DSG/SM/4

DANS UNE ALLOCUTION PRONONCEE A L'ACADEMIE MONDIALE POUR LA PAIX, LA VICE-SECRETAIRE GENERALE SOULIGNE LE ROLE DE LA CONSOLIDATION DE LA PAIX APRES LES CONFLITS

22 mai 1998


Communiqué de Presse
DSG/SM/4


DANS UNE ALLOCUTION PRONONCEE A L'ACADEMIE MONDIALE POUR LA PAIX, LA VICE-SECRETAIRE GENERALE SOULIGNE LE ROLE DE LA CONSOLIDATION DE LA PAIX APRES LES CONFLITS

19980522 On trouvera ci-après le texte d'une allocution prononcée le 11 mai à New York, à l'Académie mondiale pour la paix, par Mme Louise Fréchette, Vice-Secrétaire générale, sur le thème "Le prix de la paix — le rôle crucial du développement dans le rétablissement de la paix et le maintien de la paix".

C'est pour moi un réel plaisir de prendre la parole à l'Académie mondiale pour la paix. J'ai eu mainte fois dans le passé l'occasion d'être associée aux travaux de cette organisation et j'apprécie l'éminente contribution qu'elle apporte à la réflexion collective sur les problèmes de la paix et de la sécurité.

Bien entendu, l'Académie a eu la chance de bénéficier de l'exceptionnel talent d'animateur et de dirigeant d'Olara Otunnu, que je suis très heureuse d'avoir comme collègue à l'Organisation des Nations Unies.

Quand j'ai quitté New York en novembre 1994, on parlait surtout de maintien de la paix. Nous avions alors plus de 70 000 soldats déployés dans les différentes parties du monde. Le maintien de la paix avait profondément évolué depuis les premières expériences des années 50. Dans le modèle traditionnel, le maintien de la paix consistait essentiellement à interposer des soldats de l'ONU entre deux factions antagonistes afin de surveiller l'application d'un cessez-le-feu ou la mise en oeuvre d'un accord de paix. La nouvelle génération des missions de maintien de la paix mettait en jeu des contingents de l'ONU, composés à la fois d'éléments militaires et civils, et chargés de tâches extrêmement diverses allant de la fourniture d'une aide humanitaire à la démobilisation, au déminage, à l'observation d'élections, à l'accompagnement de réfugiés en cours de rapatriement, à la formation de forces de police et à l'observation de la situation en matière de droits de l'homme. En un mot, le maintien de la paix débordait sur la consolidation de la paix, qui doit évidemment se poursuivre pendant pas mal de temps, bien après que les derniers artisans de la paix sont retournés chez eux.

C'est aujourd'hui la consolidation de la paix qui est au coeur des préoccupations de l'Organisation des Nations Unies. Il y a peu de nouvelles missions de maintien de la paix, mais l'ONU continue de travailler très activement à la consolidation de la paix dans des pays où les opérations de maintien de la paix touchent à leur terme ou ont déjà pris fin. Elle est également engagée dans des actions de consolidation de la paix dans beaucoup d'autres pays.

Les pays qui sortent d'un conflit prolongé, conflit interne notamment, doivent trop souvent, beaucoup trop souvent, repartir pratiquement de zéro. L'effondrement de l'appareil administratif est à peu près total, l'activité économique normale est pratiquement au point mort, une forte proportion de la population a été déplacée. L'héritage de suspicion et de méfiance profondément enraciné qui continue de diviser les populations longtemps après que les armes se sont tues est peut-être plus redoutable encore. Bien souvent, la conscience même d'appartenir à une nation a été balayée par la guerre, et les gens finissent par se replier ou s'enfermer dans des identités ethniques, religieuses ou autres.

Le but des actions de consolidation de la paix au lendemain d'un conflit, c'est d'amener les sociétés à un état de paix durable, et le mot "durable" est ici le mot clef. Pour perdurer, la paix doit être beaucoup plus que l'absence de guerre. Il faut qu'elle puisse donner à tous les membres de la société des garanties de sécurité, leur assurer un traitement équitable, offrir à chacun la chance de satisfaire ses besoins fondamentaux et ses aspirations.

En règle générale, la consolidation de la paix implique des actions dans plusieurs directions.

