En cours au Siège de l'ONU

SG/SM/6748

LE SECRETAIRE GENERAL ADJOINT A INSISTE SUR LES LIENS QUI EXISTENT ENTRE LE DESARMEMENT, LE DEVELOPPEMENT, LA JUSTICE SOCIALE ET LA PAIX

26 février 1999


Communiqué de Presse
SG/SM/6748
DC/2615


LE SECRETAIRE GENERAL ADJOINT A INSISTE SUR LES LIENS QUI EXISTENT ENTRE LE DESARMEMENT, LE DEVELOPPEMENT, LA JUSTICE SOCIALE ET LA PAIX

19990226 On trouvera ci-après le texte de la déclaration intitulée "Armes légères et de petit calibre : vers un désarmement durable", dont le Secrétaire général adjoint aux affaires de désarmement, Jayantha Dhanapala, a donné lecture au nom du Secrétaire général M. Kofi Annan, à l'occasion de la Conférence internationale sur le désarmement durable au service du développement durable, le 12 octobre à Bruxelles (Belgique) :

C'est pour moi un privilège de prendre la parole à l'occasion de cette importante conférence internationale au nom du Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, M. Kofi Annan, dont les paroles et les actes montrent l'importance qu'il attache à la solution des deux problèmes intimement liés que sont le développement et le désarmement durables. C'est également un honneur pour moi de m'adresser à cette auguste assemblée, en particulier de coprésider la conférence avec le Président Alpha Oumar Konaré du Mali et M. Lloyd Axworthy, Ministre des affaires étrangères du Canada, qui ont tous les deux tant contribué à faire en sorte que la question des armes légères et de petit calibre devienne l'une des préoccupations internationales. Nous sommes tous d'avis que la solution de ce problème passe par le renforcement de la coopération et de la coordination de nos actions à l'échelle internationale.

Avant de passer en revue certaines réalisations précises dans ce domaine, permettez-moi de décrire à grands traits certains aspects du contexte plus large dans lequel s'inscrivent nos débats d'aujourd'hui. Le thème de la conférence internationale présente de l'intérêt, car le lien entre désarmement et développement — tout comme le choix classique entre le beurre et les canons — n'a préoccupé depuis toujours les Etats nations. La communauté internationale a créé la Société des Nations, puis l'Organisation des Nations Unies surtout pour aider les Etats Membres à faire face, à l'échelle internationale, aux problèmes fondamentaux de ce type. Lors de la création de ces institutions, les représentants de tous les Etats Membres étaient conscients du lien important et profond qui existait entre développement économique, justice sociale, dépenses militaires et le phénomène naturel des conflits, approche reprise dans le Pacte de la Société des Nations et la Charte des Nations Unies.

L'ONU s'emploie depuis de nombreuses années à évaluer les incidences sociales et économiques des dépenses militaires. En 1970, donnant suite à une demande de l'Assemblée générale, le Secrétaire général, U Thant, a publié, avec le concours d'un groupe international d'experts, un rapport sur les conséquences sociales et économiques du désarmement qui établissait le coût social et économique des dépenses militaires des Etats, particulièrement désastreux pour les pays en développement.

Par la suite, l'Assemblée générale a convoqué en 1987 une Conférence internationale sur la relation entre le désarmement et le développement, qui a réuni 150 pays. Le document final de la Conférence, adopté par consensus, concluait notamment que "le monde peut soit poursuivre la course aux armements avec la vigueur qu'il y a jusqu'à présent apportée, soit s'orienter délibérément et avec toute la diligence voulue vers un développement social et économique plus stable et équilibré, allant de pair avec un ordre économique et politique plus viable sur le plan international. Il ne peut s'engager dans ces deux directions à la fois". Cette recommandation est aussi valable aujourd'hui qu'au moment de son adoption il y a une dizaine d'années.

La fin de la guerre froide intervenue au cours de la décennie suivante a suscité de toutes parts l'espoir que la paix procurerait des dividendes abondants, des ressources devant être libérées à terme pour satisfaire des besoins sociaux et économiques impérieux. Au contraire, les dépenses consacrées aux armes de destruction massive, à la mise au point de nouvelles technologies d'armement et à la production d'armes classiques se sont maintenues. S'il est vrai que le montant total des dépenses militaires est aujourd'hui tombé à environ 740 milliards de dollars, nombreux sont les peuples des Nations Unies qui attendent encore les dividendes de la paix et la paix elle-même.

Et que nous a rapporté ce gros "investissement"? Voici le tableau que brosse de la dernière décennie le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) dans son "Rapport sur le développement humain 1998" : "Deux millions d'enfants ont été tués, quatre à cinq millions estropiés et 12 millions laissés sans abri à l'occasion de conflits armés. Plus d'un million sont devenus orphelins ou ont été séparés de leurs parents et près de 10 millions ont été victimes de traumatismes psychologiques." Le rapport note également une augmentation spectaculaire du nombre de victimes civiles dans les conflits survenus au cours du siècle.

