SG/SM/7187

SI LA GUERRE EST LE PIRE ENNEMI DU DEVELOPPEMENT, LE DEVELOPPEMENT EST LA MEILLEURE FORME DE PREVENTION DES CONFLITS DECLARE LE SECRETAIRE GENERAL

19 janvier 2000


Communiqué de Presse
SG/SM/7187


SI LA GUERRE EST LE PIRE ENNEMI DU DEVELOPPEMENT, LE DEVELOPPEMENT EST LA MEILLEURE FORME DE PREVENTION DES CONFLITS DECLARE LE SECRETAIRE GENERAL

20000119

On trouvera ci-après le texte du message que le Secrétaire général a prononcé le 19 octobre 19999 à Washington D. C., à l'intention du personnel de la Banque mondiale :

C'est pour moi un grand honneur que d'avoir été invité à inaugurer cette série d'exposés des Nations Unies.

La Banque mondiale est depuis toujours un élément clef du système des Nations Unies. Sa vocation qui est de permettre à tous les êtres humains de jouir des avantages du développement et d'aider des millions de nos semblables à sortir de la misère est aussi l'un des aspects les plus importants de la mission de l'Organisation des Nations Unies elle-même.

C'est dire que nous sommes appelés à collaborer étroitement et à maintenir un échange constant d'idées et même de personnel. Comme certains d'entre vous l'auront peut-être remarqué, j'ai récemment fait appel à l'un de vos anciens vice-p*ésidents pour administrer le Programme des Nations Unies pour le développement. En organisant cette série de conférences, vous nous retournez en quelque sorte le compliment. J'espère que nous pourrons constituer en outre des groupes de discussion plus restreints sur des questions précises car nous avons les uns et les autres beaucoup à gagner de ces échanges.

Les fondateurs de l'Organisation des Nations Unies s'étaient déjà bien rendu compte du lien entre le combat pour la paix et la sécurité, où victoire signifie se libérer de la peur, et la lutte pour le progrès socioéconomique, où victoire veut dire se libérer du besoin.

Au cours des 50 années qui ont suivi, de véritables progrès ont été accomplis sur ces deux fronts. Le monde est tout à la fois plus paisible et plus prospère qu'il ne l'était en 1945. Ces avancées ne se sont toutefois pas équitablement réparties.

Près de la moitié de la race humaine, soit environ 2,8 milliards de personnes, dispose d'un peu moins de 2 dollars par jour pour survivre.

En outre, les conflits armés auraient causé la mort de plus de 5 millions et demi de personnes au cours des années 90. Beaucoup plus nombreux encore sont ceux dont la vie a été brisée parce qu'ils ont été blessés, qu'ils ont perdu des êtres chers, qu'ils ont été chassés de chez eux ou ont vu tous leurs biens détruits.

Ce sont les pays en développement qui sont le théâtre de la plupart de ces conflits.

La quasi-totalité des 20 pays les plus pauvres du monde ont été déchirés par un conflit violent au cours des dernières décennies. En Afrique, 18 des 45 pays bénéficiant d'un programme de développement de l'ONU, connaissent la guerre civile et 11 traversent des crises politiques plus ou moins graves.

Bien sûr, la guerre n'est pas la seule cause de la pauvreté et la misère en elle-même ne conduit pas à la guerre, sinon tous les pays pauvres seraient en guerre ce qui n'est heureusement pas le cas.

Les inégalités ne suffisent pas non plus à expliquer l'existence des conflits. La raison en est beaucoup plus complexe.

Ce qui est certain en revanche, c'est que le développement n'a pas de pire ennemi que la guerre.

Les conflits armés prolongés ne tuent pas uniquement des êtres humains : ils détruisent l'infrastructure physique d'un pays, détournent des ressources déjà peu abondantes et perturbent la vie économique, notamment l'approvisionnement alimentaire. Ils portent un coup mortel à l'éducation et aux services de santé.

Une guerre de libération nationale ou d'autodéfense peut parfois souder une nation, bien que sur le plan humain le prix à payer soit considérable et certainement inacceptable. Mais de nos jours les conflits sont presque tous des guerres civiles et la population civile parmi laquelle on dénombrait autrefois des victimes accidentelles est aujourd'hui directement visée. Ces guerres détruisent toute confiance entre les communautés, elles sapent les rapports sociaux et la légitimité des gouvernements, sans parler de la confiance des investisseurs. Il est également plus difficile d'y mettre fin car, une fois la paix revenue, les belligérants au lieu de se replier derrière les frontières d'un État, doivent vivre ensemble.

