En cours au Siège de l'ONU

SG/SM/6614

ALLOCUTION FAITE PAR LE SECRETAIRE GENERAL AU FORUM DE VIENNE SUR LES DROITS DE L'HOMME ET LE RESPECT DU DROIT

19 février 1999


Communiqué de Presse
SG/SM/6614
HR/4373


ALLOCUTION FAITE PAR LE SECRETAIRE GENERAL AU FORUM DE VIENNE SUR LES DROITS DE L'HOMME ET LE RESPECT DU DROIT

19990219 On trouvera ci-après le texte d'une allocution que le Secrétaire général de l'ONU, M. Kofi Annan, prononcera le 27 juin devant le Forum de Vienne sur les droits de l'homme sur "les droits de l'homme et le respect du droit au XXIe siècle" (sous embargo jusqu'à 9 heures, heure d'été de New York, samedi 27 juin).

Nous sommes réunis au milieu de cette année consacrée à la célébration du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Cette année est pour nous l'occasion de prendre des engagements et de réfléchir à ce qui a été fait et à ce qui reste à faire — pour ceux qui vivent dans le danger, pour ceux qui sont vulnérables, pour les peuples du monde pour lesquels les droits de l'homme peuvent faire la différence entre la vie et la mort.

J'ai passé une grande partie de cette année à discuter et à débattre des droits de l'homme, à souligner leur importance et à faire valoir leur universalité. Je crains que les droits de l'homme n'apparaissent parfois comme des idées abstraites ou de vagues espoirs pour des peuples vivant dans des pays lointains. Ce n'est pas ainsi que nous devons les concevoir. C'est là une perspective que nous ne devons pas accepter.

Voilà pourquoi je suis si heureux d'avoir à mes côtés le Président Carter, l'archevêque Tutu, Mme Eléna Bonner (veuve du lauréat du Prix Nobel Andrei Sakharov) et Wole Soyinka (écrivain nigérian et militant des droits de l'homme). Ces héros de la lutte pour les droits de l'homme viennent nous rappeler à tous que les droits de l'homme doivent se conquérir. Des hommes et des femmes de toutes races et de toutes croyances ont sacrifié leur vie pour que leurs enfants jouissent de ces droits. Les noms de Carter, Tutu, Bonner et Soyinka symbolisent ce sacrifice et invitent chacun d'entre nous à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour que les droits de l'homme deviennent une réalité mondiale.

Cette réunion nous donne l'occasion de souligner que l'état de droit est un élément essentiel des droits de l'homme. Je tiens à remercier le Gouvernement fédéral autrichien d'avoir organisé cette manifestation en collaboration avec l'Office des Nations Unies à Vienne sous la direction de Pino Arlacchi, manifestation qui commémore également le cinquième anniversaire de la Conférence mondiale sur les droits de l'homme, qui s'est tenue à Vienne.

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Les juristes vous diront que la Déclaration universelle des droits de l'homme n'a pas force obligatoire. Pourtant, elle a été une source fondamentale d'inspiration pour tous ceux qui luttent, aux niveaux local et mondial, pour protéger et défendre les droits de l'homme et les libertés. Elle est devenue l'aune avec laquelle nous mesurons le respect des normes internationales relatives aux droits de l'homme.

La Déclaration universelle des droits de l'homme n'est pas seulement un document admirable. C'est un programme d'action. Il y en a encore, je le sais, qui se demandent si nous avons raison d'accorder aux droits de l'homme une telle priorité. Je leur répondrai seulement que la communauté mondiale ne doit pas accepter et n'acceptera pas que l'exercice des droits de l'homme et des libertés fondamentales soit limité ou retardé.

Il y en a qui remettent en cause l'universalité des droits de l'homme, qui y voient une atteinte à la souveraineté nationale et une source de chaos politique et social. À ceux-là, je réponds que les droits de l'homme se trouvent dans le coeur et dans l'esprit de tous les êtres humains que l'on trouve et qu'il existe des normes fondamentales du comportement humain dont la violation est tout simplement inacceptable.

