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SG/SM/6865

M. KOFI ANNAN SOULIGNE QU'UN SECRETAIRE GENERAL DOIT ETRE JUGE SUR SA FIDELITE AUX PRINCIPES DE LA CHARTE, ET PAR SES EFFORTS POUR EN FAIRE TRIOMPHER LES IDEAUX

20 janvier 1999


Communiqué de Presse
SG/SM/6865


M. KOFI ANNAN SOULIGNE QU'UN SECRETAIRE GENERAL DOIT ETRE JUGE SUR SA FIDELITE AUX PRINCIPES DE LA CHARTE, ET PAR SES EFFORTS POUR EN FAIRE TRIOMPHER LES IDEAUX

19990120 On trouvera ci-après le texte de la déclaration prononcée par le Secrétaire général, M. Kofi Annan devant le Council of Foreign Relations à New York le 19 janvier :

Merci, Monsieur le Président, pour ces aimables paroles d’introduction. Je suis très heureux d’inaugurer avec vous, ce soir, le Centre d’Etudes internationales Peter G. Peterson. Je voudrais, tout d’abord, saluer tout le travail que vous avez accompli pour renforcer le Council on Foreign Relations. Celui-ci revêt une importance capitale, non seulement pour ceux qui se trouvent ici et pour l’ensemble de ses membres, mais aussi dans un contexte beaucoup plus vaste.

Le Council on Foreign Relations est devenu un centre de réflexion indispensable, un précieux creuset d’idées nouvelles en matière d’affaires étrangères. Il nous aide à mieux comprendre ce que nous réserve l’avenir à l’échelle mondiale; il favorise la participation des Etats-Unis dans les affaires internationales, et il ne cesse de s’élever contre le danger de l’isolationnisme américain.

Il joue ainsi un rôle d’une importance toute particulière pour l’institution que je représente.

L’Organisation des Nations Unies a besoin des Etats-Unis pour atteindre ses objectifs, et je crois que les Etats-Unis ont tout autant besoin d’elle. Je pense aussi que vous êtes tous conscients de l’importance de ce lien, et j’espère qu’ensemble, nous pourrons le resserrer encore dans les années à venir.

Les combats de l’Organisation des Nations Unies sont ceux que doit mener l’humanité toute entière pour maintenir la paix, éliminer la pauvreté, protéger les droits de l’homme, et élargir le cercle de la liberté afin que chaque être humain, indépendamment de la couleur de sa peau, de sa nationalité ou de ses convictions, puisse faire librement les choix fondamentaux qui gouvernent sa vie.

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Les combats de ce genre ne peuvent porter leurs fruits qu’à long terme; ils ne se soldent pas par des victoires absolues et ne sont jamais gagnés d’avance; ceux qui les mènent ne sont que rarement couronnés de lauriers ou récompensés par des progrès durables. Mais ce sont ces combats que l’ONU a pour mission de livrer et elle doit, à l’aube d’un siècle nouveau, chercher et trouver de nouveaux moyens pour surmonter les obstacles à la paix et à la prospérité. La Charte des Nations Unies, l’histoire et les Etats Membres, qui placent en lui leur confiance, confèrent au Secrétaire général une responsabilité centrale dans cette recherche.

Je voudrais donc, ce soir, réfléchir avec vous au rôle du Secrétaire général. Que peut-on attendre de lui? Quelles sont ses responsabilités? Quelles sont les limites de son action? Quelles sont les réalités de sa mission? Ce n’est pas par orgueil mais par obligation que je vous propose d’examiner ce thème. Mon but n’est pas de me mettre en avant, mais de permettre tant à nos partisans qu’à nos critiques de juger l’Organisation et son Secrétaire général avec ce qu’Isaiah Berlin appelait “une idée de la réalité”.

J’entends par là une idée de l’histoire de l’Organisation ainsi que de sa situation actuelle, une idée de ce que le Secrétaire général d’une institution multilatérale peut faire pour favoriser la paix, et de ce qu’il ne peut pas faire. Il importe avant tout de reconnaître que le Secrétaire général ne sera en mesure d’agir dans l’intérêt de tous les Etats que s’il ne donne pas l’impression de servir les intérêts particuliers d’un Etat ou d’un groupe d’Etats. Pour préserver ses fonctions, sa capacité d’action, son efficacité et son autorité morale, tout Secrétaire général doit avant tout préserver cet équilibre délicat.

