En cours au Siège de l'ONU

DSG/SM/79

LA VICE-SECRETAIRE GENERALE DIT QUE LA LIBERTE POLITIQUE EST LA CONDITION SINE QUA NON D'UNE CROISSANCE ECONOMIQUE DURABLE

7 décembre 1999


Communiqué de Presse
DSG/SM/79


LA VICE-SECRETAIRE GENERALE DIT QUE LA LIBERTE POLITIQUE EST LA CONDITION SINE QUA NON D'UNE CROISSANCE ECONOMIQUE DURABLE

19991207

On trouvera ci-après le texte de l'allocution prononcée ce soir par la Vice-Secrétaire générale, Mme Louise Fréchette, lors de la remise d'un diplôme honoris causa décerné par l'Université de Toronto, le 24 novembre:

C'est pour moi un grand honneur de recevoir ce diplôme honoris causa de l'Université de Toronto. Je suis ravie d'avoir cette occasion de m'adresser aux étudiants à une époque palpitante où le monde dans lequel vous allez entrer connaît des transformations extraordinaires.

Je veux vous dire aujourd'hui comment vous pouvez influer sur ces transformations et, en particulier, comment vous pouvez en faire bénéficier aussi bien les démunis de notre société que les privilégiés, aussi bien ceux qui luttent encore pour obtenir le respect de leurs droits fondamentaux que ceux qui ont la chance de les considérer comme acquis. Je voudrais que vous réfléchissiez sur ce qu'une existence vouée au service public peut représenter pour vous et pour le monde.

Vous vous dites sans doute : "Un tel discours n'est pas étonnant de la part d'une fonctionnaire de carrière." Comme vous le savez, j'ai fait toute ma carrière dans la fonction publique et j'ai eu le privilège de travailler pour le Canada et pour l'ONU à divers postes. Mais cela signifie également que je suis à même d'apprécier aussi bien les limites de la fonction publique que les satisfactions qu'elle apporte.

Lorsque j'ai débuté au Ministère des affaires étrangères il y a plus de 25 ans, le rôle de l'État était incontesté et le service public était en pleine croissance, comme les activités économiques axées sur le réseau Internet le sont aujourd'hui. Les possibilités étaient littéralement sans limites et ma carrière m'a conduite d'un poste dans notre ambassade à Athènes, où, à l'âge de 26 ans, je m'occupais de Canadiens en détresse, à notre mission auprès de l'Organisation des Nations Unies à Genève, puis au poste d'Ambassadeur en Argentine et auprès de l'ONU.

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La liberté de choisir mes propres paramètres, le défi des changements permanents et la variété des activités au Siège et sur le terrain se sont combinés pour créer une vie où ni la routine ni l'ennui n'avaient leur place. Plus tard, d'autres possibilités se sont présentées à moi en ma qualité de Sous-Ministre ajointe des finances et de Sous-Ministre de la défense; où la gestion était alors au coeur de mes activités.

Dans l'exercice de ces fonctions, j'ai appris combien il importe de savoir recruter et conserver à son service des personnes provenant d'horizons divers, susceptibles d'apporter une nouvelle dimension et un regain d'énergie à la fonction publique, des personnes comme vous.

J'ai appris qu'il est essentiel d'accepter les différences d'opinions et la diversité, et de faire preuve de prudence avec modération, et j'espère que ces renseignements rendront le service public plus attrayant et plus intéressant pour votre génération.

L'enseignement le plus important peut-être que j'ai tiré est que les institutions, tout comme les personnes, doivent apprendre à accepter le changement et à en tirer parti. Je suis certaine que vous avez déjà ressenti une peur du changement, une crainte de l'inconnu, un malaise devant un nouveau cadre de vie et de nouveaux défis.

Or, ce qui est vrai pour vous est également vrai pour les institutions : le changement a le pouvoir de renforcer, de renouveler et de revitaliser, pour autant que nous l'acceptions comme quelque chose de normal et en fassions un allié et non un ennemi.

Ces enseignements ne sont en aucune façon uniquement valables dans le secteur public, mais ils sont peut-être plus pertinents pour des institutions dont la mission traditionnelle est le plus souvent d'appliquer des règles et de maintenir des traditions et non de les transgresser.

Je comprends bien sûr l'attrait du secteur privé, que ce soit dans la nouvelle économie d'Internet ou dans les organisations non gouvernementales (ONG). En regardant autour de vous, vous voyez un monde mal géré, où trop d'individus vivent dans des conditions dangereuses ou dans le besoin. Vous voulez changer tout ça. Et vous craignez que le secteur public ne soit trop grand et trop sclérosé pour pouvoir connaître de réels changements.

Je ne suis pas naïve au point d'imaginer que vous répondrez à l'appel du service public rien qu'en entendant des discours méritoires de fonctionnaires comme moi. Je ne dirai pas non plus que le service public est le seul moyen de servir l'intérêt général.

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En fait, ce que je dirai, c'est que, quel que soit votre choix de carrière, dans le secteur privé, dans les organisations non gouvernementales ou dans la fonction publique, vous avez la capacité d'infuser l'esprit du service public, et ainsi de contribuer au bien commun. Qu'est-ce que je veux dire par là ?

Alors qu'une carrière dans la fonction publique est par définition au service du bien public, j'estime que nous avons besoin d'une conception du service public plus large, qui englobe l'action de servir le public, pas seulement en occupant un poste dans l'administration, mais également en travaillant pour une ONG ou dans le secteur privé.

