LE SECRETAIRE GENERAL SUGGERE AUX DIRIGEANTS DES GRANDES SOCIETES DE CONCLURE UN "CONTRAT MONDIAL" AVEC LES NATIONS UNIES POUR DONNER UN VISAGE HUMAIN AU MARCHE MONDIAL
Communiqué de Presse
SG/SM/6881
LE SECRETAIRE GENERAL SUGGERE AUX DIRIGEANTS DES GRANDES SOCIETES DE CONCLURE UN "CONTRAT MONDIAL" AVEC LES NATIONS UNIES POUR DONNER UN VISAGE HUMAIN AU MARCHE MONDIAL
19990201 On trouvera ci-après le texte de l'allocution du Secrétaire général, M. Kofi Annan, prononcée le 31 janvier à Davos (Suisse) au Forum économique mondial :Je suis très heureux de participer avec vous au Forum économique mondial, pour la troisième fois depuis que jai pris mes fonctions de Secrétaire général de l'ONU il y a un peu plus de deux ans.
Lors de nos précédentes rencontres, je vous ai fait part de mes espoirs concernant l'établissement dun partenariat novateur entre l'ONU et le secteur privé.
J'ai fait valoir que l'activité quotidienne de notre Organisation -qu'il s'agisse du maintien de la paix, de l'établissement de normes techniques, de la protection de la propriété intellectuelle ou de l'aide aux pays en développement qui en ont grand besoin -contribuait à élargir les perspectives des entreprises du monde entier. Et j'ai déclaré en toute franchise que, sans votre savoir-faire et vos ressources, lONU aurait bien des difficultés à atteindre certains de ses objectifs.
Aujourd'hui, je constate avec plaisir quen deux ans, nous nous sommes considérablement rapprochés. Nous avons démontré, en travaillant ensemble sur le plan des politiques mais aussi sur le terrain, que les objectifs de l'ONU et ceux du monde des affaires pouvaient vraiment être complémentaires.
Cette année, je vous demande de m'aider à renforcer encore nos relations. Je suggère que vous, les dirigeants de grandes sociétés réunis à Davos et nous, les Nations Unies, concluions un "contrat mondial" fondé sur des valeurs et des principes communs qui donneront un visage humain au marché mondial.
La mondialisation est une réalité incontournable. Mais, à mon avis, nous en avons sous-estimé la fragilité. Voici où le bât blesse: l'expansion des marchés est bien trop rapide pour que les sociétés et leurs systèmes politiques puissent s'y adapter, sans parler de l'orienter. Or, l'histoire nous enseigne qu'un tel déséquilibre entre les sphères économique, sociale et politique ne peut durer.
- 2 - SG/SM/6881 1 février 1999
Les pays industrialisés lont appris à leurs dépens lors de la grande Dépression. Afin de rétablir l'harmonie sociale et la stabilité politique, ils ont mis en place des filets de sécurité et adopté diverses mesures visant à limiter l'instabilité économique et à aider ceux qui pâtissaient des dysfonctionnements des marchés. Grâce au consensus qui sest dégagé, ils ont pu progresser sur la voie de la libéralisation, qui a elle-même été à lorigine de la longue période d'expansion de laprès-guerre.
Aujourdhui, notre tâche consiste à dégager, à léchelle mondiale, une entente qui sous-tendra la nouvelle économie mondiale. Si nous y parvenons, nous pourrions donner le coup denvoi d'une ère de prospérité généralisée, comparable à celle qu'ont connue les pays industrialisés dans les décennies qui ont suivi la deuxième guerre mondiale.
Plus précisément, je vous demande -individuellement, dans le cadre des sociétés que vous dirigez et, collectivement, par lintermédiaire de vos associations -d'embrasser, de promouvoir et de faire respecter une série de valeurs fondamentales touchant les droits de l'homme, les conditions de travail et lenvironnement.
Pourquoi ces trois domaines? Tout d'abord, parce qu'il s'agit de secteurs dans lesquels vous-mêmes, hommes et femmes daffaires, pouvez avoir une réelle influence.
Ensuite, parce que ce sont des sphères dans lesquelles les valeurs universelles ont déjà été définies par des instruments internationaux, notamment la Déclaration universelle des droits de l'homme, la Déclaration de l'Organisation internationale du travail relative aux principes et droits fondamentaux du travail, et la Déclaration de Rio adoptée en 1992 par la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement.
Enfin, parce je crains quen nintervenant pas dans ces domaines, nous ne mettions en péril le marché mondial ouvert, et en particulier les structures du commerce international.
Divers groupes dintérêt exercent dénormes pressions pour que dimportantes restrictions soient imposées au niveau des échanges et des investissements, de sorte que des normes acceptables soient adoptées dans les domaines que j'ai mentionnés.
Les préoccupations de ces groupes sont certes légitimes, mais limiter les échanges et entraver les flux de capitaux n'est pas la solution. Nous devons trouver d'autres moyens dassurer l'application des principes que nous avons proclamés.
C'est précisément l'objectif du contrat que je vous propose. Et pour atteindre cet objectif, deux voies s'offrent à nous.
- 3 - SG/SM/6881 1 février 1999
Premièrement, il est possible dagir par le biais des politiques gouvernementales. Vous pouvez encourager les Etats à nous donner, nous les institutions multilatérales dont ils sont membres, les ressources et les mandats dont nous avons besoin pour accomplir notre mission.
Le système des Nations Unies dans son ensemble sattache à promouvoir la paix et le développement, conditions indispensables à la réalisation dobjectifs sociaux et écologiques. LOrganisation internationale du travail, le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de lhomme et le Programme des Nations Unies pour lenvironnement sefforcent daméliorer les conditions de travail, le respect des droits de lhomme et la qualité de lenvironnement. Nous espérons, à lavenir, pouvoir compter sur les milieux daffaires pour sassocier à nos efforts.