Pendant cinquante années marquées par le changement et les transformations géopolitiques, tous mes prédécesseurs ont dû maintenir cet équilibre. Chacun d’entre eux s’est efforcé de jouer deux rôles à la fois: celui de plus haut fonctionnaire de l’Organisation et celui, beaucoup moins bien défini et beaucoup plus controversé, d’instrument politique du Conseil de sécurité. Cette absence de définition claire a été à la fois un atout et un handicap, elle a ouvert autant de possibilités qu’elle a causé de frustration. Mais quoi qu’il en soit, tout au long de l’histoire de l’Organisation, elle a permis au Secrétaire général de jouer un troisième rôle: celui qui consiste à servir l’intérêt général, au-delà des rivalités nationales et des alliances régionales.

Certes, il est parfois tentant d’exprimer l’indignation que l’on ressent face à certaines transgressions, surtout lorsque l’on sait pouvoir ainsi gagner des points sur le plan politique. Mais céder à cette tentation irait à l’encontre d’une obligation plus large, celle de prévenir les agressions et de maintenir la paix. C’est un luxe que je ne peux pas me permettre. L’intégrité, l’impartialité, et l’indépendance sont trop indispensables au rôle du Secrétaire général pour être sacrifiées à la légère.

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L’une des raisons pour lesquelles mes prédécesseurs ont pu être mal jugés ou mal compris est peut-être que le Secrétaire général occupe un poste aussi unique en son genre que l’Organisation qu’il dirige. N’ayant ni pouvoir coercitif, ni pouvoir exécutif en dehors de l’Organisation, le Secrétaire général doit se forger ses propres armes. Il n’est investi que des pouvoirs qu’un Conseil de sécurité uni peut lui attribuer, et de l’autorité morale que lui confère la Charte.

Selon quels critères faut-il donc juger les paroles ou les actes d’un Secrétaire général? Ceux qui s’appliquent à un chef de gouvernement ou à un ministre des affaires étrangères? Certes non, car les devoirs de ces responsables leur sont uniquement dictés par les intérêts de l’Etat qu’ils représentent. Ceux qui s’appliquent à un organisme privé luttant pour l’interdiction des mines terrestres ou à une organisation non gouvernementale soignant les blessés dans une guerre? Non, car ces groupes ne servent que la cause qu’ils défendent, et non les 185 Etats Membres de l’Organisation des Nations Unies.

Un Secrétaire général doit être jugé sur sa fidélité aux principes de la Charte, et par ses efforts pour en faire triompher les idéaux.

Avec la fin de la guerre froide, une nouvelle ère s’est ouverte pour l’Organisation des Nations Unies et son oeuvre de paix. Soudain, un Conseil de sécurité uni s’élevait d’une seule voix contre les crimes d’agression et les violations de la Charte. Le champ d’action du Secrétaire général s’étendait désormais à des zones jusque-là inaccessibles, ce qui, pour lui, créait de nouvelles responsabilités et entraînait de nouveaux risques.

Le Secrétaire général a dès lors pu mettre l’ONU au service de la paix dans des endroits oubliés, mais toujours déchirés par des conflits et des guerres ne méritant plus l’attention ou l’intervention des grandes puissances. Plus que jamais, la diplomatie et les négociations discrètes, ainsi que les efforts de médiation, pouvaient aider non seulement à mettre fin aux guerres, mais aussi à les prévenir.

La fin de la guerre froide a aussi et surtout transformé le rôle que peut jouer le Secrétaire général sur le plan moral, car elle lui a permis de mettre l’Organisation, libérée des contraintes dictées par l’idéologie ou par des intérêts particuliers, au service des valeurs universelles de la Charte.

Depuis deux ans que j’occupe le poste de Secrétaire général, j’ai voulu jouer ce rôle de deux façons différentes.

