En cours au Siège de l'ONU

SG/SM/6767

SI L'ON VEUT QUE LA MONDIALISATION SOIT UN SUCCES, IL FAUT QU'ELLE PROFITE AUSSI BIEN AUX PAUVRES QU'AUX RICHES, DECLARE LE SECRETAIRE GENERAL

11 novembre 1998


Communiqué de Presse
SG/SM/6767


SI L'ON VEUT QUE LA MONDIALISATION SOIT UN SUCCES, IL FAUT QU'ELLE PROFITE AUSSI BIEN AUX PAUVRES QU'AUX RICHES, DECLARE LE SECRETAIRE GENERAL

19981111 On trouvera ci-après le texte du discours du Secrétaire général, M. Kofi Annan, prononcé à Séoul le 23 octobre devant l'Association de la République de Corée pour les Nations Unies :

À la veille de la Journée des Nations Unies, je suis particulièrement heureux d'être ce soir parmi vous qui êtes des amis indéfectibles des Nations Unies. Le fait de savoir que je suis entouré de personnes pour lesquelles l'Organisation des Nations Unies reste l'institution mondiale indispensable à l'heure de la mondialisation me donne du courage.

Comme vous le savez pertinemment, nous vivons à une époque où les obstacles à surmonter sont aussi nombreux que les possibilités à exploiter, une époque qui a rapproché les peuples d'une manière que nos ancêtres n'auraient pu concevoir, une époque qui a vu, en l'espace d'une génération, l'avènement d'une prospérité sans précédent et sa disparition soudaine et même inexplicablement rapide.

Je sais que votre économie a été particulièrement touchée par la crise financière mondiale. Je sais que l'épargne a quasiment été annihilée, que des décennies de réalisations dans le domaine difficile de la lutte contre la pauvreté sont compromises et que nombreux sont les travailleurs coréens à ne pas avoir été payés régulièrement ou même à chercher un emploi. Je sais également toutefois que vous faites face à cette crise avec détermination et confiance dans la capacité de votre nation à se relever et à rétablir la prospérité.

C'est cependant au niveau mondial qu'il convient de réagir à cette crise. Il nous faut en tirer les enseignements nécessaires et en tenir compte à l'avenir. Quel type de mesures faut-il prendre? Quelles orientations devons-nous adopter pour retrouver le chemin de la prospérité? Comment devons-nous faire face à ce que mon ami Jim Wolfensohn, le Président de la Banque mondiale, a appelé "l'autre crise", c'est-à-dire "la crise humaine" causée par la crise financière?

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Le Président Wolfensohn a suggéré une action tridimensionnelle qui permettrait, en premier lieu, de faire davantage pour empêcher de nouvelles crises; en deuxième lieu, de trouver des parades plus adaptées à ces crises; et, en troisième lieu, de veiller à ce qu'il existe des dispositifs de protection sociale. Comme vous le savez, cette action tridimensionnelle doit avoir un fondement politique solide et se baser sur le courage politique de procéder à des choix difficiles assurant la liberté et la prospérité.

En élisant Kim Dae Jung Président, le peuple coréen a choisi un dirigeant qui, j'en suis persuadé, possède le courage de faire ces choix et comprend que les institutions politiques et les libertés établies sont à la base de toute prospérité économique durable. Lorsqu'il a été élu, il s'est engagé, et je le cite, "à instaurer un nouvel ordre économique démocratique respectant les mécanismes du marché et la concurrence".

Il s'est employé à faire reconnaître l'intérêt d'une conduite avisée des affaires publiques, la nécessité de faire se côtoyer une économie de marché et une démocratie libérale et l'importance de la primauté du droit et du droit des obligations, tous éléments essentiels à la deuxième phase d'édification de la nation coréenne. Je ne doute aucunement qu'en faisant reposer cette nouvelle ère de prospérité sur les fondements mêmes de la démocratie, votre peuple non seulement réussira à atteindre ses objectifs mais deviendra un exemple pour d'autres nations s'efforçant de relever des défis similaires.

Aujourd'hui, dans de nombreuses régions, la mondialisation perd rapidement de son prestige. Ce qui a commencé comme une crise monétaire en Thaïlande il y a 14 mois s'est transformé en faillite économique et en paralysie politique. La mondialisation est pour un nombre croissant d'individus non plus l'amie de la prospérité, mais son ennemie; non plus un outil favorisant le développement, mais un étau se resserrant toujours davantage sur des États qui se voient obligés de créer des systèmes de protection solides alors que leurs capacités financières diminuent.

