CONFERENCE DE PRESSE DU SECRETAIRE GENERAL DES NATIONS UNIES A L'ISSUE DE LA REUNION DE HAUT NIVEAU SUR LA CRISE DANS LES BALKANS
Communiqué de Presse
SG/SM/6993
CONFERENCE DE PRESSE DU SECRETAIRE GENERAL DES NATIONS UNIES A L'ISSUE DE LA REUNION DE HAUT NIVEAU SUR LA CRISE DANS LES BALKANS
19990520 On trouvera, ci-après, la transcription de la conférence de presse donnée le 14 mai 1999 par M. Kofi Annan, Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, à l'Office des Nations Unies à Genève. Le Secrétaire général était accompagné de Mme Sadako Ogata, Haut-Commissaire aux réfugiés, et de M. Sérgio Vieira de Mello, Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d'urgence.Le Secrétaire général : Tout d'abord, j'aimerais dire que nous avons eu deux excellentes journées de consultations au sein du système des Nations Unies et avec nos partenaires des organisations non gouvernementales. Nous nous sommes rencontrés dans un esprit de franchise, résolus à redoubler d'efforts pour faire face au défi humanitaire au Kosovo. Je pense que nous avons fait de réels progrès pour définir les domaines où nous pouvons faire davantage et mieux, ceux où nous pouvons unir nos efforts et ceux où nous pouvons les renforcer. Comme vous le savez, j'ai présenté hier mes deux envoyés spéciaux pour les Balkans, M. Carl Bildt, ex-premier ministre de la Suède, et M. Eduard Kukan, Ministre des affaires étrangères de la Slovaquie. Ils s'attacheront à intensifier la recherche d'une solution politique sur la base de mes propositions du 9 avril et de la déclaration du G-8 en Allemagne la semaine dernière.
J'annonce aujourd'hui que j'ai décidé de nommer M. Martin Griffiths Coordonnateur régional pour l'assistance des Nations Unies dans les Balkans. Il aura notamment pour mission de veiller à l'efficacité des relations entre les différents secteurs de l'aide, de coordonner l'ensemble des dispositions opérationnelles prises par le système des Nations Unies face à la crise, de dépister les lacunes de l'assistance et d'y remédier. Il s'efforcera d'anticiper afin que nous soyons prêts non seulement à faire face aux besoins immédiats mais aussi à l'évolution à moyen terme. Il sera basé à Skopje et de nombreux autres organismes des Nations Unies s'établiront aussi dans cette ville.
Demain, la mission d'évaluation, dirigée par le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires, M. Sérgio Vieira de Mello, partira pour la République fédérale de Yougoslavie afin de se rendre compte directement des besoins et de la situation au Kosovo ainsi que dans les autres parties de la République fédérale de Yougoslavie.
Une tâche délicate et difficile attend les membres de cette mission, mais je suis convaincu que si toutes les parties leur prêtent appui ils seront en mesure de nous faire franchement part des toutes dernières conséquences humanitaires de la crise au Kosovo.
Je peux vous annoncer aujourd'hui que j'ai décidé de me rendre moi-même dans la région la semaine prochaine. J'irai en Albanie et en [ex-République yougoslave] Macédoine afin de me rendre compte personnellement des souffrances qu'y endurent les gens et des conditions dans lesquelles ils sont hébergés ainsi que de l'immense fardeau que les deux pays d'asile supportent avec une angoisse compréhensible.
Je voudrais aussi souligner que j'irai pour témoigner de ma solidarité - et de celle de l'ensemble des Nations Unies - avec les Albanais du Kosovo qui souffrent et leur assurer que tous nos efforts visent à garantir leur retour rapide et en toute sécurité au Kosovo.
Vous le voyez : l'ONU ne reste pas inactive dans la crise du Kosovo, et ce sur de nombreux fronts, comme depuis le début. J'intensifie maintenant nos actions parce que l'hiver sera bientôt là et qu'il faut trouver le plus tôt possible une solution qui réponde aux exigences de la communauté internationale. Enfin, aussi aiguë et tragique qu'elle soit, l'actuelle crise humanitaire en Europe du Sud-Est ne doit pas nous conduire à détourner l'attention ni les ressources des autres situations d'urgence en Afrique, dans le Caucase, en Asie centrale ou ailleurs. Nous ne devons pas non plus négliger les conséquences des très nombreuses catastrophes naturelles ou environnementales dans le monde. L'ONU, avec les ONG qui sont ses partenaires, est déterminée à relever le défi humanitaire mondial, au Kosovo comme ailleurs.
