En cours au Siège de l'ONU

SG/SM/7013

DEVANT LE PARLEMENT SUEDOIS, LE SECRETAIRE GENERAL SOULIGNE L'IMPORTANCE DE "CETTE TACHE VITALE QU'EST LA GOUVERNANCE MONDIALE"

28 mai 1999


Communiqué de Presse
SG/SM/7013


DEVANT LE PARLEMENT SUEDOIS, LE SECRETAIRE GENERAL SOULIGNE L'IMPORTANCE DE "CETTE TACHE VITALE QU'EST LA GOUVERNANCE MONDIALE"

19990528 On trouvera ci-après le texte de l'allocution prononcée par le Secrétaire général, M. Kofi Annan, devant le Parlement suédois le 26 mai, sur le thème "L'ONU et la gouvernance mondiale" :

C'est toujours un grand honneur d'être invité à prendre la parole devant le Parlement d'un Etat Membre. Mais aujourd'hui, cet honneur se double du plaisir d'être un peu chez moi — non seulement parce que mon épouse est suédoise, mais parce que l'ONU entretient des relations très étroites avec l'ensemble de la nation suédoise.

Ce pays n'est pas seulement un havre de stabilité dans un monde instable; il est aussi un bastion de solidarité.

Tout au long de l'histoire de notre Organisation, votre attachement à ses objectifs et votre appui à ses activités ont été exemplaires, qu'il s'agisse du maintien ou du rétablissement de la paix, du développement, du droit international, de la sécurité collective ou encore des droits de l'homme. Grâce à vous, des populations qui vivent à l'autre bout du monde se sentent plus en sécurité.

Aujourd'hui, plus que jamais, la solidarité est une nécessité. Les zones de sécurité et de stabilité sont de plus en plus rares, sur tous les continents et même en Europe, comme vous l'avez fait remarquer, Madame la Présidente.

Aujourd'hui, plus que jamais auparavant, nos actes ont des conséquences directes pour le reste de l'humanité.

Les automobiles sont souvent montées sur un continent avec des pièces fabriquées sur d'autres continents. Il suffit d'exécuter quelques commandes sur un ordinateur pour transférer, en l'espace de quelques secondes, des milliards de dollars d'un bout à l'autre de la planète. Des spectateurs se trouvant à des milliers de kilomètres peuvent suivre en direct un événement sportif, un concert de rock et aussi, hélas, des scènes de guerre et de souffrances effroyables.

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Ce phénomène, comme beaucoup d'autres, comporte à la fois des avantages et des inconvénients. Il est désormais plus facile de communiquer les uns avec les autres et les choix qui s'offrent à nous sont bien plus nombreux.

Mais la mondialisation peut aussi faire peur. Des travailleurs voient leur emploi menacé du fait des innovations technologiques ou de la concurrence étrangère. Des parents s'inquiètent de l'attrait irrésistible que des produits et des cultures venus d'ailleurs exercent sur leurs enfants. On en vient parfois à craindre que le monde ne perde toute sa diversité, tout son sel. On peut avoir l'impression qu'au lieu d'élargir nos choix, la mondialisation nous voue à un consumérisme futile, nous donnant à tous les mêmes appétits sans pourtant nous donner les mêmes chances de les satisfaire.

Ce sentiment explique en grande partie la crainte et la colère qui habitent le monde d'aujourd'hui. Un peu partout, on voit se déchaîner des forces extrêmement destructrices, que l'on serait tenté de qualifier d'inhumaines, mais qui, en réalité, ne sont que trop humaines. C'est souvent de cette manière que les hommes réagissent quand ils se sentent menacés.

Les problèmes que je viens d'évoquer sont des problèmes mondiaux qui exigent des solutions mondiales. Des solutions patiemment élaborées dans un contexte multilatéral, pour que tous les Etats en reconnaissent la légitimité et se sentent tenus de les mettre en oeuvre.

Il faut que ces questions soient débattues ouvertement, au sein d'une instance où toutes les parties sachent qu'elles ont voix au chapitre. Vous ne serez pas surpris de m'entendre dire que cette instance, c'est l'ONU.

