SG/SM/6949

LE SECRETAIRE GENERAL DEVANT LA COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME: J'AI FAIT DES DROITS DE L'HOMME LA PRIORITE DANS CHAQUE PROGRAMME DE L'ONU

7 avril 1999


Communiqué de Presse
SG/SM/6949
HR/CN/898


LE SECRETAIRE GENERAL DEVANT LA COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME: J'AI FAIT DES DROITS DE L'HOMME LA PRIORITE DANS CHAQUE PROGRAMME DE L'ONU

19990407 On trouvera ci-après le texte de la déclaration faite à midi par le Secrétaire général des Nations Unies, M. Kofi Annan, devant la Commission des droits de l'homme, qui tient à Genève sa cinquante-cinquième session :

"C'est pour moi un très grand plaisir que de prendre la parole devant vous à l'occasion de la dernière session de ce siècle de la Commission des droits de l'homme. Année après année, votre détermination à lutter contre les violations des droits de l'homme et à établir des normes de protection de ces droits marque l'histoire et contribue à sauver des vies.

Cette année, toutefois, à l'aube d'un nouveau siècle pour les droits de l'homme - mais aussi, malheureusement, devant les nouvelles menaces qui pèsent sur ces droits - je salue votre détermination à asseoir sur des bases solides les droits des générations futures.

En tant que Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, j'ai fait des droits de l'homme une priorité dans chaque programme que l'ONU lance et dans chaque mission que nous entreprenons. Je l'ai fait parce que la promotion et la défense des droits de l'homme sont au coeur de chaque aspect de notre travail et de chaque article de notre Charte.

Par-dessus tout, je considère que les droits de l'homme sont le ciment de notre lien sacré avec les peuples des Nations Unies.

Lorsque des civils sont attaqués et massacrés en raison de leur origine ethnique, comme au Kosovo, le monde se tourne vers l'Organisation des Nations Unies pour qu'elle parle en leur nom. Lorsque des hommes, des femmes et des enfants sont agressés et mutilés, comme en Sierra Leone, là encore le monde se tourne vers l'Organisation des Nations Unies. Lorsque des femmes et des petites filles se voient nier leur droit à l'égalité, comme en Afghanistan, le monde se tourne vers l'Organisation des Nations Unies pour qu'elle prenne position.

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Davantage peut-être que dans tout autre aspect de notre travail, la lutte pour les droits de l'homme fait écho à l'universalité de notre Organisation et concerne directement l'existence de ceux qui sont le plus dans le besoin - ceux qui sont torturés, opprimés, réduits au silence, ceux qui sont victimes de la "purification ethnique" et de l'injustice.

Si, devant de telles violences, nous ne faisons pas entendre notre voix et notre indignation, si nous ne faisons rien pour défendre les droits de l'homme et promouvoir leur universalité durable, qu'aurons-nous à dire aux peuples des Nations Unies?

Dirons-nous que les droits sont relatifs, ou que ce qui se passe à l'intérieur des frontières ne peut être du ressort d'une organisation d'Etats souverains ? Non, nous ne le ferons pas, nous ne pouvons pas le faire. En cette fin de XXème siècle, une chose est claire : l'Organisation des Nations Unies ne peut prétendre être ce qu'elle est que si elle s'érige en défenseur opiniâtre des droits de l'homme.

À l'aube d'un nouveau millénaire, nous savons où commence et où finit notre mission en faveur des droits de l'homme: elle réside dans l'individu et dans ses droits universels et inaliénables, à savoir les droits de parler, d'agir, de grandir, d'apprendre et de vivre selon sa conscience.

Pour chaque droit que nous proclamons, des centaines d'abus sont commis quotidiennement. Pour chaque voix dont nous garantissons la liberté, de nombreuses autres sont encore en péril. Pour chaque femme ou chaque fillette dont nous soutenons le droit à l'égalité, des milliers d'autres sont en butte à la discrimination ou à la violence.

Pour chaque enfant dont nous défendons le droit à l'éducation et à une enfance paisible, trop nombreux sont ceux qui restent hors de notre portée. En vérité, notre tâche ne s'achève jamais.

La Commission des droits de l'homme peut s'enorgueillir d'avoir été l'architecte de la structure internationale des droits dont nous disposons aujourd'hui. De cette Commission émanent la Déclaration universelle des droits de l'homme et les conventions obligatoires qui, ensemble, forment un code international des droits de l'homme.

