En cours au Siège de l'ONU

SG/SM/6995

SANS CACHER SA FRUSTRATION FACE A L'ETAT DE LA PAIX DANS LE MONDE, KOFI ANNAN SOULIGNE LE CARACTERE REALISTE DU REGLEMENT PACIFIQUE DES CONFLITS

17 mai 1999


Communiqué de Presse
SG/SM/6995


SANS CACHER SA FRUSTRATION FACE A L'ETAT DE LA PAIX DANS LE MONDE, KOFI ANNAN SOULIGNE LE CARACTERE REALISTE DU REGLEMENT PACIFIQUE DES CONFLITS

19990517 Il appelle la société civile à faire comprendre aux dirigeants que le crime le plus grave est de ne pas saisir l'occasion de faire la paix

Vous trouverez, ci-dessous, l'allocution faite par le Secrétaire général des Nations Unies, M. Kofi Annan, à la Conférence "Appel pour la paix" :

Chère Cora, Chers amis et compagnons de lutte pour la paix,

Merci pour ce merveilleux accueil!

Il m’est difficile de vous dire à quel point votre présence à tous me réconforte. Et ce n'est pas seulement votre nombre qui me frappe, bien qu'en lui-même il soit impressionnant. C’est aussi la diversité des pays, des continents et des mouvements que vous représentez. Ce qui est réconfortant, c'est que dans tant de régions du monde, tant de gens se consacrent à la cause de la paix de manières si différentes.

Pas seulement en votant tous les quatre ou cinq ans. Pas seulement en donnant à l'occasion quelques dollars, quelques florins, ou même quelques euros ! Pas seulement en signant une pétition que quelqu'un leur met sous le nez. En faisant un véritable effort, chaque jour, pour que les choses changent.

Comme vous le savez, l'Organisation des Nations Unies est une association d'Etats. Certains esprits malveillants y voient même un syndicat de gouvernements. Mais j'ai toujours eu le sentiment que l'ONU devait être beaucoup plus si elle voulait vraiment faire une différence dans le monde.

Ce n’est pas par hasard que nos fondateurs ont choisi comme premiers mots de la Charte des Nations Unies "Nous, les peuples". Ils savaient que les Etats existent pour servir les peuples, et non l’inverse.

Le monde était alors au sortir d'une guerre qui avait fait plus de 50 millions de victimes, dévasté des pays entiers, réduit des villes prestigieuses à l'état de ruines fumantes.

Nos fondateurs savaient que les peuples du monde entier comptaient sur eux pour qu'un tel cauchemar ne se reproduise jamais. C'est cet espoir, cette attente, qu'ils ont exprimé de manière inoubliable par des mots qui résonnent à nos oreilles depuis des décennies : "résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre".

Mes amis, je ne peux prononcer ces mots devant vous sans ressentir un profond sentiment de frustration. Nous savons tous que nous sommes encore loin, très loin de répondre à cette attente.

Pardonnez-moi si ma première pensée est pour mes frères africains qui subissent aujourd'hui, en ce moment même, le fléau de la guerre. Le génocide perpétré au Rwanda et les conflits ultérieurs en République démocratique du Congo ont au moins été couverts par la presse du monde entier, à défaut de susciter une réaction efficace de la communauté internationale. Mais d’autres guerres à peine moins meurtrières sont pratiquement ignorées.

Au Congo-Brazzaville, un conflit passé pratiquement inaperçu dans le reste du monde a fait des milliers de victimes. Pendant les quatre premiers mois de cette année seulement, la reprise de la guerre civile en Angola a contraint 780 000 personnes à fuir leurs foyers, portant le nombre de déplacés à quelque 1,5 million.

Le conflit entre l'Ethiopie et l'Erythrée, où des affrontements par vagues de combattants se sont soldés par des milliers de blessés ou de morts, a fait plus de 550 000 déplacés. Fuyant un conflit marqué par la sauvagerie, les viols et les assassinats qui déchire la Sierra Leone depuis huit ans, quelque 440 000 personnes se sont réfugiées en Guinée et au Libéria. C’est sans compter les quelque 310 000 personnes qui sont déplacées à l'intérieur de la Sierra Leone. Au Soudan, depuis 1983, la plus longue guerre civile d'Afrique a causé près de 2 millions de morts.

