En cours au Siège de l'ONU

SG/SM/6629

SELON M. KOFI ANNAN, LA REPARTITION EQUITABLE DES BENEFICES DE LA MONDIALISATION EXIGE UN RECOURS A LA COOPERATION INTERNATIONALE ET AUX ORGANISMES DE L'ONU

6 juillet 1998


Communiqué de Presse
SG/SM/6629
ECOSOC/5762


SELON M. KOFI ANNAN, LA REPARTITION EQUITABLE DES BENEFICES DE LA MONDIALISATION EXIGE UN RECOURS A LA COOPERATION INTERNATIONALE ET AUX ORGANISMES DE L'ONU

19980706 Vous trouverez ci-dessous le discours que le Secrétaire général, M. Kofi Annan a prononcé à la session annuelle du Conseil économique et social:

Je suis heureux de m’adresser à vous au moment où vous entamez vos délibérations annuelles.

L'époque actuelle est troublée et lourde d’incertitude mais elle est aussi pleine de promesses. Les événements qui ponctuent notre vie et les questions qui déterminent le sort commun de l’humanité n’ont jamais été si interdépendantes. Les perspectives et les risques n’ont jamais été si étroitement liés. Et, partant, les responsabilités du Conseil économique et social n’ont jamais été si conséquentes.

La situation qui prévaut aujourd’hui offre des perspectives sans pareilles de paix et de prospérité : les grandes puissances sont en paix; presque tout le monde s’accorde sur les principes de base de la gouvernance démocratique; grâce aux progrès technologiques, les idées et l’information circulent librement sur toute la planète, favorisant le développement de la société civile et augmentant la transparence et la responsabilité des gouvernants.

Pourtant, nous semblons mal préparés à saisir l’occasion à bras le corps et à réaliser cet énorme potentiel de prospérité. Notre époque est marquée par de violents contrastes : la richesse la plus inouïe coexiste avec la misère la plus noire; dans certaines régions du monde l’économie est en plein essor, alors que dans d’autres, les acquis de plusieurs générations successives sont réduits à néant par des crises soudaines. A l’échelle mondiale, la situation économique est incertaine et nombreux sont ceux qui hésitent entre l’espoir né de plusieurs décennies de progrès et la crainte de bouleversements à venir.

Ces espoirs et ces craintes sont mondiaux. L’économie est mondiale. Les marchés sont mondiaux. Mais la politique, elle, demeure locale. De ce fait, l’écart se creuse entre ce que les gouvernés attendent et ce que les gouvernants peuvent donner. Il nous faut combler ce fossé. Il nous faut examiner et appréhender l’interdépendance planétaire sous toutes ses facettes, dans toute sa complexité. Nous devons mettre fin à l’exclusion et ouvrir des perspectives économiques à ceux qui n’en ont aucune. Nous devons tirer parti du potentiel de croissance tout en évitant l’instabilité. Pour ce faire, nous devrons élever le leadership collectif et le multilatéralisme à des niveaux jamais atteints.

Il ne faudrait pas oublier, en effet, que le système régissant les échanges internationaux est issu du multilatéralisme. Il y a six semaines, nous avons célébré le cinquantenaire de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). La communauté internationale a tout lieu de s’enorgueillir de ce succès. Le système ouvert et réglementé qu’elle a mis en place a engendré une prospérité sans précédent et atténué la pauvreté de façon spectaculaire. Il a aussi démontré de façon éclatante que la coopération multilatérale et la collaboration -- où les forts respectent les droits des plus faibles -- n’est pas un jeu à somme nulle mais profite à tous les partenaires. Tout le monde est d’accord pour dire que la libéralisation des échanges doit se poursuivre, mais les avis sont très divergents quant à la marche à suivre.

Certains on proposé d’utiliser les règles commerciales pour atteindre des objectifs fixés en matière de législation du travail, de protection de l’environnement ou de défense des droits de l’homme. Ce n’est pas mon avis : je pense que, pour réaliser ce type d’objectifs, il vaudrait mieux tirer un meilleur parti des organismes des Nations Unies. Si l’on utilisait le système commercial multilatéral aux fins que je viens d’évoquer, on le soumettrait à des tensions trop fortes et on obtiendrait moins de résultats qu’en s’attaquant aux problèmes avec des politiques bien ciblées.

Ainsi, il faut se féliciter de la décision que les 174 membres de l’Organisation internationale du Travail, qui rassemble des représentants des gouvernements, des organisations patronales et des syndicats, ont prise il y a trois semaines de consacrer une série de droits élémentaires des travailleurs. Dans le même ordre d’idée, le renforcement du PNUE est encourageant.

Pourtant, il n’y a pas de quoi pavoiser. Si nous sommes en droit de nous féliciter des progrès accomplis grâce au système commercial international, il reste, et la crise que traverse actuellement l’Asie est là pour nous le rappeler, que les forces dont l’interaction façonne et informe notre univers sont multiples et touchent à la fois aux domaines financier, économique, social et politique.

Le débat sur les tenants et les aboutissants de la crise en Asie se poursuit et certaines leçons commencent à en être tirées.

