SG/SM/6807

EN AFRIQUE, LES CONFLITS NE SONT NI INELUCTABLES NI IRREDUCTIBLES, DECLARE LE SECRETAIRE GENERAL AU SOMMET DE PARIS

1 décembre 1998


Communiqué de Presse
SG/SM/6807
AFR/116


EN AFRIQUE, LES CONFLITS NE SONT NI INELUCTABLES NI IRREDUCTIBLES, DECLARE LE SECRETAIRE GENERAL AU SOMMET DE PARIS

19981201 On trouvera ci-après le texte de la déclaration que le Secrétaire général, M. Kofi Annan, a faite au Sommet Afrique-France, à Paris le 27 novembre :

C'est pour moi un plaisir et un honneur de m'adresser à cette assemblée des dirigeants des pays d'Afrique.

Permettez-moi tout d'abord d'exprimer toute ma gratitude au Président Chirac et au Gouvernement français qui accueillent cette réunion. Ils démontrent ainsi que la communauté internationale veut véritablement s'associer à l'Afrique dans sa recherche de la paix et de la prospérité.

L'Afrique traverse une époque de profondes mutations et de crises graves. Nous sommes tous ici conscients de l'importance de notre mission et résolus à mettre fin aux guerres qui déchirent le continent.

Que nul n'en doute : seule l'instauration de la paix peut permettre au développement de prendre véritablement racine en Afrique. C'est pourquoi le thème retenu pour le sommet de cette année — "La sécurité en Afrique" — revêt une importance et une actualité particulières.

Nous savons tous que la sécurité a des dimensions très diverses — politique, sociale et économique — et que ces dimensions sont interdépendantes et indivisibles. Nul ne peut se sentir véritablement en sécurité s'il n'a pas accès à l'enseignement, à l'emploi, à la santé. Or, trop de fils et de filles de l'Afrique en sont encore privés aujourd'hui. Les coupables en sont la pauvreté, la maladie et la guerre.

Nous savons tous aussi que, sans la paix, sans la sécurité, sans la bonne gouvernance et la démocratie, aucune aide, aussi volumineuse soit-elle, ne permettra aux Africains de sortir définitivement du chaos pour créer une véritable communauté africaine. Plus que jamais, nous devons garder cette réalité à l'esprit.

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De la Guinée-Bissau à la Sierra Leone, du Soudan à l'Éthiopie et à l'Érythrée et de la République démocratique du Congo à l'Angola, la violence et la guerre ensanglantent notre continent. Trop nombreux sont les Africains tués par les conflits. Trop nombreux sont les innocents qui ne peuvent exercer les plus fondamentaux des droits de l'homme. Trop nombreux sont les enfants qui n'ont pas la moindre possibilité de mener une vie simplement normale. Et trop nombreux sont les dirigeants qui, ne connaissant toujours que la raison du plus fort, veulent régler les différends non par le pouvoir de la raison mais par la force des armes.

Comment faire pour que la raison l'emporte sur la rage, la modération sur la force, la tolérance sur la violence, la paix sur la guerre? Où trouver les solutions qui permettront à l'Afrique de régler ses conflits? Et à qui s'adresser pour trouver ces solutions? La réponse est très simple : nous devons compter sur nous-mêmes.

Nous portons une lourde responsabilité. Les Africains de la prochaine génération observeront nos actes — ils les observent déjà d'ailleurs — et se demanderont si nous avons tout fait pour préparer l'Afrique au XXIe siècle. Si nous leur avons donné la paix et la prospérité qu'ils méritent. Si les valeurs que nous leur avons léguées sont celles du respect des droits de l'homme, de la tolérance et de la coexistence pacifique.

Les réponses, mes amis, se trouveront dans les actes, non dans les mots. Elles se trouveront dans notre détermination à assurer le pluralisme au sein même des États, de façon que la paix puisse régner entre eux. Elles se trouveront dans notre volonté de mettre fin aux conflits, de façon que sa chance soit vraiment donnée au développement.

Oui, ce sont des solutions africaines qu'il nous faut apporter aux problèmes de l'Afrique. C'est aux résultats qu'elles donneront, cependant, plutôt qu'à l'aune de leur origine, que se mesurera la valeur de ces solutions. Ce qui importe, ce n'est pas qui apporte les solutions, c'est la paix durable et la justice dans la prospérité qu'elles doivent instaurer.

