CERTAINES EXPERTES ESTIMENT QUE LES RESERVES JORDANIENNES CONCERNANT LA LIBRE CIRCULATION DES FEMMES N'ONT PAS DE FONDEMENT VERITABLE DANS LA CHARIA
Communiqué de Presse
FEM/1100
CERTAINES EXPERTES ESTIMENT QUE LES RESERVES JORDANIENNES CONCERNANT LA LIBRE CIRCULATION DES FEMMES N'ONT PAS DE FONDEMENT VERITABLE DANS LA CHARIA
20000120Les avancées importantes en matière d'éducation et de santé des femmes sont saluées
Poursuivant, cet après-midi, leur examen du rapport initial et du deuxième rapport périodique de la Jordanie, les expertes du Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes se sont tout particulièrement penchées sur les réserves émises aux articles 15 et 16 de la Convention. Plusieurs membres du Comité ont ainsi dit ne pas comprendre sur quel aspect de la charia la Jordanie se fonde pour maintenir sa réserve quant à la liberté de circulation des femmes et à leur libre choix du domicile. Dans le même ordre d'idées, il leur a paru que les restrictions posées aux femmes en matière de divorce, de tutelle parentale ou de choix du nom patronymique devraient pouvoir être levées rapidement. A cet égard, il a été demandé si les responsables religieux, ou kadis, sont toujours les seuls à définir si la loi est compatible avec l'islam. Une experte a, quant à elle, souhaité savoir si ces limitations s'appliquent également aux 20% de Jordaniennes qui ne sont pas de religion musulmane. Il a aussi été demandé d'indiquer si le projet d'amendement visant à éliminer la polygamie, évoqué dans le rapport, a des chances d'être adopté prochainement.
De nombreuses questions des expertes ont porté également sur la participation des femmes à la vie publique et politique, qui a été jugée encore insuffisante. La Commission nationale jordanienne de la condition de la femme a été invitée à adopter une démarche plus volontariste, en élaborant notamment une véritable stratégie de formation des candidates et de préparation de l'opinion publique à élire des femmes. Les organisations non gouvernementales qui sont déjà très engagées en faveur de l'élimination des lois discriminatoires pourraient être utilement mises à contribution sur ce point, a également suggéré une experte.
(à suivre - 1a)
- 1a - FEM/1100 20 janvier 2000
Les progrès importants enregistrés en matière de scolarisation des petites filles et d'élimination de l'analphabétisme féminin ont été salués. Maintenant que l'accès à l'instruction est assuré aux femmes, les efforts devraient porter sur leur formation technique et professionnelle ainsi que sur l'éducation à la vie familiale pour corriger les comportements traditionnels. Les avancées ont aussi été relevées dans le domaine de la santé, notamment pour ce qui est de la baisse du taux de mortalité maternelle et de la généralisation de l'accès gratuit à la contraception. L'augmentation du nombre de projets spécifiques destinés aux femmes rurales a aussi été appréciée. Faisant valoir que, lorsque les femmes atteignent l'autonomie financière, elles acquièrent de la considération, sont davantage motivées et mobilisées, une experte a notamment encouragé la Jordanie à développer l'accès au crédit des femmes rurales, en créant par exemple une banque qui leur serait spécialement destinée.
La Jordanie répondra aux différentes questions posées par les expertes mercredi 26 janvier, à 10 heures.
Demain, vendredi 21 janvier, à partir de 10 heures 30, le Comité entamera l'examen du rapport initial du Myanmar.
Suite de l'examen du rapport initial et du deuxième rapport périodique de la Jordanie
Ces rapports ont été présentés dans notre communiqué FEM/1099.
S'exprimant sur l'article 7, Mme IVANKA CORTI, experte de l'Italie, a relevé l'évolution positive de la représentation des femmes dans la politique. Elle a cependant engagé la délégation à redoubler d'efforts pour que les femmes soient encore plus présentes dans ce domaine. Il n'est pas acceptable, par exemple, qu'un nombre si faible de femmes siègent au Parlement. L'experte a demandé si l'Etat jordanien alloue des fonds aux ONG qui oeuvrent pour la condition de la femme en Jordanie. Elle a été rejointe dans cette question par Mme HANNA SCHOPP-SCHILLING, experte de l'Allemagne. Par ailleurs, l'experte a demandé à ce que soient précisées les limites dont il est fait état dans le rapport concernant le champ d'action de certaines ONG féminines dans le domaine politique. L'experte de l'Italie a enfin déclaré que la nomination des femmes au Sénat est bien sûr un élément positif, mais que ce mode de d'accession à la politique est contraignant car il implique de suivre la politique du parti à l'origine de la nomination. Une élection par le biais d'une liste sur laquelle la femme choisit elle-même de se présenter la rend plus libre dans ses actions. Il faut également assurer aux femmes une formation politique avant, pendant et après la campagne électorale pour que les électeurs n'éprouvent plus de doutes à élire des femmes.