Les guerres entre États, qui font appel à de coûteux armements modernes, sont destructrices mais en général ne durent guère : voyez la guerre du Golfe en 1991 ou le conflit qui a ravagé cette année le Kosovo. De nos jours, les guerres touchent surtout les pays pauvres et utilisent des armes peu coûteuses et faciles à obtenir. Ces guerres, et les souffrances qu'elles entraînent, peuvent se prolonger pendant des années, voire des décennies : c'est le cas en Afghanistan, en Angola et au Soudan.

Les activités de l'Organisation des Nations Unies visent en grande partie à soulager les immenses souffrances causées par ces conflits et à rechercher les moyens de les régler pacifiquement.

Cette mission souvent ingrate exige des efforts de longue haleine, mais elle n'est pas aussi désespérée que la lecture de la presse ne pourrait le laisser penser. Au cours des neuf dernières années, il a été signé trois fois plus d'accords de paix que pendant les 30 années précédentes. Certains ont été un échec et on en a beaucoup parlé, mais ils sont pour la plupart scrupuleusement respectés.

Les succès s'accompagnent toutefois de nouveaux enjeux et de nouvelles difficultés : ce que nous appelons à l'ONU "la consolidation de la paix après un conflit". C'est l'une des grandes innovations des années 90 et une activité en pleine croissance.

De la Namibie à El Salvador et du Kosovo au Timor oriental, nos deux organisations travaillent côte à côte, en collaboration avec des responsables des pouvoirs locaux, des organisations non gouvernementales (ONG) et des groupes de la société civile, pour fournir des secours d'urgence, démobiliser les combattants, apporter un soutien aux opérations de déminage, organiser des élections, encourager la réconciliation, constituer des forces de police impartiales et reconstituer les services de base. Mais surtout, nous essayons de reconstruire des liens, de rétablir la confiance non seulement entre les diverses communautés mais également au sein de chacune d'elles, car la confiance est la première victime d'un conflit et très difficile à faire renaître par la suite.

On a beaucoup parlé des moyens de combler le fossé ou de gérer la transition entre ces activités de consolidation de la paix et les initiatives à long terme en faveur du développement. Mais, on s'aperçoit de plus en plus que l'un ne va pas sans l'autre. La gestion des crises et la consolidation de la paix doivent faire partie de toute stratégie de développement. Si les pays attendent que tous leurs conflits ou crises soient réglés avant d'adopter une telle stratégie, ils risquent d'attendre longtemps.

La meilleure solution serait bien entendu d'empêcher ces conflits d'éclater.

Je n'essayerai pas de vous convaincre en vous abreuvant de faits et de chiffres car je sais que nous sommes tous d'accord sur ce point. Personne ne remet en cause le bien-fondé de la prévention. Certains se demandent toutefois si elle est possible ou si les décideurs pourront jamais raisonner à suffisamment long terme pour l'envisager sérieusement. On dit même que "convaincre les hommes politiques d'investir dans la prévention des conflits, c'est demander à un adolescent de commencer à cotiser pour sa retraite".

Un tel cynisme me semble déplacé, mais il faut faire preuve d'humilité. Même si nous disposions de toutes les ressources nécessaires à la prévention, nous ne devrions pas surestimer nos capacités.

À moins que le gouvernement et la population du pays concerné ne soient résolus à s'attaquer aux problèmes qui sont à l'origine du conflit, il n'y a pas grand chose qu'un tiers puisse faire, même s'il est animé des meilleures intentions et parfaitement informé.

Mes propos sont dictés non pas par le désespoir mais par la prudence.

Ce qui est certain, c'est que pour réussir à prévenir les guerres il faut comprendre les forces qui les motivent.

Et ces forces sont bien sûr complexes et, comme d'habitude, elles suscitent beaucoup de polémiques parmi les spécialistes. Néanmoins, un consensus semble se dégager sur certains éléments clefs.

Premièrement, il n'existe pas de facteur unique qui explique le déclenchement de tous les conflits et, par voie de conséquence, il ne peut y avoir de solution unique non plus. Les politiques de prévention doivent être adaptées aux circonstances propres à un pays ou à une région et être axées sur plusieurs aspects en même temps.

Deuxièmement, la plupart des chercheurs s'accordent à dire qu'il est utile de différencier les facteurs structurels ou à long terme, qui accroissent la probabilité des conflits violents, de ceux qui les déclenchent effectivement.

Les facteurs structurels ont tous un rapport avec la politique socioéconomique et la façon dont les sociétés se gouvernent. C'est là que le lien entre sécurité et développement est le plus net.

