FEM/1106

POUR LES EXPERTES, PAIX ET DEMOCRATIE EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO PASSENT PAR L'EMANCIPATION REELLE DES FEMMES

25 janvier 2000


Communiqué de Presse
FEM/1106


POUR LES EXPERTES, PAIX ET DEMOCRATIE EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO PASSENT PAR L'EMANCIPATION REELLE DES FEMMES

20000125

Poursuivant leur examen du rapport initial et des deuxième et troisième rapports périodiques de la République démocratique du Congo, les membres du Comité sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes ont insisté sur la nécessité de modifier les pratiques traditionnelles encore très répandues qui vont à l'encontre des droits humains des femmes. Les expertes ont ainsi relevé un certain nombre d'atteintes à l'intégrité physique et morale des femmes, avec la persistance, par exemple, du lévirat et des mutilations génitales, ainsi que la violence domestique et le viol systématique comme pratique de guerre. La condition de la femme mariée leur est apparue particulièrement inquiétante puisque l'épouse est en situation de complète dépendance à l'égard de son mari, ne pouvant pas travailler si ce dernier s'y oppose et ne pouvant même pas gérer ses biens propres. Les femmes rurales, dont 60% sont analphabètes, doivent aussi retenir une attention particulière.

Même lorsque les intentions du Gouvernement et les principes posés dans la Constitution sont favorables aux femmes, ils sont souvent contredits dans les lois par plusieurs dispositions discriminatoires, ont fait remarquer plusieurs expertes. Elles ont, à cet égard, rappelé le mot d'ordre de la Quatrième Conférence mondiale sur les femmes tenue à Beijing 1995, à savoir prise de conscience et émancipation. Selon elles, la République démocratique du Congo doit donc en priorité s'attacher, par l'éducation et par des campagnes d'information, à faire prendre conscience aux femmes de leurs capacités à prendre des décisions. Il s'agit d'un objectif d'autant plus critique qu'il n'y aura pas de paix durable et de vraie démocratie tant que les femmes ne participeront pas à hauteur égale des hommes à la vie du pays, ont insisté certains membres du Comité.

La délégation de la République démocratique du Congo répondra aux questions posées par les expertes lundi 31 janvier, à 15 heures.

Demain, mercredi 26 janvier, à 10 heures, le Comité entendra les réponses de la Jordanie aux questions posées par les expertes lors de la présentation de son rapport initial le 20 janvier dernier.

EXAMEN DES RAPPORTS PERIODIQUES DE LA REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO

Ces rapports ont été présentés dans notre communiqué FEM/1105.

Poursuite du dialogue entre les experts et l'Etat partie

Apportant des commentaires généraux, Mme EMNA AOUIJ, experte de la Turquie, a salué les efforts de la République démocratique du Congo pour présenter les rapports au Comité en dépit des circonstances tout à fait exceptionnelles que le pays traverse. L'actuel Gouvernement a affirmé avoir pour objectif essentiel, par le biais du Programme triennal 1999-2001, d'instituer un Etat de droit, démocratique et respectueux des différents textes internationaux qu'il a ratifiés, a noté l'experte, qui a demandé si l'on commençait à évaluer les premiers résultats de ce programme. Selon elle, beaucoup de dispositions discriminatoires doivent être revues et révisées. L'incapacité juridique de la femme mariée est par exemple très inquiétante. La femme mariée est en fait en situation de complète dépendance et elle ne peut même pas gérer ses propres biens, situation rencontrée dans très peu d'autres pays. L'experte a aussi soulevé la question de la polygamie, très répandue en RDC. Si la nouvelle Constitution, qui poserait l'interdiction de la discrimination contre les femmes, est promulguée, il faudra harmoniser les autres codes, a insisté Mme Aouij, avant d'ajouter que les femmes doivent bénéficier de droits civils, politiques, économiques et sociaux égaux aux hommes pour être des éléments actifs en faveur de la paix du pays.

C'est la transparence et l'honnêteté des rapports présentés que Mme ROSARIO MANALO, experte des Philippines, a, pour sa part, mis en avant. Elle a notamment noté l'absence de Parlement, ce qui limite de fait la participation politique des femmes. Si les efforts pour parvenir à l'égalité de jure sont largement exposés dans le rapport, en revanche aucun des programmes ou mesures spécifiques mises en oeuvre pour parvenir à l'égalité de facto n'y est décrit, a-t-elle regretté. En ce qui concerne le mécanisme national de protection et de promotion des femmes, elle a avoué ne pas avoir saisi si cet organe dépend du Ministère des affaires sociales et de la famille ou du Ministère des droits humains. L'experte a aussi regretté qu'aucune mesure n'ait été prise pour protéger les femmes en temps de conflit, ainsi que contre la violence dans les foyers et la prostitution. Mme MANALO a aussi demandé des précisions sur l'adoption de l'approche sexospécifique dans les projets de développement.