Question : Monsieur le Secrétaire général, est-ce que, selon vous, vos activités et initiatives diplomatiques sont le présage ou le prélude d'une fin prochaine de la guerre en République fédérale de Yougoslavie ?
Le Secrétaire général : Je ne peux pas vous assurer que la paix est proche. Nous avons du pain sur la planche. Nous avons fait quelques progrès et nous allons poursuivre nos efforts et, comme je l'ai dit hier, mes envoyés oeuvreront sans relâche en collaboration avec d'autres pour trouver une solution politique.
- 3 - SG/SM/6993 20 mai 1999
Vous parlez de présage et vous demandez si la paix est proche, pour répondre à votre question il me faudrait une boule de cristal.
Question : Monsieur le Secrétaire général, les événements qu'on a vécus ces deux derniers jours et tout ce qui en ressort, si c'est une réponse à la crise humanitaire, on a l'impression que c'est venu un peu tardivement, si c'est pour anticiper la reconstruction, c'est un peu avant l'heure puisqu'il n'y a pas de solution politique. On a donc l'impression que ce que vous faites aujourd'hui est une tentative de trouver une solution politique sans toutefois vouloir l'avouer. Est-ce que vous partagez cette impression ?
Le Secrétaire général : C'est une opinion. C'est une opinion et je ne la discuterai pas. Mais laissez-moi vous dire qu'il est naturel et normal lorsqu'on entreprend une action grave et cruciale, de réunir tout le monde périodiquement pour faire le point de la situation, dire où l'on va, ce que l'on fait, ce que l'on devrait faire et comment faire mieux. Un tel effort n'est jamais tardif ni prématuré, il est permanent et fait partie de n'importe quelle activité majeure. Deuxièmement, est-ce qu'il s'agit de trouver une solution politique ? En effet, nous oeuvrons en faveur d'une telle solution. Nous travaillons avec d'autres dans ce but et il nous faut aussi comprendre que c'est aujourd'hui que nous devons nous préparer pour demain. C'est pourquoi l'on ne peut pas dire que parler de reconstruction à moyen terme ou à long terme, faire ce que nous faisons aujourd'hui, est prématuré, et qu'il faudrait attendre pour cela d'avoir la paix. Nous préparons la paix aujourd'hui. Nous préparons aujourd'hui l'exécution des décisions qui seront prises. Et je pense qu'il n'est que légitime, et j'en suis très heureux, qu'un aussi grand nombre de dirigeants d'ONG et que tous les chefs de secrétariat des institutions spécialisées étaient ici pour travailler avec nous sur cette base.
Question : Monsieur le Secrétaire général, pouvez-vous nous dire quelque chose de la réunion avec Strobe Talbott hier soir ? A-t-il pu vous donner des assurances sur l'évolution politique en Russie, qu'elle ne sera pas préjudiciable à la recherche diplomatique d'une solution à cette crise ?
Le Secrétaire général : M. Strobe Talbott et moi-même avons eu des conversations très cordiales et concrètes, et il m'a fait part de certains de ses entretiens en Russie et ailleurs et je lui ai pour ma part indiqué hier que j'espérais que, quelles que soient les difficultés découlant de la situation russe et de la situation chinoise, elles ne seraient pas insurmontables, mais de toute évidence je ne peux pas entrer dans le détail de nos discussions. Il n'y a pas longtemps, j'ai dit à New York que si je rapportais ce dont je parle avec les dirigeants du monde, demain ils ne me parleront plus que du temps, de leurs petits-enfants et de leurs vacances, et j'espère qu'ils auront la même attitude vis-à-vis de ce que je leur dis. Je vous prie donc de m'excuser si je ne vous donne pas de précisions, mais M. Strobe Talbott et moi-même avons eu une excellente conversation.
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Question : M. Annan, vous venez de mentionner votre souci que la crise du Kosovo ne détourne pas l'attention des autres régions du monde où il y a des problèmes. Je pense en particulier à une campagne analogue de frappes aériennes des Etats-Unis sur l'Iraq. On n'en entend plus du tout parler. Pouvez-vous nous communiquer les informations que vous avez à ce sujet sur ce qui se passe là-bas en ce moment ?
