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SG/SM/6756

LA LIBERTE D'EXPRESSION EST UN DROIT POUR LEQUEL IL FAUT SE BATTRE, ET NON UNE FAVEUR QU'IL FAUT ESPERER, DECLARE LE SECRETAIRE GENERAL

16 octobre 1999


Communiqué de Presse
SG/SM/6756
HR/4385


LA LIBERTE D'EXPRESSION EST UN DROIT POUR LEQUEL IL FAUT SE BATTRE, ET NON UNE FAVEUR QU'IL FAUT ESPERER, DECLARE LE SECRETAIRE GENERAL

19991016 Texte d'une allocution, prononcée ce jour à Washington par le Secrétaire général, à la Conférence commémorative Harold W. Anderson sur le thème "Sans considérations de frontières : l'Article 19 dans un monde d'Etats souverains", accueillie par le Comité mondial pour la liberté de la presse :

C'est un très grand plaisir pour moi de me joindre à cette éminente assemblée pour débattre une question qui me tient à coeur : comment faire reconnaître et faire prévaloir l'universalité du droit à la liberté d'expression, sans considérations de frontières, dans un monde d'Etats souverains et de civilisations diverses. Comment faire pour établir entre les nations et les peuples les échanges d'idées les plus fructueux et les plus utiles possible pour toutes les parties; comment mettre le droit à la liberté d'expression au service de la paix.

Je vous étonnerai peut-être en vous disant que c'est un droit que je trouve parfois plus facile de défendre pour les autres que pour moi-même. C'est pourtant le cas. En tant que Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, qui regroupe des Etats Membres représentés par des gouvernements, je suis obligé — par la Charte, par les précédents et par l'intérêt que j'ai, en homme averti, à peser soigneusement mes mots — de parler haut et fort quand aucune autre voix ne s'élève, mais aussi de respecter le privilège et le devoir des gouvernements de défendre les intérêts de leurs peuples comme ils le jugent bon.

Et si des gouvernements ne défendent pas les intérêts réels de leurs peuples, ou voient ces intérêts d'un point de vue que leurs peuples ne partagent pas et n'approuvent pas; si des gouvernements sont un obstacle à la réalisation des aspirations de leurs peuples au lieu d'en être le moteur; si certains de ces "peuples", au nom desquels la Charte a été établie, voient l'Organisation des Nations Unies non comme un instrument au service de leurs aspirations mais comme un havre pour des gouvernements oppresseurs?

C'est alors que nous devons parler et que nous parlerons haut et fort, pour faire prévaloir la démocratie, les droits de l'homme, la primauté du droit, le principe selon lequel les gouvernements sont les serviteurs du peuple et non l'inverse. D'aucuns diront que les paroles ne suffisent pas, que les mots ne changeront rien. Quant à moi, je dis que c'est un début.

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C'est ainsi notamment que l'Organisation des Nations Unies paie aux peuples du monde le tribut de la vérité — tribut sans lequel nous n'avons aucun espoir de jamais gagner leur soutien ou d'améliorer leur vie. C'est la raison pour laquelle je m'efforce, en ma qualité de Secrétaire général, de parler clairement et honnêtement de chaque problème : du Kosovo à l'Iraq, en passant par le Rwanda; de l'universalité des droits de l'homme à la nécessité pour les dirigeants africains de prendre eux-mêmes en main leurs destinées; et, très récemment, de la nécessité pour les puissances mondiales de comprendre les conséquences humaines et politiques de la mondialisation en ces temps où la crise frappe et où les problèmes se transmettent comme par contagion.

C'est seulement en disant ces vérités que nous arriverons à faire savoir à tous, hommes et femmes, partout dans le monde, que leur Organisation des Nations Unies comprend les réalités qui sont leur lot quotidien.

Pourtant, comme vous le savez, certains doutent encore de l'intérêt de la liberté d'expression pour leur société; certains soutiennent qu'elle menace la stabilité et le progrès; certains considèrent encore qu'elle est imposée de l'extérieur et qu'elle ne correspond pas à la forme autochtone de liberté d'expression à laquelle le peuple aspire.

J'ai toujours été frappé par le fait que cet argument n'est jamais avancé par les peuples mais par les gouvernants, jamais par les exclus du pouvoir mais par les puissants, jamais par ceux qui ne peuvent pas s'exprimer ouvertement mais par ceux dont la voix couvre celle des autres. Mettons cet argument une fois pour toutes à l'épreuve, à la seule épreuve qui compte : que chaque peuple choisisse s'il veut savoir plus ou savoir moins, se faire entendre ou être réduit au silence, vivre debout ou vivre à genoux.