Sur le plan politique, il faut parvenir à un accord sur la mise en place d'autorités politiques légitimes aux niveaux tant national que local. Des élections démocratiques sous une forme ou une autre et des règles acceptées permettant le renouvellement des mandats démocratiques à intervalles réguliers constituent les bases cruciales d'une paix durable, car elles seules offrent la possibilité de changer de dirigeants politiques sans recours à la violence et d'assurer la participation populaire au processus décisionnel.

Il est pourtant rare que la démocratie formelle, caractérisée par la tenue d'élections et des garanties constitutionnelles appropriées assurant le déroulement du processus démocratique, soit suffisante pour mettre sur la voie d'une paix durable des pays qui émergent d'un long conflit civil. La protection de minorités ethniques ou religieuses, dont le traitement est souvent le détonateur du conflit, doit être assurée et les libertés fondamentales doivent être garanties.

Le rétablissement de l'administration publique et des principaux services de l'État dans les plus brefs délais possibles est une autre condition clef de la consolidation de la paix. Il est aujourd'hui de bon ton, dans certains milieux, d'affirmer que tout marchera mieux pourvu qu'il y ait "moins d'État". Mais il faut voir de ses propres yeux ce qui se passe dans les pays où l'appareil d'État s'est totalement effondré pour comprendre tout ce que cette idée peut avoir d'absurde quand elle est poussée à ses extrêmes

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limites. Ronald Reagan a dit un jour que l'État était le problème, pas la solution. Avec tout le respect que j'éprouve pour l'ancien Président, je voudrais dire que si l'État — aux États-Unis et ailleurs — a peut-être été l'une des données du problème, il doit être aussi partie prenante dans sa solution.

Il ne peut y avoir de paix durable là où l'approvisionnement en produits de première nécessité dépend du marché noir, là où voleurs et bandits opèrent en toute impunité, où les enfants ne peuvent pas aller à l'école et où les adultes ne peuvent pas travailler. En un mot, il ne peut y avoir de paix durable dans le chaos.

Placer toutes les forces armées sous le contrôle des autorités civiles légitimes est une condition essentielle. Le désarmement et la démobilisation font partie intégrante de nombreux accords de paix. Les mesures visant à limiter la prolifération des armes légères se sont révélées très prometteuses, par exemple au Mali où l'ONU a participé à la collecte de 3 000 armes remises par des anciens combattants.

Néanmoins, la démobilisation pose d'emblée le problème de la réinsertion économique et sociale des ex-combattants. Il a bien souvent fallu mettre en place des programmes spéciaux — distribution de terres, plans de microfinancement et subventions au démarrage avec apport d'outils et de semences pour donner aux soldats démobilisés la change d'exercer un emploi rémunéré et éviter qu'ils rejoignent les rangs des chômeurs ou, pire encore, deviennent une source potentielle de désordre. Souvenons-nous que les anciens combattants ne connaissent souvent que la force des armes et n'ont pour gagner de quoi vivre que des compétences illicites et négatives qui les vouent au vol et au brigandage.

De même, des plans doivent être élaborés pour organiser le retour des réfugiés et des personnes déplacées. On peut même dire que dans le cas des réfugiés, la consolidation de la paix commence dans les camps de réfugiés où les programmes d'éducation et de formation professionnelle sont les compléments indispensables de l'aide humanitaire.

La remise en état du système judiciaire est une forte priorité dans de nombreuses situations après un conflit. La présence de juges et d'officiers de police compétents, ainsi que des systèmes judiciaire et pénitentiaire à même de fonctionner, sont des conditions essentielles pour maintenir l'ordre et rétablir un climat de sécurité dans le pays. À cette fin, des efforts massifs de formation sont souvent indispensables pour avoir l'assurance que les agents chargés du maintien de l'ordre s'acquitteront de leurs tâches conformément à des normes acceptables de respect des droits de la personne. La corruption pose des problèmes particuliers car il est rarement possible de la juguler sans relever sensiblement les salaires, et c'est une option que des pays déchirés par la guerre ne peuvent généralement pas se permettre.

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Les populations qui sortent d'une guerre aspirent avant toute chose à reprendre une vie normale dans leur communauté. La remise en état des infrastructures de base — routes, réseaux d'approvisionnement en eau et en énergie, reconstruction des logements détruits — doit être assurée. Le déminage des campagnes est dans bien des pays une conditions préalable de la reprise de la production agricole.