Une important étude réalisée par l'Université des Nations Unies et qui sera publiée dans le cours de l'année, indique que les inégalités entre riches et pauvres ne suffisent pas à déclencher un conflit violent. Ce qui peut mettre le feu aux poudres c'est que les auteurs de l'étude appellent l'inégalité "horizontale" : c'est-à-dire lorsque le pouvoir et les ressources sont inégalement répartis entre des groupes qui se différencient aussi par d'autres caractéristiques, à savoir la race, la religion ou la langue. Les conflits dits "ethniques" naissent entre des groupes qui se distinguent par un ou plusieurs de ces aspects, lorsque l'un estime qu'il est victime de discrimination ou qu'un autre craint de perdre ses privilèges.

La stagnation ou la régression économique, parfois causées par des éléments sur lesquels le gouvernement n'a aucun contrôle, tels que la détérioration des termes de l'échange, accroît la possibilité de conflit. La raréfaction des ressources rend la concurrence plus âpre et les élites usent de leur pouvoir pour se les approprier aux dépens du reste de la population.

Lorsque le déclin économique se prolonge, et surtout si le niveau de départ est déjà peu élevé, l'État concerné risque de perdre progressivement toute capacité de gouverner, et en fin de compte de ne plus pouvoir maintenir l'ordre public.

Si la violence politique est plus fréquente dans les pays pauvres, cela tient davantage à une mauvaise gouvernance, et notamment au fait qu'il n'est pas porté remède aux inégalités "horizontales", qu'à la pauvreté en tant que telle. Un pays pauvre bien gouverné peut éviter l'apparition de conflits. Il a également plus de chances d'échapper à la misère.

Même lorsque ces facteurs à long terme existent, un élément à court terme doit servir d'étincelle.

Souvent, c'est le fait que des élites rivales s'approprient un ensemble de revendications, et qu'on s'attache à cultiver au sein de l'imagination collective d'un groupe particulier des mythes déshumanisants à propos d'un autre groupe, lesquels sont soigneusement diffusés et amplifiés par une presse appelant à la haine.

Lorsque le pays se trouve au bord de la guerre, même les événements les plus insignifiants tendant à confirmer ces mythes peuvent être l'étincelle qui déclenche une violence généralisée. À partir de ce moment, ce sont des communautés entières qui se trouvent aveuglées par la haine et la terreur. Le moindre geste des uns tend à accroître les craintes des autres.

C'est souvent l'État, ou le groupe qui contrôle cet État, qui est à l'origine de la violence généralisée, en réponse à des manifestations non violentes des groupes d'opposition. Ce n'est guère surprenant car les gouvernements sont souvent mieux armés que leurs opposants, tout du moins au début d'un conflit. Aussi pressantes que soient leurs revendications, ceux qui prennent les armes sont rarement suffisamment nombreux pour vaincre un État à moins qu'ils n'y soient conduits par une répression brutale.

C'est plus souvent le désir du pouvoir que le sentiment d'injustice qui est à l'origine des guerres, comme l'ont montré plusieurs études récentes, notamment celle réalisée ici par le Département de la recherche de la Banque mondiale. La guerre peut se révéler extrêmement profitable pour certains, particulièrement lorsqu'elle s'accompagne d'une mainmise sur de précieux

produits d'exportation tels que les diamants, la drogue ou le bois. Lorsque les gouvernements sont faibles et les débouchés économiques rares, le recours à la violence devient une solution logique pour éviter la misère, notamment pour les jeunes au chômage. Et lorsque cette violence se généralise et que l'État, comme il se doit de le faire, s'y oppose, elle ne peut que trop facilement déboucher sur une guerre civile.

Mais alors que pouvons-nous faire?

Si l'inégalité "horizontale" est une des causes majeures des conflits, il est évident que nous devons nous efforcer de la réduire. Et pourtant, tout dernièrement encore, les politiques de développement avaient tendance à ignorer le problème. En conséquence, certaines politiques visant à stimuler la croissance ont en fait involontairement aggravé ce type d'inégalité, accroissant ainsi le risque d'instabilité et de violence.

C'est pourquoi je me félicite notamment que Jim Wolfensohn ait invité la Banque et ses partenaires à réfléchir sérieusement aux moyens d'intégrer au mieux le concept de prévention des conflits dans les activités de développement. J'ai appris avec intérêt que le Gouvernement britannique se penchait actuellement sur la question de l'évaluation des incidences des conflits. Il s'agit, avant d'adopter telle ou telle mesure ou d'imposer tel ou tel type de conditionalité, de vérifier par le biais d'un processus de consultation, que cette politique limitera le risque de conflit dans un pays, ou du moins ne l'aggravera pas.

Comme beaucoup de bonnes idées, celle-ci semble tout à fait logique une fois qu'elle est formulée. Mais c'est pourtant la première fois qu'on y pense.

Si les conflits sont souvent déclenchés par différents groupes ayant un accès inégal au pouvoir politique, il s'ensuit que le meilleur moyen d'éviter un conflit est d'encourager la démocratie, pas celle où le vainqueur a la haute main sur tout, mais une démocratie ouverte qui permet à toutes les personnes concernées de s'exprimer sur les décisions qui peuvent modifier leur vie.

