SDG/SM/22

LA VICE-SECRETAIRE GENERALE DE L'ONU APPELLE A L'ELIMINATION DE L'OPPRESSION ET DES CONFLITS, CAUSES PREMIERES DE L'AFFLUX DE REFUGIES DANS LE MONDE

14 octobre 1998


Communiqué de Presse
SDG/SM/22


LA VICE-SECRETAIRE GENERALE DE L'ONU APPELLE A L'ELIMINATION DE L'OPPRESSION ET DES CONFLITS, CAUSES PREMIERES DE L'AFFLUX DE REFUGIES DANS LE MONDE

19981014 La déclaration suivante a été faite par la Vice-Secrétaire générale des Nations Unies, Mme Louise Fréchette, à la Conférence de l'Association internationale des juges aux affaires des réfugiés, Ottawa, le 14 octobre 1998 :

Permettez-moi tout d'abord de vous dire combien je suis honorée d'être des vôtres. Il m'importe aussi de souligner le plaisir que vous me faites en m'invitant à prendre la parole ici, au Canada, dans ce pays qui est le mien. Il est des occasions où le simple fait d'être chez soi prend une signification toute particulière : c'est le cas pour moi aujourd'hui compte tenu du sujet de cette conférence. Car si nous sommes réunis ici, c'est parce que pour des millions d'êtres humains, un peu partout dans le monde, ce que j'ai appelé un "simple fait" est devenu une impossibilité : rester chez soi n'est plus envisageable. Persécutés en raison de leur race, de leur religion, de leurs opinions ou de leur appartenance à un groupe ethnique ou social, des hommes, des femmes et des enfants sont contraints de fuir leur domicile, leur village, leur pays.

C'est pour que l'exercice des droits humains et des libertés fondamentales puisse être assuré à ces êtres déracinés et vulnérables que la Convention relative au statut des réfugiés a été adoptée en 1951. Et c'est parce que vous entendez favoriser une meilleure compréhension des obligations créées par cette convention que vous appartenez à l'Association internationale des juges aux affaires des réfugiés ou que vous la soutenez. Votre participation à cette conférence l'atteste : vous qui représentez quelque 50 pays du monde, vous avez reconnu à la fois le caractère international du problème et la nécessité de partager les lourdes charges qui en découlent.

C'est exactement sous cet angle que l'Organisation des Nations Unies envisage la question des réfugiés. C'est pourquoi elle tient à s'associer à vos travaux et qu'elle s'efforce, par bien d'autres moyens, de trouver des solutions internationales à un problème qu'elle sait ne pouvoir être réglé que grâce à la coopération. À la coopération et à la solidarité.

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Mesdames et messieurs, nous sommes à la recherche de solutions. Et je suis sûre que nous serons tous et toutes d'accord pour dire que la meilleure solution, et de loin, c'est d'empêcher qu'il ne se crée des problèmes de réfugiés. Autrement dit, nous devons nous attaquer aux racines du problème, c'est-à-dire l'oppression et les conflits armés. Le réfugié classique, celui auquel pensaient les rédacteurs de la Convention de 1951, est une victime de l'oppression - c'est un homme ou une femme dont les droits individuels ont été directement violés. Mais le réfugié ou la personne déplacée d'aujourd'hui n'entrent pas toujours dans cette catégorie. Car les millions de malheureux qui déferlent massivement aujourd'hui sur tant de régions du globe ont été jetés sur les routes de l'exode par des gens qui ne savaient peut-être même pas leur nom. Il n'est pas indispensable de savoir qui vit là avant de bombarder une maison ou d'incendier un village. En fait, on a sans doute la tâche plus facile si on ne sait pas. C'est l'une des raisons pour lesquelles les thèmes jumeaux des droits de l'homme et de la prévention des conflits occupent une place de plus en plus prioritaire dans les travaux de l'ONU depuis le début des années 90. Si je parle de thèmes jumeaux, c'est que l'expérience nous a confirmé qu'ils étaient intimement liés. La plupart des exodes massifs auxquels nous assistons aujourd'hui sont causés par des guerres civiles. Et je défie quiconque de me citer un seul exemple de guerre civile qui n'ait pas été provoquée, en partie du moins, par des violations des droits de l'homme surtout quand on se souvient que les droits de l'homme, tels qu'ils sont définis dans la Déclaration universelle, incluent le droit à l'éducation et à un niveau de vie adéquat. Il y a certes beaucoup d'autres sources de tensions et de désaccords - l'appartenance ethnique, la religion, les intérêts économiques, les opinions politiques. Mais ces antagonismes ne s'expriment pas nécessairement par la violence. Ils peuvent être traités autrement. Lorsqu'ils dégénèrent en affrontements meurtriers, c'est presque toujours parce que les gens ont cessé de se traiter comme des êtres humains et de respecter les droits des autres.

Ainsi, les violations des droits de l'homme produisent des réfugiés, directement mais aussi indirectement du fait de leur rôle dans le déclenchement des conflits. Autrement dit, si les droits de l'homme sont devenus le thème transversal de toutes les activités de l'ONU, c'est moins à cause d'un quelconque parti pris idéologique ou du triomphe d'un camp sur l'autre après la guerre froide que pour une raison tout à fait pragmatique.