Le Secrétaire général : S'agissant de la première partie de votre question, à savoir que l'on n'entend plus parler du problème et que l'on ne voit pas grand-chose à la télévision, je pense que c'est moi qui devrais vous demander ce qui se passe. Je pense que c'est davantage votre responsabilité que la mienne. En ce qui concerne la seconde partie de votre question, le Conseil a créé trois groupes pour examiner le désarmement, les questions humanitaires et les prisonniers koweïtiens de guerre et les disparus. Les groupes ont soumis leur rapport au Conseil et celui-ci est en train de les examiner. Durant l'élaboration des rapports des groupes - des trois rapports -, le Conseil est apparu relativement en phase et a travaillé en harmonie. Cette harmonie résultait du fait que ses membres se penchaient sur des questions de méthode, mais lorsqu'ils ont été saisis des rapports, les divisions sont réapparues et des discussions sont en cours sur de nouvelles résolutions ou sur une nouvelle résolution. Quand pourront-ils s'entendre et élaborer une nouvelle politique et une nouvelle voie pour l'Iraq, je l'ignore. Dans l'intervalle, l'impasse continue et, vous avez raison, les bombardements aussi. Ils sont presque quotidiens et j'espère vraiment que nous allons trouver une issue. Nous poursuivons nos efforts humanitaires en Iraq et le programme «pétrole contre nourriture» doit être renouvelé à la fin de ce mois, nous approcherons les autorités iraquiennes à ce sujet, et j'espère que la transition sera harmonieuse et que la force aérienne là-bas sera maintenue.
Question : M. Annan, j'aimerais vous demander, étant donné l'accumulation de preuves selon lesquelles M. Milosevic est probablement responsable de l'épuration ethnique et de toute une série d'autres crimes de guerre, qu'il a été le responsable de la guerre en Bosnie-Herzégovine et ailleurs -est-ce que vous le considérez comme un partenaire approprié pour négocier la paix ? Est-ce que vous ne penseriez pas qu'il fait plutôt partie du problème que de la solution ?
Le Secrétaire général : Laissez-moi vous dire que dans des situations de ce type, lorsque l'on s'occupe de la paix, que l'on mène des négociations ou des activités humanitaires, que l'on parle de missions humanitaires, on a affaire avec ceux qui sont au pouvoir. Vous avez affaire avec ceux qui tiennent le territoire. Nous devons aussi être réalistes. Je pense qu'il y a un temps pour le réalisme et qu'il y a un temps pour l'idéalisme. Nous devons parfois traiter avec des agresseurs et même serrer leurs mains afin de sauver des vies. À la fin de pareils conflits, on ne fait pas la paix avec des amis, ni avec des anges, et je pense que nous devons être réalistes. Je sais que cette question a été posée à de multiples reprises.
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Quelle est l'autre solution ? Si l'on ne discute pas de ces questions avec le Président Milosevic qui est maître du territoire, comment est-ce que la mission de Mello aurait jamais pu voir le jour ? Comment pourrions-nous envisager le retour des réfugiés ? C'est lui qui doit retirer ses troupes militaires et paramilitaires pour que nous puissions introduire une force internationale et assurer le retour des réfugiés. Si nous ne traitons pas avec lui ni avec les responsables qui ont le territoire en main, comment pouvons-nous atteindre ces objectifs ? C'est ce que nous devrions nous demander lorsque nous sommes interpellés ou que l'on nous pose toutes ces questions. S'il y a de meilleures solutions, si nous pouvons agir sans parler avec les gens au pouvoir, pourriez-vous nous les indiquer, nous serons heureux de les appliquer.
Question : Monsieur le Secrétaire général, vous avez annoncé que vous vous rendrez la semaine prochaine en Albanie et dans l'ex-République yougoslave de Macédoine. Est-ce que ce voyage dans la région comprend également une visite à Belgrade ? Rencontrerez-vous aussi les représentants des Albanais du Kosovo ou s'agit-il uniquement d'un voyage pour vous rendre compte de la situation humanitaire dans les camps de réfugiés ?
Le Secrétaire général : Il s'agit de prendre la mesure de la situation humanitaire et de nos activités sur le terrain. Comme je l'ai dit, je serai accompagné de M. Dennis McNamara qui représente le HCR sur le terrain en tant qu'organisme chef de file et M. Martin Griffiths sera aussi avec nous. J'espère pouvoir me rendre auprès des réfugiés comme je l'ai dit, leur faire part de notre sympathie et de notre solidarité et également avoir des entretiens avec les gouvernements qui assument véritablement un très lourd fardeau. Nous n'avons souvent aucune idée des sacrifices qu'assument les pays d'accueil, les pays qui reçoivent les réfugiés, nous pensons souvent à l'argent qu'il faut donner alors qu'en réalité, dans certains cas et c'est vrai même dans ce cas-ci, ces pays ont offert davantage aux réfugiés en leur ouvrant leurs portes, par leur générosité - bien sûr il y a eu des tensions - que n'aurait pu le faire tout l'argent du monde et je souhaite aussi les remercier pour cela. Mon itinéraire ne passe pas par Belgrade. Je vous remercie.