Ainsi nous avons appris à nos dépens qu’il fallait se garder de confondre les flux de capitaux à court terme, de nature spéculative, et les engagements à plus long terme comme l’investissement étranger direct. Pour l’Organisation des Nations Unies, trois constats s’imposent.

En premier lieu, on observe que la crise frappe le plus cruellement ceux qui se situent aux marges de la société : les pauvres et les démunis qui sont le moins à même de faire face à la perte soudaine de leur emploi. Cette situation risque de réduire rapidement à néant les progrès réalisés dans la lutte contre la pauvreté et pour les droits des femmes. Si une récolte est perdue à cause de la sécheresse, on peut le comprendre. Mais si les gens perdent leur emploi dans les chantiers et les usines du fait de la volatilité des marchés et de la fluctuation erratique des taux de change, c’est nettement

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plus déconcertant et déstabilisant. Je pense aux migrants venus en quête de travail pendant les années de vaches grasses; aux pauvres qui n’ont plus les moyens d’acheter des produits de première nécessité devenus hors de prix; à ceux qui travaillent dans les secteurs les moins structurés de l’économie : quelles que soient les solutions que nous adopterons pour venir à bout de la crise, notre principal souci doit être de leur donner les moyens de mener une vie décente.

Ensuite, tout comme, à l’échelle de la société, les effets de la crise se font sentir en premier lieu sur les individus les plus pauvres et les plus vulnérables, au niveau mondial, ils affectent surtout les nations les plus pauvres et les plus vulnérables. Il est évident que les pays en développement sont moins à même de faire face aux retombées de la crise en Asie que les pays développés. Or, des pays en développement fort éloignés de l’Asie, en termes géographiques aussi bien qu’économiques, subissent le contrecoup de la crise asiatique. C’est notamment le cas des pays d’Afrique qui subissent des dommages indirects du fait de la baisse des cours des matières premières. Ce sont ces nations que la coopération internationale doit d’abord viser et aider : celles qui ne peuvent pas compter sur de puissants groupes de pression et qui, fors l’ONU, ne pourraient pas faire entendre leur voix.

Enfin, l’interdépendance des nations a un pendant : l’interdépendance des questions : la finance, le commerce, la gouvernance, la justice sociale sont des domaines intimement liés. On pensait au départ que la crise en Asie était purement financière. Il est apparu bien vite qu’elle affectait aussi le commerce et les taux de change.

Tout se passe comme si le système commercial international faisait les frais des dysfonctionnements du système financier. Face à une forte contraction de la demande intérieure, les pays d’Asie orientale ont dû réduire drastiquement leurs importations. Pour échapper à la crise, ils essaient d’accroître leurs exportations. Et là encore, on peut constater à quel point notre monde est interdépendant. On ne saurait considérer la finance et le commerce comme des secteurs distincts, ni séparer la sphère nationale de la sphère internationale. Le Conseil économique et social a précisément pour mission de promouvoir une coopération et une cohérence des efforts dont le monde a le plus grand besoin. Il ne faudrait pas, toutefois, que l’arbre cache la forêt et que les premiers grincements nous fassent perdre de vue les bienfaits de la mondialisation.

L’économie mondiale, ouverte et participative que nous voulons mettre en place est le meilleur moyen de répartir plus largement les bénéfices de la mondialisation. Le sort de millions de personnes dans le monde entier dépend en effet de l’ouverture des marchés.

Pour autant, les craintes que suscite la mondialisation ne doivent pas être méconnues. Dans les pays du Nord, de plus en plus de gens ont l’impression que l’ouverture des marché ne contribue pas à leur bien-être; au contraire, ils sont nombreux à considérer que la mondialisation menace leurs emplois, leur mode de vie et leurs acquis sociaux. C’est aux gouvernements

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qu’il appartient de convaincre leurs administrés qu’il est possible de concilier les impératifs internationaux et les besoins locaux. La communauté internationale, et avec elle le système des Nations Unies, doit promouvoir une meilleure compréhension des nouveaux enjeux de la vie internationale, ainsi qu’une participation plus large à la prise de décisions.

Dans les pays du Sud, c’est le risque de marginalisation, l’absence de perspectives qui inquiètent le plus les gens, qui craignent de ne pas pouvoir trouver du travail, nourrir leur famille, tout simplement subsister. Dans ces pays, les responsabilités de la communauté internationale sont plus grandes encore, et plus pressantes. Mais c’est aussi dans ces pays qu’elle peut rapidement faire la différence en concentrant ses efforts sur les besoins de l’Afrique et des pays les moins avancés.

Je voudrais, si vous le permettez, saisir cette occasion pour revenir sur certaines idées que j’ai exposées dans le rapport sur la paix et le développement en Afrique que j’ai récemment soumis au Conseil de sécurité. Il faut abolir les barrières non-tarifaires auxquelles sont confrontés les pays africains et les pays les moins avancés; les droits auxquels sont assujettis les produits des pays les moins avancés sur les marchés des pays développés doivent être supprimés; des mesures énergiques d’allégement du fardeau de la dette doivent être prises, qu’il s’agisse de convertir en dons les dettes publiques consenties aux pays les plus pauvres ou d’assouplir les conditions d’accès à l’Initiative en faveur des pays les plus lourdement endettés.