Premièrement, je me suis attaché à promouvoir le respect des droits universels de l’homme et la protection des victimes d’agressions ou d’exactions, où qu’elles se produisent. Aux Etats-Unis, la Présidence est, du moins depuis Theodore Roosevelt, employée comme une tribune. J’ai voulu, moi aussi, faire du poste de Secrétaire général une tribune, et je me suis efforcé de l’utiliser pour promouvoir la tolérance, la démocratie, les droits de l’homme et la bonne gouvernance, que je considère comme universels.

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A Téhéran, j’ai rendu hommage à la grandeur de l’Islam, tout en dénonçant les actes de terrorisme si injustement perpétrés en son nom. A Harare, j’ai appelé tous les Africains à considérer les droits de l’homme comme les leurs, et non pas seulement ceux des autres. A Shangaï, j’ai fait valoir que la liberté serait le catalyseur de la prospérité chinoise. Et dans les Balkans, j’ai condamné très tôt, et à maintes reprises, les crimes commis au Kosovo, demandant à toutes les parties de tirer les enseignements de la Bosnie.

Deuxièmement, chaque fois qu’il existait à mon sens une chance de résoudre un conflit par des moyens pacifiques, j’ai utilisé mes fonctions pour rapprocher deux ou plusieurs parties. J’ai couvert des milliers de kilomètres et effectué d’innombrables missions, quand le doute régnait autour de moi et en moi. Il m’est arrivé de m’interroger sur les véritables intentions d’un dirigeant, et en entrant dans une zone de guerre, je ne me suis jamais fait d’illusions quant à la possibilité de rétablir la paix, ni quant au prix du chaos.

Mais j’ai persévéré, car je sais que le monde est ce qu’il est, non ce je voudrais qu’il soit. Je dois faire preuve de réalisme quant à ce qu’un dirigeant peut être amené à faire par des moyens pacifiques, et quant au temps nécessaire pour rétablir la paix. Cela veut-il dire que moi-même, ou quiconque occupe mon poste, soyons, par définition, dénués de sens moral? Cela veut-il dire qu’un Secrétaire général ne puisse distinguer le bien du mal, ou la victime de l’agresseur?

Bien sûr que non. Et c’est précisément pour cette raison que je dois persévérer, car l’isolement et l’indifférence de la communauté internationale profitent bien plus souvent à l’agresseur qu’à la victime. Etre impartial ne signifie pas - et ne doit pas signifier - rester neutre face au mal; être impartial signifie observer strictement et sans parti pris les principes de la Charte. Ni plus, ni moins.

Quand je dis que je peux “traiter” avec un dirigeant, je ne pose aucun jugement, ni moral ni autre. Et je n’offre aucune garantie quant à la manière dont lui ou son Etat se comporteront à l’avenir vis-à-vis de la communauté internationale. Je ne fais que m’acquitter de la tâche que m’ont confiées les Nations Unies, c’est-à-dire chercher le moyen de résoudre un différend par des moyens pacifiques.

Quand je me suis rendu au Nigéria, en juillet, pour contribuer à faire progresser le processus de démocratisation, ce grand pays était en pleine transformation. L’incertitude et le malaise régnaient; rares étaient ceux qui entrevoyaient une issue. Avec la mort du Général Abacha, une page a été tournée, et aujourd’hui le Général Abubakar semble déterminé à honorer ses engagements et à accepter la souveraineté populaire. Ma présence, ne fut-ce qu’en qualité d’intermédiaire, a peut-être facilité une transition démocratique à un tournant dangereux, et par là non seulement amélioré les perspectives d’avenir du Nigéria, mais aussi favorisé la réalisation des objectifs de la Charte.

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Quand je me suis rendu en Libye en décembre, j’y suis allé à un moment critique en vue d’essayer d’obtenir justice pour les victimes de Lockerbie. J’espérais aussi éviter que ne se creuse encore la distance entre l’Afrique et les pays occidentaux dans leurs relations avec la Libye. Dans cette affaire, nos chances sont peut-être minces et, de toute évidence, personne ne peut prédire quelle décision prendra la Libye, ni à quel moment elle la prendra. Mais si ma visite a écourté, ne fut-ce que d’un jour, ce chapitre tragique de l’histoire, je m’estimerai satisfait, pour moi-même et pour l’Organisation des Nations Unies.

