En cours au Siège de l'ONU

DSG/SM/28

LA VICE-SECRETAIRE GENERALE SOULIGNE L'IMPORTANCE D'UN PARTENARIAT ENTRE L'ORGANISATION DES NATIONS UNIES ET LE SECTEUR PRIVE

1 décembre 1998


Communiqué de Presse
DSG/SM/28


LA VICE-SECRETAIRE GENERALE SOULIGNE L'IMPORTANCE D'UN PARTENARIAT ENTRE L'ORGANISATION DES NATIONS UNIES ET LE SECTEUR PRIVE

19981201 Dans ce discours, prononcé devant une association new-yorkaise d'hommes d'affaires, la Vice-Secrétaire générale relève une reconnaissance mutuelle accrue entre l'ONU et le secteur privé, un certain repli de la crise financière mondiale et la persistance de problèmes chroniques.

On trouvera ci-après le texte de la déclaration que la Vice-Secrétaire générale, Mme Louise Fréchette, a faite devant le Conseil mondial des entreprises pour le développement durable le 5 novembre 1998, à New York :

C'est un grand plaisir pour moi de vous retrouvez ici ce soir, au Siège de l'Organisation des Nations Unies. Le monde des affaires devient rapidement l'un des meilleurs amis et alliés de l'Organisation et je suis heureuse de l'occasion qui m'est donnée de resserrer les liens qui nous unissent.

Votre association, en particulier, sous la direction de Björn Stigson, est à la pointe de l'action. Votre engagement au service du développement durable sous ses deux aspects complémentaires est exemplaire. Vous avez compris que le Sommet planète Terre était une source non pas de contraintes mais de débouchés commerciaux. Et, depuis lors, dans toutes vos activités, vous veillez à tenir compte des préoccupations économiques, écologiques et sociales. Nous vous devons cette idée de "partenariat". J'applaudis à votre clairvoyance et à votre courage.

Je dis courage parce qu'il n'y a pas si longtemps, une réunion comme celle-ci aurait été tout à fait inhabituelle. Comme vous le savez, le secteur privé était naguère plutôt méfiant à l'égard de l'Organisation des Nations Unies, et celle-ci, pour sa part, considérait souvent d'un mauvais oeil le monde des affaires. Je pense que vous conviendrez que la situation a évolué de façon radicale.

L'Organisation des Nations Unies apprécie désormais vivement le rôle que joue le secteur privé : ses compétences, son esprit novateur, ses capacités sans pareil de créer des emplois et des richesses. En même temps, le monde

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des affaires et les industriels reconnaissent les nombreux mérites des travaux de l'Organisation des Nations Unies pour ce qui est de favoriser la stabilité politique et sociale ainsi qu'un climat fiable et réglementé propice au commerce, à la production et aux investissements.

Dans un monde qui partage les mêmes intérêts, les mêmes difficultés et les mêmes faiblesses, l'Organisation des Nations Unies et le monde des affaires trouvent de plus en plus de terrains d'entente. Nos rapports ont considérablement progressé et, comme jamais auparavant, les portes de l'Organisation vous sont ouvertes, tout comme aux forces de plus en plus dynamiques de la société civile. Vous participez aux débats politiques tenus au Siège et dans le cadre de conférences mondiales. Dans le monde entier, vous collaborez sur le terrain avec les programmes et les organismes des Nations Unies dans le cadre d'un vaste éventail de projets de développement. Ces activités sont dans l'intérêt de tous. À l'heure de la mondialisation, il est bon que tous les acteurs de la vie internationale prennent part au règlement des problèmes mondiaux.

Mais il ne suffit pas de le dire. Il nous faut sérieusement réfléchir au genre de solutions que nous souhaitons. Pour ce faire, il est indispensable de comprendre précisément la nature des problèmes auxquels nous faisons face. Selon moi, les problèmes qui se posent aujourd'hui à l'économie mondiale sont doubles. En premier lieu, le marché mondial, un de nos sujets favoris, est encore très imparfait, parce qu'au niveau international les réglementations indispensables au bon fonctionnement de tout marché laissent encore beaucoup à désirer. Et, en second lieu, même à supposer que le marché fonctionne parfaitement, certains de ses aspects peuvent faire un grand nombre de mécontents, exposant par là-même l'ensemble du système à une réaction destructrice.

Sur le premier point, nous sommes, en théorie, tous d'accord. Dans le monde entier, d'aucuns ont tiré des profits colossaux de la libéralisation des marchés. Nous savons tous que les marchés ne peuvent fonctionner isolément et que l'état de droit leur est indispensable. À cet égard, la récente crise financière nous a rappelé qu'il existait toujours des disparités et des déséquilibres dans le système, aussi bien au niveau national dans de nombreux pays qu'au niveau international. Ces deux dernières semaines, certains signes prometteurs permettent d'espérer que le pire est peut-être passé.

