En cours au Siège de l'ONU

DSG/SM/60

LA CAPACITE DES NATIONS UNIES A RELEVER LES DEFIS DU XXI SIECLE DEPEND DE LA CONJUGAISON D'UN OUTIL "ONU" EFFICACE ET DE LA VOLONTE DE L'UTILISER

18 juin 1999


Communiqué de Presse
DSG/SM/60


LA CAPACITE DES NATIONS UNIES A RELEVER LES DEFIS DU XXI SIECLE DEPEND DE LA CONJUGAISON D'UN OUTIL "ONU" EFFICACE ET DE LA VOLONTE DE L'UTILISER

19990618 La "Maison" a fait sa part pour améliorer l'outil, déclare la Vice-Secrétaire générale, aux Etats de l'utiliser pour un véritable multilatéralisme

On trouvera ci-après, le discours prononcé le mercredi 18 juin 1999, par la Vice-Secrétaire générale des Nations Unies, Mme Louise Fréchette, devant le Conseil des relations internationales de Montréal (Canada) :

Je voudrais tout d’abord remercier le Corim de m’avoir invitée à prendre la parole devant vous. Montréalaise je suis née. Montréalaise je demeure de coeur. C’est donc un réel plaisir pour moi de me retrouver chez moi, entourée de compatriotes et d’amis très chers. Je voudrais remercier en particulier François Tascherau pour ses aimables paroles. François a été un collaborateur hors pair et la diplomatie canadienne a perdu “un gros morceau” quand il a décidé de commencer une nouvelle carrière dans le secteur privé.

Comme le titre de ma conférence l’indique, je voudrais partager avec vous quelques réflexions sur l’ONU à l’aube du XXIe siècle, les tâches qui l’attendent et les défis qu’elle a à relever.

Quand on évoque l’ONU, on pense immédiatement aux questions de paix et de sécurité. Il est naturel qu’il en soit ainsi car le maintien de la paix et de la sécurité constitue la mission première de l’Organisation. Comme en atteste les tous premiers mots de la Charte, le but recherché par les fondateurs de l’Organisation était de “préserver les générations futures du fléau de la guerre”.

Le demi-siècle qui touche à sa fin a montré combien cette tâche était - et reste - ardue. Pendant 40 ans, le Conseil de sécurité fut paralysé par les effets de la guerre froide. Ce n’est en réalité que depuis la chute du mur de Berlin que le Conseil a recouvré sa pleine capacité d’action.

On a tendance à dresser un bilan très négatif des actions de l’ONU en matière de paix et de sécurité au cours de la dernière décennie. Le demi- succès de l’Organisation en Croatie et en Bosnie-Herzégovine, son échec cuisant en Somalie, son absence au moment du génocide au Rwanda ont fait

oublier non seulement la guerre du Golfe, mais aussi la réussite de missions complexes telles que celles qui ont été menées au Mozambique, au Cambodge et au Salvador.

La dernière en date est la mission des Nations Unies en Slavonie orientale, mission comportant le déploiement de quelque 2400 militaires et 400 policiers civils, ainsi que la prise en charge par l’ONU de l’administration civile du territoire pendant deux ans. Cette mission, qui a pris fin en janvier 1998, fut couronnée de succès... et je parie que vous n’en n’avez jamais entendu parler. Morale: gardons-nous des jugements à l’emporte-pièce.

L’expérience de dix années a mis en relief trois types de problèmes auxquels la communauté internationale sera confrontée au cours des années à venir.

Le premier type de problème touche aux principes mêmes qui doivent régir l’action de la communauté internationale en matière de paix et de sécurité.

Un des traits marquants de notre fin de siècle est l’importance croissante accordée aux droits humains. De moins en moins de gouvernements à travers le monde acceptent que, sous couvert de leur souveraineté, les Etats piétinent les droits fondamentaux de leurs propres citoyens. Mais l’intervention, par la force si nécessaire, dans ce qu’on a traditionnellement considéré comme “les affaires intérieures des Etats” est loin de faire l’unanimité. Tant que les avis demeureront partagés sur cette question fondamentale, les capacités d’action du Conseil de sécurité demeureront aléatoires.

Le deuxième type de problème touche à l’efficacité des moyens mis en oeuvre par le Conseil de sécurité pour faire respecter ses décisions. La panoplie des instruments diplomatiques s’avère souvent insuffisante pour venir à bout des conflits. Les sanctions, à moins d’être assorties de mesures de surveillance très coûteuses, sont facilement contournées. Les régimes de sanctions plus sévères touchent durement les populations civiles mais parviennent rarement à faire fléchir les dictateurs. Quant au recours à la force, il est toujours lourd de conséquences et n’offre pas nécessairement de solutions instantanées. Il nous faut donc affiner nos moyens d’action et investir bien davantage dans la prévention des conflits.