Sur l'ensemble du continent africain, il y a aujourd'hui environ quatre millions de réfugiés et probablement au moins dix millions de personnes déplacées.

C’est l'Afrique qui connaît le plus grand nombre de conflits, mais aucune région du monde n'est épargnée. Ce matin, nous pensons en particulier à ce qui se passe ici, en Europe. Ce continent où se sont déclenchées deux guerres mondiales au début du siècle voit, 50 ans plus tard, resurgir le fléau de la guerre dans toute son horreur.

- 3 - SG/SM/6995 17 mai 1999

Pendant la présente décennie, nous avons assisté, dans l'ex-Yougoslavie, à des scènes qu’en 1945, l'Europe pensait révolues pour toujours. Et depuis deux mois, au Kosovo, ces scènes atteignent le sommet de l'horreur. Des villages brûlés. Des familles chassées de leurs foyers sous la menace des armes. Des hommes séparés de leur famille et emmenés; un grand nombre d’entre eux apparemment massacrés de sang froid. Des villes entières et des campagnes vidées de leur population. Des gens entassés dans des wagons. Des routes encombrées de réfugiés. Des villes de toile surgissant du jour au lendemain dans des zones frontalières auparavant désertes, où se bousculent aujourd'hui des milliers et des milliers de personnes déracinées et désemparées.

Qui d’entre nous ne s’est pas indigné en voyant ces scènes, en en entendant le récit ? Qui d’entre nous n’a pas pensé qu'il fallait faire quelque chose pour y mettre fin — agir rapidement, énergiquement et efficacement ? Et qui d’entre nous n’a pas, dans le même temps, craint les conséquences qu’aurait cette situation pour le monde entier et pour l'Organisation des Nations Unies elle-même ?

Tout en appuyant et en encourageant tous ceux qui s'efforçaient de rechercher une solution pacifique au Kosovo, j'ai dit publiquement — dès juin dernier — qu'il faudrait peut-être un jour recourir à la force. J'ai alors exprimé l'espoir que si tel était le cas, le Conseil de sécurité assumerait cette lourde responsabilité.

Aujourd'hui, il serait vain de se demander “à qui la faute ?” Il ne fait aucun doute que chacun d'entre nous aurait pu et aurait dû en faire plus. Ce qui importe à présent, c'est que la paix soit rétablie le plus tôt possible. Il faut rechercher une solution politique fondée sur l'état de droit, qui rende justice aux victimes et garantisse leur sécurité.

La déclaration que le Groupe des Huit a faite la semaine dernière est un pas important dans la bonne direction et je tiens à réaffirmer que je la soutiens. Mes propres envoyés, Carl Bildt et Eduard Kukan, n'épargnent aucun effort pour trouver un règlement politique à la crise, ainsi que pour en préparer et essayer d’en garantir la mise en oeuvre.

Chers amis, voici ce que je voudrais vous dire à présent :

Ne perdez pas espoir.

Ne perdez pas courage.

Et, surtout, ne baissez pas les bras!

Nul n'a jamais promis qu'il serait facile de délivrer la planète du fléau de la guerre, si profondément ancré dans l'histoire de l'humanité, voire dans la nature humaine.

- 4 - SG/SM/6995 17 mai 1999

Nul n'a jamais dit que nous n'essuierions aucun échec.

Nul n’a jamais garanti que la voie à suivre se dessinerait toujours clairement, ni que les partisans de la paix, aussi sincère soient-ils, ne seraient jamais divisés.

Nous souhaitons tous la paix. Nous souhaitons tous la justice. Nul ne veut avoir à choisir entre les deux. Nous savons tous instinctivement qu'elles sont indissociables. L'injustice n'est-elle pas l'une des causes principales des guerres et des conflits ? Sans justice, peut-il y avoir une paix véritable et durable ?