Nous avons découvert dans la pratique que la question des droits de l'homme n'était pas une affaire purement intérieure pouvant être laissée à la discrétion des Etats Membres, mais qu'elle concernait en fait tout le monde. Car là où les droits de l'homme sont massivement violés, vous pouvez être sûrs qu'il va bientôt y avoir des problèmes qui forceront la communauté internationale à intervenir, et que cela coûtera très cher. L'afflux de réfugiés est souvent le problème le plus immédiat et le plus aigu. Je n'ai pas besoin de vous dire où se situent ces problèmes, pas plus que je n'ai eu à le préciser il y a quelques jours au Conseil de sécurité quand j'ai présenté le rapport du Secrétaire général sur la protection de l'aide humanitaire aux réfugiés et aux autres personnes dans les situations de conflit.

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Songez aux conflits qui préoccupent le Conseil de sécurité depuis quelques semaines - Afghanistan, Kosovo, République démocratique du Congo, pour ne citer que quelques exemples. Autant de pays où les massacres impitoyables de civils et la destruction des moyens de subsistance des populations sont devenus des réalités presque banales. Autant de pays où, autant sûrement que la nuit succède au jour, l'ONU va devoir s'efforcer de fournir de la nourriture et un toit à des milliers et des milliers de déracinés misérables.

L'action humanitaire est un important pôle de croissance dans notre Organisation depuis le début des années 90. Et pourtant, j'ai bien peur que nous ne soyons pas parvenus à rattraper l'escalade de la misère humaine. Nous savons tous trop bien que l'action humanitaire est faite pour colmater les brèches là où l'action politique a échoué. Et nous sommes tous très conscients de ses limites. Comment l'action humanitaire peut-elle être une réponse adéquate quand les massacres, les mutilations et les déportations de civils ne sont pas des éléments accessoires de la stratégie politique ou militaire des belligérants, mais l'objectif principal à atteindre? L'action humanitaire n'est ni conçue ou préparée pour arrêter les massacres et les déplacements forcés de populations civiles. C'est pourquoi au Secrétariat de l'ONU nous travaillons maintenant avec le Conseil de sécurité pour repenser le sens de "l'action humanitaire" aujourd'hui dans les zones de conflit, et pour reformuler ses exigences telles que nous les percevons. Les organisations humanitaires sont confrontées aux violences qui visent directement les populations qu'elles essaient d'aider, à des manoeuvres d'obstruction systématiques qui les empêchent de travailler, voire à des actes de violence contre leur personnel.

Le nombre de victimes civiles augmente, tout comme celui des humanitaires tués, blessés, kidnappés et agressés dans l'exercice de leur mission. N'oublions pas que la plupart des réfugiés et des déplacés restent dans leur région d'origine. Ils sont très peu nombreux à arriver jusqu'aux pays d'Europe occidentale et d'Amérique du Nord, qui sont très majoritairement représentés dans votre association. Les gouvernements des pays industrialisés trouvent en définitive que c'est une bonne chose. On peut peut-être les comprendre, et citer à l'appui un certain nombre d'arguments. Beaucoup de réfugiés préfèrent en effet rester près de chez eux. À certains égards il est plus facile de s'occuper d'eux si les conditions climatiques et le contexte socioéconomique leur sont familiers, et ils se réintégreront ensuite plus facilement dans leur pays d'origine quand la situation politique leur permettra éventuellement de retourner chez eux sans danger. Mais ne croyons surtout pas qu'accueillir de forts contingents de réfugiés est chose plus facile pour les pays voisins des zones de conflit - dont beaucoup sont eux- mêmes aux prises avec de graves problèmes de développement ou de transition économique - que pour les pays plus riches ou plus développés. Au contraire, les pays développés sont beaucoup mieux placés à tous points de vue ou presque pour s'occuper de cette question. Les pays industrialisés sont donc à tout le

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moins tenus de venir en aide à ceux qui doivent accueillir beaucoup plus de réfugiés qu'eux, et avec des moyens infiniment plus modestes. Mais cela ne les exonère pas de leur obligation juridique et morale directe, qui est de protéger les réfugiés demandeurs d'asile sur leur territoire.

Nous savons tous évidemment que tous les demandeurs d'asile ne peuvent pas prétendre au statut de réfugié. Certains, qui veulent séjourner ou s'installer dans un pays industrialisé pour toutes sortes d'autres raisons, essaient de se prévaloir abusivement du droit d'asile. Les Etats ont le droit de fixer leurs politiques en matière d'immigration et de s'assurer qu'elles ne sont pas réduites à néant par des détournements systématiques de la procédure d'asile. Nous devons toutefois nous assurer que les mesures que prennent les Etats pour prévenir les abus ne les amènent pas à faillir à leurs engagements, à la fois moraux et juridiques, qui les obligent à protéger les authentiques réfugiés. J'ai dit tout à l'heure qu'il ne fallait pas laisser se créer des problèmes de réfugiés. Je ne voulais pas dire par là qu'il fallait empêcher les individus qui craignent pour leur vie de quitter leur pays ou de se rendre dans un pays tiers où ils se sentiront en sécurité.

