LES EXPERTES DEMANDENT A L'IRLANDE DE REVISER SA CONSTITUTION POUR QU'ELLE POSE LE PRINCIPE DE L'EGALITE ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES
Communiqué de Presse
FEM/1090
LES EXPERTES DEMANDENT A L'IRLANDE DE REVISER SA CONSTITUTION POUR QU'ELLE POSE LE PRINCIPE DE L'EGALITE ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES
19990621 Selon les autorités irlandaises, les hommes et les femmes les plus âgées sont moins enclins à lutter contre les stéréotypes discriminatoiresPoursuivant leur examen des Deuxième et Troisième rapports périodiques combinés de l'Irlande, les membres du Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes ont, cet après-midi, mis l'accent sur la participation politique et publique des femmes à tous les échelons de la société. Il a ainsi été demandé si tous les partis, dont certains ont adopté un système de quotas, ont présenté des candidats femmes aux dernières élections européennes. Abordant la question de l'avortement, une experte a demandé si, à l'image de ce qui se fait dans certains pays européens, les femmes irlandaises se sont réunies en comités ou en groupes de pression pour amener le Parlement à adopter une loi plus progressiste en la matière. La même experte s'est demandée dans quelle mesure la surreprésentation des hommes dans cette instance pouvait constituer un frein à toute évolution. Le cas des demandeuses d'asile, qui ne peuvent pas sortir de l'Irlande pour avoir recours à une interruption volontaire de grossesse, a aussi été abordé. Une experte a en outre souligné la nécessité de mettre en place un programme d'éducation laïque dans les écoles secondaires, afin d'informer les adolescents sur la contraception et les grossesses précoces.
Il a également été demandé d'encourager les femmes à entrer dans la magistrature, où elles sont pour l'instant minoritaires. Des juges pourraient par exemple être spécialement formés dans la défense des droits des femmes et de la famille, ce qui permettrait notamment de mieux lutter contre la violence domestique et le harcèlement sexuel. Une experte a demandé au Gouvernement de prendre des mesures pratiques en la matière, insistant sur le fait que les statistiques disponibles actuellement ne sont pas assez précises. Au sujet des réserves émises à la Convention, une experte a estimé que l'argument selon lequel la levée des réserves et les modifications législatives en découlant saperaient la jurisprudence actuelle ne résistait pas à une analyse approfondie. Elle a ajouté qu'il est parfaitement possible de réviser dès à présent la Constitution pour qu'elle pose au moins le principe de l'égalité entre les hommes et les femmes.
En réponse aux questions des expertes, M. Bernard McDonagh, Deuxième Secrétaire du Département de la Justice, a expliqué que les stéréotypes et le manque de financement constituent les principaux obstacles à la réalisation de facto de l'égalité entre hommes et femmes. Tous les partis politiques, sauf un, ont présenté des femmes, soit un total de 16,4% des candidats, aux dernières élections locales, qui ont eu lieu le même jour que les élections européennes. S'agissant des modifications à apporter à la Constitution, M. McDonagh a indiqué que les propositions du Groupe spécialement créé à cet égard en 1995 sont toujours en train d'être examinées par une Commission parlementaire. Le représentant a précisé toutefois qu'une telle modification de la Constitution n'est pas nécessaire pour appliquer quand même les dispositions de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes.
Répondant spécifiquement aux questions sur l'éducation, Mme Maureen Bohan, du Ministère de l'éducation et de la science, a indiqué que les efforts visant à lutter contre les attitudes dégradantes, les stéréotypes et les idées préconçues n'ont pas permis de faire beaucoup de progrès. L'évolution des mentalités est très lente, surtout chez les hommes et les femmes les plus âgées, a souligné Mme Bohan, qui a précisé que la révision des manuels scolaires n'avait été vraiment possible qu'au niveau de l'école primaire. Pour sa part, M. Tim Quirke, du Ministère de la famille et des affaires sociales, a reconnu que les femmes rurales sont la catégorie la plus défavorisée en matière de sécurité sociale. Cette dernière est en effet réservée aux personnes qui sont auto-employées ou employées. Toutefois les conditions donnant droit à la sécurité sociale sont en cours de révision, a précisé M. Quirke, ajoutant qu'une étude pilote a par ailleurs été lancée pour évaluer la contribution des travaux domestiques à l'économie nationale.
Demain, à partir de 10 heures 30, le Comité examinera les Deuxième et Troisième rapports périodiques du Chili.