Les coûts d'opportunité de ces conflits armés n'incitent guère à l'optimisme. Selon le PNUD, les conflits armés "réduisent à néant des années de progrès dans l'édification des infrastructures sociales, dans la mise en place d'institutions publiques en état de marche, dans l'encouragement de la solidarité communautaire et de la cohésion sociale et dans la promotion du développement économique." Est-il irréaliste de présager que de telles

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circonstances déboucheront inéluctablement sur de nouveaux cycles de violence, la course aux armements et des demandes nouvelles de quantités supplémentaires d'armes légères et de petit calibre?

Aujourd'hui, en 1998, nous voici encore aux prises avec l'éternel écheveau du développement et du désarmement que nos prédécesseurs n'ont pas su démêler et nous sommes fatalement ramenés à la question de la durabilité. La problématique du développement durable a été largement débattue ces dernières années du point de vue de l'équilibre nécessaire entre la croissance économique et la protection de l'environnement, que nous avons l'obligation de préserver pour les générations futures. Il est inutile de broder sur la définition du développement durable.

En revanche, le désarmement durable est une notion malaisée à cerner. Les récentes explosions nucléaires opérées en Asie du Sud dénotent l'inefficacité de tout cadre de sécurité mondiale tendant à diviser irrévocablement le monde en deux catégories : Etats dotés de l'arme nucléaire et Etats qui n'en sont pas dotés. Cette approche n'a pas résisté à l'épreuve de l'histoire. Elle n'a produit aucun effet en 1949, 1952, 1960, 1964, 1974 et, de nouveau, en 1998 — lorsque certains pays ont fait exploser leurs premiers engins nucléaires. Elle s'est en outre révélée inopérante parce qu'elle n'a pas empêché d'autres Etats d'acquérir une capacité nucléaire sans procéder à des essais. Les artisans de la sécurité mondiale pour le prochain millénaire ne peuvent donc alléguer valablement que le monde n'a qu'une alternative : l'apartheid nucléaire ou l'anarchie nucléaire. Il y a véritablement un choix à faire, mais entre un monde nucléarisé et un monde exempt d'armes nucléaires. Et le seul choix viable est le désarmement nucléaire.

Mais qu'entend-on par durable lorsqu'il s'agit d'armes classiques? L'historien Paul Kennedy est allé jusqu'à attribuer la décadence des plus grandes puissances aux dépenses militaires excessives. Et comme l'a indiqué le PNUD, les conséquences des dépenses militaires excessives sont encore plus tragiques dans les pays pauvres. Non seulement elles limitent les options économiques et sociales qui s'offrent à ces sociétés, mais elles aggravent les risques et les conséquences de la violence, tendance accentuée par l'acquisition permanente de quantités supplémentaires d'armes. Si la Charte des Nations Unies reconnaît en son article 51 le droit naturel de légitime défense, en son article 26, elle fixe un autre objectif — durable, à mon sens — de maintien de la sécurité "en ne détournant vers les armements que le minimum des ressources humaines et économiques du monde".

Tous les pays ne peuvent pas choisir de se passer d'une armée permanents, mais ceux qui ont fait un tel choix ou qui ont réduit leurs dépenses militaires à des niveaux raisonnables ont sans doute des voisins plus

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rassurants. De même, pour un ennemi éventuel, un arsenal nucléaire "dont l'état d'alerte est levé" représente une menace moindre qu'un arsenal en état d'alerte. D'autre part, la renonciation à recourir en premier aux armes nucléaires et l'octroi de garanties négatives de sécurité instaurent la confiance pour autant qu'ils soient jugés crédibles et propices au désarmement nucléaire, et non perçus comme des artifices visant à perpétuer un statu quo reposant sur le déséquilibre des forces. On peut dès lors faire sans peine le départ entre ce qui est durable et ce qui ne l'est pas en matière de politique de sécurité et en ce qui concerne le lien symbiotique entre sécurité des populations et développement humain durable.

Mais quels sont les préalables du désarmement durable? Que faire pour que cette notion ne nous échappe pas? Le désarmement durable restera un principe de sécurité s'il est institutionnalisé à l'échelon national et international. Son succès exigera des efforts soutenus qui ne peuvent être orchestrés que par des organisations. Le désarmement durable ne peut s'opérer tout seul. Une infrastructure est indispensable, mais non un gouvernement mondial. Les institutions exercent une influence sur l'offre et la demande d'armements. Et il y a de bonnes raisons de croire qu'elles peuvent également influer sur l'offre et la demande d'initiatives de désarmement.

Le désarmement durable doit tenir compte des aspirations et des intérêts particuliers de divers groupes sociaux, notamment les personnalités influentes des mondes politique, industriel et universitaire, les groupes de défense des intérêts publics et les organes d'information. Il doit frapper notre imagination. Le terme "désarmement durable" doit entrer dans le langage politique de tous les jours. Il pourrait y avoir intérêt à lui donner une certaine formulation juridique — là encore à l'échelon national comme à l'échelon international — et l'établissement de règles, réglementations et politiques gouvernementales favorables à l'objectif de désarmement pourrait aider à le promouvoir.

