LE SECRETAIRE GENERAL DEMANDE A LA SORBONNE, PHARE INTELLECTUEL ET SYMBOLE DE LA CONTESTATION, D'AIDER L'ONU A ENTRER DANS LE TROISIEME MILLENAIRE
Communiqué de Presse
SG/SM/6809
LE SECRETAIRE GENERAL DEMANDE A LA SORBONNE, PHARE INTELLECTUEL ET SYMBOLE DE LA CONTESTATION, D'AIDER L'ONU A ENTRER DANS LE TROISIEME MILLENAIRE
19981130 On trouvera, ci-après, le discours prononcé le 28 novembre 1998 à la Sorbonne à Paris par le Secrétaire général, M. Kofi Annan, où lui a été décerné le titre de Docteur Honoris Causa :Cest un très grand honneur pour moi dêtre ici avec vous et de recevoir une si prestigieuse distinction académique. Un honneur que je partage avec lONU toute entière, car je sais quà travers moi, cest elle aussi que vous voulez saluer.
Permettez-moi donc, avant toute chose, de vous exprimer ma reconnaissance en mon nom propre et en celui de tous ceux et celles qui font lOrganisation des Nations Unies, qui la servent avec zèle et dévouement.
Les éloges que vous mavez adressés me vont droit au coeur. Je suis, bien sûr, heureux davoir pu contribuer tout récemment aux efforts déployés par la communauté internationale afin de désamorcer une crise qui se serait très certainement soldée par une véritable tragédie pour tout un peuple et pour toute une région. Mais au lendemain de ce succès - très relatif - nous devons nous poser les véritables questions de fond.
Nous avons failli basculer dans la guerre: pourquoi les outils dont nous disposons nont-ils pas permis déviter la crise ou de lenrayer à un stade plus précoce ? Comment se satisfaire de léquilibre précaire auquel ont conduit les efforts de médiation ? Le Professeur Daudet vient de dire très justement que chaque instant gagné sur la guerre est un progrès pour la paix; mais ne pouvons-nous espérer mieux quun sursis ? Sur quelles bases voulons- nous vraiment fonder notre système de sécurité internationale ?
Permettez-moi, face à ces multiples interrogations, de partager avec vous quelques réflexions sur lévolution du rôle de notre organisation et sur les paramètres qui déterminent cette évolution, notamment la notion de sécurité.
Jai déjà dit quà lévidence, nous ne saurions relever les défis du nouveau millénaire avec un outil conçu dans un contexte totalement différent, même si la validité des principes fondamentaux sur lesquels il repose reste entière.
Point nest besoin de dresser ici une liste exhaustive des combats que lONU a menés avec succès: vous conviendrez, jen suis sûr, quavec des moyens parfois ridiculement limités, elle a su relever des défis gigantesques et incroyablement divers.
Elle a aussi, me direz-vous, subi de tristes revers, et même de véritables échecs. Cest vrai. Mais si je ne la croyais pas capable de tirer les enseignements de lexpérience, si je navais pas foi dans sa capacité dévoluer et de sadapter, je naurais pas accepté den être le Secrétaire général.
Jai dailleurs voulu, dès le départ, placer mon mandat sous le signe de la réforme. Une réforme qui doit permettre à lOrganisation de définir plus clairement ses objectifs, de mieux centrer ses efforts, de mieux répondre à ce quon attend delle.
Je veux quen abordant le nouveau millénaire, lONU soit mieux à même de faire face aux situations extrêmement complexes, à la fois de plus en plus imbriquées et de plus en plus fluides, qui caractérisent lère de la mondialisation.
Notre monde connaît actuellement une transformation fondamentale, aussi fondamentale que lémergence de lEtat nation ou du capitalisme en Europe il y a cinq ou six siècles. Les structures socio-économiques et politiques sont en pleine mutation. Les barrières du temps et de lespace sont tombées. Toutes les relations économiques sont désormais internes, puisquelles sinscrivent dans un nouveau système mondial unique.
Les problèmes écologiques, eux non plus, ne sarrêtent plus aux frontières: ils touchent lensemble de la biosphère, dont nous dépendons tous pour notre survie. Et dans une certaine mesure, même la culture est en train de se mondialiser.
Il est clair aujourdhui quil serait vain de lutter contre ce phénomène de mondialisation. Vain et contre-productif, parce quil offre des perspectives extraordinaires. Mais il serait tout aussi imprudent dy voir un bienfait sans mélange et den ignorer les effets néfastes. Car les innombrables occasions qui se présentent aujourdhui vont de pair avec des problèmes redoutables.
Les distorsions actuelles résultent en partie du fait que lorganisation politique na pas évolué en conséquence. Alors que beaucoup daspects de notre vie quotidienne sont influencés par des forces mondiales, la pensée et les structures politiques conservent un caractère national. Certains accords mondiaux existent bien dans les domaines de léconomie, de lenvironnement
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ou des droits de lhomme, mais la concertation et la coopération demeurent limitées. Elles sont, en tout cas, sans commune mesure avec les défis que nous devons relever.
On parle beaucoup du village planétaire. Malheureusement cest un village qui na ni caserne de pompiers, ni commissariat de police, ni mairie.
Cest un village dans lequel les services sociaux ne sont assurés quà certains. Un village dans lequel les écarts entre riches et pauvres sont déjà bien trop grands et pourraient se creuser encore. Un village dans lequel les premiers risquent de senrichir encore tandis que les seconds continuent de sappauvrir et de se marginaliser.