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Suite des observations et commentaires des expertes
Mme IVANKA CORTI, experte de l'Italie, se penchant sur la participation politique des femmes, a estimé que le fait d'avoir une femme à la tête de l'Etat était encore une exception. Relevant que la plupart des partis politiques ont adopté un système de quotas pour accroître la participation des femmes en leur sein ainsi que dans les organes de représentation des citoyens, elle a demandé à connaître le résultat des élections locales prévues en juin. Mme Corti a posé la question de savoir, au sujet des élections européennes, si tous les partis politiques avaient des femmes sur leurs listes de candidats. L'experte a demandé, d'autre part, si, à l'image de ce qui se passe au niveau européen, les femmes se sont réunies en comités ou en groupes de pression pour amener le Parlement à adopter des lois progressistes en faveur des femmes. Est-il possible que la forte proportion d'hommes dans l'ensemble du Parlement soit un frein à la réforme de la loi sur l'avortement ? Mme CORTI a demandé en outre en quoi consiste le "partenariat 2000" évoqué par la délégation irlandaise. Elle a souhaité un complément d'information au sujet de la création de la Commission des droits de l'homme et de la composition de son Conseil d'administration.
L'experte de la Nouvelle-Zélande, Mme SILVIA CARTWRIGHT a, quant à elle, abordé tout particulièrement certains aspects juridiques. Ainsi sur les raisons avancées par l'Etat partie pour justifier les réserves émises à la Convention, elle a demandé s'il faut comprendre par là que la jurisprudence irlandaise est en contradiction avec les droits de l'homme fondamentaux inscrits dans la Convention. Elle a estimé que l'argument avancé ne résiste pas à une analyse détaillée. Une proposition a-t-elle déjà été effectuée pour introduire au moins le principe de l'égalité entre les hommes et les femmes dans la Constitution ? Mme Cartwright a estimé aussi que l'article de la Constitution disposant que les femmes ne doivent pas s'engager dans des activités extérieures au détriment de leurs devoirs familiaux devrait être révisé d'urgence, ainsi que l'a déjà demandé la Commission de la condition de la femme. S'agissant de la future Commission des droits de l'homme, elle a voulu savoir si cette Commission aura les moyens de saisir les tribunaux des cas de violation ou si elle disposera de son propre organe de jugement. L'experte a, en conclusion, fait remarquer que le pays ne dispose pas d'un nombre satisfaisant de femmes juges et elle a demandé quel est le mode de nomination des magistrats.
Pour Mme EMNA AOUIJ, experte de la Tunisie, le caractère très récent de toutes les mesures adoptées en faveur des femmes ne permet pas encore d'en évaluer l'impact. En ce qui concerne la violence à l'égard des femmes, par exemple, le Comité national chargé de cette question, n'a rendu son rapport qu'au début de l'année et les programmes et actions qui y sont recommandés ne pourront pas être mis en oeuvre avant plusieurs mois, voire plusieurs années. Toujours sur ce point, l'experte a regretté qu'il n'existe aucun organisme
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chargé de collecter des statistiques fiables sur la violence. En matière d'aide judiciaire, il serait aussi souhaitable de disposer de données chiffrées ventilées par sexe. Ces services d'assistance sont disponibles pour les femmes remplissant certaines conditions, mais le rapport n'explique pas lesquelles, a fait observer l'experte. Mme Aouij a par ailleurs déploré l'absence d'informations relatives aux personnes âgées et s'est dite inquiète de la situation de discrimination dans laquelle se trouve les femmes rurales qui n'ont qu'un très faible accès à la propriété de la terre et dont le travail au sein des exploitations n'est pas reconnu.
Mme FERIDE ACAR, experte de la Turquie, a souhaité savoir si la condition féminine est un thème abordé durant les études universitaires et, le cas échéant, dans quelles universités et sous quelle forme. L'experte a également demandé des précisions sur la vie des femmes dans l'enseignement supérieur, et spécialement dans le troisième cycle. Combien y-a-t-il de professeurs femmes, dans quelles disciplines sont-elles les plus nombreuses, combien gagnent-elles, y-a-t-il eu des progrès au fil des années, a demandé l'experte.
Mme CHARLOTTE ABAKA, experte du Ghana, a demandé aux autorités de donner aux hôpitaux publics les moyens suffisants pour que les femmes n'attendent pas trop longtemps les résultats d'un examen médical, un frottis par exemple. S'agissant de l'allaitement maternel, l'experte s'est aussi demandée si un programme est prévu en Irlande pour informer les femmes sur la transmission du VIH/sida par le lait maternel. Contrairement aux citoyennes irlandaises, les demandeuses d'asile ne peuvent pas quitter l'Irlande pour avoir recours à une interruption de grossesse, a fait remarquer l'experte, souhaitant que leur cas soit envisagé lors de la révision des lois sur l'avortement. Mme Abaka a rappelé la nécessité d'introduire un programme d'éducation laïque dans les écoles secondaires, afin d'informer les jeunes filles sur la grossesse et la contraception. Elle a souhaité que le prochain rapport donne de plus amples détails sur les avortements clandestins.
