En cours au Siège de l'ONU

SG/SM/6797

LE SECRETAIRE GENERAL FAIT L'ELOGE DES FORCES DE MAINTIEN DE LA PAIX QUI, SI ELLES NE PEUVENT RESOUDRE TOUS LES CONFLITS, ONT TOUJOURS UN ROLE CRUCIAL A JOUER

16 décembre 1998


Communiqué de Presse
SG/SM/6797


LE SECRETAIRE GENERAL FAIT L'ELOGE DES FORCES DE MAINTIEN DE LA PAIX QUI, SI ELLES NE PEUVENT RESOUDRE TOUS LES CONFLITS, ONT TOUJOURS UN ROLE CRUCIAL A JOUER

19981216 On trouvera ci-après le texte de l'allocution que le Secrétaire général de l'ONU, M. Kofi Annan, a prononcée à New York, le 17 novembre, à l'occasion d'une cérémonie au cours de laquelle le World Methodist Peace Award 1998 lui a été décerné :

Recevoir le World Methodist Peace Award 1998 est un honneur qui, pour moi, revêt une signification particulière. Succéder à des architectes de la paix tels qu'Anouar Sadate et Mikhail Gorbatchev est à la fois une leçon d'humilité et une source d'inspiration. Leçon d'humilité parce que leurs actions mêmes constituent des exemples vibrants de courage, d'initiative et d'indépendance. Source d'inspiration parce qu'ils ont montré que la conscience d'un homme pouvait changer le monde.

Je suis aussi très touché par vos paroles d'introduction à la fois aimables et généreuses, ainsi que par les textes que vous avez choisi de lire aujourd'hui, textes qui continuent à modeler mon travail et ma vie.

Comme vous le savez, j'ai commencé ma scolarité dans une institution méthodiste, l'école Nfantsipim, au Ghana. J'ai eu la chance d'avoir des enseignants qui avaient compris que le savoir prenait sa vraie valeur lorsqu'il était assorti d'un sens moral. Ils savaient que pour résister au mal et à l'ignorance, l'enseignement et l'éducation étaient encore les meilleures réponses. Forts de leur foi, ils m'ont appris que la souffrance, où qu'elle se produise, ne pouvait laisser personne indifférent, et qu'il suffisait d'une seule bonne volonté pour illuminer le monde.

Lorsque je regarde le chemin parcouru, depuis l'école jusqu'à l'ONU, je chéris tout particulièrement ce que mes professeurs m'ont appris sur la façon dont nous percevons le monde qui nous entoure et comment, en retour, ce monde nous considère. Je me souviens qu'une fois le Révérend Branful avait drapé le tableau noir d'un tissu blanc marqué d'un point noir et nous avait demandé ce que nous voyions. Notre réponse a été unanime : "Un point noir". Il nous a rétorqué : "Seulement le point noir? Pourquoi seulement le négatif? Que

- 2 - SG/SM/6797 16 décembre 1998

faites-vous de tout l'espace blanc qui l'entoure?" En fait, il nous rappelait de toujours aller au-delà de la simple apparence, d'essayer d'embrasser la situation dans son ensemble, de ne pas voir que le mauvais côté des choses. Il nous apprenait que toute situation a plusieurs facettes et qu'une question n'a presque jamais qu'une seule réponse.

Pour faire régner la paix entre des belligérants, pour convaincre les combattants de déposer les armes et les tyrans de renoncer à la tyrannie, il est essentiel d'envisager les conflits dans toute leur complexité. Pour parvenir à la paix, nous devons parfois serrer la main des agresseurs, prêter l'oreille aux propos des ennemis, car selon l'expression même de feu Isaac Rabin, "c'est avec nos ennemis que nous faisons la paix, pas avec nos amis".

La paix est par excellence toujours imparfaite. Pourquoi? Parce qu'elle éclôt sur les cendres, les souffrances et la haine laissées par la guerre. Elle naît des pires cruautés dont les hommes sont capables. Relever l'humanité frappée par un tel fléau nécessite une patience infinie, la volonté inlassable de voir la clarté au plus profond des ténèbres et l'espoir au milieu de la désolation. En vérité, cette tâche est pour ceux qui, sans jamais céder au découragement, sauront toujours trouver en eux la force d'aller de l'avant.

C'est cette tâche, ô combien difficile, qui est dévolue aux Nations Unies. C'est à cette fin que l'ONU a été fondée sur les décombres de la guerre la plus destructrice que l'humanité ait jamais connue. C'est à cette mission que nous nous consacrons depuis plus de 50 ans, de l'Afrique à l'Asie, des Balkans à l'Amérique latine, partout où nous cherchons à maintenir la paix, à promouvoir le développement et à faire respecter les droits de l'homme.