Deuxièmement, vous pouvez promouvoir les valeurs universelles en agissant dans votre propre domaine dactivité.
En tant quinvestisseurs, employeurs et producteurs importants dans des dizaines de pays du monde, vous disposez dun pouvoir qui vous ouvre dimmenses perspectives tout en vous conférant dimmenses responsabilités.
Par la manière dont vous menez vos affaires, vous pouvez favoriser directement le respect des droits de lhomme, ainsi que linstauration de conditions de travail acceptables et de normes écologiques minima.
Vous pouvez faire de ces valeurs universelles le ciment de vos entreprises mondiales, car chacun dans le monde les reconnaîtra comme siennes.
Vous pouvez, dans vos entreprises, faire en sorte que les droits de lhomme soient respectés et veiller à ne pas vous faire les complices de violations de ces droits.
Nattendez pas que tous les pays adoptent des lois garantissant la liberté dassociation et le droit aux négociations collectives: dores et déjà, vous pouvez assurer lexercice de ces droits et libertés à tous ceux que vous employez ou qui travaillent pour vos sous-traitants.
Dores et déjà, vous pouvez veiller à ne pas employer, directement ou indirectement, des enfants ou des personnes travaillant sous la contrainte.
Dores et déjà, vous pouvez veiller, dans vos politiques de recrutement ou de licenciement, à ne pas établir de distinctions discriminatoires fondées sur la race, le sexe, lorigine ethnique ou les convictions.
Vous pouvez aussi préconiser la prudence face aux grandes questions touchant lenvironnement et prendre des initiatives en faveur de pratiques plus responsables dans ce domaine.
Enfin, vous pouvez encourager la mise au point et la diffusion de technologies respectueuses de lenvironnement.
- 4 - SG/SM/6881 1 février 1999
Mesdames et Messieurs, cest là ce que jattends de vous. Mais, me demanderez-vous, que puis-je vous offrir en échange? Je vous répondrai quà mon sens, lONU a les moyens de vous être utile.
Les organismes des Nations Unies -le Haut commissariat aux droits de lhomme, lOrganisation internationale du travail et le Programme pour lenvironnement -sont là pour aider les sociétés qui en ont besoin à faire de ces valeurs et de ces principes une partie intégrante de leur mission et de leurs pratiques. Ils sont également prêts à faciliter le dialogue entre les milieux daffaires et dautres groupes sociaux en vue daider à répondre, à long terme, aux réelles préoccupations de ces groupes.
A ce propos, ceux dentre vous qui le souhaitent peuvent prendre contact avec nous grâce à notre nouveau site internet www.un.org/partners, qui contient toutes les informations susceptibles dintéresser les entreprises.
Peut-être est-il plus important encore de souligner ce que nous pouvons faire sur le plan politique pour contribuer à la création dun environnement favorable au commerce et à louverture des marchés.
Mesdames et Messieurs, je crois que ce que vous propose est un véritable contrat, car chacune des parties à ce contrat a besoin de lautre pour atteindre ses objectifs.
Sans votre engagement et votre soutien actif, les valeurs universelles risquent de ne rester que de jolies phrases couchées dans des documents qui nous donneront loccasion de célébrer des anniversaires et de faire des discours, mais nauront que peu dinfluence sur la vie de tout un chacun.
Et sil nest pas manifeste que ces valeurs prennent racine, je crains fort quil ne soit de plus en plus difficile de trouver des arguments convaincants en faveur dun grand marché mondial.
La cohésion des marchés nationaux tient à ce quils reposent sur des valeurs partagées. Face aux transformations économiques et à lincertitude, les investisseurs savent que quoi quil arrive, ils pourront toujours compter sur le respect de certaines normes.
Mais ils nont pas encore ce degré de confiance dans le marché mondial. Tant quils ne lauront pas, léconomie mondiale restera fragile et vulnérable aux effets de tous les maux en isme qui caractérisent laprès-guerre froide: protectionnisme, populisme, nationalisme, chauvinisme, fanatisme et terrorisme.
Le point commun de tous ces maux est quils reposent sur la volonté dexploiter linsécurité et la détresse de ceux qui se sentent menacés ou lésés par le marché mondial. Cest linquiétude et le malheur des gens qui leur permettent de gagner du terrain.
Ce quil nous faut donc trouver, cest le moyen dasseoir le marché mondial sur une série de valeurs communes. Jespère avoir montré comment nous pourrions nous atteler à cette tâche.
- 5 - SG/SM/6881 1 février 1999
Noublions pas que les marchés mondiaux et le commerce multilatéral tels que nous les connaissons ne sont pas apparus par accident. Ils résultent de choix éclairés faits par les gouvernements depuis 1945.
Pour quils perdurent au siècle prochain, les gouvernements, les entreprises, les groupes de pression et les organismes internationaux doivent tous faire les bons choix aujourdhui.
Nous devons choisir entre un marché mondial guidé uniquement par la recherche de profits immédiats, et un marché mondial à visage humain. Entre un monde qui condamne un quart de la race humaine à la faim et à la misère, et un monde qui offre au moins à chacun la possibilité de prospérer dans un environnement sain. Entre une foire dempoigne dans laquelle les perdants sont abandonnés à leur sort et un avenir dans lequel les plus forts acceptent leurs responsabilités, évaluent les perspectives mondiales avec discernement, et savent montrer la voie à suivre.
Mesdames et Messieurs, je suis convaincu que saurez faire les bons choix.
Je vous remercie de votre attention.
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