Les droits de l'homme fondamentaux sont inhérents à la nature humaine, et en fait à la vie elle-même. Ils sont l'expression des aspirations universelles de tous les peuples. Et ils sont la meilleure, voire la seule, voie d'accès à la paix, au développement et à la démocratie pour tous.

L'expérience des cinq dernières décennies montre clairement le lien vital qui existe entre les droits de l'homme, la paix et le développement. Le passé nous a appris que le respect des droits fondamentaux est essentiel à la consolidation de la paix, et à la tâche encore plus vaste qui consiste à garantir le développement. Les nombreuses opérations de surveillance que l'Organisation des Nations Unies a déjà menées et mène encore dans le domaine des droits de l'homme ont montré que le respect de ces droits est essentiel à la stabilisation des sociétés après un conflit.

Si l'on ne prend pas dûment en considération les problèmes que pose la nécessité de respecter les droits de l'homme des minorités et des particuliers, il sera impossible de rétablir la cohésion sociale des pays qui sortent d'un conflit, de restaurer la paix et de mettre en place le processus de reconstruction et de relèvement.

De nos jours, nous admettons qu'un développement véritablement durable n'est possible que lorsque les droits politiques, économiques et sociaux de tous sont pleinement respectés. Ces droits favorisent l'équilibre social indispensable à l'évolution pacifique d'une société. Nous reconnaissons que le droit au développement est la mesure du respect dont jouissent tous les autres droits de l'homme; nous sommes conscients du fait que notre objectif devrait être de créer un monde dans lequel chacun aurait la possibilité de réaliser pleinement son potentiel et de participer à l'évolution de l'ensemble de la société.

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Les droits de l'homme font désormais partie intégrante des travaux de l'Organisation des Nations Unies en faveur de la paix et du développement, et constituent un élément central des relations internationales. En ma qualité de Secrétaire général, je suis résolu à faire en sorte que les droits de l'homme occupent une place encore plus importante dans tous nos travaux.

La Conférence mondiale de Vienne sur les droits de l'homme (1993) a été la première réunion internationale à aborder tous les aspects de la question des droits de l'homme. Elle a donné une importance nouvelle au message de la Déclaration universelle et a souligné l'urgence de mettre en place des mécanismes pratiques d'exécution. Mais bien que l'adhésion des gouvernements soit vitale, le suivi est tout aussi crucial.

Par le passé, les conférences mondiales sur les femmes et sur l'environnement ont montré qu'il était nécessaire de définir clairement les responsabilités et d'arrêter des calendriers précis pour évaluer les progrès réalisés. Les principes énoncés à Vienne il y a cinq ans sont importants. Mais ils ne pourront être mis en oeuvre que si nous demandons des comptes à ceux qui sont responsables de leur application. Nous devons faire en sorte que l'énergie et l'esprit d'initiative déployés dans les conférences mondiales engendrent de véritables progrès pour ceux qui en ont le plus besoin.

Lorsque j'ai ouvert la cinquante-quatrième session de la Commission des droits de l'homme en mars, j'ai fait observer que le XXIe siècle devait être l'ère de la prévention. Je ne parlais pas seulement de la prévention des atteintes aux droits de l'homme mais aussi de la prévention de la criminalité organisée, de la toxicomanie et du terrorisme — causes principales de ce que j'ai nommé "la société incivile". Ces comportements portent fondamentalement atteinte au droit d'autrui à vivre dans la sécurité.

Nous devons protéger les particuliers, leurs familles et leurs lieux de résidence et de travail, ce que nous ne pourrons faire qu'en mettant en oeuvre des politiques qui favorisent le respect de la légalité. Mais la prévention du crime ne peut pas se limiter à la lutte contre la criminalité et au maintien de l'ordre. Elle doit se fonder sur les règles de conduite établies dans les foyers, les quartiers, les lieux de travail et les écoles.