Par ailleurs, il est inacceptable que l’aide publique au développement soit tombée à son niveau le plus bas, alors même qu’elle est le plus nécessaire. C’est avant tout une question de solidarité, mais c’est aussi une façon d’échapper, à plus long terme, aux coûts bien plus élevés de l’assistance humanitaire et du maintien de la paix.

Pour dissiper les craintes que fait naître la mondialisation, il faudra aussi que la communauté internationale se convainque qu’elle peut influer sur le cours des événements. On serait parfois tenté d’envisager la mondialisation comme un phénomène naturel, aussi inévitable que les marées, aussi capricieux qu’une tornade. Mais, en fait, elle est le fruit de politiques délibérées : le choix de mettre en place une économie de marché où les échanges sont régis par des règles claires; les choix découlant d’idéaux communs et d’espoirs partagés en ce qui concerne l’état de droit et le progrès de l’humanité.

Aujourd’hui, nous sommes confrontés à de nouveaux choix : accepter que les marchés internationaux soient chaotiques ou coopérer pour créer un environnement propice au progrès; nous limiter strictement au point de vue local ou adopter une perspective mondiale; viser les gains immédiats ou miser sur les bénéfices à plus long terme.

Ce qui sera en tout cas déterminant c’est de savoir si la communauté internationale est disposée à utiliser les institutions internationales dont elle s’est dotée. Comme pour les autres choix que je viens d’évoquer, il s’agit là d’un faux choix. A l’heure où le système international commercial et financier est mis à si dure épreuve, on commettrait une grave erreur en se renonçant au multilatéralisme. Au contraire, c’est le moment de se serrer les

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coudes et de revitaliser le système de coopération que la communauté internationale a mis en place au fil du temps et qui l’a si bien servie. C’est le moment de renforcer le cadre de coopération internationale pour que la prospérité et les fruits de la mondialisation se répandent dans le monde entier.

Il est déjà de nombreux signes qui laissent présager un resserrement des liens et une nouvelle synergie entre les institutions internationales. Les organismes des Nations Unies collaborent plus étroitement avec les institutions de Bretton-Woods, à tous les niveaux, au Siège comme sur le terrain. Déjà étroite, la coopération entre l’ONU et l’OMC se renforce encore. L’OMC participe pleinement aux travaux du Comité administratif de coordination et, pour ma part, je reste en contact étroit avec M. Ruggiero. De plus , l’OMC et la CNUCED collaborent dans toute une série de domaines. J’ai constaté avec plaisir que la documentation sur l’accès aux marchés établie en vue de la présente session est le fruit d’un effort commun des secrétariats de la CNUCED et de l’OMC.

Le Conseil économique et social a d’ailleurs joué une part non négligeable dans le processus d’adaptation et de renouveau engagé dans le cadre de la réforme. J’ai eu le plaisir d’assister, en avril dernier, à une réunion très intéressante où le Conseil économique et social, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ont décidé de resserrer les liens entre diplomates, financiers et responsables de la coopération au développement. Le Conseil est aussi occupé à revoir son ordre du jour, à rationaliser le fonctionnement de ses organes subsidiaires et à promouvoir une meilleure coordination entre les institutions spécialisées des Nations Unies.

Je ne doute pas que ce processus contribuera aussi à donner au Conseil économique et social une image plus précise auprès du public. Le public sait que l’Assemblée générale des Nations Unies rassemble presque tous les pays du monde et formule des recommandations qui reflètent l’opinion mondiale. Il a entendu parler du Conseil de sécurité pour le rôle qu’il assume dans le domaine de la paix et de la sécurité. Nous avons maintenant l’occasion de mieux faire connaître le Conseil économique et social et sa fonction : la promotion du développement, ce qui est en fait le domaine d’activité qui concerne le plus de monde.

Le principal obstacle qui se dresse sur la voie de la prospérité universelle ne réside pas dans nos différences politiques ou culturelles, mais dans notre incapacité à faire ce que nous dicte le bon sens. Est-ce l’effet de la peur, de la cupidité, des malentendus ou d’un manque d’information ? Probablement d’un peu tout cela à la fois. Ce qui est important c’est que l’on peut y remédier.

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Barbara Ward, économiste distinguée et spécialiste des relations internationales, à qui nous devons bon nombre des idées novatrices qui ont nourri la réflexion sur l’état du monde dans les années ‘70, a écrit dans son ouvrage devenu depuis un classique The Rich Nations and the Poor Nations : “ les gouvernements avisés et clairvoyants sont ceux qui oeuvrent au bien commun, car en agissant ainsi ils servent leur propre intérêt” Elle ajoutait : “placés dans une juste perspective, morale et intérêt ne s’opposent pas. C’est la conception étroite que nous avons de nos intérêts qui nous cache cette vérité morale.”

Sur ces sages paroles, il me reste à vous souhaiter le plus grand succès dans vos travaux.

Je vous remercie.

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