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SG/SM/7237

LES DROITS ECONOMIQUES ET LES RESPONSABILITES SOCIALES VONT DE PAIR, DECLARE LE SECRETAIRE GENERAL A LA REUNION MINISTERIELLE DE L'OMC A SEATTLE

29 novembre 1999


Communiqué de Presse
SG/SM/7237
ECO/12


LES DROITS ECONOMIQUES ET LES RESPONSABILITES SOCIALES VONT DE PAIR, DECLARE LE SECRETAIRE GENERAL A LA REUNION MINISTERIELLE DE L'OMC A SEATTLE

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On trouvera, ci-après, le texte intégral de l'allocution du Secrétaire général, M. Kofi Annan, à la troisième réunion ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) réunie à Seattle (Washington) le 30 novembre 1999:

Je tiens tout d'abord à remercier la ville de Seattle et ses habitants d'avoir accepté d'accueillir cette conférence très importante mais manifestement très controversée. Je me demande s'ils savaient à quoi ils s'exposaient lorsqu'ils ont pris cette décision.

Pour ma part, je suis enchanté d'être ici et très honoré d'avoir été invité à prendre la parole aujourd'hui. J'ai la ferme conviction que cette réunion véritablement cruciale restera dans les mémoires comme la conférence inaugurale d’un “cycle du développement”, celle qui aura jeté les bases d'un système commercial mondial à la fois juste et libre.

Combien de fois n'a-t-on pas dit aux pays en développement que la libéralisation du commerce était tout à leur avantage et qu’ils devaient ouvrir leurs marchés?

Ils se sont exécutés, souvent au prix de lourds sacrifices. Pour les plus pauvres, le prix des engagements pris en matière commerciale dépasse parfois le budget annuel de l'État.

Or, combien de fois n'ont-t-ils pas été déçus par les résultats — non pas parce que la libéralisation du commerce leur porte préjudice, mais parce que dans leur cas, elle n'est pas encore assez poussée.

Lors du dernier grand cycle de négociations, le Cycle d'Uruguay, les pays en développement ont accepté d'abaisser leurs droits de douane comme on le leur demandait. Mais en termes absolus, nombre d'entre eux ont conservé des barrières tarifaires élevées, ce qui a eu pour effet non seulement de restreindre la concurrence mais encore, en interdisant à leurs propres producteurs certaines importations cruciales, de ralentir la croissance économique.

Cela étant, ils ont constaté que certains pays riches avaient abaissé leurs droits de douane dans des proportions moindres que certains pays pauvres. Il n'est donc pas surprenant que nombre d'entre eux aient l'impression d'avoir été dupés.

Il semblerait que les pays industrialisés soient tout disposés à se vendre les uns aux autres des articles manufacturés mais qu'ils ne veulent encore acheter aux pays en développement que des matières premières, et non des produits finis. En effet, ils appliquent aux articles manufacturés en provenance des pays en développement des tarifs douaniers quatre fois plus élevés en moyenne que ceux auxquels ils assujettissent des produits provenant en majeure partie d'autres pays industrialisés.

Ils ont mis au point des procédures de plus en plus compliquées pour exclure les importations en provenance du tiers monde; et ces mesures protectionnistes sont particulièrement redoutables dans les domaines où la concurrence des pays en développement est la plus forte, comme le textile, la chaussure et l'agriculture.

On dirait presque que, jugeant les pays émergents incapables de jouer le jeu de la concurrence sans tricher, certains pays industrialisés les accusent de dumping chaque fois qu'ils parviennent à produire quelque chose à un prix compétitif — et leur imposent des droits compensateurs.

En réalité, ce sont les pays industrialisés qui pratiquent le dumping : ils déversent sur les marchés mondiaux leurs excédents de produits alimentaires — dus à des subventions qui s'élèvent chaque année à 250 milliards de dollars — et mettent ainsi en péril la subsistance de millions d'agriculteurs pauvres du monde en développement qui ne peuvent pas rivaliser avec des importations subventionnées.

Faut-il s'étonner, dans ces conditions, que certains pays en développement accueillent avec scepticisme les arguments de ceux qui présentent les politiques commerciales comme un moyen de promouvoir diverses causes nobles, et se disent qu’ils dissimulent en fait de nouvelles formes de protectionnisme?