Mme ANNE LISE RYEL, experte de la Norvège, a quant à elle préconisé la mise en place de politiques de quotas dans le domaine politique ainsi qu'une aide mutuelle entre femmes qui oeuvrent dans ce domaine et qui se déclinerait sur le principe des "femmes qui travaillent pour les femmes". Mme YUNG-CHUNG KIM, experte de la République de Corée, s'est, pour sa part, interrogée sur le devenir des femmes qui ont été nommées dans les conseils municipaux et ruraux et dont il est fait mention dans le rapport, en se demandant également si leur compétence a été pleinement utilisée. L'experte a en outre regretté le manque de données relatives aux femmes députées. Existe-t-il, à ce égard, dans le Plan de stratégie national pour la femme des pourcentages à atteindre pour le nombre de femmes ministres ou de femmes députées? a-t-elle demandé. Mme ROSARIO MANALO, experte des Philippines, a jugé encourageant que les femmes semblent être de meilleurs électeurs que les hommes, en ce qu'elles votent de façon plus généralisée. L'experte a donc incité la délégation à encourager cette tendance et lui a demandé à ce titre quelles sont les mesures prises pour encourager les femmes à se porter candidates aux élections.
Mme Manalo a également demandé si la carrière diplomatique (article 8 de la Convention) est ouverte aux femmes.
Passant à l'article 9 relatif à la nationalité, Mmes SAVITRI GOONESEKERE, experte du Sri Lanka, et SALMA KHAN, experte du Bangladesh, ont relevé que la loi jordanienne sur la transmission de la nationalité est en contradiction avec la tradition islamique, qui accorde la prévalence à la nationalité de la mère. Elles ont souhaité que cette loi soit revue pour que les femmes puissent transmettre leur nationalité à leurs enfants. Notant que les nombreux réfugiés palestiniens présents sur le territoire jordanien n'ont ni le statut de citoyens véritables ni celui de réfugiés, il a été demandé d'exposer les raisons conduisant à ce traitement particulier. Une femme mariée à un étranger et désormais veuve a-t-elle droit à son livret familial propre et ses enfants auront-ils la nationalité jordanienne, a demandé également Mme Khan.
Pour ce qui est de l'application des dispositions de l'article 10 sur le droit à l'éducation, plusieurs expertes ont salué les importants progrès intervenus dans le taux de scolarisation des jeunes filles, qui est désormais proche de celui des garçons, et dans la réduction de l'analphabétisme féminin, qui est en repli constant. La lutte contre l'analphabétisme chez les femmes des générations plus anciennes ne doit toutefois pas être oubliée, a fait néanmoins remarquer une experte. Mme KIM, experte de la République de Corée, a, plus particulièrement, émis le souhait que les programmes portant sur les questions de femmes soient largement adoptés par les universités. Elle a aussi rappelé le rôle universellement reconnu des manuels scolaires dans la lutte contre la transmission des attitudes et pratiques traditionnelles et a demandé si la Commission nationale de la condition de la femme a déjà pris des mesures visant à éliminer les images stéréotypées dans les livres d'école. L'experte de la Turquie, Mme AYSE FERIDE ACAR, s'est, quant à elle, dite préoccupée par le fait que les femmes suivant une formation professionnelle se concentrent toujours très majoritairement sur des professions dites "féminines". Elle a demandé si le Gouvernement dispose d'un programme visant à contrecarrer cette tendance. Compte tenu des restrictions imposées par la charia aux déplacements de femmes, elle a souhaité savoir si les bourses d'études à l'étranger sont aussi ouvertes aux jeunes filles ou si elles sont réservées aux seuls étudiants de sexe masculin. L'experte a en outre demandé combien de femmes sont professeurs dans les universités.
Sur l'emploi, article 11 de la Convention, Mme SCHOPP-SCHILLING a demandé comment les autorités expliquent le taux relativement élevé de chômage des femmes. Est-il lié à un manque d'instruction des candidates ou à une réticence des employeurs à engager des femmes? L'experte a aussi demandé si les directives de l'Organisation internationale du Travail (OIT) ont été suivies quant à l'interdiction posée à l'emploi des femmes en matière de travaux réputés "difficiles ou dangereux". Sous couvert de protéger les femmes, ces interdictions risquent souvent de restreindre l'accès des femmes à certains travaux, a-t-elle mis en garde.