Passant aux questions article par article, Mme SAVITRI GOONESEKERE, experte du Sri Lanka, a estimé que la RDC ne doit épargner aucun effort pour garantir que les femmes et les enfants jouissent des droits fondamentaux qui sont les leurs. Notant qu'une nouvelle constitution est en cours d'élaboration, elle a suggéré à la RDC de s'inspirer de l'exemple

de l'Afrique du Sud et de faire en sorte qu'il y ait un mécanisme de contrôle du respect des lois. A ce titre, elle a demandé s'il existe une Cour suprême et si les citoyens peuvent y faire appel. Elle a rappelé que l'article 2 de la Convention fait obligation à l'Etat partie d'éliminer les dispositions discriminatoires en matière de droit pénal, et c'est pourquoi elle a regretté qu'il n'est toujours pas été prévu de rectifier l'inégalité des peines appliquées en matière d'adultère, qui sont nettement moins sévères pour les hommes.

Abordant l'article 3, Mme AWA OUEDRAOGO, experte du Burkina Faso, a regretté le manque d'informations relatives aux ressources allouées par le budget national aux organismes pour la promotion de la femme. L'experte a rappelé que dans de nombreux pays africains, beaucoup de programmes sont mis en place pour la promotion de la femme. Il est cependant impératif que le budget national affecte davantage de ressources financières à ces programmes pour permettre leur réalisation effective. Il faudrait également assurer qu'en dépit de l'instabilité politique du pays, l'organisme en charge de la condition des femmes maintienne le statut de Ministère à part entière, a indiqué l'experte, faisant remarquer que, souvent, les mécanismes ayant le statut d'organe consultatif n'ont pas toujours l'autorité politique nécessaire pour prendre des décisions. L'experte a, dans ce cadre, souhaité connaître les actions positives qui figurent à l'actif du Conseil national de la femme.

Passant à l'article 5, Mme SALMA KHAN, experte du Bangladesh, a insisté sur la nécessité de modifier les pratiques traditionnelles qui vont à l'encontre des droits humains de la femme en RDC, pays où ces pratique sont particulièrement sexistes. Abordant le sujet de la polygamie, l'experte a souhaité obtenir des précisions quant au statut marital des femmes vivant sous ce régime. Le Code de la famille interdit-il la pratique de la dot? a-t-elle également demandé. Mme Khan a en outre félicité la délégation de l'honnêteté et de la justesse avec lesquelles elle a défini les obstacles que rencontrent les femmes en RDC dans la pratique de leurs droits. Pourquoi ces obstacles ne sont-ils pas attaqués avec la même franchise? s'est-elle cependant demandée. Mme OUEDRAOGO a suggéré que le Ministère en charge de la culture en RDC vulgarise des images positives de la femme que l'on retrouve dans l'histoire de la culture congolaise, notamment par le biais des contes populaires. L'experte a noté avec préoccupation la persistance de la pratique du lévirat par laquelle une femme est considérée comme la propriété de l'homme. Même si son mari meurt, elle doit rester dans la famille de son mari. Mme Ouedraogo a par ailleurs engagé la délégation à développer, par l'entremise de comités provinciaux, des stratégies clairement définies pour lutter contre les mutilations génitales.

Passant à l'article 7, Mme IVANKA CORTI, experte de l'Italie, a évoqué le souvenir de toutes les femmes et de tous les enfants qui ont péri dans la guerre et sa solidarité avec les femmes qui luttent pour la liberté en RDC.

Ces femmes sont-elles aujourd'hui récompensées des sacrifices qu'elles ont faits dans la lutte pour leur pays? a demandé l'experte, en indiquant que, souvent, les femmes acquièrent une reconnaissance pendant la guerre en se battant aux côtés des hommes, mais, qu'une fois la paix établie, on les relègue dans un rôle d'infériorité. Il faut, par le biais de l'éducation, rendre les femmes conscientes de leur capacité à prendre des décisions. Il ne saurait y avoir de vraie démocratie si les femmes ne participent pas en terme d'égalité avec les hommes aux prises de décision. Mme Corti a, en outre, souhaité connaître quel genre de partenariat le Gouvernement a établi avec la société civile dans le domaine de la promotion de la femme.

Abordant l'article 9 relatif à la nationalité, Mme GOONESEKERE a noté un décalage entre les dispositions progressistes de la loi sur la nationalité et le fait que la femme mariée a besoin de l'autorisation de son mari pour obtenir un passeport. Selon elle, les principes relatifs à la nationalité et à sa transmission ne devraient pas faire l'objet d'une loi mais être inscrits dans la Constitution car ils sous-tendent un aspect fondamental de la société.

Pour ce qui est de l'article 10 portant sur l'éducation, Mme CORTI s'est réjouie de constater qu'en RDC l'éducation est considérée comme un droit humain fondamental. Le système scolaire est-il gratuit, s'est-elle enquis? Cependant, et malgré toutes les mesures prises pour assurer l'éducation pour tous, et notamment les petites filles, elle a relevé un grand retard en matière d'alphabétisation, notamment dans les zones rurales. Quels sont les efforts fournis pour remédier à cette situation, s'est demandée Mme Corti, avant de faire remarquer que ces dernières années le budget de l'enseignement a baissé. L'experte a aussi regretté que le rapport reste totalement muet sur l'éducation sexuelle et l'information sur la planification familiale dans les écoles.