Le Secrétaire général : Deux autres personnes se trouvent à mes côtés : Mme Sadako Ogata, chef du HCR, organisme chef de file et présent sur le terrain, et M. Sérgio Vieira de Mello.
Question : Monsieur le Secrétaire général, vous venez de répondre à la question que j'allais vous poser en confirmant que vous ne prévoyez pas de vous rendre à Belgrade. Mais si M. Milosevic vous le demandait, seriez-vous prêt à y aller ?
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Le Secrétaire général : Sachez qu'en pareilles circonstances, je ne me rends pas sur place parce qu'on me l'a demandé. J'y vais si les parties sont prêtes à engager de véritables pourparlers et si j'estime que ma présence pourra aider à trouver une solution. J'ai dit, et répété hier, que je proposais mes bons offices en tant que Secrétaire général et ceux de mes deux envoyés. Il n'est pas exclu que j'aille un jour à Belgrade, mais cela n'entre pas dans mes projets pour le moment.
Question : S'agissant des frappes de l'OTAN contre la Yougoslavie - il s'agit d'une attaque contre un pays souverain sans un mandat de l'ONU et même sans l'approbation des parlements des pays membres de l'OTAN. Est-ce que vous croyez que cela crée un précédent très dangereux pour la sécurité du monde ?
Le Secrétaire général : J'ai toujours insisté sur la primauté du droit et sur la nécessité de respecter la légalité. Au moment où la crise a éclaté, j'ai indiqué que le Conseil de sécurité avait un rôle essentiel à jouer lorsque la paix et la sécurité du monde étaient en jeu, et qu'il devait être associé à toute décision de recourir à la force. J'ai aussi souligné à cette occasion qu'il pouvait parfois être légitime d'employer la force pour rétablir la paix, ce dont nous avons plusieurs bons exemples, notamment la guerre du Golfe qui a abouti au retrait des troupes irakiennes du Koweït. Ma réponse à votre question est donc catégorique. Le Conseil de sécurité a un rôle de premier plan à jouer et les efforts actuellement déployés en faveur de la paix pourraient conduire à lui confier l'affaire. Il sera de nouveau saisi de la question et je pense que cela constituera une occasion très importante de réaffirmer le rôle central du Conseil, la primauté du droit, ainsi que la nécessité de tenir compte des précédents et de respecter les procédures établies.
Question : Monsieur le Secrétaire général, vous venez d'annoncer que vous alliez en Albanie et en Macédoine la semaine prochaine, il y a déjà beaucoup de monde là-bas, ne pensez-vous pas, que, pour l'heure, il serait plus utile d'aller à Pékin et à Moscou ?
Le Secrétaire général : Je suis allé à Moscou, et je suis en relation avec les Chinois.
Question : Monsieur le Secrétaire général, vous avez dit qu'il fallait se préparer au rétablissement de la paix. Pensez-vous que les Etats Membres, les pays donateurs, qui n'ont même pas honoré leur obligation d'atteindre l'objectif du HCR, seront disposés à financer des coûts de reconstruction qui se chiffreront en milliards ? Et à votre avis l'intervention de votre ex- collègue, le Président de la Finlande, M. Ahtisaari, est-elle de bon augure ?
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Le Secrétaire général : J'espère que les Etats Membres se montreront généreux. Tout le monde a un rôle à jouer, aussi bien les Etats que les individus et les ONG. La route sera longue, nous devons nous y préparer et il nous faudra consentir un effort soutenu sur le plan matériel, financier et humain. Cela vaut aussi pour vous, Mesdames et Messieurs les journalistes. Continuez à faire votre travail. Ne vous arrêtez pas quand le sang cessera de couler. La semaine dernière, lors d'une entrevue à l'ONU avec des correspondants de CNN du monde entier, je les ai encouragés à faire ce que j'appelle du journalisme préventif. Lorsqu'un problème risque de dégénérer en crise et en conflit meurtrier, les journalistes doivent sans cesse attirer l'attention sur ce danger et forcer ainsi les dirigeants à agir avant qu'un conflit n'éclate. Je sais bien que vous n'êtes pas seuls en cause et je m'adresse aussi aux groupes de presse qui se soucient de la «rentabilité». Il ne suffit pas de faire une apparition lorsque le sang se met à couler, puis de s'éclipser quand la situation s'améliore. La tâche est de longue haleine. Il faut continuer à informer l'opinion, à aiguillonner les dirigeants et à inciter les donateurs à contribuer au relèvement de la région.