Les décisions courageuses prises par les gouvernements de certains des pays asiatiques les plus touchés — la Thaïlande, la Corée, l'Indonésie — redonnent progressivement confiance aux investisseurs et ouvrent la voie à une reprise de la croissance tirée par les exportations, que devraient stimuler encore les effets de multiplicateur du Plan japonais Miyazawa. Entre-temps, les taux d'intérêt ont fléchi en Europe et aux États-Unis, alimentant une reprise des marchés boursiers. Les résultats de l'économie américaine pour le troisième trimestre montrent que la croissance demeure solide.

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Mais des dangers demeurent. Sans doute sommes-nous tous profondément inquiets de voir comment la société brésilienne s'adaptera à un plan d'ajustement draconien visant à préserver une stabilité durement gagnée. (Souvenez-vous que le Brésil connaît déjà un taux de chômage de 11 %, 17 % dans ses principaux centres industriels.)

Je suis convaincue que vous savez mieux que personne quels dangers menacent un grand nombre de jeunes pays si les marchés demeurent trop longtemps réfractaires à toute espèce de risque, et maintiennent la frilosité qui s'est emparée d'eux il y a quelques semaines lorsque d'importants fonds de placement à haut risque se sont trouvés en difficulté. Il s'agirait d'une véritable tragédie et il faut l'éviter — le cas échéant par une intervention opportune et décisive du secteur public.

Cela étant, même si l'on peut éviter ces dangers et même si l'économie mondiale semble se stabiliser, il ne s'agit pas de nous reposer sur nos lauriers et de déclarer que "tout va bien". En effet, même si les marchés se rétablissent, il faudra des années pour réparer les dommages causés par la crise à des milliers de familles en Asie de l'Est et ailleurs.

De fait, certains de ces dommages sont à jamais irréparables. En Indonésie, d'après le Directeur du Fonds des Nations Unies pour l'enfance dans le pays, la mortalité maternelle et infantile aurait brutalement augmenté depuis le début de la crise et plus de la moitié des enfants âgés de moins de 2 ans souffriraient de malnutrition.

Dans la tranche d'âge suivante, 8 millions d'enfants indonésiens ont abandonné l'école. Des écoliers coréens, notamment dans le primaire, se passent de déjeuner faute de moyens. La criminalité et la violence sont en recrudescence dans de nombreuses parties de la région.

Si l'on ne prend pas rapidement des dispositions pour remédier à cette crise économique, elle se transformera en une crise de développement beaucoup plus grave et de plus longue durée. Cela étant, les gouvernements sont contraints de réduire considérablement leurs dépenses sociales au moment même où les services sociaux sont le plus nécessaires.

Telle est la situation en Asie de l'Est, où la crise a commencé et où la différence par rapport aux années précédentes est la plus frappante. Mais d'autres régions du monde en développement sont aussi touchées, à mesure que les cours des produits de base s'effondrent et que les investisseurs s'enfuient. Et à présent, des nouvelles tout aussi mauvaises nous parviennent de Russie.

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Dans une large mesure, ce qui précède est imputable aux imperfections du marché — insuffisances des réglementations bancaires, absence de transparence, capitalisme de copinage, convertibilité prématurée aux fins des transactions en capital, ainsi qu'un certain nombre de carences dans ce que l'on appelle "l'architecture financière mondiale".

On a commis de terribles erreurs dont on a tiré de nombreux enseignements douloureux. Mais l'analyse des erreurs passées pour en tirer des conclusions applicables, tant aux politiques qu'aux arrangements institutionnels, est loin d'être terminée et il faut donc poursuivre cette tâche.

Cela dit, j'en viens maintenant à mon second point : malheureusement, se contenter de remédier aux imperfections du marché mondial pour attendre passivement que tout s'arrange de soi-même ne suffira pas. Parce que la triste vérité c'est que, dans le contexte actuel de notre économie mondiale, ceux qui ne prennent aucunement part au marché se comptent par centaines de millions.

Ils n'ont pas accès à l'éducation de base, au logement, à l'eau potable ni, durant leur enfance, à un régime alimentaire adéquat. Ils n'ont pas accès aux services de transport et aux réseaux de communications les reliant à des fournisseurs et des clients potentiels, ou à des employeurs, qui sont indispensables à quiconque aspire à prendre activement part à la concurrence sur le marché. De surcroît, bon nombre d'entre eux sont exposés à la guerre ou à la violence arbitraire.