Alors qu'aujourd'hui la nouvelle économie est considérée par beaucoup comme la solution à tous nos problèmes, lorsque j'ai commencé ma carrière, on pensait que l'action des pouvoirs publics permettait de remédier à tous nos maux. Comme nous en sommes venus à reconnaître les limites de cette action, nous devons également reconnaître, et le plus tôt sera le mieux, que la nouvelle économie n'est pas une panacée et qu'elle doit être étayée par des règles, que seul l'État peut édicter et faire appliquer.

Nous n'assistons pas plus à la fin de l'État qu'à la fin de l'histoire.

Je suis en fait convaincue que la plupart des problèmes qui ont surgi depuis la fin de la guerre froide exigent précisément la redéfinition et le renouveau du rôle du secteur public, au niveau tant national qu'international.

Cela n'a plus de sens de délimiter strictement les secteurs public et privé. Le monde des affaires et le secteur privé reconnaissent de plus en plus l'importance d'une société régie par des règles pour leur réussite commerciale.

Ils demandent aux gouvernements et à des organisations internationales comme l'ONU, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) de contribuer à créer les conditions indispensables pour des marchés libres, équitables et réglementés, qui ne soient pas contaminés par la corruption ou l'illégalité.

Pour sa part, l'ONU tend la main au secteur privé d'une façon qui était inimaginable précédemment, car nous savons que nous avons besoin de partenaires dans le secteur privé pour pouvoir créer et conserver les biens publics qui peuvent être bénéfiques à la collectivité au sens le plus large.

Cette nouvelle conception de la valeur des biens collectifs et du service public a également été stimulée par les effets de la mondialisation. Après avoir compris qu'une prospérité durable repose sur un régime politique légitime, on se rend maintenant de mieux en mieux compte de la nécessité de maximiser les avantages du marché tout en réduisant autant que possible ses coûts en termes de pauvreté et d'injustice sociale.

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Pour ce faire, il convient d'améliorer la réglementation partout dans le monde; il faut mettre en place des garde-fous solides et durables pour protéger les plus pauvres et les plus vulnérables; et la transparence doit progresser à tous les niveaux.

On peut dire dans un sens qu'un peu partout dans le monde, la politique et le développement politique en général ont fait l'objet d'une certaine indifférence pendant les années de gloire de la mondialisation. Des taux de croissance extraordinaires ont apparemment permis de justifier des mesures politiques qui auraient autrement pu se heurter à une opposition.

Un régime autocratique méprisant les droits civils et politiques fondamentaux était légitimé parce qu'il aidait la population à sortir de siècles de pauvreté. Dans l'exubérance de la richesse matérielle, on perdait de vue la valeur du service public et l'importance de la politique. Et pas n'importe quelle politique : celle qui garantit une bonne gestion des affaires publiques, la liberté, l'égalité et la justice sociale.

Le développement d'une société reposant sur la primauté du droit; l'instauration d'un gouvernement légitime, responsable et exempt de corruption; le respect des droits de l'homme et des droits des minorités; la liberté d'expression; le droit à un procès équitable, ces piliers universels et essentiels du pluralisme démocratique ont été ignorés dans de trop nombreux cas.

Pourtant, pour que la mondialisation réussisse, elle doit réussir pour les pauvres aussi bien que pour les riches. Elle doit engendrer des droits tout autant que des richesses. Elle doit garantir la justice sociale et l'équité tout autant que la prospérité économique et l'amélioration des communications. Elle doit être mise non seulement au service du capital, mais aussi à celui du développement et de la prospérité des plus démunis du monde.

La liberté politique doit être considérée comme une des conditions nécessaires d'une croissance économique durable, sans être toutefois une condition suffisante. La démocratie doit être acceptée comme la base du développement, alors que les droits politiques et les droits de l'homme doivent être considérés comme les piliers de toute architecture du progrès économique.

Il s'agit sans aucun doute d'une tâche difficile, mais il faut s'en acquitter et, pour cela, créer une nouvelle alliance des secteurs public et privé, des organisations intergouvernementales et non gouvernementales, tous unis dans la conviction qu'un secteur public sain nous sert tous de façon égale. Et c'est là que vous intervenez.

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Votre génération peut être la première à combler avec succès le gouffre qui existe entre les secteurs public et privé, et être au service du bien public tout en rénovant le secteur privé. Ainsi, si vous aboutissez dans la Silicon Valley du nord, souvenez-vous que vous avez besoin de l'État de droit pour protéger la propriété intellectuelle.

Si vous aboutissez dans le quartier financier, souvenez-vous que vous avez besoin de systèmes financiers bien réglementés et de règles transparentes pour empêcher la corruption d'aller à l'encontre de la création de nouveaux marchés. Si vous rejoignez Amnesty International ou Human Rights Watch, souvenez-vous que des organisations comme l'ONU sont des alliés dans la lutte pour les libertés et les libertés fondamentales et les droits de l'homme de tous les peuples.

En conclusion, laissez-moi terminer sur une note légèrement chauvine, ce qui ne m'est pas souvent permis dans mon travail de tous les jours à l'ONU. J'estime que nous autres, Canadiens, sommes particulièrement privilégiés : nous avons la richesse, nous avons de grandes possibilités d'agir et nous avons la sécurité. Mais je crois également que de tels privilèges vont de pair avec une obligation envers le monde qui se trouve au-delà de nos frontières, envers les nations et les individus qui sont restés à la traîne pendant cet extraordinaire demi-siècle de paix et de prospérité pour le monde occidental. Lancez-vous et faites honneur au Canada, et sachez que quelle que soit la carrière que vous choisirez, il existe diverses façons d'être au service de votre prochain.

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