SG/SM/6541

LE SECRETAIRE GENERAL SOULIGNE LES DIMENSIONS RELIGIEUSES

19 mai 1998


Communiqué de Presse
SG/SM/6541


LE SECRETAIRE GENERAL SOULIGNE LES DIMENSIONS RELIGIEUSES

19980519 On trouvera ci-après le texte du discours sur "Le défi de la diversité" que le Secrétaire général de l'ONU, M. Kofi Annan, a prononcé le 27 avril à la synagogue de Park Avenue, à New York, à l'occasion de la cérémonie organisée en souvenir du rabbin Marc H. Tanenbaum :

J'ai le très grand privilège de me joindre à vous ce soir dans cet illustre lieu de culte pour une cérémonie de remise de prix, et de partager avec vous quelques-unes de mes réflexions. C'est pour moi un plaisir particulier d'être en compagnie de tant d'amis et aux côtés des coprésidents, des lauréats et autres invités de marque de cette soirée qui sont aussi de fervents partisans de l'Organisation des Nations Unies. Permettez-moi d'abord de saluer certaines des personnalités ici présentes :

— M. David Dinkins, ancien maire de cette ville extraordinaire, et également un ami cher;

— S. E. le cardinal John O'Connor qui, à maintes reprises, a fait à l'Organisation des Nations Unies l'honneur de prier pour le succès de ses travaux, notamment lors de ma récente mission en Iraq;

— MM. Dan Rather, de CBS, et Edward Lewis de Essence Communications, qui aident l'Organisation à mettre le savoir et l'information au service de la démocratisation, pour le bien de l'humanité tout entière;

— M. Omar Ashmawy, dont le père, Seif Ashmawy, nous a quittés au début de l'année après avoir consacré sa vie au dialogue interreligions;

— Le père Ivo Markovic, de Sarajevo, ville où l'Organisation des Nations Unies a été présente pendant des années, lauréat du premier prix pour la défense de la paix décerné par le Centre Tanenbaum, et qui, dans des conditions très difficiles, a défendu avec tant de courage et de dignité la paix et la coopération interreligions;

— M. Percy Sutton, citoyen d'exception;

— Mme Liv Ullman, actrice et conscience sociale, qui met sa célébrité au service des défavorisés;

— Et enfin, je me tourne vers vous, mon très cher ami et lauréat du prix Nobel, Élie Wiesel, qui êtes sur notre terre l'un des principaux défenseurs des droits de l'homme, la voix de ceux qui ne peuvent se faire entendre en ce monde où le silence comme la parole sont parfois synonymes de grands dangers. Le mois dernier encore, Élie et moi étions à Genève à l'occasion de la session de la Commission des droits de l'homme, pour parler de ces droits et de la nécessité de défendre ceux d'autrui.

Si le Centre Tanenbaum pour la compréhension interreligions a pu réunir une assemblée aussi prestigieuse, c'est parce que son action en faveur de la tolérance et de l'entente entre les peuples de religions différentes rayonne dans le monde entier. Le rabbin Marc Tanenbaum, dont le Centre porte le nom, était un homme remarquable, une grande personnalité oecuménique juive qui portait un intérêt particulier à la justice sociale et à la question des réfugiés. Comme Élie Wiesel aujourd'hui, le rabbin Tanenbaum luttait pour nos droits et notre bien-être.

Le Centre reste fidèle à cette noble tradition de militantisme. Je tiens à exprimer ma reconnaissance à Mme Georgette Bennett, Présidente du Centre, qui poursuit l'oeuvre à laquelle son époux avait consacré sa vie; à M. Richard A. Smith qui, chaque année, soutient financièrement cette manifestation; et à tous ceux auxquels je dois de partager avec vous un moment unique.

Vous vous demandez peut-être pourquoi un Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies vient parler de religion dans une synagogue. Vous vous dites sans doute que l'ONU, en tant qu'organisation intergouvernementale, doit se conformer au principe de la séparation de l'Église et de l'État qui est la règle aux États-Unis et dans nombre d'autres pays. Vous tentez peut-être d'imaginer comment la spiritualité peut coexister avec le monde de la diplomatie, les questions de sécurité nationale et l'âpreté des négociations.

Je voudrais vous demander de penser autrement, de voir les choses différemment. L'Organisation des Nations Unies est une mosaïque où se côtoient costumes et saris, mais aussi cols d'ecclésiastiques, habits de religieuses et robes de lamas, mitres, calottes et kippas.