Le troisième type de problème se résume en réalité en deux mots: volonté politique. Volonté d’appliquer les mêmes normes et de faire preuve de la même détermination quelle que soit la région où se déroule le conflit. Volonté de doter l’Organisation des moyens nécessaires à la mise en oeuvre des décisions du Conseil. Il y va de la crédibilité de ce dernier et de l’Organisation toute entière.

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Un accord sur la réforme du Conseil de sécurité pour le rendre plus conforme aux réalités de l’an 2000 contribuerait à renforcer sa légitimé aux yeux des Etats et des populations.

Quant à nous, au Secrétariat, il nous incombe de faire la preuve que si on nous en donne les moyens, nous sommes capables de “livrer la marchandise”, c’est-à-dire d’agir rapidement, de façon cohérente et efficace.

C’est le défi qui nous attend au Kosovo. Tenue à l’écart de la décision sur les bombardements, l’ONU se retrouve maintenant au coeur de l’action, ayant reçu le mandat de mettre en oeuvre toute les composantes civiles prévues dans la récente décision du Conseil de sécurité. Cela veut dire, en pratique, assumer provisoirement la responsabilité de l’administration du territoire, y compris la police et la justice, rebâtir les institutions sur des bases démocratiques et respectueuses des droits humains, fournir l’aide humanitaire, aider des centaines de milliers de réfugiés et de personnes déplacées à regagner leurs foyers, et coordonner la reconstruction et la relance économique du territoire.

La mission civile est non seulement complexe, mais aussi très novatrice à certains égards. En effet, la mise en oeuvre de certaines composantes du mandat que nous avons reçu du Conseil de sécurité sera confiée à deux organisations non-onusiennes: l’OSCE et l’Union européenne, qui travailleront sous l’autorité du Représentant spécial du Secrétaire général.

J’arrive d’un voyage éclair à Genève, où j’ai rencontré les représentants de ces deux organisations, ainsi que ceux de la composante militaire, qui ne relève pas de l’ONU mais avec laquelle une coordination étroite s’impose. Cette rencontre a été très productive et je suis persuadée que nous saurons “accorder nos violons” si nous y mettons tous un peu de bonne volonté.

Il faudra plusieurs mois avant que la mission civile ne soit complètement déployée, mais je suis heureuse de pouvoir souligner que 24 heures après l’arrivée des premiers contingents militaires, nos agences humanitaires étaient déjà sur place avec les premiers convois de secours et le représentant du Secrétaire général était installé à Pristina avec une équipe préparatoire d’une quarantaine de personnes.

Afin de préparer cette mission, je préside depuis plusieurs semaines un groupe de travail qui réunit tous les services et programmes concernés. Nous sommes reliés par vidéo ou téléconférence avec nos collègues de Genève, Rome et, depuis lundi, Skopje et Pristina. Notre coordination interne s’en trouve grandement améliorée. Elle semble loin, l’époque où nos critiques déploraient l’absence d’infrastructures élémentaires, par exemple celle d’un centre d’opération fonctionnant 24 heures sur 24 pour soutenir nos missions dans les zones de conflit.

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La tâche qui nous attend au Kosovo est d’une ampleur exceptionnelle. Je peux vous assurer que nous ne ménagerons aucun effort pour la mener à bien.

Le Conseil de sécurité n’est pas le seul garant de la paix et de la sécurité internationales.

Lorsque le Statut de la Cour pénale internationale a été adopté à Rome en juillet dernier, on a dit qu’il constituait le chaînon manquant de l’ordre juridique international. Ce qui est sûr, c’est qu’il a démontré la volonté des Etats de mettre fin à cette “culture de l’impunité” qui fait qu’il y a moins de risque à massacrer dix mille personnes qu’à en tuer une seule.

Mais ce qui est plus sûr encore, c’est que le véritable test de cette volonté est encore à venir, puisque la Cour ne verra vraiment le jour que lorsque 60 pays en auront ratifié le Statut. Il faudra ensuite que les Etats lui donnent les moyens de fonctionner, c’est-à-dire qu’ils assurent son financement et coopèrent avec elle.