Le désarmement durable doit se prêter à diverses techniques d'évaluation, pour que la société puisse déterminer dans quelle mesure il s'opère conformément aux objectifs qu'elle s'est fixée dans ce domaine. Si nous disposons d'indices de développement durable, nous pouvons assurément avoir aussi des indices de désarmement durable, comme la suggestion judicieuse faite par l'Allemagne concernant un registre d'armes nucléaires. Si nous attendons des autres politiques qu'elles satisfassent aux normes d'efficacité et d'applicabilité, nos politiques de désarmement devraient également être constamment évaluées dans le cadre et en dehors des structures gouvernementales.

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En matière de désarmement durable, la communauté internationale dans son ensemble doit décourager — ou, à tout le moins, ne doit pas cautionner — des pratiques contraires aux normes de désarmement. En d'autres termes, les tenants du désarmement durable doivent se préoccuper non seulement d'établir une norme, mais également d'élaborer des dispositifs pratiques pour en assurer l'application. En définitive, le caractère durable du désarmement consiste à offrir des avantages à toutes les couches sociales de la population, à favoriser l'émergence de groupes militant pour préserver ces avantages et à assurer la prise en compte des aspirations des populations.

Ces objectifs ne seront pas faciles à atteindre. Ce constat est d'autant plus exact que ne cessent de surgir de nouveaux problèmes, souvent liés au processus de "mondialisation", qu'aucune nation ne peut régler à elle seule. Intervenant au mois de janvier dernier au Forum économique de Davos, le Secrétaire général les a appelés "des problèmes sans passeport". À n'en pas douter, pratiquement aucun de ces problèmes n'est plus épineux que la nécessité de mettre un frein à la fabrication, à la vente et à l'usage illicites des armes légères et de petit calibre.

Le Kosovo, l'Irlande du Nord, Haïti, la République démocratique du Congo, le Rwanda, le Burundi, la Somalie, le Mozambique, l'Afghanistan, le Cambodge et mon propre pays, le Sri Lanka : ce sont là quelques pays de quasiment toutes les régions du monde où les espoirs de croissance et de prospérité sont annihilés par des conflits chroniques mettant en oeuvre des quantités massives d'armes légères et de petit calibre. Même certains pays développés et stables découvrent aujourd'hui qu'eux-mêmes servent de sanctuaires à des groupes armés jusqu'aux dents et dotés de certaines technologies militaires les plus meurtrières.

Les difficultés auxquelles se heurtent les gouvernements, les organisations internationales et les organisations non gouvernementales qui souhaitent mettre fin au trafic ou au stockage des armes dites classiques sont énormes. Si l'on ne peut pas dire que les armes sont la seule cause des conflits, on ne peut pas contester non plus que l'accumulation ou l'usage illicites de ces armes ont grandement contribué au déclenchement de nombre des conflits chroniques de par le monde. Et l'on peut facilement se procurer ces armes et les munitions nécessaires à bon marché auprès de diverses sources. En règle générale, elles se vendent souvent de manière clandestine et les petits profits qu'elles génèrent sur les marchés primaires augmentent souvent de façon exponentielle sur les marchés secondaires et tertiaires. Bien que ces armes soient déjà suffisamment mortelles, elles deviennent de plus en plus meurtrières chaque année au rythme implacable des innovations technologiques, notamment les améliorations dans les domaines de la précision, de la puissance de feu, de la mobilité et de la facilité de dissimulation.

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On assiste à une véritable prolifération de ces armes dans les sociétés modernes. Non seulement, elles se répandent dans un plus grand nombre de pays, mais elles grossissent, dans ces pays, des arsenaux privés toujours plus nombreux, notamment — mais non exclusivement — ceux des milices, des cartels de trafic de stupéfiants et des gangs, créant ainsi une "culture de la gâchette" insidieuse et envahissante. Les fabricants, les transporteurs et même les premiers acquéreurs de ces armes ignorent souvent leurs destinations finales, ce qui est particulièrement dramatique pour les couches les plus faibles de la communauté internationale. Dans son dernier Rapport sur l'activité de l'Organisation, le Secrétaire général s'est exprimé sur cette question en ces termes : "Dans le cadre de la lutte pour la paix et le développement durables, en particulier dans les sous-régions où les structures de l'État sont fragiles, il convient de prendre des mesures pour freiner le flux des armes de petit calibre qui circulent dans la société civile. On estime que 90% des personnes tuées ou blessées par des armes légères militaires sont des civils et, ce qui est encore plus atroce, que 80% de ces civils sont des femmes et des enfants."

Pour autant, ce sombre tableau que je viens de brosser ne rend pas, il s'en faut de beaucoup, pleinement compte de la situation. Il montre les peines endurées, mais non les progrès accomplis pour les soulager. Il nous rappelle — et ce n'est pas inutile — les problèmes qui nous attendent dans l'avenir, mais ne rend pas justice aux trésors d'énergie créatrice que mobilise désormais la communauté internationale pour mettre fin à ce carnage.

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