En cours au Siège de l'ONU

SG/SM/6997

REPOSER SUR UN CONSEIL DE SECURITE REVITALISE ET PLUS EFFICACE

18 mai 1999


Communiqué de Presse
SG/SM/6997


REPOSER SUR UN CONSEIL DE SECURITE REVITALISE ET PLUS EFFICACE

19990518 On trouvera, ci-après, le discours du Secrétaire général, M. Kofi Annan, à l'occasion du Centenaire de la première conférence internationale de la paix à La Haye, le 18 mai 1999 :

C'est pour moi un privilège que de me joindre à vous aujourd'hui pour cette commémoration historique. Nous sommes réunis, alors que la guerre fait rage, pour réfléchir au prix de la paix. Nous sommes ici pour rendre hommage à des visionnaires, des hommes et des femmes qui voulaient que le XXe siècle soit plus pacifique que le précédent. Nous sommes ici pour célébrer la force de l’espoir dans la vie des hommes.

Toutefois, ce n'est pas seulement l'espoir, mais aussi la crainte, qui nous rassemble aujourd'hui : la crainte de voir se répéter les horreurs de la guerre et du génocide qui ont marqué notre siècle et que personne, à la Conférence de La Haye en 1899, n'aurait pu imaginer.

Le combat pour la paix n’est que plus pressant, plus nécessaire et plus juste qu’il y a cent ans. La cérémonie d’aujourd’hui est assombrie par une guerre qui rappelle ce que notre siècle a connu de pire : les crimes contre l'humanité, les massacres et l'expulsion de tout un peuple coupable d’exister. Devant de pareilles horreurs, comment ne pas perdre foi dans l'humanité ?

Si, à la fin de ce siècle torturé, l'Europe doit encore assister à des crimes comme ceux qui sont commis au Kosovo, peut-on vraiment parler de progrès de l'humanité ? Peut-on prétendre que des conférences comme celles de La Haye nous ont retenus au bord du gouffre, alors que nous y plongeons, dans ce gouffre, chaque fois que nous allumons la télévision ?

Je voudrais aujourd'hui apporter à ces question une réponse qui soit porteuse d'espoir pour l'avenir, tout en montrant tout le chemin encore à parcourir pour concrétiser le projet de ceux dont nous honorons la mémoire.

Quand ils se sont rassemblés il y a 100 ans, les participants à la Conférence de la Haye n’avaient pas pour but de mettre fin à une guerre, mais d'en prévenir de futures. Ils étaient, en fait, les pionniers de la prévention des conflits. Ils voulaient, en élaborant des instruments de règlement pacifique des crises, de prévention des guerres et de codification du droit de la guerre, introduire un minimum d’humanité dans ce que l’expérience humaine a de plus inhumain.

Leurs efforts étaient mus, comme le dit le préambule, par la "volonté de diminuer les maux de la guerre, autant que les exigences militaires le permettent". Ces mots donnent une bonne idée de ce que les conférences de La Haye ont accompli et de ce qu’elles n’ont pu accomplir. Elles ont échoué principalement dans le domaine de la réduction des armements, mais elles ont été instrument de progrès pour le règlement pacifique des différends internationaux. Elles ont permis de surmonter bien des crises grâce à l'arbitrage international, qu’elles ont défini et codifié. Elles ont fait naître l'idée d'une cour internationale permanente, laquelle a débouché en 1922 sur la création de la Cour permanente de justice internationale, devancière de l’actuelle Cour internationale de Justice.

On pourrait aller jusqu’à dire que l'esprit et les idées qui ont inspiré la Conférence de La Haye ont ouvert la voie à la création de l'Organisation des Nations Unies elle-même. La Charte des Nations Unies a posé les bases juridiques de la paix et de la sécurité internationales en imposant aux Etats signataires toute une série de restrictions quant au recours à la force.

Il ressort clairement non seulement de l'état actuel du droit international, mais aussi de la réalité des conflits d'aujourd'hui, qu'instaurer la coexistence pacifique entre les nations est une entreprise de longue haleine requérant une détermination à toute épreuve. Depuis 1996, le Traité sur l'interdiction complète des essais nucléaires a été adopté, les Conventions sur l'interdiction des armes chimiques et des mines terrestres sont entrées en vigueur et, surtout, le Statut de la Cour pénale internationale a vu le jour à Rome.

La Cour pénale internationale est à mon sens l’instrument le plus important dont la communauté internationale se soit récemment dotée pour faire triompher la justice, les droits de l'homme et l’Etat de droit. Avec l'adoption du Statut de Rome, un pas de géant a été fait dans l'universalisation du combat contre l'impunité : aucun pays, aucun dirigeant et aucune groupe armé coupable de crimes contre l’humanité commune ne peut désormais se croire à l'abri. Toutefois, pour instaurer la prééminence du droit dans les relations entre les Etats, il ne suffit pas d’adopter des instruments juridiques internationaux. C'est le respect de ces instruments qui se trouve au coeur du système que nous voulons mettre en place.