Le Secrétaire général est le dépositaire du Statut de la Cour. Mais il est aussi le dépositaire de quelque 500 autres conventions internationales fondées sur des valeurs communes à l’humanité. La traduction de ces valeurs en un vaste ensemble d’instruments internationaux est l’une des grandes réalisations du XXe siècle.

Si le XXe siècle a été celui de la codification, le XXIe va devoir être celui du combat pour le respect effectif de tous les instruments adoptés, c’est-à-dire pour la mise en pratique de ces valeurs qui constituent les fondements de la paix: droits de la personne, pluralisme, démocratie, égalité des hommes et des femmes. Nous savons tous, à l’ONU, que cet idéal sera difficile à atteindre, mais réalisme ne veut pas dire défaitisme. Les progrès accomplis en un demi-siècle nous convainquent que nos efforts ne sont pas vains.

Personne ne contestera que la sécurité n’est pas uniquement une question militaire. Le développement et l’éradication de la pauvreté ont toujours figuré, aux yeux de l’ONU, parmi les piliers de la paix. Le Préambule de la Charte cite d’ailleurs le progrès social et l’instauration de meilleures conditions de vie comme l’un des objectifs de l’Organisation. Cette mission s’est elle aussi avérée difficile à remplir. Il n’en reste pas moins qu’à mon sens, on a souvent tendance à sous-estimer les réelles avancées réalisées dans ce domaine.

Il n’est donc pas mauvais de rappeler que la pauvreté a davantage reculé ces 50 dernières années qu’au cours des 500 années précédentes. Que depuis 1960, le taux de mortalité infantile à diminué de moitié, le taux de malnutrition a baissé d’un tiers et la proportion d’enfants fréquentant l’école primaire est passée de 50 à 75 %. Qu’enfin la polio, qui faisait des ravages il y quelques années encore, a été pratiquement éradiquée.

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Mon propos n’est pas ici de glorifier les Nations Unies - à qui le mérite ne revient d’ailleurs pas entièrement, loin de là - mais de souligner à nouveau, preuves à l’appui, que si notre quête est ambitieuse, elle n’est pas utopique pour autant.

Cette quête restera centrée, au cours des années à venir, sur la réalisation des objectifs arrêtés par les gouvernements eux-mêmes, avec la participation active d’une société civile de plus en plus déterminée à faire entendre sa voix, lors des grandes conférences organisées dans la première moitié des années 90. Environnement, population, rôle des femmes, progrès social: ces conférences mondiales tenues sous l’égide des Nations Unies ont touché à tous les aspects du développement durable.

Cette dernière année du millénaire, et les premières de celui qui s’annonce, seront l’occasion de faire le bilan des progrès réalisés. Comme je l’ai dit récemment lors d’une réunion sur le développement social, il n’y a pas eu de miracle. Des politiques ont été modifiées, des initiatives ont été adoptées. C’est louable, et c’est un premier pas. Mais dans l’ensemble, la situation d’un très grand nombre de pays en développement reste grave.

En 1995, on dénombrait un milliard de personnes vivant dans la misère. Depuis lors, 300 millions d’autres sont venues grossir les rangs des plus déshérités de la terre. Dans certains pays, notamment en Afrique, plus de 90 % de la population vit dans la pauvreté absolue et le sida est en train de décimer une génération entière.

Devant ce constat, les organismes des Nations Unies ont désigné l’atténuation de la pauvreté comme l’une de leurs principales priorités. L’action qu’ils mènent sur le terrain est, au sens littéral, vitale pour les plus démunis de la planète. Mais ils peuvent bien peu sans l’engagement de la communauté internationale toute entière.

C’est pourquoi nous ne cessons de répéter que le déclin de l’aide publique au développement, aujourd’hui à son niveau le plus bas depuis 50 ans, est une tendance qu’il faut à tout prix inverser. Que l’endettement étrangle un grand nombre de pays, dont certains consacrent jusqu’à 60 % de leur budget annuel au service de la dette. Et que l’un des meilleurs moyens d’aider les pays en développement est de leur permettre de participer pleinement à l’économie mondiale, notamment en leur ouvrant davantage les marchés.

Ce qui m’amène à l’incontournable sujet de la mondialisation. Je dis “incontournable” car je ne me souviens pas d’avoir prononcé, depuis mon arrivée à l’ONU, un discours dans lequel ce mot n’apparaissait pas. Mais je suis en même temps bien consciente qu’il ne s’agit pas d’un effet de mode. A bien des égards, la mondialisation est une véritable révolution.

