En cours au Siège de l'ONU

SG/SM/6567

GERER LE MULTILATERALISME POUR UN CHANGEMENT PACIFIQUE

28 mai 1998


Communiqué de Presse
SG/SM/6567


GERER LE MULTILATERALISME POUR UN CHANGEMENT PACIFIQUE

19980528 On trouvera ci-après le texte du discours prononcé le 20 mai par le Secrétaire général, M. Kofi Annan, lors du déjeuner qui a suivi la cérémonie de remise de diplômes organisée à l'occasion du centième anniversaire de la Fédération des anciens étudiants de l'Université Columbia :

Je vous remercie de la générosité de ces mots d'introduction. C'est un grand honneur pour moi que de me voir décerner aujourd'hui ce grade honorifique. L'Université Columbia n'est pas seulement notre voisine et alliée dans cette grande ville, mais elle a préparé nombre d'éminents fonctionnaires de l'Organisation des Nations Unies à servir notre cause commune. Qu'il me suffise ici de n'en citer qu'un seul : le professeur John Ruggie.

Vous le connaissez tous en tant qu'ancien doyen de l'École des affaires internationales. Depuis un an qu'il exerce au sein de mon cabinet les fonctions de conseiller principal, il joue un rôle central tant en ce qui concerne les relations entre l'ONU et Washington qu'au sein de l'équipe que j'ai désignée pour mener à bien la réforme de l'Organisation. Vous serez soulagés de savoir que la question des arriérés de contribution des États-Unis a été confiée aux soins d'un ancien de l'Université Columbia. Lui qui pensait sans doute en avoir fini avec les collectes de fonds!

Ce n'est pas moi seul que vous honorez aujourd'hui, mais l'Organisation des Nations Unies tout entière. Vous honorez notre grand idéal commun : l'idéal de la paix universelle. Comme tous les idéaux, celui-ci a deux faces : il traduit non seulement un espoir de progrès pour l'humanité, mais aussi l'horreur de la guerre. Il témoigne autant de notre expérience du mal que de notre aspiration à la coexistence. En effet, prévenir la guerre, c'est faire régner la paix.

C'est en s'appuyant sur cette double réflexion que l'Organisation des Nations Unies et la communauté internationale s'efforcent depuis 50 ans d'édifier à l'échelle mondiale une structure de changement pacifique. Car, si nous savons que le changement est inévitable, nous savons aussi que la guerre ne l'est pas. Nous savons qu'il est possible de parvenir à des changements pacifiques pour autant que nous y soyons assez fermement résolus.

Parvenir à des changements pacifiques suppose une bonne gestion du multilatéralisme. Si je parle ici de "gestion", c'est que les menaces qui pèsent sur nous aujourd'hui ne peuvent être déjouées d'un simple geste. Elles exigent de la patience, de la détermination, de la persévérance et un attachement résolu à la cause du progrès. Elles exigent, en d'autres termes, que nous y répondions de concert.

Non que je croie que l'intérêt national soit une notion dépassée, ni que l'État-nation soit sur le point de disparaître. En fait, une des erreurs les plus grosses de conséquences commises immédiatement après la fin de la guerre froide a été de présumer que les allégeances nationales suivraient le même chemin que le communisme; qu'une économie mondialisée répondrait à tous les besoins de l'homme, y compris son besoin d'appartenance. Nous ne faisons que prendre peu à peu conscience aujourd'hui des dangers d'une telle illusion.

Au contraire, l'État-nation doit être au coeur même de l'effort multilatéral, les organisations internationales servant d'instrument de progrès. L'Organisation des Nations Unies a été conçue, aux termes de la Charte, comme une union de peuples, de "nations, grandes et petites", résolues à "vivre en paix dans un esprit de bon voisinage" — et non comme un gouvernement mondial.

Nous n'avons cessé depuis de nous efforcer, en servant d'instrument et de catalyseur, de défendre l'intérêt commun du progrès des nations dans la paix. Partout où m'ont conduit mes voyages au cours de l'année écoulée — et j'ai beaucoup voyagé — j'ai pu m'apercevoir que les peuples et les dirigeants, du Moyen-Orient à l'Afrique et à l'Amérique latine, attendaient de nous non pas le salut, mais des solutions pratiques à des problèmes communs.