Je m'entretiens régulièrement avec des groupes oecuméniques et des personnalités religieuses de tous horizons.

( suivre)

- 3 - SG/SM/6541 19 mai 1998

S. S. le pape Jean-Paul II est un des nombreux chefs spirituels qui ont rendu à l'ONU des visites inoubliables. Il est venu en 1995, l'année du cinquantenaire de l'Organisation. "La politique des nations", avait-il alors déclaré, "ne peut pas méconnaître la dimension transcendante, spirituelle de l'expérience humaine".

C'est là un message qui me tient à coeur. Il existe une affinité fondamentale entre les enseignements des grandes religions de ce monde et les valeurs inscrites dans la Charte des Nations Unies.

C'est une conviction que je partage avec d'autres. Mon prédécesseur Dag Hammarskjöld, dont la foi tout autant que l'oeuvre de Secrétaire général sont restées dans les mémoires, emportait toujours deux choses avec lui, où qu'il allât : le Nouveau Testament et la Charte des Nations Unies, ses deux bibles en quelque sorte.

Voyez plutôt certains des dix commandements qui figurent dans le livre de l'Exode de l'Ancien Testament : tu ne tueras point; tu ne voleras point; tu ne porteras point de faux témoignage contre ton prochain. Et le principe hindou du dharma : vivez vertueusement, faites votre devoir. N'oubliez pas non plus que la charité est l'un des cinq principes de l'islam, ni que le bouddhisme suppose entre autres choses le respect de tout ce qui vit.

Pensez maintenant à ces lignes de la Charte des Nations Unies : "Nous, peuples des Nations Unies, résolus ... à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l'égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites".

La Déclaration universelle des droits de l'homme est elle aussi profondément ancrée dans l'histoire de l'humanité, de Confucius à Thomas Jefferson en passant par Sa'adi, le poète persan du XIIIe siècle.

Les religions peuvent s'exprimer par des pratiques et des systèmes de croyance extrêmement variés; l'action de l'Organisation des Nations Unies peut, extérieurement, sembler appartenir "au siècle", mais en fait, nous traitons de valeurs universelles. C'est un domaine dans lequel nous excellons. La bonté, la miséricorde : aucune religion n'a le monopole de ces enseignements. Le problème, à mon sens, ne tient pas à la foi, il tient aux fidèles.

Aux termes d'une autre charte célèbre, celle de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), "les guerres prenant naissance dans l'esprit des hommes, c'est dans l'esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix".

( suivre)

- 4 - SG/SM/6541 19 mai 1998

Qu'il s'agisse de guerre, de discrimination ou autres atteintes aux droits de l'homme, nous sommes trop souvent les témoins de l'intolérance et de l'incompréhension entre différentes traditions religieuses. Nous avons tendance à penser "nous" et "eux". L'être humain, par peur de ce qui est différent, assimile "l'autre" au démon. Comme l'écrivait l'écrivain juif italien rescapé de l'Holocauste Primo Levi :

"Nombre de peuples, nombre de nations peuvent en arriver à penser plus ou moins sciemment que 'tout étranger est un ennemi'. En général, cette conviction est enfouie, telle une infection latente; elle ne se manifeste qu'à l'occasion, au hasard des événements, et n'est pas le fondement d'un système de raison. Mais quand elle se manifeste, quand le dogme implicite devient la prémisse majeure d'un syllogisme, le raisonnement conduit au camp retranché."

C'est la nature humaine, diront certains. Les théories politiques dites "réalistes" reposent sur cette hypothèse. D'autres évoquent la pauvreté et le désespoir économique; ou l'insécurité qu'engendrent les bouleversements, tels que la fin de la guerre froide, ou la mondialisation qui peut affaiblir les valeurs culturelles et religieuses locales.

Quel que soit le rôle de ces facteurs, je n'en suis pas moins convaincu que le conflit et la haine, bien que fréquents, ne sont pas inévitables. L'homme choisit de haïr, il apprend à être cruel envers son prochain.

Tout au long de l'histoire, la religion a malheureusement été un instrument de division, de discrimination, voire de mort. De l'Antiquité aux Croisades et jusqu'à nos jours, la religion a été pervertie; d'une conviction personnelle, d'un soutien moral, on a fait une arme de pouvoir et de coercition. Le cri de l'âme qui cherche un sens à la vie, qui cherche Dieu, a été étouffé par le cri de guerre de ceux qui prétendent avoir Dieu de leur côté.