Néanmoins, dans les actions de consolidation de la paix au lendemain d'un conflit, l'objectif des mesures économiques et sociales ne peut être, dans la plupart des cas, un simple retour au statu quo antérieur, étant donné que des inégalités sociales ou des discriminations réelles ou perçues comme telles sont souvent au coeur même du conflit. La réalisation d'une paix durable est souvent subordonnée à de profondes réformes. Les régimes fonciers, les systèmes de tarification et les systèmes fiscaux, la qualité des services d'enseignement et de santé et l'accès à ces services, la mise en valeur des ressources humaines, voilà des questions qui concernent tous les citoyens. L'élimination de la misère ne peut se faire du jour au lendemain. Mais si rien n'est entrepris pour commencer à s'attaquer aux inégalités et mettre le pays sur la voie d'une croissance durable, les risques d'une nouvelle explosion sont évidents.

L'accès équitable à un bon enseignement de base mérite une attention particulière. Un enseignement qui permet à l'enfant d'exercer son esprit critique, d'avoir le sens de sa dignité et d'apprendre des valeurs positives comme la tolérance peut être un atout majeur pour une société démocratique et participative composée de citoyens pensants, et peut donc constituer un facteur de paix plutôt que de guerre. Le rétablissement rapide de services d'enseignement de base au lendemain d'un conflit est l'un des meilleurs moyens d'aider les enfants à retrouver le sens de la vie normale et à se tourner vers l'avenir.

Les problèmes de la gouvernance et des droits de l'homme font désormais partie intégrante de toute stratégie de développement. Ce qui fait selon moi la différence entre la consolidation de la paix au lendemain d'un conflit et une stratégie de développement typique, c'est l'élément d'urgence — la nécessité d'obtenir et de pouvoir démontrer des progrès tangibles sur plusieurs fronts en un bref laps de temps.

Les accords de paix sont la chose la plus fragile et peuvent facilement capoter. Certes, en dernière analyse, leur réussite dépend surtout de la détermination des parties elles-mêmes, mais la communauté internationale — et j'entends par là l'Organisation des Nations Unies, les pays limitrophes et d'autres pays influents, les pays donateurs et les organisations non gouvernementales (ONG) — peut beaucoup contribuer à faire avancer le processus.

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L'expérience acquise jusqu'à présent comporte plusieurs leçons pour la communauté internationale.

Il faut avoir un plan cohérent pour guider les initiatives de tous les protagonistes. En identifiant de bonne heure les tâches à entreprendre et en veillant à ce que les éléments fondamentaux soient pris en compte dans le processus de paix lui-même, on disposera d'une base solide pour exiger des parties qu'elles s'acquittent de leurs responsabilités dans la phase ultérieure. Les accords de paix conclus en El Salvador, par exemple, abordaient les causes profondes du conflit selon une approche et dans une perspective si larges que beaucoup ont qualifié le processus de "révolution par la négociation".

Parler d'une seule voix, on a en eu maintes et maintes fois la preuve, est un élément clef de tout effort de consolidation de la paix. Si l'on veut convaincre toutes les parties de se conformer à l'accord, le message qu'elles reçoivent de tous les protagonistes de l'extérieur doit être absolument clair et cohérent. L'Organisation des Nations Unies, pour sa part, considère la cohérence et la coordination comme des objectifs majeurs du processus de réforme. Sur le plan politique, par exemple, nous coopérons plus étroitement avec les organisations régionales à la résolution des conflits et à la liquidation de leurs séquelles. Du point de vue opérationnel, cela signifie de meilleures communications et une meilleure coopération entre les différents organismes des Nations Unies et les autres partenaires de développement présents dans un pays.

Tous ceux qui sont associés au processus de consolidation de la paix doivent être prêts à adapter leurs activités en fonction des objectifs et des priorités définis dans le plan. Au lendemain d'un conflit, le critère déterminant pour le choix et la définition des priorités est un critère politique, ce qui suppose que l'on s'attaque à des problèmes qui, laissés sans solution, pourraient provoquer le retour des combats. Il peut être nécessaire d'accorder un traitement préférentiel à ceux qui ont été particulièrement impliqués dans le conflit ou en ont particulièrement souffert, pour répondre aux récriminations qui les ont amenés à recourir à la force et les dissuader de reprendre les armes, et pour réparer les préjudices subis pendant la guerre par suite de privations ou d'actes de répression.