Qu'il s'agisse de la lutte pour l'égalité entre les sexes et pour les droits de la femme, de l'élimination de la discrimination raciale ou de la protection des droits des minorités et des peuples autochtones, la Commission a joué un rôle de pionnier en établissant des normes et en prônant plus de justice.

Au niveau crucial de la mise en oeuvre, vous avez grandement contribué à promouvoir les droits économiques, sociaux et culturels et vos travaux sur le droit au développement ont ouvert de nouveaux horizons dans le domaine des droits de l'homme.

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En reconnaissant que les droits de l'homme sont intimement imbriqués, indivisibles et interdépendants, vous avez veillé à ce que la réalisation des droits sociaux et économiques aille de pair avec le respect des droits politiques et civils.

Par le biais de la coopération technique pour les droits de l'homme aux échelons local, national et régional, vous vous êtes employés à introduire ces droits là où ils doivent être appliqués: dans l'existence des plus faibles, des plus vulnérables de notre planète.

Enfin, dans l'importante entreprise consistant à mettre en oeuvre la Convention relative aux droits de l'enfant dont nous célébrons cette année le dixième anniversaire, vous avez réaffirmé le principe selon lequel les droits de l'homme doivent être accordés dès la naissance.

De toutes ces réalisations, vous pouvez être fiers. Si, pour paraphraser Eleanor Roosevelt, les droits de l'homme prennent leur source dans des lieux modestes, il est également vrai qu'ils doivent être soutenus, renforcés, renouvelés et appliqués par de grandes institutions telles que l'Organisation des Nations Unies.

Ainsi pourrons-nous avoir la certitude que la toile mondiale des droits de l'homme que nous avons tissée permettra d'assurer à chaque homme, à chaque femme et à chaque enfant le respect de sa dignité et celui de l'humanité.

Or, comme vous ne le savez que trop bien, des violations flagrantes et choquantes des droits de l'homme continuent d'être commises quotidiennement de par le monde: elles sont un affront pour la conscience mondiale, un outrage pour toutes les personnes de bonne volonté, une menace pour le sentiment profond de l'appartenance au genre humain. Si nous ne pouvons répondre à de tels agissements, si nous ne pouvons intervenir là où la détresse est la plus grande, les fondations que nous posons par ailleurs s'écrouleront sous le poids de ces violations.

La Commission des droits de l'homme a fait ce constat il y a longtemps déjà. En adhérant à l'ONU, les pays en développement, en particulier, se sont attachés à rendre l'Organisation mieux à même de réagir face à des violations flagrantes des droits de l'homme. Depuis lors, toutes sortes de groupes de travail, de rapporteurs spéciaux, de représentants, d'envoyés et d'experts des droits de l'homme se sont rendus dans diverses régions du monde pour planter l'étendard des droits de l'homme, élargir le champ d'action de votre Commission et offrir aux victimes l'espoir d'un avenir meilleur, plus libre et moins répressif.

Les réalisations des 50 dernières années trouvent leur origine dans l'acceptation universelle des droits énumérés dans la Déclaration universelle ainsi que dans l'horreur tout aussi universelle inspirée par des pratiques pour lesquelles il ne peut y avoir aucune excuse dans aucune culture et dans aucune circonstance.

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Qui dans cette salle -ou n'importe où ailleurs dans le monde- refuserait de reconnaître la cruauté de la torture? Qui justifierait la pratique inqualifiable de la "purification ethnique"? Qui défendrait l'esclavage ou prendrait position en faveur de la discrimination raciale, sexuelle ou religieuse? Qui prônerait une justice arbitraire ou extrajudiciaire?

Vous pensez peut-être qu'il existe des personnes qui pensent ainsi mais disons-le d'une seule voix, elles ne l'emporteront pas.

Cela dit, je pense qu'il ne suffit pas que l'on sache contre quoi nous sommes. Le monde doit aussi savoir contre qui nous sommes, pas moins. À l'ère des droits de l'homme, l'Organisation des Nations Unies doit avoir le courage de reconnaître que, de même qu'il y a des objectifs communs, il y a aussi des ennemis communs. Personne ne doit douter que pour les auteurs de massacres, les responsables de la purification ethnique et ceux qui se rendent coupables de violations flagrantes et choquantes des droits de l'homme, l'impunité est inacceptable.

L'Organisation des Nations Unies ne sera jamais leur refuge et la Charte ne sera jamais pour eux une source de soutien ou de justification.

Ce sont nos ennemis, quelles que soient leur race, leur religion ou leur nation, et seule leur défaite permettra à cette grande Organisation de tenir ses promesses.