Au titre de l'article 11 relatif à l'emploi, Mme KHAN s'est dite impressionnée par le fait que le Code du travail reconnaît le droit au travail des femmes. Elle a fait remarquer toutefois qu'il y a des dispositions contraires à la Convention, notamment pour ce qui est de l'autorisation préalable du mari pour exercer un emploi. L'experte a noté que la fonction publique n'est pas exempte d'inégalité pour les femmes puisqu'une fonctionnaire ayant eu un congé maternité ne peut pas prendre de vacances la même année. Cela va à l'encontre de la Convention et des directives de l'Organisation internationale du Travail (OIT), a estimé Mme Khan. Pourquoi, en outre, les femmes qui bénéficient d'un congé maternité doivent-elles renoncer à une partie de leur rémunération? L'experte a aussi jugé excessive l'interdiction faite aux femmes de travailler la nuit. Cette loi est trop protectrice et viole le droit au travail des femmes. Compte tenu du caractère très répandu de la polygamie, elle a demandé si toutes les femmes ou simplement une seule d'entre elles perçoivent la pension veuvage en cas de décès du mari. Dans la mesure où la grande majorité des femmes actives

exerce des microactivités, elle a souligné qu'il est essentiel de garantir l'accès des femmes au microcrédit et ce, sans caution. Les dispositions prévues en faveur des femmes dans le secteur public sont-elles également appliquées dans le secteur privé, a-t-elle enfin demandé?

Mme CHARLOTTE ABAKA, experte du Ghana, s'est, quant à elle, particulièrement penchée sur la santé des femmes, article 12, qui avec la crise économique et le conflit armé s'est sensiblement dégradée, ainsi qu'en témoigne le taux de mortalité très élevé. Selon elle, les ressources nécessaires à l'effort de guerre ne doivent pas détourner les fonds alloués à la santé car une fois la paix venue, il faudra des êtres humains vaillants pour assurer la reconstruction du pays. Mme Abaka s'est en outre demandée si le recours très limité à la contraception est lié aux comportements traditionnels qui prévalent encore. A cet égard, elle a évoqué l'exemple de pays voisins, comme la Zambie, qui ont réussi à faire entrer l'utilisation des moyens de contraception dans les moeurs et elle a suggéré à l'Etat partie de s'en inspirer. Relevant le nombre important des grossesses d'adolescentes, elle a demandé si le chiffre de ces grossesses précoces a encore augmenté depuis le début du conflit armé. L'experte a en outre relevé une importante contradiction dans le fait que d'un côté un Conseil national sur la planification des naissances a été créé alors que de l'autre le Code pénal contient un article interdisant la vente, la distribution ou l'exposition de toute méthode contraceptive. Laquelle de ces deux lois est véritablement appliquée, a-t-elle demandé. L'experte a aussi évoqué la situation des femmes célibataires d'une certaine tribu qui, considérées comme des sorcières, sont battues voire tuées. Elle a estimé que la RDC doit adopter d'urgence une loi mettant fin à cette superstition honteuse et regrettable. Pour ce qui est des mutilations génitales, l'experte a suggéré à l'Etat partie de s'inspirer, là aussi, des méthodes appliquées par d'autres pays de la région pour lutter contre ces pratiques repoussantes tout à fait contraires à la Convention.

Passant à l'article 14, Mme OUEDRAOGO a rappelé que ce sont les femmes rurales qui souffrent le plus de discriminations, le taux d'analphabétisme et de mortalité maternelle étant les plus élevés dans ces zones. L'experte a félicité l'Etat partie des programmes spécifiques entrepris pour la promotion de la femme rurale mais l'a en même temps engagé à revoir la place réservée aux femmes rurales dans le Plan d'action national en leur donnant la priorité. De même, ce Plan devrait comprendre un volet sur l'éducation à la vie familiale.

Poursuivant sur l'article 15, Mme AIDA GONZALEZ MARTINES, experte du Mexique, a indiqué que l'égalité de la femme et de l'homme devant la loi est une prémisse fondamentale si l'on veut garantir le plein exercice de leurs droits humains fondamentaux. Elle a relevé que, selon le Code de la famille, la femme doit demander l'autorisation de son mari pour engager un acte juridique; de même, les femmes déposent rarement des plaintes auprès

des tribunaux car elles ne connaissent pas leurs droits. Par ailleurs, le taux d'analphabétisation est considérablement plus élevé chez les femmes que chez les hommes, et cela en zone rurale comme en zone urbaine.

Dans le cadre de l'article 16, Mme GOONESEKERE a souhaité connaître l'origine de l'autorité maritale des maris en RDC. L'âge du mariage qui a été fixé à 14 ans pour les filles va par ailleurs à l'encontre des textes qui interdisent le mariage des enfants, a encore fait remarquer l'experte.

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