Une coordination aussi poussée ne s'obtient pas facilement. Les organismes d'assistance, qu'ils soient nationaux ou internationaux, ont leur propre grille d'objectifs et de priorités et des principes qui leur sont propres. À l'Organisation des Nations Unies, l'élaboration de cadres communs de développement progresse de façon satisfaisante, mais la discipline requise dans le contexte de la consolidation de la paix au lendemain d'un conflit n'est pas encore la norme dans la programmation pour le développement. L'enjeu est d'autant plus crucial que nous nous efforçons de mettre en relation toute la gamme des intervenants, y compris la Banque mondiale, les donateurs bilatéraux et même les ONG.

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Il importe de développer et d'affiner nos stratégies collectives, qui déterminent la manière dont nous abordons la situation des pays au lendemain d'un conflit. Le Secrétaire général, dans son rapport sur l'Afrique, a mentionné, par exemple, la nécessité de programmes d'ajustement "bons pour la paix". Le cadre actuel d'action ne paraît pas assez souple pour prendre en compte les besoins exceptionnels des pays concernés. De plus, les donateurs doivent être prêts à fournir des financements et à mettre en place des mécanismes efficaces pour appuyer des activités d'une importance vitale mais sans doute moins séduisantes sur le plan politique. Il est beaucoup plus facile de mobiliser des ressources pour le déminage que pour la construction de prisons. Le recrutement de fonctionnaires de police qualifiés pouvant dispenser une formation et exercer des fonctions de surveillance reste un problème crucial dans toute opération pour la paix.

La mise en place, dans les plus brefs délais possibles, d'une capacité nationale permettant de réduire le degré de dépendance doit être un principe clef de toute assistance internationale. En particulier, l'assistance humanitaire devrait, dans la plus large mesure possible, prendre des formes de nature à faciliter le retour à l'autosuffisance — travail contre vivres, la remise en état des puits de préférence à la fourniture d'une aide alimentaire, approvisionnement en eau.

La participation des structures administratives et des institutions non gouvernementales locales, ainsi que la population locale, est un impératif dans toute imitative pour la reconstruction et la réconciliation au lendemain d'un conflit. Pour que perdure la paix, il faut gagner les coeurs et les esprits. Ce n'est pas une chose qui peut être imposée de l'extérieur, et le but ultime de toute action de consolidation de la paix est d'aider les gens à réapprendre à travailler et à vivre ensemble.

Les médias aussi ont un grand rôle à jouer. Le fait d'assurer la libre circulation de l'information au lendemain d'un conflit est en soi et à lui seul une victoire. Mais, de même que l'attention médiatique peut donner à l'événement l'aura du sensationnel et présenter une situation sous un jour plus sombre qu'elle ne l'est vraiment, les images et les reportages ont aussi le pouvoir de donner l'impulsion et de soutenir l'élan en faveur de la reconstruction.

Je voudrais faire une dernière observation et rappeler que les blessures de la guerre cicatrisent lentement. Si l'on est sérieux quand on parle de consolidation de la paix, il faut être prêt à accepter des engagements de longue durée. Il faudra faire preuve de souplesse et de créativité pour réagir à d'inévitables déconvenues. Et il faudra trouver les ressources nécessaires pour permettre aux pays concernés de retrouver la voie de la croissance, de la justice et du développement. Je sais fort bien que cela signifie beaucoup d'argent. En Bosnie-Herzégovine, nous dépensons aujourd'hui à peu près trois fois plus que ce qui a été dépensé pour la reconstruction de

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l'Europe dans le cadre du plan Marshall — environ 250 dollars par personne — hommes, femmes et enfants — à quoi il faut ajouter le coût de la Force de stabilisation de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN). C'est une somme considérable, un remarquable niveau de financement, mais par rapport aux coûts humains du conflit, aux coûts en vies gâchées et en sociétés détruites, on peut dire que même à ce prix ce n'est pas cher payé pour la paix.

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