptables, a-t-elle ajouté. Le personnel judiciaire et celui des forces de police sont-ils formés à ce problème? Les victimes bénéficient- elles d'une aide judiciaire?

Quelle est la politique précise adoptée pour juguler contre la crise économique que traverse actuellement le pays et faire reculer la pauvreté, s'est, pour sa part, demandée Mme IVANKA CORTI, experte de l'Italie. L'experte a, à ce titre, demandé à connaître les chiffres de l'inflation, s'inquiétant notamment de savoir si les indemnités chômage et les pensions de retraite en suivent la progression. Elle a aussi dit ne pas avoir bien saisi le rôle des syndicats dans la promotion et la défense des femmes dans le secteur de l'emploi. Relevant l'approche très protectrice à l'égard de la maternité, elle a estimé qu'elle risquait d'engendrer un obstacle supplémentaire au travail des femmes dans la mesure où les employeurs doivent assumer des charges sociales plus lourdes. Pour ce qui est de l'aggravation de la prostitution et de la traite des femmes, Mme Corti a indiqué qu'il convient avant tout de se pencher sur les raisons ayant mené à la recrudescence de ces phénomènes, c'est-à-dire en l'occurrence les mauvaises conditions économiques. L'experte a estimé, en outre, que le Gouvernement du Bélarus ne fait pas suffisamment pour faire participer pleinement les ONG et la société civile aux efforts qu'il entreprend et bénéficier de leur expérience. Des mesures visant à amener les médias à transformer l'image stéréotypée des femmes qu'ils véhiculent ont-elles été prises?

Le fait que les femmes au chômage ont un niveau de formation et d'instruction élevé ne risque-t-il pas de décourager les femmes de faire des études et à terme de participer à la vie économique et politique du pays, s'est interrogée Mme SALMA KHAN, experte du Bangladesh.

Partant, elle a insisté sur les politiques de recyclage, qui doivent être adaptées à la qualification des femmes sans emploi et aussi aux besoins du marché. L'experte a aussi fait remarquer que la politique maternelle prônée par le Gouvernement et incitant les femmes à avoir au moins 5 enfants afin de palier le vieillissement de la population, risque de constituer un frein supplémentaire au travail des femmes.

En réaction aux observations des expertes sur le chômage, Mme IRINA CHUTKOVA, Directrice exécutive du Centre d'information et de politique du genre du Ministère des affaires sociales, a indiqué que le nombre de femmes sans emploi est actuellement de 61 000. On constate qu'une proportion de plus en plus importante de ces femmes s'inscrit auprès des services de recherche d'emploi. La politique nationale de l'emploi est élaborée sur une base annuelle et bien qu'aucun volet particulier ne soit consacré aux femmes, des mesures spécifiques sont prises en leur faveur. Pour compenser la vulnérabilité des chômeuses mères de famille nombreuse ou chef de famille, des quotas ont par exemple été établis et les entreprises sont incitées à les recruter, bénéficiant alors de subventions. C'est ainsi que l'an passé, la moitié des 65 000 nouveaux emplois créés ont été attribués à des femmes. Le Ministère du travail réalise en ce moment avec l'Organisation internationale du Travail (OIT) un projet qui prévoit l'octroi de microcrédits et prend en premier lieu les femmes en considération. Il existe également un revenu minimum. Un tiers des ménages, la moitié d'entre eux ayant une femme à leur tête, vivent actuellement en-dessous du seuil de la pauvreté. Cependant la politique ne vise pas encore le long terme, car il faut en premier lieu parer aux urgences, a reconnu Mme Chutkova, avant d'indiquer que le Ministère de la protection sociale va prochainement créer un système d'assistance aux familles en situation difficile. Concernant le chômage des femmes qualifiées, elle a expliqué que la situation décrite dans le rapport découlait des bouleversements immédiats liés au passage à l'économie de marché et qu'elle n'est plus totalement exacte aujourd'hui. Les dernières tendances indiquent que le chômage des femmes instruites et très qualifiées est en diminution. Les stages de recyclage qui leur sont offerts tiennent compte de leur niveau de formation, a-t-elle assuré les expertes. Pour ce qui est des différences de salaire entre les branches féminines et les branches où les hommes dominent, elle a expliqué qu'une Convention collective vient d'être adoptée définissant de nouveaux coefficients de rémunération dans certaines branches, comme la santé.

Prenant à son tour la parole, Mme OLGA SERGEEVA, Vice-Ministre de la Justice du Bélarus, a affirmé que le Gouvernement du Bélarus a bien conscience de l'importance cruciale des petites et moyennes entreprises pour garantir le succès du passage à l'économie de marché. Un système d'organes favorisant la création d'entreprises a donc été institué, tels le Ministère des entreprises et de l'investissement ou l'Union des entrepreneurs. En 1999, le Président de la République a aussi créé un Conseil pour la création d'entreprise, présidé par une femme et composé de chefs d'entreprise, de représentants du secteur bancaire et des organes de l'Etat. Les facilités de crédit constituent l'une des priorités de la politique en faveur des entreprises.

Le Gouvernement est déterminé à suivre une politique volontariste dans ce domaine, car à l'heure actuelle, la part des petites entreprises est de 4% du volume totale de la production, ce qui est encore très faible par rapport aux pays industrialisés. Pour ce qui est de la politique économique et sociale, Mme Sergeeva a précisé que le Bélarus se trouve toujours en situation de transition vers l'économie de marché et à ce titre un élément central de la stratégie gouvernementale est la réforme de la propriété et la privatisation des entreprises. 17% de la population active travaille désormais dans le secteur privé, qui enregistre des performances et une productivité en hausse constante.