La crise s'est malheureusement traduite par une augmentation du nombre des marginaux et des exclus du marché sans être pour autant à l'origine de ce problème. En effet, les preuves abondent selon lesquelles, même au plus fort du boom économique, la mondialisation creusait dans les faits l'écart entre les riches et les pauvres tant à l'intérieur des pays qu'entre les pays eux- mêmes. Des centaines de millions de personnes ne tiraient pas profit de la mondialisation.

Sans aucun doute le marché est appelé à se développer progressivement au fil des décennies pour s'étendre à une proportion de plus en plus vaste de l'humanité. Si regrettable que soit le présent repli des économies asiatiques et si tragiques que soient certaines de ses conséquences, ceci n'a en rien réduit à néant tous les progrès accomplis jusqu'alors, et qui ont permis de tirer plus rapidement de la pauvreté beaucoup plus de personnes que jamais auparavant.

Mais des millions d'hommes et de femmes mourront avant que ce processus ne les touche. Il s'agit là non seulement d'une terrible tragédie mais aussi d'un gaspillage catastrophique de talents et de ressources humaines. Songez simplement à tous ceux qui vont vivre et mourir sans avoir eu l'occasion d'offrir leur unique contribution au progrès de l'humanité.

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Cette pensée ne devrait pas manquer de nous inquiéter, encore que les plus fortunés d'entre nous puissent être tentés de l'écarter.

Mesdames et messieurs, à mon humble avis, agir ainsi serait non seulement immoral mais encore imprudent. En effet, tous ces hommes et ces femmes ne vont pas attendre patiemment la mort, ni que les bienfaits de l'économie de marché finissent par les atteindre; en fait, leur triste sort fournira des arguments, et peut-être même des partisans, à ceux qui prônent l'abandon de la liberté politique et économique au profit d'autres voies de salut. Il y a 20 ans, de telles réflexions auraient évoqué le spectre du communisme. À présent d'autres "ismes" viennent à l'esprit : populisme, fanatisme, nationalisme, chauvinisme ethnique et terrorisme.

Le monde contemporain est en proie à tous ces mouvements, symptomatiques de la crise apparente du capitalisme, et qui rallient à leur cause les désenchantés et les laissés pour compte. En bref, nous devons non seulement corriger les imperfections du marché mais encore faire quelque chose pour ceux qui sont à présent exclus du marché et de ses profits. À défaut, nous risquons une réaction à l'encontre du système réglementé des échanges lui- même, parce que des gens en colère le rendront responsable de leurs malheurs.

Selon moi, ce qui est véritablement nécessaire c'est un cadre plus clair, non seulement de règles mais encore de valeurs éthiques dans lequel le marché puisse fonctionner. Je suis convaincue, en disant cela, de prêcher des convertis. Vous représentez ce segment du monde des affaires qui s'attaque enfin à la notion de "citoyenneté sociale", qui accepte l'idée que la réussite d'une entreprise n'intéresse pas seulement ceux qui en achètent ou en vendent les actions sur le marché boursier. Je constate avec plaisir que vous avez créé un groupe de travail sur la responsabilité sociale des sociétés, dirigé par Shell et Rio Tinto, et j'espère que nous, au sein de l'Organisation des Nations Unies, pourrons contribuer à ses travaux.

Certains de vos membres ont un chiffre d'affaires annuel qui dépasse de loin le produit national de bon nombre des pays où ils sont établis, même des géants régionaux comme l'Afrique du Sud et le Brésil. Je sais que vous ne vous sentez pas toujours aussi puissants à titre individuel que vous le paraissez à titre collectif aux yeux du monde extérieur de par ce volume d'activités, qui j'espère vous donne en revanche un solide sens des responsabilités.

Parfois, en effet, lorsque organisations non gouvernementales et groupes de consommateurs vous assaillent de toutes parts, vous avez peut-être l'impression d'être tenus responsables de tout ce qui ne va pas dans chaque pays où vous avez des investissements. On vous tient responsables, semble-t- il, chaque fois qu'un paysan est exproprié ou brutalisé par la police, chaque fois qu'un hectare de forêt humide est déboisé ou brûlé, ou chaque fois qu'un enfant travaille dans un atelier clandestin au lieu d'aller à l'école.

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Comme certains d'entre vous l'ont déjà bien compris, pour répondre à ces accusations, vous devez veiller au caractère exemplaire de ce que vous faites dans le pays où vous investissez et contribuer par là-même à y améliorer les conditions d'emploi et les pratiques environnementales.