Bien sûr, ce n'est pas facile. On a parfois l'impression qu'à l'ONU, le processus permettant d'aboutir à un accord est si lent, si laborieux que toute action rapide et décisive est impossible. Il peut alors arriver que des Etats se sentent autorisés à faire justice eux-mêmes. C'est ce qu'ont fait les membres de l'OTAN lorsque, refusant d'assister passivement aux atrocités commises au Kosovo, ils ont décidé d'intervenir unilatéralement.

Ce sentiment, je le comprends parfaitement. Comment permettre, maintenant que les Etats ne sont plus les maîtres incontestés de leur économie et de leur environnement, que certains gouvernements usent du seul pouvoir exclusif qui leur reste pour persécuter leurs propres citoyens?

Le jour où l'intervention militaire a commencé, j'ai dit combien je déplorais le rejet d'un règlement politique par les autorités yougoslaves et déclaré que, dans certains cas, l'emploi de la force pouvait se justifier s'il devait conduire à la paix.

Mais j'ai aussi rappelé, avec la même insistance, qu'aux termes de la Charte des Nations Unies, c'est au Conseil de sécurité qu'incombe la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales.

- 3 - SG/SM/7013 28 mai 1999

Avec l'évolution du conflit se sont dégagés deux principes sur lesquels toutes les parties semblent maintenant d'accord. Premièrement, les Kosovars de souche albanaise doivent regagner leur foyer sans danger et leur sécurité, ainsi que leurs droits politiques et individuels doivent être garantis et protégés par la communauté internationale. Deuxièmement, l'ONU doit être le cadre dans lequel se règlent les questions qui ont trait à la guerre et à la paix.

Plus vite nous parviendrons à un règlement politique fondé sur ces deux principes, mieux cela vaudra pour tout le monde, et surtout pour le peuple yougoslave, dans toutes ses composantes ethniques.

Depuis 1945, et surtout depuis la fin de la guerre froide, qui a éliminé le principal obstacle à la coopération internationale, la Charte des Nations Unies est reconnue comme l'indispensable cadre de cette coopération.

De plus en plus de gouvernements, mais aussi de particuliers, se tournent vers l'ONU, qui voient comme l'instance au sein de laquelle peuvent être conclus des accords protégeant leurs intérêts.

Mais je ne vous apprends rien. En tant qu'élus du peuple, vous devez être à l'écoute de ceux qui vous élisent. Souvent, vous êtes la courroie de transmission entre la société civile, d'une part, et les gouvernements nationaux et les organisations internationales, de l'autre.

Vous savez l'importance que l'opinion, en Suède et ailleurs, attache à Action 21, le programme adopté par la Conférence de Rio en 1992 qui énonce les principes du développement durable.

Vous savez aussi combien l'opinion est révoltée par la cruauté des mines antipersonnel. C'est d'ailleurs sous la pression de vos électeurs, et de milliers d'autres personnes, que les gouvernements ont signé la Convention d'Ottawa.

C'est en partie grâce à vous et à d'autres parlements de par le monde que cette convention a été ratifiée par 81 pays et est entrée en vigueur. J'espère que d'autres parlements suivront bientôt votre exemple, notamment ceux des principaux pays qui fabriquent et exportent des mines terrestres et n'ont pas encore adhéré à la Convention.

Et, pour donner encore un exemple, vous savez fort bien ce que les Suédois, à l'instar des citoyens de nombreux autres pays, pensent des crimes contre l'humanité et de l'impunité dont jouissent trop souvent leurs auteurs. C'est un peu comme si le meurtre d'un millier de personnes était moins condamnable que celui d'une seule.

- 4 - SG/SM/7013 28 mai 1999

C'est sous la pression populaire internationale que les gouvernements ont adopté l'été dernier, à Rome, le Statut de la future Cour pénale internationale. J'en appelle aux parlementaires du monde entier pour qu'ils accélèrent la ratification du Statut. Il faut à tout prix éviter que le formidable élan qui a abouti à l'adoption du Statut ne se relâche et tout faire pour que la Cour voie le jour le plus tôt possible.

J'espère que le Statut sera ratifié et que la Cour pourra commencer ses travaux en décembre 2000. A l'aube d'un nouveau millénaire, ce sera là un merveilleux cadeau à offrir aux générations à venir.