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Comme toute révolution, elle ouvre de nouvelles perspectives inouïes. Comme toute révolution, elle sème la confusion. Comme toute révolution, elle bouleverse les structures connues et exige de profonds ajustements. Comme toute révolution, elle a ses gagnants et ses perdants, ceux qui refusent de suivre le mouvement ou en sont incapables. Il faut absolument faire en sorte que les bénéfices réels que peut apporter la mondialisation ne laissent pas à l’écart des régions entières du globe et de larges segments de la population à l’intérieur de nos sociétés.

Il est un autre aspect de la mondialisation dont l’ONU se préoccupe très sérieusement: la perméabilité des frontières et la révolution des moyens de communication facilitent non seulement les échanges légitimes, facteurs de développement et de prospérité, mais aussi le trafic des drogues, les activités terroristes, le blanchiment d’argent et la criminalité organisée, facteurs de désintégration sociale.

La liste est longue des problèmes mondiaux qui exigent des solutions mondiales. A ceux que j’ai déjà mentionnés, il faudrait ajouter l’environnement, la lutte contre le sida, le commerce électronique et bien d’autres. Dans tous ces domaines, le système des Nations Unies est très actif et compte bien continuer d’apporter sa contribution.

J’ai beaucoup parlé des problèmes qui requièrent l’attention de l’ONU. Mais, demanderont certains, l’ONU est-elle à la hauteur de ses ambitions? C’est une excellente question, même si elle est parfois posée de façon purement rhétorique avec une réponse prête: non!

Je vois, quant à moi, deux conditions pour que nous puissions répondre par l’affirmative. Il faut que se conjuguent l’efficacité des outils et la volonté de les utiliser.

Le Secrétariat de l’ONU est en partie responsable de veiller à ce que la première condition soit remplie. C’est à cette fin que le Secrétaire général a lancé un vaste programme de réforme visant à rationaliser les structures et le fonctionnement de l’Organisation et de ses organismes associés. Et quand j’ai pris mes fonctions, il m’a chargée d’en superviser la mise en oeuvre.

Je suis donc bien placée pour vous dire, Mesdames et Messieurs, que des progrès considérables ont été accomplis. Tant au Siège que sur le terrain, nous fonctionnons désormais davantage comme un tout cohérent, et moins comme une série d’entités isolées et déconnectées. Les doubles emplois et les incohérences sont ainsi beaucoup plus faciles à éviter, et les activités des différentes parties du système peuvent se renforcer mutuellement. Cela fait une énorme différence.

Sans entrer dans le détail, je crois pouvoir dire que la plupart des réformes dépendant du Secrétariat ont été réalisées ou sont en cours de réalisation. Mise en place d’un conseil de direction, modernisation de la

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gestion des ressources humaines, renforcement des contrôles internes traquant les gaspillages et les fautes professionnelles, budgétisation axée sur les résultats, création des “Maisons des Nations Unies” qui regroupent sous un même toit les organismes présents dans un pays et élaboration d’un cadre commun d’assistance, collaboration beaucoup plus étroite avec la société civile, voici quelques-uns des changements que nous avons introduits afin que les Etats Membres “en aient plus pour leur argent”.

Toutefois, et j’en viens à la deuxième condition, encore faut-il que ces Etats Membres soient prêts à tirer parti de ce que nous avons à leur offrir. Cela suppose tout d’abord un réel engagement financier, encore que notre budget soit bien modeste par rapport à celui d’organismes moins universels. Nous fonctionnons depuis plusieurs années avec un budget à croissance nominale zéro, ce qui signifie qu’en fait, nos ressources diminuent. Les efforts de rationalisation auxquels cela nous a contraint ont sans doute été salutaires, mais le moment approche où il n’y aura plus rien à couper.

Cela suppose ensuite que les Etats Membres procèdent aux réformes nécessaires pour adapter les mécanismes intergouvernementaux aux réalités d’aujourd’hui. Ces réformes dépendent d’eux et d’eux seuls. J’ai déjà mentionné celle du Conseil de sécurité, pour lequel ils vont devoir trouver une formule acceptable.

Cela suppose, enfin, que les Etats Membres aient foi dans l’Organisation des Nations Unies et soient décidés à faire triompher les principes inscrits dans sa charte. C’est-à-dire qu’ils aient la volonté de sacrifier certains intérêts nationaux au bénéfice d’un véritable multilatéralisme. Qu’ils soient prêts à être solidaires et à unir leurs forces pour garantir à chacun la dignité à laquelle ont droit tous les êtres humains.

Les enjeux sont de taille pour l’ONU. Mais ils sont plus formidables encore pour ces “peuples des Nations Unies” qu’elle représente.

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