Concernant l'article 12 relatif à la santé, Mme CHARLOTTE ABAKA, experte du Ghana, a relevé les efforts remarquables faits en Jordanie pour faire baisser les taux de mortalité maternelle, pour généraliser l'accès gratuit à la contraception et pour lutter contre l'anémie. Elle a cependant demandé si toutes ces réalisations s'appliquent également aux femmes palestiniennes qui vivent en Jordanie. L'experte a également souhaité savoir si les femmes séropositives ou atteintes du sida, dont il est fait mention dans le rapport, sont des femmes célibataires ou mariées et quelle est la nature de leur emploi. Rappelant que l'avortement n'est un acte légal en Jordanie que lorsque la santé des femmes est en danger, l'experte a encouragé le Gouvernement à envisager d'amender la loi pour protéger les femmes et filles victimes de viols ou d'inceste. Mme ROSARIO MANALO, l'experte des Philippines, a, quant à elle, regretté l'absence dans le rapport de données sur la santé mentale de femmes victimes de violence.
Passant à l'article 13 relatif à l'élimination de la discrimination dans le domaine économique et social, Mme IVANKA CORTI, experte de l'Italie, a salué la mise en place d'un Fonds d'assistance nationale qui distribue de l'argent aux mères célibataires et aux veuves. Cela étant, elle a noté avec préoccupation que, dans un couple en Jordanie, seul le mari peut bénéficier d'une exonération fiscale sur le revenu alors que l'épouse doit au préalable obtenir l'accord de son mari pour pouvoir en bénéficier. Pour lutter contre la pauvreté, une politique de logement spéciale pour les femmes a été mise en place. L'experte a souhaité savoir quel secteur de la population féminine bénéficie de cette politique spéciale.
Examinant l'article 14 relatif aux femmes rurales, Mme AWA OUEDRAOGO, experte du Burkina Faso, a relevé avec satisfaction l'augmentation du nombre de projets spécifiques destinés aux femmes rurales. Dans ce domaine, l'experte a encouragé l'Etat partie à axer ses efforts sur l'éducation à la vie familiale des femmes en soulignant le lien étroit entre le niveau d'instruction de la mère et l'état de santé de l'enfant. Elle a également encouragé l'Etat partie à valoriser la promotion économique des femmes rurales en créant une banque spécifique pour elles, de sorte que les crédits leur soient accessibles plus facilement. Quand les femmes atteignent l'autonomie financière, elle acquièrent de la considération, elles sont davantage motivées et se mobilisent alors, a conclu l'experte. Mme FENG CUI, experte de la Chine, a salué, quant à elle, les efforts d'éducation réalisés dans les zones rurales en Jordanie et a souhaité savoir si le plan économique et social du Gouvernement pour la période 1999-2002 contient des objectifs concernant les femmes rurales, notamment dans le domaine des microcrédits.
En ce qui concerne l'article 15 de la Convention sur l'égalité des hommes et des femmes devant la loi, Mme KHAN, rejointe en cela par Mme MANALO, a déclaré ne pas comprendre sur quel aspect de la charia la Jordanie se fonde pour maintenir sa réserve sur la liberté de circulation des femmes et l'élection du domicile et ne pas modifier la loi nationale pertinente.
L'Islam autorise les femmes mariées à choisir leur lieu de résidence et le désaccord du mari peut même constituer une raison pour prononcer le divorce, a-t-elle précisé. Mme KHAN, ainsi que les expertes de l'Afrique du Sud et de l'Allemagne, ont fait valoir le même argument pour ce qui est de la réserve émise à diverses dispositions de l'article 16 sur les questions découlant du mariage et les rapports familiaux. D'ailleurs, plusieurs pays également musulmans, comme le Yémen, le Bangladesh ou l'Indonésie, n'ont pas émis de réserve à cet article lorsqu'ils ont ratifié la Convention. Les restrictions posées aux femmes en matière de divorce, de tutelle parentale ou de choix du nom patronymique devraient en conséquence pouvoir être levées rapidement. Mme SCHOPP-SCHILLING a, par ailleurs, demandé si on applique des règles différentes pour les femmes non musulmanes, qui semble-t-il constitueraient 20% de la population féminine jordanienne. Elle a aussi demandé si l'amendement visant à éliminer la polygamie a véritablement des chances d'être adopté. Puisqu'elle est limitée à seulement 8% des ménages, la polygamie pourrait d'ailleurs dans un premier temps être limitée et réglementée, a poursuivi Mme EMNA AOUIJ, experte de la Tunisie. Elle a rappelé que traditionnellement l'article 16 est celui qui fait l'objet du plus grand nombre de réserves de la part des pays musulmans et, à ce titre, la moindre avancée sur l'une des dispositions est déjà une grande victoire. Elle a demandé si les responsables religieux sont toujours les seuls à juger de la compatibilité de la loi avec la charia. Quelle est la proportion de femmes qui ont obtenu gain de cause alors qu'elles présentaient un cas de divorce devant le responsable religieux, s'est-elle également enquis.
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