La liberté d'expression est un droit pour lequel il faut se battre; ce n'est pas une faveur qu'il faut espérer. Elle est aussi bien davantage : un pont fait de compréhension et de savoir. Elle est la voie qui permet aux idées de circuler entre les nations et les cultures, dans un échange qui conditionne toute véritable compréhension et toute coopération durable. C'est pourquoi je suis persuadé que nous devons porter un regard neuf sur la question des civilisations.

Les civilisations se sont toujours enrichies, et non pas appauvries, des échanges de savoir et d'arts, et plus ces échanges sont libres et pacifiques, plus les civilisations en bénéficient. Dans les rapports entre les nations, c'est plutôt du manque d'instruction et de savoir — mais jamais de son contraire — que naissent principalement les différends et les conflits.

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L'ignorance et les préjugés sont les supports de la propagande, et dans la plupart des conflits modernes, les fauteurs de guerre exploitent l'ignorance des gens simples pour semer les peurs qui engendrent les haines. C'est ce qui s'est produit en Bosnie et au Rwanda, où des idéologies prônant le meurtre et même le génocide ont pu s'enraciner faute d'une information véritable et d'une éducation correcte. Si seulement la moitié des efforts entrepris l'avaient été pour enseigner aux gens ce qui les unissait plutôt que ce qui les divisait, des crimes horribles auraient pu être évités.

Je ne dis pas qu'il n'existe pas de conflit d'idées et d'intérêts. Il en existe, et il en existera toujours. Mais gardons-nous de prendre les conflits d'idées pour des conflits de civilisations. Les conflits d'idées peuvent et doivent être résolus par des voies pacifiques et politiques, dans l'intérêt de tous.

Aujourd'hui, c'est peut-être entre le monde islamique et l'Occident qu'il s'impose le plus de faire ainsi la part des choses. Trop souvent, la situation n'est envisagée qu'à travers des généralisations abusives et désobligeantes sur les croyances des uns ou les manières des autres. Trop souvent, le discours de résistance d'un groupe ou d'un autre est pris à tort pour l'opinion de millions de gens.

N'oublions pas les liens réciproques que l'histoire tisse entre les peuples et que le temps ne cesse de raffermir, les voies par lesquelles les personnes et les Etats — de toute obédience religieuse — définissent, défendent et cultivent leurs intérêts; n'oublions pas non plus la tendance, des Etats comme des personnes, à créer des alliances et des allégeances pour des motifs autres que l'appartenance ethnique ou religieuse.

Dans l'allocution qu'il a prononcée devant l'Assemblée générale le mois dernier, le Président iranien, S. E. M. Khatami, a proposé que l'année 2001 soit proclamée "Année du dialogue entre les civilisations". Il a décrit avec éloquence les promesses d'un dialogue authentique entre les cultures et les nations. Je cite : "L'instauration et le renforcement du civisme, que ce soit au niveau national ou international, est tributaire du dialogue entre sociétés et civilisations qui représentent divers points de vue, divers penchants, diverses inclinations et approches". Vous conviendrez, j'en suis sûr, que ce sont des paroles courageuses, et qui viennent d'un dirigeant doué d'une grande capacité de vision à long terme, que son respect pour la vérité et pour la tolérance — malgré une puissante opposition intérieure — a poussé à déclarer sans ambiguïté devant les Nations Unies que le Gouvernement iranien ne ferait rien pour mettre en danger l'auteur des "Versets sataniques".

J'évoque ces paroles du Président Khatami non seulement pour appeler l'attention sur ce que je crois être une évolution importante survenue dans un pays, mais également pour illustrer l'idée que le monde comprend de mieux en mieux l'importance et l'intérêt du dialogue et de la communication.

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Car je suis profondément convaincu que l'histoire devrait nous apprendre que, parallèlement à cette mosaïque de cultures, il existe une civilisation unique, une civilisation mondiale du savoir, dans laquelle idées et systèmes se rencontrent et s'épanouissent, dans la paix et de façon constructive.

Socrate nous a appris qu'il n'y a qu'un seul bien, le savoir, et qu'un seul mal, l'ignorance. En parlant haut et fort, en choisissant de faciliter l'échange, vital, d'idées et d'informations sans considérations de frontières, nous aurons apporté notre contribution au combat pour le seul bien, le savoir, et contre le seul mal, l'ignorance.

Nous aurons contribué à l'avènement d'une civilisation mondiale tolérante envers les divergences d'opinion, célébrant la diversité culturelle, et donnant une place privilégiée aux droits fondamentaux et universels de la personne, une civilisation fière de faire prévaloir l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme.

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