Evoquant la sous-représentation des femmes dans les métiers scientifiques et techniques, Mme YUNG-CHUNG KIM, experte de la Corée, a souhaité savoir dans quelle mesure les femmes sont encouragées à choisir des carrières de ce type. Les organisations non gouvernementales ont-elles été consultées pour établir le rapport, a également demandé l'experte.
Réponses de l'Etat partie
Le Deuxième Secrétaire au Département de la justice, de l'égalité et de la réforme législative, M. BERNARD McDONAGH, a expliqué que la lutte contre les stéréotypes et la possibilité de trouver des financements supplémentaires sont parmi les obstacles principaux à la réalisation de l'égalité de facto
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entre les femmes et les hommes. Par exemple, les apports financiers de l'Union européenne, par le biais des fonds structurels, vont bientôt cesser. Les effets de la réforme des lois sont malgré tout perceptibles, a-t-il estimé.
En réponse aux questions sur les groupes vulnérables, composés essentiellement de la population migrante, très faible en Irlande, et de la communauté nomade, M. McDonagh a indiqué que les femmes originaires de ces groupes représentent environ 1% de la population féminine totale. Parmi les femmes qui travaillent à plein temps, 73% placent leurs enfants dans des garderies payantes. En moyenne, que la mère travaille à temps plein, à temps partiel, ou pas du tout, 38% d'enfants jusqu'à l'âge de 4 ans sont placés en garderie payante. Le problème des garderies d'enfants s'est en fait accru avec la montée relativement forte et rapide de l'emploi des femmes et la quasi-disparition des femmes qui autrefois gardaient chez elles des enfants. Il s'agit pour le Gouvernement d'une des carences à pallier en priorité.
En ce qui concerne la participation à la vie politique, le Deuxième Secrétaire a indiqué que les élections locales se sont déroulées il y a 10 jours, en même temps que les élections européennes, et au total 16,4% des candidats étaient des femmes. Tous les partis sauf un, certes le plus important d'entre eux, avaient des femmes candidates sur leur liste. Les femmes étaient en outre davantage représentées dans les zones urbaines et elles ont été élues en proportion plus grande que lors des précédentes élections.
La question de la traite des femmes n'est pas un problème majeur en Irlande, a indiqué ensuite M. McDonagh. Les mouvements de jeunes femmes s'effectuent essentiellement vers le Royaume-Uni, mais dans une proportion qui n'est pas significative. La promotion du tourisme sexuel, les publications pornographiques mettant en scène des enfants, ainsi que tout acte sexuel commis sur des enfants sont réprimés par la loi.
Abordant les questions posées par les expertes sur les aspects juridiques, M. McDonagh a précisé qu'aucune décision définitive n'a encore été prise quant à la composition et au fonctionnement de la Commission des droits de l'homme. Pour ce qui est des changements à apporter à la Constitution, il a rappelé qu'un groupe d'examen avait été créé en 1995. Les propositions qu'il a formulées ont été envoyées à une Commission parlementaire, mais pour l'heure il n'est pas possible de savoir quand la Commission aura terminé ses délibérations sur les modifications à apporter.
Répondant aux questions relatives à l'éducation, Mme MAUREEN BOHAN, Ministère de l'Education et des Sciences, a indiqué que chaque année un rapport fournissant des données détaillées était réalisé. Elle a reconnu que l'obstacle principal à la réalisation de l'égalité hommes/femmes dans l'enseignement était également la persistance des attitudes et stéréotypes
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traditionnels, notamment chez les hommes, de tout âge, et chez les femmes plus âgées. L'accès à l'enseignement supérieur se fait sur la base des résultats obtenus, a-t-elle ensuite expliqué. Les programmes du secondaire et de l'enseignement supérieur sont très chargés et il est assez difficile d'y intégrer des cours de promotion de la femme. Faisant écho aux préoccupations soulevées par les expertes, Mme Bohan a affirmé que tous les projets évoqués dans le rapport font l'objet d'une évaluation. Celle-ci est en général effectuée par une personne indépendante. S'agissant des cas de harcèlement sexuel, toutes les attaques du personnel enseignant sur des élèves sont punies par des mesures disciplinaires. Lorsque le harcèlement se produit entre étudiants, l'accent est placé sur l'éducation des mentalités, et notamment sur la manière dont les garçons envisagent leurs relations avec les femmes. Les programmes de lutte contre le harcèlement sexuel traitent aussi de la question du partage des tâches domestiques et familiales. Les maisons d'édition ont été encouragées à réviser les manuels scolaires, selon certaines directives établies par le Ministère de l'éducation. Toutefois cette initiative est essentiellement possible pour les manuels du primaire; ensuite la multiplication des matières enseignées et la loi sur la liberté d'édition rendent difficile toute approche interventionniste. Le nombre de femmes choisissant des carrières techniques et scientifiques est encore insuffisant mais il va en augmentant, a fait observer Mme Bohan en conclusion.