À un moment où l'intérêt même de la mondialisation est remis en question, il est avisé de réfléchir au rôle de la politique et d'une conduite avisée des affaires publiques dans un développement durable et concret. Laissez-moi toutefois d'abord noter que, dans toutes les régions du monde, d'importants efforts sont faits pour contenir et enrayer les incidences négatives de la mondialisation.

La prise de conscience fondamentale du fait qu'une prospérité durable se fonde sur des politiques adaptées s'accompagne d'une reconnaissance croissante de la nécessité de maximiser les avantages de l'économie de marché tout en minimisant ses coûts au niveau de la justice sociale et de la pauvreté. Il convient, à cet effet, d'améliorer les systèmes de réglementation partout dans le monde, de concevoir des filets de protection sociale durables protégeant les plus pauvres et les plus vulnérables et de faire de la transparence une règle.

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Aujourd'hui, lorsque nous évoquons le début des années 90, c'est à une période dramatique de guerres génocides en Bosnie et au Rwanda, ridiculisant l'orgueil politique démesuré ayant accompagné la fin de la guerre froide, que nous pensons. Il est tout à fait possible que, d'ici peu, nous considérions la fin des années 90 comme une période de souffrances économiques et politiques, tournant en ridicule la satisfaction disproportionnée des dirigeants politiques lors des beaux jours de la mondialisation.

Il est toutefois possible que, de cette période, aussi difficile et douloureuse qu'elle soit, découle quelque chose de positif. Elle aura eu le mérite de nous rappeler que seules des politiques adaptées peuvent assurer la paix et la prospérité, et que l'économie de marché, bien qu'elle joue un rôle extrêmement important, ne peut résoudre tous les problèmes. Les intérêts et les perspectives divergent radicalement et ces divergences peuvent être résolues de manière pacifique, mais elles doivent l'être sur le plan politique.

On peut, d'une certaine façon, dire que la politique et le développement politique dans leur ensemble ont été quelque peu négligés au cours de l'âge d'or de la mondialisation. Des taux de croissance extraordinaires ont semblé justifier l'adoption de mesures politiques qui auraient, autrement, rencontré une véritable opposition. L'autocratie, qui privait les citoyens de leurs droits civils et politiques fondamentaux, s'est vue légitimée par les succès remportés dans la lutte contre une pauvreté séculaire. L'importance de la politique, celle qui prône une conduite avisée des affaires publiques, la liberté, l'équité et la justice sociale, masquée par la richesse matérielle, a été perdue de vue.

La création de sociétés fondées sur la primauté du droit; l'existence de gouvernements légitimes, efficaces et non corrompus; le respect des droits de l'homme et des droits des minorités; la liberté d'expression; le droit de bénéficier d'un procès équitable — toutes ces facettes essentielles et universelles du pluralisme démocratique ont trop souvent été ignorées.

Aujourd'hui, au lendemain de la crise financière mondiale, des millions de personnes souffrent. Si les principes de base que sont l'équité et la liberté ne sont pas défendus sur la scène politique et promus en tant que fondements essentiels de la croissance économique, ils risquent d'être rejetés. C'est la raison pour laquelle l'engagement que vous avez pris de construire la prospérité avec les briques et le mortier d'une politique démocratique doit être tenu, non seulement pour vous mais aussi pour tous ceux qui, cherchant à se convaincre qu'ils peuvent rester libres tout en étant prospères, s'inspireront de votre exemple.

Si nous voulons l'emporter sur ceux qui estiment que la tyrannie peut être une solution, il faut mener et gagner ces combats dans l'arène politique. La liberté en elle-même est trop vitale, son esprit trop important pour le progrès pour que l'on puisse la troquer contre la prospérité, que ce soit en République de Corée ou ailleurs.

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Ceux qui défendent une politique prônant l'ouverture, la transparence et la conduite avisée des affaires publiques doivent trouver des moyens de répondre aux critiques à deux niveaux, celui des principes et celui des solutions pratiques qui peuvent constituer une certaine forme d'assurance politique contre le désespoir social et l'instabilité. L'une des leçons tirées est que l'intégration économique dans un monde interdépendant n'est ni toute-puissante ni politiquement neutre.