En réponse à votre deuxième question, nous sommes à la recherche de solutions viables et durables. J'ai indiqué hier que mes envoyés allaient agir de concert avec tous ceux qui oeuvrent à la paix. Nous devons conjuguer nos efforts et bien les cibler pour qu'ils aient un maximum d'impact. L'important n'est pas de savoir qui participe à cette entreprise : il s'agit, je le répète, de coordonner les efforts et de les faire converger sur des objectifs précis.
Question : D'après certains fonctionnaires et amis de l'ONU, vous avez fait récemment une déclaration très novatrice les incitant à coopérer avec la presse. Or, on nous a dit hier, et je m'adresse aussi à M. de Mello, que l'équipe envoyée au Kosovo et en Yougoslavie avait décidé de ne pas emmener la presse. Serait-ce que vos subordonnés ne se conforment pas aux orientations que vous avez définies ?
Le Secrétaire général : Mes subordonnés suivent toujours les orientations que j'ai tracées et mes instructions, si ce n'est que parfois les choses ne sont pas entièrement de leur ressort. Je vais laisser M. de Mello vous expliquer pourquoi les journalistes n'ont pas été invités à se joindre à la mission. Vous savez que chaque fois que cela était possible, en Iraq, en Libye ou ailleurs, la presse m'a accompagné. Je cède la parole à M. de Mello.
Sérgio Vieira de Mello : Comme je l'ai dit hier et comme l'a fait savoir Nils Kastberg qui a négocié avec les autorités yougoslaves, il y a de nombreux journalistes étrangers à Belgrade, ce que le Gouvernement yougoslave a également indiqué. J'aimerais vous emmener tous avec nous, encore que certains ne tiendraient peut-être pas à être du voyage.
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Cela dit, il sera loisible à ceux d'entre vous qui peuvent se rendre à Belgrade de nous accompagner et d'assister aux conférences de presse que nous donnerons, si nécessaire, à Pristina, à Podgorica et ailleurs. Mais il nous est impossible de vous incorporer à l'équipe et de demander pour vous des visas.
Question : L'ONU a été reléguée à l'arrière-plan dans cette crise. Elle s'occupe fort honorablement de l'humanitaire, mais politiquement elle a été marginalisée. Comment vous-même vivez-vous cette situation et comment voyez- vous l'avenir ? On parle de reconstruction du Kosovo, de la Yougoslavie, mais l'ONU a déjà été affaiblie et sortira encore plus affaiblie dans cette crise - à moins qu'elle arrive à se ressaisir, on verra par la suite. Est-ce qu'il ne faudra pas reconstruire l'ONU pour lui permettre de jouer pleinement son rôle de prévention et de solution des crises internationales ?
Le Secrétaire général : Merci pour la question, cela me permettra d'expliquer certaines choses. Vous avez raison. La crise du Kosovo a touché l'Organisation. Mais j'espère qu'elle se ressaisira rapidement car nous vivons aujourd'hui dans un monde interdépendant et nous avons plus que jamais besoin de l'ONU. La communauté mondiale doit reposer sur des valeurs communes. Toute communauté - village, nation ou communauté internationale - a besoin de valeurs. Or, l'ONU défend précisément des valeurs générales - consacrées dans sa Charte, dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et dans tous les autres instruments qu'elle a adoptés. Toute nation ou tout groupe de nations qui décide de ne pas en tenir compte établit un précédent et crée une situation qui risque de nous hanter tous. Les événements du Kosovo, pour douloureux qu'ils soient, nous ont appris quelque chose et j'espère que l'on saura en tirer les conséquences. Nous avons vu, en particulier en Bosnie, que lorsque la communauté internationale se rassemble, travaille à l'unisson au Conseil de sécurité et fait pression sur les personnes et les dirigeants concernés, des progrès sont possibles. Nous avons également compris que même dans le cas du Kosovo, pour avoir une chance de parvenir à une solution réelle et durable, il faut s'adresser de nouveau au Conseil de sécurité. Je suis heureux de cette évolution et espère que c'est ce qui se passera effectivement, prouvant qu'on a besoin du Conseil et de l'ONU. Tôt ou tard, il faudra faire appel à l'Organisation. J'espère que ce sera bientôt. Malgré ce qui peut passer pour un effacement initial, l'Organisation peut fort bien reprendre les rênes et jouer de nouveau un rôle de premier plan.
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