Ce réalisme m'a donné espoir. Pourquoi? Parce que, de l'Ouganda au Guatemala et à l'Afghanistan, c'est aux parties en présence et aux peuples eux-mêmes qu'il appartient de se prononcer en faveur de la paix. C'est un choix que personne d'autre — ni l'Organisation des Nations Unies, ni la communauté internationale — ne peut faire à leur place. Nous pouvons faciliter les choses; nous pouvons jouer un rôle de médiateur; nous pouvons même proposer des solutions. Mais nous ne pouvons pas choisir à leur place.

En revanche, dès qu'ils auront fait ce choix, le multilatéralisme pourra s'exercer pleinement car, dans l'amorce d'une paix en Afghanistan, ou des progrès accomplis en Ouganda, le monde entier trouvera des solutions à des problèmes qui touchent chacun d'entre nous — qu'il s'agisse de la drogue, des réfugiés ou du trafic d'armes. Et, en unissant leurs efforts pour remédier à ces problèmes, les pays ne feront qu'affermir leur souveraineté, et non l'affaiblir, puisque ces efforts permettront de donner le jour à des sociétés plus fortes et plus sûres.

( suivre)

- 3 - SG/SM/6567 28 mai 1998

Tout le monde s'accorde aujourd'hui à reconnaître que l'environnement dans lequel nous vivons est commun à l'ensemble de la planète; que la pollution qui touche un océan peut s'étendre, et s'étend effectivement à d'autres océans, qu'un air pur et une couche d'ozone intacte sont d'un intérêt vital pour tous; et que les mesures prises pour préserver ces ressources communes seront plus efficaces si elles sont coordonnées à l'échelle mondiale.

Nous devons nous attaquer aux problèmes de la drogue, des réfugiés, des armes illégales et des droits de l'homme sans plus attendre et à l'échelle mondiale, tout comme nous nous attachons à préserver notre environnement. Il existe une volonté réelle de résoudre ces problèmes dans toutes les régions du monde.

Le mois prochain, pour la première fois, une session extraordinaire de l'Assemblée générale des Nations Unies se réunira pour affronter le problème mondial de la drogue. Chacun des aspects de cette menace — de la coopération judiciaire à l'élimination des drogues et à la lutte contre le blanchiment de l'argent — sera examiné par ceux qui sont le plus directement concernés et le mieux à même de proposer des solutions. J'ai fait de la lutte contre tous les éléments de la "société incivile" un des axes fondamentaux de notre mission pour le siècle prochain.

Le nouveau chef de notre mission antidrogue, le sénateur Pino Arlacchi, a mis en échec une bonne partie de la mafia en Italie et continue de marquer des progrès appréciables. Il s'est déjà rendu au Myanmar et en Afghanistan pour examiner les moyens de supprimer les drogues illégales à la source et s'attaque avec la même vigueur au problème de la demande en Occident et dans d'autres régions du monde. L'objectif est de réduire radicalement, voire même d'éliminer, la circulation des drogues illégales d'ici à l'an 2008. Nous savons désormais que c'est possible.

Le problème des flux de réfugiés touche aussi bien les pays d'où ils fuient et ceux dans lesquels ils cherchent refuge. Qu'il s'agisse des quelque 3 millions de réfugiés afghans en Iran ou des centaines de milliers de réfugiés bosniaques en Europe, nous avons affaire là aussi à un problème de dimensions mondiales qui exige des solutions multilatérales.

Je viens de rentrer d'une visite en Afrique où j'ai participé à une réunion régionale sur le sort des réfugiés en Afrique centrale. Les dirigeants de l'ensemble des pays visés se sont rassemblés, conscients que ce n'est qu'en agissant de concert qu'ils pourront résoudre tous les aspects de la question des réfugiés, tant en prévenant les conflits qui sont à l'origine des flux de réfugiés qu'en neutralisant les camps qui servent trop souvent d'abri aux milices, ou encore en favorisant le retour en sécurité des réfugiés dans leurs communautés d'origine.

( suivre)

- 4 - SG/SM/6567 28 mai 1998

Une fermeté d'intention accrue de la part des pays eux-mêmes et un engagement réaffirmé de la part de la communauté internationale nous rendront mieux à même de prévenir les flux de réfugiés et d'assurer que les hommes, les femmes et les enfants déjà en fuite puissent retourner chez eux en sécurité.