Cette année, j'ai choisi de m'appesantir non seulement sur nos buts communs et nos réalisations partagées, mais aussi sur l'ampleur des atteintes aux droits de l'homme auxquelles nous sommes résolus à mettre fin.

J'ai cherché en particulier à attirer votre attention sur l'importance qu'il y avait à combattre les violations des droits de l'homme les plus révoltantes, les violations flagrantes au nombre desquelles figurent trop souvent des exécutions sommaires, des déplacements forcés massifs, des massacres et des attaques sans discrimination contre des civils.

Je l'ai fait parce que cette session de la Commission des droits de l'homme, qui est la dernière du XXème siècle, se tient dans un climat fortement assombri par le crime de génocide.

Parmi toutes les violations flagrantes, le génocide n'a pas d'équivalent dans l'histoire de l'humanité. Le paradoxe tragique de cette ère des droits de l'homme -où ceux qui jouissent des droits de l'homme sont peut-être plus nombreux que jamais dans l'histoire- est qu'elle a été à maintes reprises ternie par des accès de violence aveugle et des tueries organisées. Au Cambodge, dans les années 70, près de deux millions de personnes ont été tuées par le régime de PolPot. Et au cours de la présente décennie, de la Bosnie au Rwanda, des milliers et des milliers d'être humains ont été massacrés parce qu'ils appartenaient à la mauvaise ethnie.

- 4 - SG/SM/6949 HR/CN/898 7 avril 1999

Bien que nous n'ayons pas d'observateurs indépendants sur le terrain, certains signes donnent à penser que l'on est peut-être en train d'assister à la même chose au Kosovo.

La communauté internationale a beau dire chaque fois "plus jamais ça", ce genre de situation se reproduit. L'odieuse campagne de "purification ethnique" menée méthodiquement par les autorités serbes au Kosovo semble avoir un seul objectif: chasser ou tuer le plus grand nombre possible d'Albanais de souche du Kosovo, privant ainsi un peuple de ses droits les plus fondamentaux à la vie, à la liberté et à la sécurité et provoquant une catastrophe humanitaire dans l'ensemble de la région.

Nous regrettons tous profondément que la communauté internationale, en dépit de plusieurs mois d'efforts diplomatiques, n'ait pas réussi à empêcher cette catastrophe. Ce qui me donne de l'espoir - et devrait donner à réfléchir à tous les futurs "purificateurs ethniques" et ordonnateurs de massacres appuyés par un Etat- c'est la profonde indignation ressentie partout dans le monde.

Lentement mais, à mon avis, sûrement, une norme internationale contre la répression violente des minorités, norme qui doit absolument prendre le pas sur les préoccupations de souveraineté des Etats, est en train de voir le jour.

C'est un principe qui protège les minorités -et les majorités- des violations flagrantes. Que les choses soient donc bien claires: même si l'Organisation des Nations Unies est une organisation dont les Membres sont des Etats, les droits et idéaux qu'elle vise à protéger sont ceux des peuples. Tant que je serai Secrétaire général, l'Organisation des Nations Unies en tant qu'institution placera toujours l'être humain au coeur de son action. Dans aucun pays, le gouvernement n'a le droit de se dissimuler derrière la souveraineté nationale pour violer les droits de l'homme ou les libertés fondamentales des habitants de ce pays. Les droits de l'homme et les libertés fondamentales de chaque personne, que celle-ci appartienne à la minorité ou à la majorité, sont sacrés.

Cette norme internationale qui est en train de voir le jour constituera pour l'Organisation des Nations Unies un défi fondamental.

Cela ne fait aucun doute.

Mais ce qui ne fait aussi aucun doute, c'est que si nous ne relevons pas ce défi, si nous laissons l'Organisation des Nations Unies devenir le refuge des "purificateurs ethniques" ou des responsables de massacres, nous trahirons les idéaux mêmes qui ont inspiré la fondation de l'Organisation.

Cet espoir pour l'humanité vient peut-être trop tard pour les milliers de malheureux qui ont été chassés par la force de chez eux au Kosovo et pour les centaines, sinon les milliers, qui ont été assassinés simplement pour ce qu'ils étaient.

- 5 - SG/SM/6949 HR/CN/898 7 avril 1999

Mais il ne viendra pas trop tard pour l'Organisation des Nations Unies, s'il nous donne le courage d'aborder le siècle prochain en réaffirmant notre volonté de protéger les droits de chaque homme, de chaque femme et de chaque enfant, indépendamment de son appartenance ethnique, nationale ou religieuse".

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