Malheureusement, c'est l'effet que produisent les mesures prises par certains pays pour réduire le nombre de réfugiés qui se présentent à leurs frontières, officiellement pour lutter contre le recours abusif à la procédure d'asile. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, et même l’ensemble du système des Nations Unies, jugent extrêmement préoccupante la tendance qu'ont certains Etats à s'écarter de l'approche juridique en matière de protection des réfugiés. Ce n'est pas que le droit des réfugiés soit statique ou rigide. Au contraire, en demi-siècle, il s'est développé, s'est adapté, a suivi l'évolution des réalités. En outre, des garde-fous et des exceptions ont toujours existé pour protéger les intérêts des Etats. Et pourtant, face à l'afflux de réfugiés, de plus en plus de voix s'élèvent pour réclamer des règles moins contraignantes. Elles vont jusqu’à proposer que les Etats aient l'entière liberté politique et administrative de refuser aux réfugiés l'entrée sur leur territoire, de refouler les candidats sans aucune forme de procédure judiciaire. Point n'est besoin de vous dire que ces propositions s'attaquent à l'essence même du droit des réfugiés.

Le refoulement et l'expulsion de demandeurs d’asile vers diverses zones de danger, dont il continue d'être fait état régulièrement, sont aussi des phénomènes profondément inquiétants, de même que l'habitude qu'ont prise bon nombre de pays occidentaux de mettre les candidats réfugiés en détention de façon quasi systématique. Cette pratique a beau être présentée au public comme un moyen de s'assurer que les "faux" réfugiés ne s'évanouissent pas dans la nature avant que l'on puisse les renvoyer chez eux, il est clair que le véritable objectif est dissuasif et qu'il s'agit souvent d'inciter les véritables demandeurs d'asile à aller frapper à d'autres portes. Il s'agit là d'une violation patente de l'esprit, sinon de la lettre, de la Convention de 1951.

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On ne peut assez souligner que les demandeurs d'asile ont droit à la liberté comme tous les autres êtres humains. Nul ne peut être détenu contre sa volonté sans avoir bénéficié d'une procédure régulière. Si tous les demandeurs d'asile ont droit à une procédure régulière, avec possibilité de recours, avant d'être contraints de quitter un Etat, cette garantie ne doit toutefois pas se traduire par de longs délais et d'interminables pourvois infondés devant les tribunaux. Il importe de trouver un équilibre entre, d'une part, la nécessité d'assurer l'équité et la transparence du processus de détermination du statut de réfugié et, de l'autre, celle de veiller à ce que ceux dont la demande de protection n'est pas justifiée quittent rapidement le territoire.

En tant que Canadienne, je tiens à souligner que les pratiques du Canada suscitent, sur ce point, moins de préoccupations que celles de bien d'autres pays. J'ajouterai que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés - et, je crois pouvoir le dire, votre Association - considèrent le système canadien de détermination du statut de réfugié comme un modèle de justice et d'efficacité. Quoi qu'il en soit, il est clair qu'en votre qualité de juges et autres responsables quasi judiciaires appelés à appliquer les lois relatives à l'immigration et au droit d'asile dans vos pays respectifs, vous avez d'immenses responsabilités. Je ne connais guère de tâche plus difficile et plus importante que celle qui consiste à décider si un demandeur d'asile est ou non un authentique réfugié pouvant bénéficier d'une protection. Je constate avec satisfaction que vous prenez cette responsabilité très au sérieux et que vous avez compris l'utilité de mettre en commun votre science et votre expérience. C'est pourquoi je tiens, avant de conclure, à vous redire combien l'Organisation des Nations Unies attache de prix à vos efforts.

Consciente des limitations des grandes institutions internationales et des difficultés qu'a souvent la communauté internationale à agir de façon concertée, elle ne peut que se féliciter du nombre sans cesse croissant d'associations bénévoles comme la vôtre, où se conjuguent les connaissances les plus pointues, les compétences d'experts éminents et la volonté de faire vraiment la différence. Elle ne peut qu'applaudir les individus qui, comme vous, ont su s'associer pour mieux servir et pour chercher, ensemble, des réponses aux grandes questions de notre temps. Comme l'ONU, vous avez pour vocation de favoriser le progrès en développant la coopération internationale. Et vous en avez indéniablement le pouvoir. Vous avez le pouvoir de partager l'information, de diffuser les meilleures pratiques, de faire connaître les initiatives les plus novatrices adoptées dans votre domaine d'expertise. Celui d'aider vos pays respectifs à déterminer le statut des candidats réfugiés de la façon la plus équitable et la plus efficace possible. Celui, surtout, d'améliorer le sort d'individus en détresse que vous refusez de voir privés de leur dignité et de leurs droits fondamentaux, fussent-ils leurs derniers bagages.

Au nom de tous ceux-là à qui vous consacrez votre temps, votre énergie et votre talent, merci du fond du coeur. Je vous remercie de votre attention et vous souhaite de très fructueux travaux.

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