Partout dans le monde, les politiques identitaires reposant sur la religion, l'ethnicité et autres caractéristiques ont gagné en intensité ces dernières années à l'intérieur des pays et entre eux.

En Afghanistan, les édits des Taliban étouffent la société tout entière, particulièrement les femmes dont l'accès à l'éducation et à l'emploi est restreint. En Ouganda, des insurgés qui se présentent comme l'Armée de résistance du Seigneur, enlèvent les enfants, violent les fillettes et assassinent les femmes au nom de leur Messie. En Irlande du Nord, après des décennies de conflit religieux, nous commençons enfin à entendre des nouvelles plus rassurantes.

( suivre)

- 5 - SG/SM/6541 19 mai 1998

Rien ne m'a autant affligé, ces dernières années, que de voir les minarets des grandes mosquées de Bosnie-Herzégovine gisant en ruines sur le sol, et des musulmans enfermés dans des camps entourés de barbelés, victimes de violences que nous avions juré de ne jamais laisser se reproduire.

Même lorsqu'elle n'engendre pas la violence ou un conflit caractérisés, l'intolérance peut faire des ravages. La discrimination insidieuse est tout aussi nocive à sa façon. Ainsi, il n'est pas rare que les minorités religieuses se voient refuser le droit de citoyenneté, ou interdire de pratiquer leur foi. Les manuels scolaires ne reflètent pas la diversité de certaines sociétés, ou pire encore, prêchent un message d'intolérance à l'encontre de certaines religions.

N'oublions jamais que l'intolérance et l'extrémisme peuvent sévir non seulement entre des religions différentes, mais aussi à l'intérieur d'une même religion. Je pense au schisme qui divise les musulmans sunnites et chiites, et au débat qui agite le judaïsme pour savoir "qui est juif". Les querelles de famille, vous serez sans doute d'accord avec moi, sont parfois les plus douloureuses et les plus déchirantes.

Nous avons donc du pain sur la planche. Comment lutter contre la discrimination? Comment encourager la diversité? Comment, au-delà des problèmes, pouvons-nous veiller à ce que la foi devienne une réalité unificatrice et porteuse de lumière? Permettez-moi de partager avec vous ce qu'Élie Wiesel m'a dit un jour : "La foi fait naître le respect, le fanatisme incite à la haine".

Le travail de l'Organisation des Nations Unies consiste d'abord à établir des normes de conduite internationales. La Déclaration universelle des droits de l'homme le proclame, "toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion". Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques rend ce droit juridiquement contraignant pour les 140 pays qui y sont parties. Une déclaration adoptée par l'Organisation des Nations Unies en 1981 donne corps à la nature et à la signification de cette liberté fondamentale.

Aussi précieux soient-ils, ces instruments ne sont que des règles énoncées dans des livres. Dans la réalité, la situation est telle que la Commission des droits de l'homme, avec les encouragements et l'appui du Gouvernement des États-Unis, a décidé en 1986 de nommer un rapporteur spécial indépendant chargé d'examiner, où que ce soit dans le monde, tout incident et toute action gouvernementale contraires aux dispositions de la Déclaration de 1981.

En se rendant sur place et en recueillant des informations par d'autres moyens, ce rapporteur met en évidence les violations commises et évalue le climat général. Il souligne la nécessité non seulement de combattre la discrimination mais aussi de la prévenir grâce au dialogue interreligions et, en particulier, grâce à l'éducation.

( suivre)

- 6 - SG/SM/6541 19 mai 1998

Pour sa part, le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie à La Haye connaît des allégations de génocide et de crimes contre l'humanité, crimes parfois perpétrés au nom de la religion. Mais nous pouvons aller encore plus loin. Dans moins de deux mois, une réunion se tiendra à Rome afin de mener à leur terme les négociations sur la constitution d'une cour criminelle internationale. En cette année du cinquantième anniversaire de la Déclaration des droits de l'homme et de la Convention sur le génocide, il est particulièrement indiqué de créer cette instance, considérée comme le chaînon manquant du système juridique international.

Et pourtant, il ne s'agit là que de mesures initiales, qui ne sont pas toujours efficaces. Ce dont la communauté internationale a besoin, ce sont des outils nouveaux et novateurs. Les personnalités et organisations religieuses telles le Centre Tanenbaum peuvent à cet égard jouer un rôle encore plus important.