Je suis pourtant sûr que, dans la plupart des cas, ceux qui tiennent de tels raisonnements n'ont pas d'intention cachée : ils expriment une inquiétude et un désarroi authentiques face aux conséquences de la mondialisation, et leurs préoccupations méritent d'être prises en compte.

Ils ont raison de se faire du souci — au sujet de l'emploi, des droits de l'homme, du travail des enfants, de la qualité de l'environnement et de la commercialisation de la recherche scientifique et médicale. Ils ont raison, surtout, de s'inquiéter de la misère à laquelle sont condamnés tant d'habitants des pays en développement.

La mondialisation ne doit pas servir de bouc émissaire aux échecs des politiques intérieures. Le monde industrialisé ne doit pas essayer de résoudre ses propres problèmes aux dépens des pays pauvres. Il est rarement judicieux de recourir à des pratiques commerciales restrictives pour venir à bout de difficultés qui procèdent, non pas des échanges, mais d'autres aspects de la politique nationale et internationale. Parce qu'elles aggravent la pauvreté et font obstacle au développement, ces pratiques constituent souvent un remède pire que le mal.

L'expérience a montré non seulement que le commerce et l'investissement sont sources de développement mais aussi qu'ils entraînent dans leur sillage l'adoption de normes plus rigoureuses en matière de droits de l'homme et d'environnement. Il se produit comme une réaction en chaîne lorsqu'un pays opte pour les politiques voulues et se dote des institutions appropriées. On constate qu'en général, une société civile en développement réclame avec insistance des normes plus rigoureuses, dès qu'elle en a la possibilité.

Plutôt que d'imposer de nouvelles entraves au commerce mondial, les gouvernements doivent s'attaquer plus résolument et plus directement aux problèmes sociaux et politiques — et donner les ressources et les mandats nécessaires aux institutions qu'ils ont créées à cette fin. L'Organisation des Nations Unies et les institutions spécialisées sont chargées de promouvoir le développement, la protection de l'environnement, les droits de l'homme et l'emploi. Nous pouvons apporter des éléments de réponse.

Le secteur privé peut aider lui aussi. Étant les premières à bénéficier de la libéralisation de l'économie, les sociétés transnationales doivent assumer leurs responsabilités face aux conséquences sociales et environnementales de cette évolution.

Droits économiques et responsabilités sociales sont indissociables. Voilà pourquoi, il y a quelques mois, j'ai proposé aux dirigeants des grandes entreprises de conclure avec les Nations Unies un pacte mondial aux termes duquel nous aiderions le secteur privé à agir conformément aux principes reconnus à l'échelon international dans le domaine des droits de l'homme, des normes du travail et de l'environnement. Cette proposition a été bien accueillie et je pense que nous pourrons accomplir beaucoup en collaborant plus étroitement.

Mais la conférence qui s'ouvre ici aujourd'hui et l'organisation qui la parraine ne doivent pas se laisser détourner de la tâche cruciale qui est la leur : faire en sorte que ce nouveau cycle de négociations élargisse véritablement au monde en développement les avantages de la libéralisation des échanges. Si nous ne parvenons pas à convaincre les pays en développement que la mondialisation est réellement une bonne chose pour eux, il y aura inévitablement un choc en retour qui sera tragique pour eux et, en définitive, pour le monde entier.

Les échanges commerciaux sont préférables à l'assistance. En ouvrant plus largement leurs marchés, les pays industrialisés permettront aux pays en développement d'augmenter leurs exportations de plusieurs milliards de dollars par an — ce qui représente un montant bien supérieur à celui de l'aide qu'ils reçoivent actuellement. Pour des millions et des millions de démunis, cela pourrait faire toute la différence entre la misère qu'ils connaissent aujourd'hui et une existence décente. Et le coût pour les pays riches serait minime.

En fait, les pays industrialisés y trouveraient peut-être même leur compte. Il a été calculé que certains d’entre eux consacrent actuellement jusqu’à 6 ou 7 % de leur produit intérieur brut au financement de diverses mesures protectionnistes. Nul doute que ces mesures bénéficient à certains citoyens, mais je suis bien sûr que leurs concitoyens pourraient trouver un moyen plus économique et moins préjudiciable de leur venir en aide!