Les efforts que déploie l'Organisation des Nations Unies dans la lutte contre la prolifération des armes — armes nucléaires, armes de destruction massive, mines terrestres et armes individuelles — illustrent une fois encore la nécessité d'apporter à un problème mondial des réponses mondiales. La Conférence d'Ottawa, réunie l'an dernier, a marqué une étape importante vers l'élimination des mines terrestres, et l'accord que j'ai conclu à Bagdad en février dernier a permis de maintenir le système de désarmement le plus efficace que nous ayons connu à ce jour.

Les événements qui sont intervenus la semaine dernière en Asie ont mis en relief la nécessité de renforcer les initiatives en cours en matière de non-prolifération et d'intensifier notre action en faveur du désarmement. Nous devons notamment redoubler d'efforts pour mettre fin à la circulation illégale d'armes individuelles, lesquelles font de loin le plus de victimes et de ravages dans les régions du monde qui sont le plus touchées par les guerres et les conflits.

Enfin, je voudrais vous rappeler, en ce cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le combat que nous menons pour que le respect des droits de l’homme devienne une réalité partout dans le monde, pour empêcher la torture et la violence et pour assurer la dignité fondamentale de chaque homme, de chaque femme et de chaque enfant.

Notre nouveau Haut Commissaire aux droits de l'homme, l'Irlandaise Mary Robinson, s'est vu décerner il y a un mois à peine le Four Freedom Award en hommage à son action résolue. Partout dans le monde — de Harare à Shanghai et à Téhéran — je l'ai dit et répété : les droits de l’homme sont des droits universels, des droits africains, asiatiques, européens et américains.

Pour la première fois peut-être dans l’histoire de l’humanité, cette affirmation n’est plus sujette à controverse, du moins en principe. Il nous appartient à tous désormais de le traduire dans les faits.

Dans chacun de ces combats — contre la drogue et la criminalité, contre la violence qui engendre des flux massifs de réfugiés, contre la prolifération d’armes dangereuses, contre le non-respect des droits universels de l’homme — notre victoire sera votre victoire. Ce sera la victoire de chaque société et des membres de chaque société. Chacun d'entre nous pourra en recueillir les fruits.

Cela vaut tout autant ici, aux États-Unis, pays qui continue d'être touché par tous ces problèmes et qui s'est toujours trouvé en tête de l'action menée pour y faire face.

( suivre)

- 5 - SG/SM/6567 28 mai 1998

C’est pourquoi il est si regrettable et si malencontreux que la question des arriérés continue d'empêcher les États-Unis de jouer pleinement au sein des Nations Unies le rôle de premier plan qui est incontestablement le leur. Je n’entends pas abuser de votre bienveillance en vous expliquant ici pourquoi ces arriérés devraient et doivent être payés. Vous le savez bien.

Je tiens simplement à dire combien l’Organisation des Nations Unies a besoin de l’énergie, de l'idéalisme et de l'esprit d'initiative propres aux États-Unis d’Amérique, combien je suis reconnaissant du soutien qui m'a été témoigné personnellement à travers le pays et combien j’espère que la question pourra être définitivement résolue cette année. Si les États-Unis entendent jouer un rôle dirigeant au sein de l’Organisation des Nations Unies, il leur faut en payer le prix.

Ralph Bunche, le plus grand peut-être de vos compatriotes à avoir servi la cause de l’Organisation des Nations Unies, a déclaré en recevant le prix Nobel de la paix en 1950 que la raison d’être de l'Organisation était non seulement de préserver la paix mais aussi de faire en sorte que des changements, même radicaux, puissent intervenir sans déchaînement de violence. Chaque jour, chaque heure — dans chaque région du monde — nous pose un nouveau défi et nous offre une nouvelle occasion d’améliorer et d’affermir la structure du changement pacifique.

Si nous la gérons convenablement — en faisant preuve de la hauteur de vues et de la détermination nécessaires, et en croyant de toutes nos forces au possible — l’ère du multilatéralisme fera plus que simplement empêcher notre planète de connaître le pire. Elle fera des changements radicaux évoqués par Ralph Bunche la réalité quotidienne de notre action commune pour le progrès commun de l’humanité tout entière.

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( suivre)

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