Comme beaucoup d'entre vous le savent, cette année marque le cinquantième anniversaire de la première mission de maintien de la paix lancée par les Nations Unies. Il y a 50 ans, des soldats, rassemblés sous un nouveau drapeau, étaient envoyés sur le champ de bataille, investis d'une mission sans précédent dans l'histoire de l'humanité : une mission de paix. Il s'agissait de combattre la barbarie par ce que l'homme a de meilleur en lui, de contrer la violence par la tolérance, le déchaînement par la modération, et la guerre par la paix.

Cette mission est passée à la postérité comme étant le premier exemple de ce qui est depuis connu sous le nom d'"opération de maintien de la paix". Depuis lors, jour après jour, année après année, les Casques bleus des Nations Unies ont vécu sous la menace des conflits et en ont connu la réalité, mais ancrés dans leur conviction, ils n'ont jamais reculé, jamais renoncé.

- 3 - SG/SM/6797 16 décembre 1998

Cinquante plus tard, nous ne pouvons pas crier victoire, mais nous ne sommes pas prêts à concéder la défaite. Certes, les opérations de maintien de la paix ne permettent pas de résoudre tous les conflits, mais de là à prétendre qu'elles sont toujours inutiles, il y a un pas que nous nous refusons à franchir. Les opérations de maintien de la paix ne peuvent pas empêcher de nouveaux conflits d'éclater, mais nous sommes convaincus qu'elles peuvent aider l'humanité à connaître un futur moins tumultueux que son passé.

La tâche qui reste à accomplir est immense. Trop d'innocents meurent à l'heure même où je vous parle, trop nombreux sont les conflits où notre intervention peut être décisive pour que nous quittions les champs de bataille et abandonnions tout espoir.

Alors que les opérations de maintien de la paix entrent dans leur second demi-siècle, nous avons compris que l'absence de guerre ne suffisait pas à caractériser la paix. Ne plus se sentir menacé, ne plus vivre dans la peur ni le besoin, avoir la possibilité de manifester ses convictions sans crainte de représailles sont autant de conditions essentielles à l'instauration de la paix entre les hommes et à l'existence de l'humanité. Elles constituent ce que nous appelons les "droits de l'homme". Pour reprendre l'évangile selon saint Mathieu, dont Mgr Lindsey vient de nous lire un passage, ces droits appartiennent en propre à "ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des cieux est à eux".

En effet, cette année marque aussi le cinquantième anniversaire de l'un des fondements de la paix : je veux parler de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Cet anniversaire intervient à un moment où des progrès considérables ont été accomplis dans ce domaine, grâce tant aux efforts de l'ONU qu'à des initiatives extérieures. La consolidation de la paix repose sur le respect des droits de l'homme et c'est pourquoi nous veillons à ce qu'il en soit tenu compte dans les activités de base des missions de maintien de la paix.

Nous avons appris que promouvoir les droits de l'homme dans un pays servait la cause de la justice au sein de ce pays, mais permettait aussi de nouer des relations pacifiques entre les différentes nations. Nous avons appris que le respect des droits de l'homme créait des conditions propices à la paix, mais aussi à la prospérité en permettant aux hommes d'exprimer leurs convictions et de laisser libre cours à leur esprit d'initiative.

Les paroles d'Isaïe — "De leurs glaives ils forgeront des hoyaux, et de leurs lances des serpes; une nation ne tirera plus l'épée contre une autre, et l'on n'apprendra plus la guerre" — resteront peut-être à jamais un idéal hors de portée.

- 4 - SG/SM/6797 16 décembre 1998

Toutefois, si en servant la cause de l'Organisation, nous pouvons contribuer à ce que cet idéal devienne une réalité plus qu'une chimère, à ce qu'il soit plus proche que lointain, à ce qu'il permette de protéger l'innocent plutôt que d'enhardir le coupable, nous aurons rempli notre rôle. Si, dans nos efforts pour faire respecter les droits de l'homme nous permettons à une nouvelle voix de s'élever affranchie de tout lien, à un autre esprit de penser débarrassé de tout carcan et à un autre enfant de s'épanouir libre de toute entrave, nous aurons aussi rempli notre rôle.

Nous aurons à la paix donné une nouvelle chance d'éclore.

* *** *

À l’intention des organes d’information. Document non officiel.