Je suis convaincue que certains d'entre vous ont également compris que, dès que vous investissez dans un pays, la situation des droits de l'homme dans ledit pays vous regarde, que cela vous plaise ou non. Vous ne serez sans doute pas en mesure de modifier la situation des droits de l'homme à travers le pays du jour au lendemain, mais vous pouvez inclure la Déclaration universelle des droits de l'homme dans vos projets d'entreprise (aucun gouvernement ne peut s'y opposer étant donné que tous les 185 États Membres de l'Organisation des Nations Unies y ont souscrit). Et, par-dessus tout, vous pouvez veiller à ne pas être vous-mêmes complices d'abus des droits de l'homme.

Certains d'entre vous ont entamé un dialogue sur ces questions, à tout le moins avec vos critiques les plus raisonnables parmi les organisations non gouvernementales — dialogue qui demande de la patience, mais que l'une et l'autre parties considèrent presque toujours fécond.

Nous vous encourageons assurément à l'Organisation des Nations Unies à vous engager sur cette voie. Nous pouvons même être en mesure de vous aider à le faire. Nous collaborons de longue date avec les organisations non gouvernementales pour aider les gouvernements à s'entendre sur des normes et principes universels puis à les mettre en pratique. Tel a été le cas dans des domaines allant des changements climatiques à la justice pénale internationale, en passant par le contrôle des armements.

Dans certains de ces domaines, le secteur des entreprises a déjà joué un rôle important et a jugé utile de le faire, précisément parce que l'Organisation des Nations Unies a un caractère universel et que ses principes sont largement acceptés. Rares sont les gouvernements et les organisations non gouvernementales qui refuseront l'occasion de participer à un dialogue organisé au sein de l'Organisation des Nations Unies; et peu nombreux sont ceux qui, participant à un tel dialogue, pourront refuser de s'associer à la recherche d'un consensus dépassant des intérêts purement sectoriels.

Une série d'importantes conférences, auxquelles tous les gouvernements du monde ont pris part, nous a permis de forger un consensus des trois domaines qui devraient particulièrement intéresser le milieu des affaires :

1. Il existe des normes et des conditions minimales d'emplois auxquelles les travailleurs peuvent prétendre quel que soit l'endroit où ils vivent. Il s'agit, entre autres, de la liberté d'association et du droit de négociation collective; de l'élimination de toutes les formes de travail forcé

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ou obligatoire; de l'abolition effective du travail des enfants; du droit au travail pour tous, sur un pied d'égalité et de l'égalité des droits sur le lieu de travail, sans discrimination fondée sur la religion, le sexe ou l'origine ethnique.

2. Les droits de l'homme sont essentiels pour chacun mais ils sont aussi indivisibles. Ils comprennent à la fois les droits économiques et sociaux et des libertés politiques formelles.

3. Le développement durable doit signifier ce qu'il énonce : la croissance économique est indispensable aux pays pauvres, mais cette croissance doit suivre un modèle viable aussi bien écologiquement que socialement. La gestion de l'environnement doit se fonder sur une approche préventive et le secteur des entreprises doit assumer sa part de responsabilité. Il doit tout particulièrement s'efforcer activement d'investir dans des technologies respectueuses de l'environnement et en favoriser une plus large diffusion.

Il n'est manifestement pas aisé d'assurer le respect de ces normes dans le monde entier. Mais nous n'y parviendrons que si chacun d'entre nous commence à les appuyer publiquement, à les défendre et à les mettre en oeuvre en pratique.

Enfin, Mesdames et Messieurs, je tiens à souligner que ces normes ne sauraient être isolées du processus général de développement. Il ne saurait y avoir de développement si l'on foule aux pieds les droits du travail et les droits de l'homme ainsi que l'environnement. Cela étant, sans développement il ne peut y avoir de renforcement des normes dans aucun des domaines ci- dessus. C'est la raison pour laquelle notre priorité, tout comme la vôtre, doit toujours être d'oeuvrer dans le sens du développement et non pas contre celui-ci.

Cela, bien entendu, signifie travailler avec les pays en développement — non seulement avec leurs gouvernements, mais encore avec un éventail aussi large que possible d'acteurs économiques et de groupes sociaux.

Mes observations ce soir ont été d'ordre assez général. Elles ont probablement soulevé plus de questions qu'elles n'ont donné de réponses. Nous sommes tous à la recherche de réponses, et je compte sur vous pour nous aider à les trouver au moins tout autant — probablement beaucoup plus — que vous pouvez compter sur moi. Votre slogan "Des solutions par le recours au partenariat" pourrait très bien être le mot d'ordre de l'Organisation des Nations Unies. Je ne sais pas si nous trouverons des solutions, mais je suis convaincue qu'avec vous comme partenaires nous avons davantage de chances d'y parvenir.

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