De toutes les missions que j’ai entreprises l’année dernière, nulle ne comportait plus de risques, tant pour l’Organisation des Nations Unies que pour son Secrétaire général, que celle que j’ai effectuée en Iraq. Les relations entre l’Iraq et le Conseil de sécurité étant dans l’impasse, je me suis rendu à Baghdad pour désamorcer la crise et permettre à l’UNSCOM de reprendre son indispensable tâche de désarmement de l’Iraq et d’élimination de ses armes de destruction massive. Pendant une période courte mais importante, l’Iraq a recommencé à s’acquitter de ses obligations et l’UNSCOM a pu accéder à des sites qui lui étaient restés fermés pendant plus de sept ans.

Je parle d’une “période courte” parce que l’Iraq a ensuite décidé d’entraver à nouveau les travaux de l’UNSCOM; il s’agissait là d’une violation flagrante et profondément inquiétante tant du Mémorandum d’Accord dont j’avais obtenu la signature que des obligations incombant de longue date à l’Iraq aux termes des résolutions du Conseil de sécurité.

Depuis lors, les crises qui ont abouti aux frappes aériennes de mois dernier se sont succédées, ponctuées par de brefs moments de coopération entre l’UNSCOM et le Gouvernement iraquien. Nous sommes de tout évidence parvenus à un moment charnière: entre le recours à la force et le respect pacifique des résolutions du Conseil de sécurité que j’ai toujours prôné; entre une vie libre et sans entrave pour un peuple qui a tant souffert et l’isolation et l’appauvrissement de civils qui ne portent aucune responsabilité dans les calamités de leur pays.

Chers amis, alors que nous sommes réunis, les membres du Conseil de sécurité recherchent activement une solution qui permette de restaurer l’unité en son sein tout en assurant le désarmement de l’Iraq et en allégeant les souffrances du peuple iraquien. Ceux qui se souviennent de la guerre froide tiendront pour une grande victoire l’unité du Conseil sur un problème aussi important.

C’est aussi cette question de l’unité du Conseil de sécurité qui, pour moi, fait de l’Iraq une telle priorité. Un Conseil divisé peut paralyser l’Organisation, et l’a déjà fait dans le passé. Il est de mon devoir de tout mettre en oeuvre pour éviter une telle situation, qu’il s’agisse de l’Iraq ou de tout autre problème.

Quels que soient les moyens que j’ai employés pour tenter de résoudre la crise iraquienne, mes objectifs ont toujours été clairs: respect intégral par l’Iraq de toutes les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité; désarmement de l’Iraq; réintégration du peuple iraquien dans la communauté internationale; stabilité de la région du Golfe et efficacité de l’Organisation des Nations Unies en tant que garant de la paix et de la sécurité internationales.

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Les précédents, les principes, la Charte et le devoir m’imposent de chercher à atteindre ces objectifs par la voie diplomatique et pacifique.

Mais en définitive, la paix que nous recherchons, en Iraq comme ailleurs, doit refléter les enseignements tirés de notre siècle tragique: la paix n’est ni véritable ni durable si elle est obtenue à n’importe quel prix; seule une paix juste peut être un hommage aux victimes de la guerre et de la violence; sans la démocratie, la tolérance et le respect des droits de l’homme pour tous, il ne peut y avoir de paix véritablement sûre.

Mettre ces leçons en pratique chaque fois que possible, c’est là la plus grande vocation et le plus grand devoir du Secrétaire général, vis-à-vis de lui-même, de sa fonction et de l’Organisation des Nations Unies. Comme l’a dit un jour mon illustre prédécesseur Dag Hammarskjold, “il s’agit non d’un homme, mais d’une institution”. C’est donc pour l’Organisation elle-même, et pour les espoirs et les aspirations qu’elle représente depuis plus d’un demi- siècle, que nous devons mener à bien notre mission.

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