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C'est pourquoi nos efforts pour promouvoir la paix et la sécurité internationales au siècle prochain doivent reposer sur un Conseil de sécurité revitalisé et plus efficace. Depuis la fin de la guerre froide, le Conseil s’est bien souvent montré à la hauteur de nos attentes en autorisant des opérations de maintien de la paix la paix et en légitimant le recours à la force lorsque la justice et les circonstances l’exigeaient.

En Amérique centrale et dans le conflit Iraq-Koweït, le Conseil a clairement démontré qu’il était capable de s’acquitter du rôle que les fondateurs de l'Organisation souhaitaient lui voir jouer.

Toutefois, depuis un certain temps, il est dans une certaine mesure mis à l'écart. C’est une fâcheuse tendance. Comme l’illustre très bien le cas du Kosovo, des Etats Membres et des organisations régionales prennent des mesures coercitives sans son autorisation. D’autres Etats ou organisations régionales font fi des sanctions qu’il impose ou refusent de coopérer avec lui, qu'il s'agisse de désarmement, de non-prolifération, des activités du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et des missions d'enquête sur les droits de l'homme dépêchées par les Nations Unies.

Certes, les intérêts nationaux jouent toujours un grand rôle lorsque des Etats décident de ne pas s’en remettre au régime de sécurité collective. En outre, la prolifération des dispositifs régionaux et sous-régionaux, la préférence manifestée pour ce que l'on appelle "coalitions de pays disposés à agir", les divergences d'opinion de plus en plus fréquentes au sein du Conseil et l'apparition de la superpuissance unique et de nouvelles puissances régionales sont autant de facteurs qui ont contribué à la situation actuelle.

Le plus préoccupant est, à mon sens, le fait que les Etats soient incapables de concilier leurs intérêts nationaux lorsqu’une diplomatie habile et clairvoyante rendrait l'unité possible. Les intérêts nationaux sont toujours entré en jeu dans les relations internationales et dans l'action du Conseil de sécurité. Mais, alors que le monde a beaucoup changé depuis la fin de la guerre froide, je crois que notre conception des intérêts nationaux n'a pas suivi et que cela doit changer.

Je suis convaincu que s’ils adoptaient une définition nouvelle, plus large et plus ouverte, des intérêts nationaux, les Etats pourraient au siècle prochain s’unir bien plus étroitement dans la défense de valeurs fondamentales de la Charte telles que la démocratie, le pluralisme, le respect des droits de l'homme et la prééminence du droit.

Le cas du Kosovo illustre parfaitement mon propos.

Vous vous souviendrez que j’ai dit deux choses quand l'OTAN a décidé de prendre des mesures coercitives sans demander l'autorisation expresse du Conseil de sécurité. J’ai souligné que le Conseil de sécurité avait la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales; mais j’ai fait valoir avec la même insistance

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que c'était le rejet d'un règlement politique par les autorités yougoslaves qui avait rendu ces mesures indispensables et qu'"à certains moments, le recours à la force peut être légitime dans la recherche de la paix".

J'ai regretté alors — et je regrette toujours — que le Conseil n'ait pas su réconcilier ces deux priorités et intérêts également impérieux de la communauté internationale. En effet, il est clair que si le Conseil de sécurité ne retrouve pas sa position prépondérante en tant que source unique de légitimité pour le recours à la force, nous risquons de sombrer dans l'anarchie. Mais il est tout aussi vrai que si le Conseil de sécurité ne peut s’élever d’une seule voix contre les violations systématiques des droits de l'homme et les crimes contre l'humanité du type de ceux qui sont commis au Kosovo, les idéaux qui ont inspiré la création de l'Organisation des Nations Unies seront trahis.

C'est là le défi que doivent relever les Membres du Conseil de sécurité et de l'Organisation des Nations Unies tout entière au siècle prochain : s’unir autour du principe selon lequel les violations massives et systématiques des droits fondamentaux de tout un peuple sont intolérables. En effet, alors que la mondialisation érode le contrôle qu’ils exercent sur leur économie, leurs politiques financières, les dégradations de l'environnement et les mouvements de population, les Etats ne peuvent et ne doivent pas conserver pour ultime droit celui d'asservir, de persécuter ou de torturer leurs propres citoyens.

En d'autres termes, il ne doit pas s'agir d’un choix entre l'unité du Conseil de sécurité et l'inaction face au génocide, comme au Rwanda, et la division du Conseil et l'action régionale, comme au Kosovo. Dans les deux cas, les Etats Membres de l'Organisation des Nations Unies auraient dû pouvoir trouver un terrain d'entente pour faire prévaloir les principes de la Charte et parler d'une seule voix pour défendre l’humanité.

À l'aube d'un nouveau millénaire, c’est à cela que nous aspirons : une Organisation des Nations Unies qui soit capable de s'adapter dans un monde dynamique et en mutation, qui respecte la souveraineté des Etats et qui sache faire preuve de détermination dans sa défense des droits et des libertés des peuples du monde.

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