Cette fois, il faut que les droits de douane et autres restrictions aux exportations des pays en développement soient considérablement réduits. En ce qui concerne les exportations des pays les moins avancés, je suggère même que les droits et quotas soient complètement éliminés.

Les pays en développement devraient par ailleurs bénéficier d'une assistance technique, au cours des négociations proprement dites, puis au stade de la mise en oeuvre des accords qui auront été conclus et dont il faudra les aider à tirer parti. À l'heure actuelle, certains d'entre eux n'ont même pas de mission à Genève. Mais la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement — la CNUCED — est précisément là pour les aider, si on lui en donne les moyens.

Dans un mois exactement, nous laisserons le XXe siècle derrière nous. La première moitié du siècle a vu le monde quasiment détruit par la guerre, en partie parce qu'il était divisé en blocs commerciaux rivaux.

Par contraste, la seconde a été marquée par une expansion sans précédent du commerce mondial, qui a entraîné par ricochet une croissance et un développement records, dont les bénéfices restent cependant très inégalement répartis.

Une telle expansion n'est pas le fruit du hasard. Après le carnage et la dévastation de la Seconde Guerre mondiale, des hommes d'Etat perspicaces ont délibérément édifié un ordre économique et politique gouverné par des règles qui, en autorisant le libre jeu des forces du marché, devaient, pensaient-ils, diminuer le risque de nouvelles guerres. Pour l'essentiel, ils ont vu juste.

Plusieurs facteurs se sont conjugués à l'époque pour rendre possible un tel ordre mondial. Tout d'abord, on s'accordait à reconnaître qu'il incombait à l'État de garantir le plein emploi et la stabilité des prix et d'assurer la protection sociale. Ensuite, le champ d'action de la plupart des grandes sociétés se limitait au territoire national, si bien que les relations économiques internationales faisaient l'objet de négociations entre États dotés chacun d'une économie distincte et pouvaient être contrôlées en abaissant ou relevant les barrières aux frontières nationales.

Il a donc été relativement facile de mettre en place un ensemble d'organisations internationales qui, à la fois, procédaient d'un tel ordre et le renforçaient : la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce et l'Organisation des Nations Unies.

Aujourd'hui le monde a changé. Les réseaux de production et de financement se sont libérés des frontières nationales et recouvrent maintenant le monde entier. Mais ils ont laissé loin derrière eux le reste du système.

Les Etats-nations, et les institutions qui les représentent, peuvent fixer les règles qui gouvernent les échanges internationaux, mais ils ne peuvent plus définir à eux seuls les conditions de ces échanges. La vie économique ne s'inscrit plus dans un vaste cadre de valeurs et de pratiques institutionnelles communes.

Le résultat est que, outre l'inégalité flagrante de la répartition du pouvoir et de la richesse entre pays industrialisés et pays en développement, une autre forme de déséquilibre est apparu : alors que l'économie se mondialise, les institutions politiques et sociales demeurent animées par l’esprit de clocher. L'économie est mondiale mais la politique demeure obstinément locale. C'est pour cela à mon avis que tellement de gens ont le sentiment d'être vulnérables et sans défense, même dans le monde industrialisé.

Voilà pourquoi je considère que nous nous trouvons à un tournant proprement historique.

En fonction de ce que nous déciderons ici et au cours de quelques autres réunions cruciales qui se tiendront dans les années à venir, le XXIe siècle ressemblera à la première moitié du XXe, en pire, ou à sa seconde moitié, en mieux.

Loin de tenir pour acquises la progression du libre-échange et la primauté du droit, nous devons nous attacher à asseoir l'économie libérale sur des valeurs véritablement mondiales et à garantir l'efficacité des institutions devant en assurer le bon fonctionnement.

Nous devons mettre la même énergie à défendre les droits de l'homme, les normes de travail et la protection de l'environnement qu'à protéger la propriété intellectuelle.

Bref, nous devons nous montrer aussi avisés et aussi résolus que ceux qui, après la Seconde Guerre mondiale, ont jeté les bases d'un ordre mondial de liberté et d'ouverture. Ils ont innové pour mieux servir l'homme — sachons faire de même.

Je vous remercie.

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