Ce constat nest pas seulement révoltant, il est aussi profondément inquiétant. En effet, nous savons désormais que le maintien de la paix et de la sécurité internationales va bien au-delà du règlement des conflits. Nous savons quil exige aussi une action sur le front du progrès économique et social. En définitive, la sécurité collective et le développement durable ne sont que les deux faces dune même monnaie.
Vue sous cet angle, la sécurité est tout ce qui permet lexercice des droits fondamentaux de lêtre humain: le droit à la santé, à léducation, à des conditions de vie décentes, à la dignité.
Permettez-moi dillustrer mon propos par une image, ou plutôt deux images. La première est une photo datant de mai 68. Celle dun étudiant debout dans la Cour dhonneur de la Sorbonne, brandissant une pancarte sur laquelle il est écrit: Jexiste.
La seconde est une affiche utilisée par lUNICEF dans une de ses campagnes en faveur de lenfance. Elle représente un jeune adolescent à qui on demande : Quest-ce que tu voudrais être, plus tard? et qui répond simplement : Vivant !
Ces jeunes gens expriment tous deux un profond désir dêtre. Mais si lun revendique le droit à la pleine réalisation de soi, lautre ne demande que celui de survivre. Cest dans ce contraste, et dans la situation des milliards dêtres humains encore en marge du développement, que réside à mon sens la toute première cause des conflits. Et, je le redis, cest sur ce front que doit commencer leur prévention.
Le nom dun brillant économiste indien, dont les travaux ont beaucoup influencé la pensée économique de lONU, mérite dêtre cité ici.
Je pense, vous laurez compris, au Professeur Amartya Sen, qui vient de remporter le prix Nobel déconomie pour lannée 1998. Monsieur Sen a limmense mérite davoir su allier économie et philosophie pour redonner une dimension éthique au débat sur les grands problèmes de notre temps.
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Face à ces grands problèmes, il incombe à lONU, institution mondiale par excellence, de prôner la recherche de solutions mondiales concertées, fondées sur des règles et des normes mondiales. Mais cest à la communauté internationale quil appartient de mener cet effort de concertation.
Il faut absolument que sengage une réflexion profonde et réaliste sur lévolution de notre monde, sur des phénomènes qui peuvent paraître exaltants à certains et terrifiants à dautres, mais face auxquels nous ne sommes certainement pas impuissants.
LAssemblée du millénaire que tiendront les Etats Membres de lONU en lan 2000, et le Forum du millénaire, qui réunira en parallèle tous les acteurs de la société civile, devraient permettre de cristalliser cette réflexion. Tous les intéressés auront, en cette année symbolique, loccasion de définir ensemble ce quils veulent faire de lOrganisation des Nations Unies, dexaminer les orientations quils souhaitent lui donner, de se pencher sur les moyens dont ils sont prêts à la doter.
Jai mentionné la société civile: permettez-moi dy revenir brièvement.
Comme vous le savez tous, je suis convaincu que lONU doit être non seulement lorganisation des gouvernements, mais aussi celle des peuples. Cest pourquoi jai souvent dit que je voulais la rapprocher de la société civile.
Des partenariats se sont déjà créés avec toutes les composantes de la société civile, qui peuvent, chacune à sa manière et selon ses moyens, contribuer à la réalisation des objectifs de lOrganisation.
Parfois, cette contribution est retentissante. Je pense notamment à lacte de générosité sans précédent de Ted Turner, qui fit une donation dun milliard de dollars à lappui des programmes de lONU.
Je pense aussi à la Campagne internationale pour linterdiction des mines anti-personnel et à la création de la Cour pénale internationale. Dans les deux cas, si les choses ont changé, cest parce que les citoyens se sont mobilisés et ont fait pression sur les gouvernements.
Dautres contributions sont plus discrètes mais, croyez-moi, elles sont tout aussi précieuses. Car ce qui compte par dessus tout, cest lémergence dune conscience nouvelle : celle de citoyens du monde décidés à agir, à prendre leurs responsabilités.
Le moment est venu de vous faire un aveu: si je suis ici parmi vous, ce nest pas seulement pour recevoir la distinction dont vous voulez mhonorer, mais aussi pour vous demander dapporter vous aussi votre pierre à lédifice commun en aidant lONU à entrer dans le troisième millénaire.
La Sorbonne est sans doute lune des universités les plus illustres du monde. On ne compte pas les grands esprits quelle a formés. Elle fait figure de phare intellectuel, de temple du savoir et de la connaissance. Mais elle est aussi, et peut-être avant tout, le symbole de la contestation.
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En tant que membres de cette institution, vous vous inscrivez naturellement dans un courant de pensée contestataire, au sens positif du terme. Celui qui englobe lexercice de lesprit critique, la remise en question des opinions préconçues, le refus de lobscurantisme et la volonté de faire progresser les idées.
Cest tout cela que je vous demande de mettre au service de lONU. Pour se remettre en question, elle a besoin de votre pouvoir de réflexion. Pour mieux cerner les grands problèmes contemporains et y chercher des solutions, elle a besoin de votre capacité danalyse. Pour se régénérer, redéfinir sa mission et réinventer les instruments de son action, elle a besoin de votre créativité.
LOrganisation des Nations Unies est indispensable, irremplaçable. Ne la laissez par sétioler ou séteindre par leffet de lindifférence : faites-lui, sil vous plaît, lhommage de vos lumières.
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