Prenant à sont tour la parole, M. TIM QUIRKE, Ministère de la famille et des affaires sociales, a indiqué que 9 à 15% des foyers irlandais sont considérés comme pauvres, et que ceux ayant une femme à leur tête risquent plus que les autres de se retrouver au-dessous du niveau de pauvreté. Les allocations chômage et les allocations familiales permettent en général aux femmes seules de ne pas tomber dans la pauvreté. La catégorie la plus défavorisée semble celle des femmes rurales, qui n'ont pas de sécurité sociale. Cette dernière est en effet réservée aux personnes qui sont auto-employées ou employées. Les conditions donnant droit à la sécurité sociale sont toutefois en cours de révision, a précisé M. Quirke.
Mme VERA KELLY, Ministère de la Justice, a indiqué que la loi sur l'égalité de l'emploi de 1997 interdit toute discrimination en vertu du sexe ou de l'état civil. Depuis 1998, une femme a les moyens de se défendre si elle peut prouver qu'elle est traitée moins favorablement qu'un homme. En matière de rémunération, un accord entre le Gouvernement et les partenaires sociaux a été conclu avant l'introduction d'un salaire minimum, décidé par l'actuel Gouvernement. La loi sur l'égalité de 1998 définit et interdit pour la première fois le harcèlement sexuel, sous toutes ses formes.
En réponse aux questions sur l'avortement, M. CHRIS FITZGERALD, Département de la santé et des enfants, a rappelé que la loi irlandaise protège le droit de l'enfant à naître. Depuis 1992, l'interruption de grossesse est toutefois autorisée si la vie de la mère est en danger,
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et des consultations très larges ont été lancées à ce sujet. Pour ce qui est de l'attente des résultats d'examens médicaux, M. FITZGERALD a indiqué que de récentes améliorations ont permis de réduire ce délai à un mois maximum.
Reprenant la parole pour évoquer la mise en oeuvre de la CEDAW, M. McDONAGH a précisé que les dispositions de la Convention et de la Constitution irlandaises ne sont pas en conflit. S'agissant des modifications à apporter à la Constitution, les propositions du Groupe spécialement créé à cet égard en 1995 sont toujours en train d'être examinées par une Commission parlementaire. Le représentant a précisé toutefois qu'une telle modification de la Constitution n'est pas nécessaire pour appliquer quand même les dispositions de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. Le congé parental n'est pas rémunéré en Irlande mais les choses peuvent évoluer et une allocation pourrait être envisagée à l'avenir. Concernant les sévices commis envers les enfants, et spécialement les petites filles, un groupe est chargé d'examiner l'ampleur du problème et de réfléchir aux réponses à y apporter. Une étude pilote a par ailleurs été lancée pour évaluer la contribution des travaux domestiques à l'économie nationale. Par ailleurs, M. McDonagh a fait savoir que la grande majorité des femmes a droit à une assistance judiciaire civile; cette aide leur est même accordée de manière prioritaire en cas de violence domestique.
Observations finales des expertes
Formulant des commentaires finaux, en sa qualité de rapporteur sur les rapports périodiques de l'Irlande, Mme YUNG-CHUNG KIM, experte de la République de Corée, a estimé que le dialogue instauré depuis ce matin était très positif. La participation de la femme irlandaise à l'ensemble de la société ne peut que progresser dans les années qui viennent. A l'avenir les rapports devront fournir plus de détails sur les résultats des évaluations entreprises, a mis en garde l'experte. Il faudra aussi trouver rapidement une solution à la question de l'avortement ainsi qu'à la révision de la Constitution. Mme Kim a reconnu qu'effectivement la modification des comportements traditionnels est un processus long, et elle s'est réjouie que pour ce faire l'accent soit mis sur les jeunes gens.
Pour sa part, la Présidente du Comité, Mme AIDA GONZALEZ, a estimé que la situation de la femme en Irlande s'était dans certains domaines nettement améliorée par rapport au tableau présenté dans le rapport initial de l'Etat partie. Elle a fait observer cependant que pour un certain nombre d'autres secteurs, il n'y avait pas réellement eu d'évolution et c'est bien entendu sur ces points qu'il faudrait concentrer l'attention.
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