Ces deux derniers jours, un certain nombre de spécialistes des questions judiciaires ont tenu des débats sur l'administration de la justice et le rétablissement de la légalité dans les situations postconflictuelles. Ils ont débattu de l'utilité d'une réforme du droit, de la nécessité de créer une force de police moderne et de l'importance d'un appareil judiciaire indépendant. Les pays dont les appareils judiciaires ont été détruits ou ravagés ont besoin de nouveaux systèmes judiciaires modernes qui respectent les droits de l'homme. Il leur faut procéder à des réformes du droit qui tiennent compte des principes démocratiques; former leurs forces de police de manière qu'elles s'acquittent de leur tâche conformément à l'éthique professionnelle et aux principes démocratiques, ainsi que l'exige l'état de droit; et enseigner aux avocats, aux procureurs et aux juges à exercer leurs fonctions de manière efficace.

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Ce n'est qu'en appliquant de telles mesures qu'on peut espérer parvenir à la paix et à la stabilité. Le respect de la légalité n'est pas important seulement pour les pays qui sortent d'un conflit. Tous les pays doivent lutter contre les comportements incivils. Face au crime organisé, par exemple, nous nous devons d'agir et d'agir vite.

La criminalité organisée, en particulier quand elle est transnationale, menace les démocraties, empêche un développement équitable et prive parfois les sociétés fragiles de ressources économiques vitales. Dans certaines communautés, des organisations criminelles dominent la vie économique et politique. Il faut donc prendre des mesures concertées et énergiques afin d'empêcher que ces associations criminelles n'entravent le fonctionnement des gouvernements légitimes.

Face à ce phénomène, un certain nombre d'Etats ont modifié leurs lois pour mieux lutter contre le crime organisé. Mais d'aucuns craignent que cette lutte ne se fasse aux dépens des droits de l'homme et du respect de la légalité.

D'autres font cependant valoir que pour lutter contre le crime international, nous devons adopter des procédures spéciales en matière d'enquête et de poursuites pénales qui ne tiennent pas compte des garanties et des protections habituelles sur lesquelles repose l'état de droit. Mais c'est là un faux dilemme, car même si des mesures extraordinaires sont nécessaires pour démanteler les organisations criminelles, elles devraient faire l'objet d'une très grande vigilance de la part de la justice, et leur portée et leur durée devraient être limitées.

L'Organisation des Nations Unies est prête à favoriser la coopération nécessaire et à servir de cadre à une collaboration en matière pénale. Mais pour cela, nous avons besoin de l'adhésion des Etats. Si ces derniers désirent réellement lutter contre le crime organisé transnational, ils devront s'employer à renforcer le rôle du Centre de prévention de la criminalité internationale.

D'autres tâches nous attendent. L'Organisation des Nations Unies devrait s'efforcer d'aider les pays qui sortent d'un conflit ainsi que ceux qui se sont engagés sur la voie de la démocratie à rétablir l'état de droit. La communauté internationale doit également prendre des mesures énergiques contre les nouvelles formes de criminalité.

Mais surtout, nous devons instaurer une collaboration internationale entre les différents appareils judiciaires nationaux afin que les délinquants soient traduits en justice où qu'ils se trouvent, que les victimes soient protégées, quel que soit leur âge, et que la société n'ait plus à craindre et à subir les conséquences de comportements criminels.

La primauté du droit et la prévention des violations des droits de l'homme et de la criminalité sont des éléments essentiels de la démocratie et en font partie intégrante. Ils sont inextricablement liés.

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J'ai voulu attirer votre attention sur le rôle critique que joue le respect de la légalité en matière de protection des droits de l'homme, ainsi que sur la nouvelle menace que le crime organisé fait peser sur les droits de l'homme. En d'autres termes, j'ai tenté d'indiquer les armes dont nous disposons dans notre lutte pour les droits de l'homme, et de souligner l'importance d'un des nombreux problèmes que nous devrons résoudre si nous voulons vaincre — et nous le devons.

La présence aujourd'hui de nos hôtes illustres venus discuter de ce problème témoigne non seulement des progrès réalisés, mais rappelle aussi que les violations perdurent, qu'il s'agisse de la détention et de la torture de dissidents, du musellement de l'opposition politique, du refus d'accorder aux femmes la totalité de leurs droits ou de l'exploitation des enfants. Ce sont là des défis que nous devons relever.

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