De manière générale, je suis convaincu que la réponse est non. Si les revendications légitimes de certains groupes sont constamment rejetées ou ignorées, leur colère se transformera tôt ou tard en explosion de violence. Nous en sommes tous conscients.

Mais ne savons-nous pas aussi que le fait d'exiger une justice parfaite risque parfois de prolonger les conflits ?

Est-il un choix plus admirable que celui qu'a fait la nouvelle Afrique du Sud, à savoir la vérité et la réconciliation plutôt que la justice absolue ?

Comment pourrions-nous encore espérer la paix si nous insistions pour que toutes les souffrances imposées aux peuples autochtones du monde entier durant 500 ans de colonialisme soient pleinement réparées ?

En vérité, il est impossible de faire réparation à ceux qui ne sont plus. Mais ce que ceux-ci peuvent attendre de nous, c’est que nous fassions tout pour épargner à ceux qui vivent, et à ceux qui vivront après nous, les supplices qui leur ont été infligés.

Certes, nous devons mettre fin au règne de l'impunité. Nous pouvons et devons appuyer sans réserve le Tribunal pénal international pour l’ex- Yougoslavie, qui est basé ici-même, à la Haye, et est chargé de poursuivre les auteurs de crimes contre l’humanité. Nous devons accélérer la mise en place de la Cour pénale internationale — et je rends une fois de plus hommage aux groupes de volontaires du monde entier, dont beaucoup sont représentés ici aujourd'hui, qui ont contribué de façon extraordinaire à l'adoption du Statut de la Cour à Rome, l'année dernière. Je tiens aussi à saluer la campagne lancée par Amnesty International, La Fédération internationale pour les droits de l’homme et Human Rights Watch pour inciter les Etats Membres de l’Organisation des Nations Unies à ratifier ce Statut.

Si nous faisons tout cela, c’est tournés vers l’avenir et non vers le passé; ce n'est pas pour perpétuer la guerre mais pour établir solidement la paix.

- 5 - SG/SM/6995 17 mai 1999

Nous ne devons pas nous laisser décourager par les conflits qui perdurent en Afrique, en Europe et ailleurs.

Il est faux de dire que nous n’avançons pas.

De nombreux conflits ont été surmontés. Beaucoup d'autres ont été prévenus grâce au règlement pacifique des différends. C'est précisément ce qui explique que nous n'y pensions jamais, voire que nous n'en ayons jamais entendu parler.

Je vous recommande particulièrement une nouvelle publication des Nations Unies, disponible pour la première fois à l'occasion de la présente conférence et consacrée au règlement pacifique de graves différends internationaux. Vous y trouverez des directives sur la négociation, fondées sur l'étude de différends très sérieux qui auraient pu nuire terriblement à la paix mondiale s'ils n'avaient pas été réglés de manière pacifique, à savoir le différend frontalier entre la Russie et la Chine, et les tensions entre les Etats-Unis et l'Union soviétique à propos des arsenaux nucléaires.

Vous voyez donc, chers amis, que cette quête est réaliste. Il est possible de régler pacifiquement les différends. Il est possible de mettre fin aux guerres. Il est même possible de les prévenir.

Cela requiert de la sagesse et une certaine hauteur de vues de la part des dirigeants politiques, ainsi que de la patience et de l'habileté sur le plan diplomatique. Mais le facteur le plus important est peut-être un changement profond au sein de la société civile — la création d'une culture dans laquelle les hommes d'Etat et les diplomates sachent ce que l'on attend d'eux et comprennent qu'aux yeux de leurs concitoyens, le crime le plus grave n'est pas de renoncer à un intérêt national réel ou imaginaire mais de négliger l'occasion de faire la paix et de condamner ainsi leur peuple aux souffrances indicibles engendrées par la guerre.

Chers amis, c'est vous — et d’autres tels que vous, dans le monde entier — qui provoquez petit à petit ce changement profond et indispensable.

Du fond du coeur, je vous remercie à nouveau et je vous dis :

Ne baissez pas les bras!

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