Vos électeurs comprennent, j'en suis sûr, combien il est important pour la société mondiale de partager des valeurs et de disposer de normes codifiées dans des instruments internationaux, tout comme une communauté nationale ne peut survivre que si ses membres s'entendent sur un certain nombre de valeurs essentielles qui trouvent leur expression dans une législation nationale. Sans valeurs communes, sans normes acceptées, il est très difficile de maintenir l'unité d'une communauté. Cela vaut aussi pour ce que nous appelons la communauté internationale.

Ce qu'ils ignorent peut-être, parce qu'on n'en parle guère, c'est tout ce que l'Organisation des Nations Unies fait pour doter la communauté mondiale d'un cadre juridique international.

J'ai même le sentiment que certains membres de cette assemblée, aussi éminente soit-elle, n'ont jamais entendu parler de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI). Pourtant, grâce à son travail de normalisation des lois régissant les opérations commerciales, celle-ci joue un rôle essentiel dans la promotion du commerce international et la réduction du coût des transactions. La Commission est l'une des nombreuses entités du système des Nations Unies chargées de formuler, mettre à jour et développer les normes qui rendent possibles les échanges internationaux, qu'il s'agisse d'investissements, de biens ou d'information.

Lorsque certains prétendent que l'Organisation des Nations Unies n'a plus de raison d'être, je crois que c'est parce qu'ils négligent ou sous-estiment l'importance de ce travail de codification pour la gouvernance mondiale.

Demain, à l'Université de Lund, je parlerai plus en détail de l'action menée par l'Organisation des Nations Unies en faveur des droits de l'homme et du droit humanitaire. Je me bornerai aujourd'hui à vous rappeler que ces droits se fondent sur un principe plus général : la primauté du droit, qui distingue une société civilisée et sûre d'une société anarchique.

- 5 - SG/SM/7013 28 mai 1999

C'est vrai pour les Etats et c'est vrai pour le nouvel ordre international qui est en train de se mettre en place. Si nous n'avons pas de règles bien établies ou si nous ne les respectons pas, nous sommes condamnés à subir la loi de la jungle et à voir les plus forts écraser les plus faibles. C'est précisément pour éviter ce sort à l'humanité que l'Organisation des Nations Unies a été créée.

Dans cette tâche vitale qu'est la gouvernance mondiale, les parlementaires ont un rôle essentiel à jouer. Comme je viens de le dire, vous devez être à l'écoute de ceux qui vous élisent. Mais votre rôle ne s'arrête pas là. Vous devez aussi être des meneurs. Des éducateurs.

S'il n'ont personne pour les inspirer, les gens ont parfois tendance à s'enfermer dans des idées étriquées touchant à la défense frileuse d'intérêts locaux ou nationaux. C'est à vous qu'il incombe de mieux faire comprendre ce que représentent les intérêts nationaux. Vous devez expliquer que toutes les nations ont intérêt à oeuvrer de concert à la promotion de valeurs telles que la démocratie, le pluralisme, les droits de l'homme et, surtout, la primauté du droit.

Le droit international est un concept intéressant. Mais il n'est rien de plus tant qu'il n'est pas effectivement appliqué par la communauté internationale. En ma qualité de Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, je suis le dépositaire de plus de 500 conventions internationales. Je dis bien 500 conventions internationales. C'est un chiffre impressionnant, mais qui n'a de sens que si la teneur des conventions en question est reflétée dans les textes législatifs nationaux. C'est à vous, parlementaires, qu'incombe cette tâche, et vous ne pouvez vous en acquitter que si vous parvenez à faire comprendre les enjeux à l'opinion publique.

L'année prochaine, nous célébrons l'avènement du nouveau millénaire. Ce hasard du calendrier est pour nous l'occasion de faire quelque chose d'exceptionnel. Nombre d'entre vous savent sans doute qu'à l'automne, cette date mémorable sera marquée par le Sommet du millénaire, qui réunira les chefs d'Etat et de gouvernement de tous les Etats Membres de l'Organisation des Nations Unies.

J'espère que ce Sommet ne sera pas une simple grand-messe, mais plutôt un rassemblement universel au cours duquel l'humanité tout entière pourra réfléchir à ses priorités pour le siècle prochain. J'espère qu'il nous permettra de mieux cerner les objectifs de l'Organisation des Nations Unies et les stratégies à adopter pour les atteindre.

Pour que ces espoirs se réalisent, nous devons soigneusement préparer notre réunion. Nous devons avant tout faire preuve d'audace et d'imagination. Je m'engage, pour ma part, à apporter ma contribution, et je suis convaincu que les gouvernements feront de même. Mais je sais que notre succès dépend aussi de la participation d'autres acteurs.