Entamant une nouvelle série de questions, Mme CHIKAKO TAYA, experte du Japon, s'est penchée sur le sujet de la violence. Le rapport indique, a rappelé l'experte, que le taux de criminalité a augmenté de 0,9%, mais que, chez les femmes, l'augmentation de ce taux est plus importante puisqu'elle atteint 4,2%. Une étude a permis de montrer que les raisons qui poussent les femmes à des actes criminels sont souvent liées aux actes de violence conjugale qu'elles subissent sur une période de longue durée. L'experte a donc souhaité savoir si une nouvelle législation pénale est envisagée au Bélarus pour faire face à la violence conjugale. Poursuivant les questions, Mme SAVITRI GOONESEKERE, experte du Sri Lanka, a souhaité connaître les efforts déployés par le Gouvernement du Bélarus pour intégrer le contenu de la Plate-forme de Beijing dans ses politiques nationales en faveur des femmes. Mme Goonesekere s'est également interrogée sur les voies de recours disponibles aux femmes pour faire respecter leurs droits, notamment lorsqu'elles perdent leur travail, en insistant pour que la responsabilité des employeurs soit notamment engagée. Par ailleurs, il semblerait que la loi sur le viol définisse le viol davantage comme un acte sexuel avec violence plutôt qu'un acte sexuel sans consentement. L'experte s'est enfin demandée quel programme d'éducation le Gouvernement a mis en place pour permettre aux femmes handicapées d'accéder au monde du travail. Mme FENG CUI, experte de la Chine, a, pour sa part, rappelé que la transition étant un processus de longue durée, il est essentiel pour le Gouvernement du Bélarus d'adopter une stratégie à long terme. Si la législation de ce pays garantit des possibilités d'emploi égales pour les hommes et pour les femmes, l'experte s'est cependant demandée dans quelles circonstances une femme ne peut être licenciée. Cette interdiction s'impose-t-elle également lorsqu'une femme est enceinte, lorsqu'elle a un enfant en bas âge ou encore lorsqu'un autre membre du foyer est sans emploi? s'est-elle encore interrogée. Au vu des difficultés que rencontrent les femmes diplômées à trouver un emploi, l'experte a supposé que ces difficultés ne pouvaient s'expliquer que par l'une des raisons suivantes: soit la formation professionnelle de ces femmes n'est pas adaptée aux besoins du marché, soit les employeurs ne souhaitent pas employer de femmes diplômées, ce qui constituerait une forme flagrante de discrimination à l'égard des femmes. Mme CHARLOTTE ABAKA, experte du Ghana, a, quant à elle, souhaité savoir si le Gouvernement envisage de privatiser également le secteur de la santé. Si tel est le cas, a-t-elle indiqué, cette privatisation risque de se traduire par des effets négatifs sur l'égalité des droits à l'accès aux soins de santé. L'experte a par ailleurs engagé l'Etat partie à s'attaquer

aux causes réelles de la désintégration de la famille, au lieu de ne traiter que les symptômes de ce mal. Indiquant avec inquiétude que 40% des grossesses au Bélarus se terminent par des avortements, l'experte s'est également inquiétée de ce que l'avortement soit, dans certains cas, utilisé comme une méthode de contraception.

Reprenant la parole pour répondre aux questions des expertes, Mme SERGEEVA a expliqué que la définition des crimes tels que le viol ne connaît pas, dans le Code pénal du Bélarus, les limitations qu'ont soulevées les expertes. La Vice-Ministre a par ailleurs indiqué que, depuis sa création, le Bélarus a tenté d'humaniser les sanctions pénales à l'égard des femmes. Le nouveau Code pénal a, par exemple, transformé la peine capitale pour les femmes enceintes en peine de prison à perpétuité. De même, le Code pénal prévoit la possibilité de reporter l'exécution de la peine encourue par une femme enceinte ou une femme qui a un enfant de moins de deux ans. Répondant aux inquiétudes exprimées par les expertes au sujet d'une éventuelle privatisation du secteur de la santé, Mme Sergeeva a indiqué que ce secteur ne fait certes pas partie des domaines qui, aux termes d'une loi récemment adoptée, ne peuvent faire l'objet d'une privatisation, mais que, tout au moins, la santé ne fait pas partie des secteurs prioritaires de privatisation.

Prenant à son tour la parole, Mme CHUTKOVA a indiqué que, d'après les chiffres officiels, 30% des femmes ont recours aux moyens de contraception intra-utérins. Dans le domaine de l'emploi, le nouveau Code du travail marque un pas en avant dans la protection de la femme car il ne met plus seulement l'accent sur sa protection en tant que mère mais également sur la protection de la femme en général, indépendamment de son statut de mère. Mme Chutkova a également informé le Comité que, l'année dernière, 1500 femmes ont été licenciées sans garanties quant à l'obtention d'un nouveau poste. Dans ce cas, des programmes de recyclage sont mis à la disposition des femmes par le Gouvernement, a-t-elle ajouté.

Dans sa conclusion, la Présidente du Comité, Mme AIDA GONZALEZ MARTINES, experte du Mexique, a relevé que l'une des préoccupations majeures quant à la condition des femmes au Bélarus réside dans la persistance de stéréotypes qui continuent à confiner les femmes dans un rôle encore en marge de celui qu'elles devraient jouer dans la cadre du développement du pays. Il ressort cependant de l'examen du rapport une volonté politique de la part du Gouvernement du Bélarus de donner pleinement application à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. Le Comité recommande à l'Etat partie de diffuser largement dans son pays l'ensemble des commentaires, ainsi que les conclusions que le Comité formulera en fin de session.

Mme HANNA SCHOPP-SCHILLING, experte de l'Allemagne, a pour sa part encouragé l'Etat partie à revoir, dans son prochain rapport, sa démarche conceptuelle à l'égard des femmes et à ratifier le Protocole additionnel dans les plus brefs délais.

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