Que nous puissions donner ces réponses, aujourd'hui ou demain, je n'en doute aucunement. Les ressources humaines et matérielles extraordinaires dont est dotée l'Afrique, le ressort de ses peuples et leur solidarité profonde, le respect grandissant pour la primauté du droit, la formation de nos jeunes, voilà autant d'atouts dont notre continent n'avait encore jamais eu la possibilité de tirer aussi pleinement parti. À nous, maintenant, de faire face.

Voilà 20 mois que je suis devenu Secrétaire général de l'ONU, 20 mois que je fais de la sécurité et du développement de l'Afrique l'un de nos objectifs premiers. Je m'emploie sans relâche à maintenir les énergies et les idées résolument braquées sur les problèmes auxquels se heurte le continent.

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J'ai dit déjà, lorsque j'ai présenté mon rapport sur les conflits en Afrique au Conseil de sécurité en avril dernier, et je vous redis aujourd'hui qu'il y a trop longtemps que les antagonismes dont pâtit le continent sont tenus pour inéluctables ou irréductibles, voire les deux à la fois. Ils ne le sont pas. En Afrique, comme partout ailleurs, les conflits sont le fait des hommes, et peuvent être réglés par les hommes. Mais l'action nécessaire implique imagination, persistance, patience et, surtout, volonté. Il faut que se manifeste la volonté politique de mettre fin aux conflits par des moyens politiques, et non militaires, il faut que les affaires publiques soient conduites de manière avisée, il faut que soit assurée la croissance économique.

L'ONU donne déjà suite à mon rapport, sur le plan économique, principalement, mais aussi dans le cadre de conférences spéciales sur la Guinée, le Libéria et la Sierra Leone. La semaine dernière, le Conseil de sécurité a adopté deux nouvelles résolutions sur l'Afrique, l'une concernant la sécurité dans les camps de réfugiés, l'autre les mouvements d'armes illicites. Ces textes témoignent de tout l'intérêt que le Conseil porte à deux questions d'importance critique pour la sécurité de notre continent.

Il convient au demeurant de noter que l'activité du Conseil de sécurité porte pour plus de 60 % sur des questions africaines. Et d'autres organes de l'ONU arrivent non loin derrière. L'Assemblée générale, après avoir longuement délibéré, est maintenant prête à adopter une résolution qui conduira, entre autres choses, à la mise en place d'un mécanisme spécial pour le suivi de l'application de mon rapport. Le Conseil économique et social, lui aussi, procédera à un examen approfondi de ce texte lors de sa prochaine session de fond.

Au cours du débat de l'Assemblée générale, j'ai convoqué une réunion des ministres des affaires étrangères et autres hauts fonctionnaires du Comité d'aide au développement de l'OCDE, et ai appelé l'attention des participants sur plusieurs domaines prioritaires. J'ai souligné en particulier la nécessité d'accroître le volume et d'améliorer la qualité de l'aide publique au développement, ainsi que d'alléger considérablement la dette des plus pauvres parmi les pays d'Afrique.

J'ai également mis l'accent sur l'importance que revêt l'élargissement de l'accès aux marchés des pays industrialisés, et, ce qui importera sans doute le plus à long terme, sur la nécessité d'accroître le volume des investissements étrangers en Afrique. Cela étant, nous savons malheureusement tous qu'aucun investisseur privé, qu'il s'agisse de la multinationale la plus ouverte sur l'avenir ou du plus patriotique des Africains, ne risquera son capital durement acquis dans un coin du monde où persiste à régner la précarité. Sans stabilité politique, dans un climat d'incertitude chronique, ni investissements ni aide au développement ne doivent être escomptés.

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Il est regrettable, à cet égard, que les sept mois écoulés depuis la publication du rapport n'aient pas été plus encourageants. Des rivalités longtemps en sommeil ont resurgi, portant en elles la menace de nouveaux conflits, tandis que guerres larvées et milices indociles continuent d'infliger les pires souffrances aux populations civiles, faisant de la paix un mirage toujours plus insaisissable.

Issus d'une culture de l'intolérance armée, bon nombre de ces conflits sont envenimés par des meneurs soucieux de leurs seuls intérêts personnels, et par trop prompts à tirer avantage des différences ethniques, religieuses ou sociales. Nous savons pourtant que l'histoire de l'Afrique abonde en exemples de coexistence et de coopération par-delà les frontières et les croyances, défiant les divergences et inspirant l'unité. Ce que nous savons aussi, cependant, c'est que certains dirigeants ont exploité les différences et semé la haine là où ils ne pouvaient ni apporter la paix, ni produire de véritable prospérité.