Vous pouvez, par exemple, prendre part à des conférences mondiales et autres réunions des Nations Unies. Permettez-moi à ce propos d'attirer votre attention sur deux manifestations qui auront lieu prochainement. Premièrement, en juin, l'Assemblée générale tiendra une session extraordinaire sur les drogues illicites, un fléau mondial dont les victimes sont principalement les jeunes. Comment imaginer que les communautés et groupes religieux ne soient pas particulièrement proches de la jeunesse du monde entier et ne se sentent pas responsables envers elle?

Deuxièmement, j'ai proposé que l'Assemblée générale tienne une Assemblée du millénaire dont l'objet ne serait pas seulement de célébrer l'an 2000 mais aussi de définir la mission de l'Organisation pour le XXIe siècle. J'ai également avancé l'idée que les ONG tiennent parallèlement une réunion du millénaire, étant donné le rôle de la société civile et la place qui lui revient de droit dans le monde aujourd'hui.

Les organismes religieux peuvent aussi constituer des groupes de dialogue interreligieux, et mener des campagnes de sensibilisation et d'éducation. Vous pourriez en outre proposer vos bons offices. La communauté de Sant'Egidio, par exemple, est une organisation laïque catholique romaine qui se consacre aux problèmes sociaux. Grâce à ses liens avec un prêtre mozambicain, elle a joué un rôle décisif dans les négociations qui ont débouché sur la paix au Mozambique. Aujourd'hui, Sant'Egidio fait au Kosovo un travail des plus précieux.

Je sais que le Centre Tanenbaum attache une importance particulière au rôle que la religion peut jouer en tant qu'outil de gouvernement, et j'applaudis au programme sur la religion et la résolution des conflits qu'il met en place à cette fin avec le concours de l'Université de Columbia.

( suivre)

- 7 - SG/SM/6541 19 mai 1998

Notre culture peut être celle de la diversité. De même que la plume est plus puissante que l'épée, l'appel aux valeurs — valeurs religieuses, valeurs proclamées dans la Charte des Nations Unies — est plus fort que tous les appels aux armes.

Nous devons mettre en lumière ce qui nous unit : l'universalité des aspirations et des droits de l'homme. Tout aussi important, nous devons avoir le courage de ces convictions.

Le mois dernier, j'ai eu le privilège de me rendre en Israël et au Moyen-Orient. Lors de ma visite à Yad Vashem, j'ai déposé une couronne au monument qui honore les victimes de l'holocauste, puis je me suis arrêté un moment pour réfléchir devant l'arbre planté à la mémoire de l'oncle de mon épouse, Raoul Wallenberg.

Raoul a pris des risques énormes. Il n'a pas eu peur des forces bestiales qui anéantissaient des millions d'être humains et mettaient l'Europe à feu et à sang. Un diplomate japonais, Chiune Sugihara, a lui aussi su faire preuve d'héroïsme en sauvant des vies humaines durant cette terrible période.

Mais pourquoi ont-ils été si nombreux à détourner le regard? Pourquoi y a-t-il eu si peu de Raoul Wallenberg? Pourquoi le mal est-il si ordinaire et le bien si mystérieux? Gardons bien présent à l'esprit l'avertissement inoubliable lancé par le théologien allemand Martin Niemoeller. Élie Wiesel a dit qu'il fallait prier pour les morts et pour les millions d'êtres humains tués au Cambodge. Niemoller nous rappelle que nous devons agir pour les vivants, avant qu'il ne soit trop tard.

"En Allemagne, ils sont d'abord venus chercher les communistes. Je n'ai rien dit parce que je n'étais pas communiste. Puis ils sont venus chercher les Juifs. Je n'ai rien dit parce que je n'étais pas juif. Puis les syndicalistes. Je n'ai rien dit parce que je n'étais pas syndicaliste. Puis les catholiques et je n'ai rien dit car je suis protestant. Finalement, c'est moi qu'ils sont venus chercher et il ne restait plus personne pour dire quoi que ce soit."

Je suis ici ce soir l'apôtre de la diversité, et de la dimension religieuse et spirituelle de l'action de l'Organisation des Nations Unies.

À mon retour d'Iraq, j'ai dit que nous ne devrions jamais sous-estimer la force de la prière. Lorsque nous nous exprimons, lorsque nous prions, individuellement ou collectivement, à une ou à plusieurs voix, nous pouvons étouffer le bruit de la guerre. Si nous parvenons à extirper les racines de l'intolérance, alors nous forgerons la paix et la justice auxquelles tout être humain a droit.

Pour l'esprit d'initiative et la clairvoyance dont vous faites preuve dans cette entreprise cruciale, merci.

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