Dans les années 90, la fin de la guerre froide a eu deux conséquences majeures sur le système international. Premièrement, le nombre d'États démocratiques dans le monde a pratiquement doublé entre 1990 et 1998. Et deuxièmement, le nombre des conflits armés a diminué, passant de 55 en 1992 à 36 en 1998.

Cette seconde affirmation peut sembler surprenante compte tenu de la longue liste de conflits sanglants qui déchirent le monde, de la Bosnie au Timor oriental en passant par la Sierra Leone.

Mais la vérité, qui pour l'instant a complètement échappé à la presse, c'est que l'on a vu davantage de conflits de longue date se terminer que de nouveaux éclater.

Bien sûr, la diminution des guerres n'est pas uniquement le fait de la progression des démocraties. D'autres facteurs, et notamment la fin des conflits idéologiques de la guerre froide, ont également joué un rôle. Dans certains cas, c'est la paix qui a rendu possible le processus de démocratisation, plutôt que l'inverse. Toutefois, plusieurs études montrent que les régimes démocratiques présentent des niveaux très faibles de violence interne comparés aux régimes non démocratiques.

En y réfléchissant, ce n'est guère étonnant. La démocratie est, en substance, une forme de gestion non violente des conflits. Pourtant, il convient de rester prudent car si la démocratie est en soi souhaitable, le processus de démocratisation peut être extrêmement déstabilisateur, surtout lorsque des États introduisent des systèmes électoraux fondés sur la règle du "tout au vainqueur" sans prévoir de dispositions appropriées relatives aux droits de l'homme. Différents groupes peuvent alors prendre réellement conscience de leurs inégalités et chacun se mettre à craindre le pouvoir des autres. Et bien trop souvent, ils attaquent avant d'être attaqués.

Cela ne devrait pas pour autant nous empêcher de plaider en faveur d'un processus de démocratisation — pourvu qu'il soit valable — dans le cadre de nos politiques de développement.

La bonne gouvernance va bien entendu au-delà de la démocratisation au sens politique strict. Un autre aspect important en est la réforme des services publics, notamment des services de sécurité, qui devraient être soumis aux mêmes conditions d'efficacité, d'équité et de transparence que tout autre service public. Il retient, à juste titre d'ailleurs, de plus en plus l'attention de la Banque mondiale, de l'Organisation de coopération et de développement (OCDE) et de plusieurs grands pays donateurs.

La probabilité d'un conflit diminue si la population d'un pays sent qu'elle est protégée, tout comme ses biens, par l'action des services de sécurité. En revanche, elle augmente si un groupe important de citoyens, au lieu d'être protégé par les services de sécurité, est exploité et terrorisé par ces derniers.

Si l'on me demandait de résumer mon message de cet après-midi en une seule phrase, je dirais que la sécurité des personnes, la bonne gouvernance, un développement équitable et le respect des droits de l'homme sont des éléments interdépendants qui se renforcent l'un l'autre. Si la guerre est le pire ennemi du développement, un développement sain et équilibré est la meilleure forme de prévention des conflits.

Comme je viens de vous l'expliquer, il est impérieux d'octroyer plus de temps et de ressources aux politiques de développement. Cette tâche ne sera pas aisée mais elle est rentable et elle peut sauver des millions de vies humaines.

C'est dès maintenant qu'il faut payer le prix de la prévention même si nous ne pourrons en retirer les bénéfices que dans un lointain avenir. En outre, ceux-ci sont souvent invisibles : ce sont les guerres et les catastrophes qui ne se produisent pas. La prévention a connu un regain d'intérêt au cours des dernières années, tant de la part des pays donateurs que des organisations internationales : nous devons tirer parti de cette situation.

La Banque mondiale et l'Organisation des Nations Unies se sont beaucoup instruites à leur contact mutuel ces 10 dernières années, mais il reste encore beaucoup à apprendre.

Nous devons apprendre à mieux travailler ensemble, ainsi qu'avec les autres organismes des Nations Unies, les gouvernements et les ONG.

Nous devons aussi tirer parti de nos expériences réciproques, sans jamais croire que nous sommes les seuls détenteurs de la sagesse, quel que soit le groupe ou organisme auquel nous appartenions.

Mais nous devons par dessus tout retirer un enseignement des populations des pays en développement. Chaque pays, chaque province, voire chaque village a ses propres problèmes mais également ses propres aspirations et motivations.

Je suis convaincu que la qualité la plus précieuse, tant pour un diplomate que pour un économiste spécialiste du développement, c'est de savoir écouter.

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