Le résultat de tout cela est clair. La haine ethnique nous a valu les crimes inqualifiables commis en Afrique ces dernières années, dont le pire de tous a été le génocide au Rwanda.

Trop nombreuses sont les régions du continent où les conflits ethniques continuent à faire obstacle au progrès économique et à la bonne gouvernance, fragilisant partout la paix et provoquant des risques d'explosion au moindre signe de division. Et ces conflits influent sur la manière dont le continent tout entier est perçu par le reste du monde.

Je sais que cela est profondément injuste. Quelques pays d'Afrique ont des taux de croissance tout à fait honorables et méritent indubitablement d'attirer des investissements. Mais nous sommes tous affectés par l'image négative d'un continent en crise. C'est là un handicap que nous ne pouvons nous permettre, surtout au moment où les événements qui se produisent dans d'autres parties du monde peuvent par contagion amener de nombreux investisseurs à garder leurs distances par peur du risque.

Chers amis, nous devons faire converger nos efforts pour sortir de ces crises, et pour consacrer les ressources et les énergies ainsi libérées à la tâche essentielle du développement économique et social. N'oublions pas que, si on la compare à celle d'autres régions, notre situation économique est faible et qu'elle le serait d'ailleurs même si l'Afrique était unie. Divisés et déchirés par les conflits, nous sommes à coup sûr privés de toutes nos chances.

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Ma plus grande crainte à l'heure actuelle vient de la guerre qui fait des ravages dans la République démocratique du Congo et dans laquelle sont maintenant impliqués une demi-douzaine au moins d'autres États africains. Cette guerre risque d'être pour nous un défi sans égal. Mais c'est un défi qui comporte des leçons pour toute l'Afrique, tant sur le plan du progrès interne que sur celui de la stabilité externe. Ce qu'il faut, au Congo comme partout ailleurs, c'est que toutes les parties choisissent irrévocablement la paix et le compromis, et renoncent à la violence et au conflit.

Avant tout, nous devons reconnaître que ce qui se produit à l'intérieur des États affecte profondément les relations qu'ils entretiennent avec leurs voisins. Les États qui pratiquent la tolérance et le respect des droits de l'homme, qui investissent dans l'éducation, qui sont fiers de leur diversité ethnique et qui font preuve de réceptivité dans leurs politiques seront en règle générale moins vulnérables aux attaques extérieures et moins tentés par l'aventure extérieure. En d'autres termes, en cherchant à éliminer les causes du malaise intérieur, nous pouvons contribuer à bannir le risque de conflit extérieur. Je suis heureux de déclarer que de nombreux États africains s'attaquent à leurs problèmes internes par des moyens constructifs. Je voudrais terminer sur une note optimiste en rappelant les événements qui se sont produits récemment dans l'un de ces États.

Au Nigéria, le général Abubakar a relevé le défi que l'avenir pose à son pays. Il a choisi la voie de la démocratie véritable et de la légalité. La répression s'éloigne, la responsabilisation politique et financière s'affirme. Les perspectives d'avenir du Nigéria semblent aujourd'hui bien meilleures qu'elles ne l'étaient depuis de longues années. J'ai eu le privilège de contribuer modestement à ce processus lorsque je me suis rendu au Nigéria en juin dernier. L'Organisation des Nations Unies restera activement impliquée, et fera tout en son pouvoir pour contribuer au succès du processus en cours. Mais nous n'en sommes pas encore là. Le Nigéria nous a déjà montré toutefois qu'une direction sobre et éclairée, déterminée à écouter et à servir la volonté du peuple, peut transformer les chances d'une nation et mettre fin à un tragique gaspillage pour commencer à créer des richesses durables.

Nous apprenons ainsi que le passé n'est pas nécessairement le prologue de ce qui viendra demain, que nous pouvons tourner la page et tirer la leçon de nos erreurs passées et que nous pouvons demander à une nouvelle génération de s'atteler aux lourdes tâches qui attendent l'Afrique en ayant confiance en l'avenir. Si l'expérience du Nigéria est menée à bien et si d'autres s'en inspirent, nous pourrons dire à nos enfants et à nos petits-enfants : oui, nous avons choisi la paix, nous avons choisi la démocratie et nous avons choisi les droits de l'homme.

Formons un voeu, et espérons que nous pourrons leur dire qu'en ce temps- là, l'Afrique a trouvé des solutions pour régler ses problèmes et que les solutions qu'elle a trouvées étaient les bonnes.

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