La question étant envisagée en termes strictement politiques, en particulier lors des périodes difficiles, il convient d'en débattre sur un plan politique. Les populistes et les protectionnistes ne manqueront pas, sinon, de faire valoir un raisonnement opposant l'isolement à l'ouverture, le particulier à l'universel, un passé imaginaire à un avenir prospère et, il ne faut pas les laisser prouver le bien-fondé de leur thèse.

Si l'on veut que la mondialisation soit un succès, il faut qu'elle bénéficie aussi bien aux pauvres qu'aux riches. Elle doit non seulement améliorer la situation matérielle des populations mais aussi leur donner des droits, déboucher sur la prospérité économique et renforcer les communications tout en favorisant la justice sociale et l'équité, servir la cause non seulement du capitalisme mais également du développement et de la prospérité pour les couches les plus pauvres de la population mondiale.

La liberté politique doit désormais être considérée comme une condition nécessaire, bien que non suffisante, à une croissance économique durable. La démocratie doit être reconnue comme un élément facilitant le développement et les droits politiques et fondamentaux comme des éléments essentiels du progrès économique.

Il s'agit à l'évidence d'une tâche ardue, mais c'est une tâche dont il convient de s'acquitter si l'on ne veut pas se souvenir, dans quelques années, de la mondialisation comme d'une simple illusion faisant passer le commerce avant la politique et la richesse matérielle avant les droits de l'homme. En tant que seul organisme international ayant une légitimité et une portée universelles, l'Organisation des Nations Unies souhaite assurer le succès équitable et durable de la mondialisation, et y est tenue.

Nous ne disposons d'aucune méthode magique pour parvenir à cet objectif, d'aucune réponse qui nous permettrait de relever facilement ce défi. Nous savons toutefois que ce n'est que grâce à des initiatives mondiales concertées que les États et les organisations pourront influer sur le processus de mondialisation.

Si l'on veut que ces initiatives fassent une véritable différence, il faut avant tout mettre au point des institutions politiques durables. Ces mesures doivent toutefois être prises en gardant bien à l'esprit les causes de la faillite rapide d'un grand nombre d'économies. Cette faillite a, dans une

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certaine mesure, été le produit des défauts et des carences de systèmes économiques se caractérisant par des politiques mal conçues, la corruption et l'absence de libéralisme. Il ne faut cependant pas ignorer le fait que des pratiques irresponsables en matière de crédit et l'agressivité des politiques d'investissement d'un certain nombre d'agents extérieurs ont également joué leur rôle. Si ces pratiques perdurent, il est vain de s'attendre à ce que les réformes politiques jettent les bases d'une croissance économique durable. Tous les acteurs sont importants et tous doivent jouer un rôle.

J'ai indiqué aujourd'hui que la politique était à la base des difficultés de la mondialisation et que la politique serait à la base de toute solution. Mais où trouver des solutions? On est parti de l'hypothèse, lors des beaux jours de la mondialisation, que toutes les nations, une fois qu'elles seraient devenues prospères et auraient atteint un certain niveau de maturité, se tourneraient vers les institutions multilatérales. Je pense maintenant qu'elles risquent de s'adresser à ces institutions, poussées par la nécessité.

Il faut à présent que l'Organisation des Nations Unies et les institutions connexes — la Banque mondiale et le Fonds monétaire international — fassent en sorte que les difficultés inhérentes à la mondialisation ne fassent pas obstacle à la coopération mondiale, mais la renforcent.

Nous devons, pour ce faire, agir à deux niveaux : en mettant l'accent, dans l'ensemble de nos activités de développement, sur l'importance de la société civile et des structures institutionnelles de la démocratie à l'échelon national; et en nous employant à renforcer l'efficacité du multilatéralisme. De concert, nous pouvons trouver moyen d'instaurer des économies libres tout en protégeant véritablement les pauvres et les plus vulnérables.

On a pris conscience, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, dans les années qui ont suivi la création de votre République et de notre organisation, que les problèmes économiques n'étaient rien d'autre que des problèmes politiques et de sécurité et que la prospérité et la paix étaient des réalisations politiques et non pas simplement les conséquences naturelles des échanges commerciaux et des progrès technologiques.

Nous avons également tiré les enseignements qui s'imposaient : la démocratie est essentielle à un développement véritable, durable et équitable; les bienfaits de la mondialisation ne doivent pas toucher seulement le coeur mais également les franges de la société et, sans politiques placées sous le signe de la liberté, de la légitimité et de la démocratie, aucun degré de prospérité ne peut satisfaire les besoins de l'humanité ni garantir une paix durable, même à l'époque de la mondialisation.

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