- 6 - SG/SM/7013 28 mai 1999

Les organisations non gouvernementales seront au rendez-vous puisqu'elles vont organiser le Forum du millénaire au Siège de l'Organisation des Nations Unies au cours de l'été 2000. Vous aussi, parlementaires, avez un rôle essentiel à jouer. Je me réjouis que les présidents de tous les parlements du monde aient eux aussi décidé de se réunir. Je vous exhorte à nous faire part de vos idées et à essayer de les traduire en propositions constructives et réalistes qui nous inciterons à agir.

Réaliste ne signifie ni timoré, ni défaitiste. Le vrai réalisme est au contraire le fruit du courage et de la créativité, et j'espère que l'an prochain, lors de notre réunion, nous placerons la barre très haut.

Ce réalisme, vous les Suédois en avez fait preuve tout au long de votre histoire et dans la contribution exemplaire que vous avez apportée à la paix et au développement dans le monde.

Pour conclure, je tiens à rendre un hommage particulier à tous les Suédois, et ils sont nombreux, qui ont mis leur courage et leur créativité au service de l'Organisation des Nations Unies.

Je suis heureux que certains d'entre eux soient ici aujourd'hui. D'autres, bien entendu, ne sont plus parmi nous. Quelques-uns, comme Dag Hammarskjöld et Folke Bernadotte, sont allés jusqu'à donner leur vie pour la paix.

Alors que nous nous préparons à aborder le nouveau millénaire, laissons- nous guider par leur exemple.

Si vous le permettez, Madame la Présidente, je voudrais ajouter quelques mots au sujet du Kosovo. Je sais que nous y pensons tous. D'intenses efforts sont déployés pour trouver une solution politique au conflit. La semaine dernière, je suis allé en Macédoine et en Albanie. Ce fut une expérience douloureuse. J'ai entendu raconter de vive voix des histoires horribles, déchirantes, sur ce qui se passe au Kosovo.

J'ai vu, assise sur la route, une centenaire qui avait dû quitter sa maison le jour même et ne savait ni ce qui lui était arrivé, ni pourquoi elle était là, ni où elle allait. J'ai vu une mère qui cherchait refuge en Macédoine avec un bébé de trois semaines né alors qu'elle errait depuis deux mois.

Avant cela, je m'étais entretenu avec des membres du Gouvernement de Macédoine et je les avais encouragés à maintenir les frontières ouvertes, à laisser entrer les réfugiés et à les accueillir en tant que tels, sans leur coller, comme certains le font, l'étiquette de déportés dénués de tout droit. Ces gens sont déportés, ils sont réfugiés, et ils ont des droits.

- 7 - SG/SM/7013 28 mai 1999

J'ai parlé des droits de l'homme. Madame la Présidente, vous avez mentionné le cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Si ces droits avaient été respectés, les Kosovars ne seraient pas là où ils sont aujourd'hui. La tragédie à laquelle nous assistons au Kosovo est directement liée aux droits de l'homme. Oui, c'une catastrophe humanitaire mais ce sont les droits de l'homme qui sont fondamentalement au coeur de cette catastrophe.

J'espère qu'avec notre aide, les réfugiés pourront rentrer chez eux pour l'été. Il reste certaines questions épineuses à régler, certaines opinions à réconcilier au sein du G-8, avant que le Conseil de sécurité ne puisse adopter une résolution sur la question. Mais ce qui importe surtout, à mon sens, c'est que tout le monde pense aujourd'hui que les parties devraient s'en remettre à l'Organisation des Nations Unies pour la recherche d'une solution, et que le Conseil de sécurité devrait jouer un rôle central dans cette recherche.

Au début, lorsque le Conseil de sécurité était ignoré, nous craignions tous qu'il ne sorte affaibli de la crise. Si les parties se tournent à présent vers lui, ce qui semblait devoir l'affaiblir l'aura peut-être en fait renforcé en montrant à tous que tôt ou tard, il n'y a pas d'autre choix que de s'en remettre à lui. Nous espérons que ce choix se fera tôt plutôt que tard. Mais cela signifie que le Conseil et ses membres doivent être prêts à faire s'acquitter de leurs responsabilités dans des cas comme celui du Kosovo.

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