DH/G/865

LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE EXAMINE LE RAPPORT DU GUATEMALA

7 mai 1998


Communiqué de Presse
DH/G/865


LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE EXAMINE LE RAPPORT DU GUATEMALA

19980507

L'attention est portée notamment sur l'indépendance du pouvoir judiciaire et la question de la lutte contre l'impunité

Genève, 7 mai -- Le Comité contre la torture a entamé, ce matin, l'examen du second rapport périodique soumis par le Guatemala sur la mise en oeuvre de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Le chef de la délégation guatémaltèque venue présenter le rapport, M. Luis Alberto Padillo Menéndez, Représentant permanent du Guatemala auprès de l'Office des Nations Unies à Genève, a déclaré que, si la signature le 29 décembre 1996 des Accords de paix entre le Gouvernement et l'Union nationale révolutionnaire guatémaltèque (UNRG), a mis fin a trois décennies de conflit armé, ils n'ont pas encore permis de régler tous les problèmes du pays. M. Denis Alonso, Directeur exécutif de la Commission présidentielle des droits de l'homme, a indiqué que l'entrée en vigueur en 1995 d'un décret qualifiant de délit les actes de torture a constitué un pas important dans l'amélioration du respect du droit à l'intégrité physique des personnes.

MM. Alejandro González Poblete et Bent Sørensen, membres du Comité et respectivement rapporteur et corapporteur chargés de l'examen du rapport du Guatemala, ont noté que le pays, sorti il y a tout juste 16 mois de 36 ans de guerre civile, a de grands défis à relever, notamment dans le domaine judiciaire, policier et militaire. Ils ont insisté sur le manque d'indépendance du système d'administration de la justice et sur la crise de confiance créée, notamment, par l'impunité dont jouissent les auteurs d'abus de droits de l'homme, et notamment les auteurs d'actes de torture, ainsi que par les menaces qui pèsent sur les juges et les avocats. Ils ont également souligné que la définition de la torture dans la législation guatémaltèque ne correspond pas à la définition figurant dans la Convention.

Le Comité entendra, cet après-midi, à partir de 15 heures, les réponses de la délégation du Guatemala.

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Présentation du rapport du Guatemala

M. Luis Alberto Padillo Menéndez, Représentant permanent du Guatemala auprès de l'Office des Nations Unies à Genève, a rappelé que le processus de paix entamé en 1991 a abouti le 29 décembre 1996 à la signature des accords de paix entre le Gouvernement et l'Union nationale révolutionnaire guatémaltèque (UNRG). La Mission des Nations Unies pour la vérification des droits de l'homme au Guatemala (MINUGUA) est dans le pays depuis 1994, a rappelé le représentant. La fin de trente ans de conflit armé n'a pas solutionné tous les problèmes et il faut maintenant sanctionner les auteurs des violations des droits de l'homme commises par le passé. L'assassinat tragique la semaine dernière du coordonnateur des droits de l'homme de l'Église catholique ne restera pas impuni, a en outre assuré le représentant.

M. Denis Alonso, Directeur exécutif de la Commission présidentielle des droits de l'homme du Guatemala, a indiqué que son pays a la ferme volonté politique de persévérer sur la voie de la paix et de s'assurer du respect des droits de l'homme. Il a rappelé que la Commission des droits de l'homme des Nations Unies a décidé, à sa dernière session, de mettre fin à l'examen de la situation des droits de l'homme au Guatemala. La Sous-Commission de la protection des minorités et contre la discrimination raciale a pris la même décision en 1997, a ajouté M. Alonso. Un plan d'action national a été décidé afin de donner corps à chacun des 179 engagements consentis par les Accords de paix. Les forces armées ont été remaniées et 80% des postes de commandement ont été modifiés. En outre, 200 000 membres des comités de volontaires ont été démobilisés à la fin 1997. S'agissant de la lutte contre l'impunité, le Ministère de l'intérieur s'est attaché à modifier et à épurer ses structures internes. Ainsi, 160 membres de la police nationale ont été démis de leurs fonctions.

En 1998, le budget du Procureur des droits de l'homme a augmenté de 10% par rapport à l'année précédente. En avril dernier, la Commission de la justice a transmis son rapport au Congrès. L'entrée en vigueur en 1995 d'un décret qualifiant de délit les actes de torture, a constitué un pas important dans l'amélioration du respect du droit à l'intégrité physique des personnes. M. Alonso a souligné à cet égard que la MINUGUA a indiqué, en 1996, dans son rapport au Secrétaire général, que durant la période visée au rapport, elle n'avait jugé recevables que quatre plaintes pour torture. Quant aux cas de traitements cruels, inhumains ou dégradants, la MINUGUA jugeait recevables sept plaintes faisant état de violations. Sur ces cas, cinq violations ont été constatées. Pour ce qui est des violences, la MINUGUA a jugé recevables 39 plaintes au total portant sur 73 violations du droit à l'intégrité de la personne.

Le deuxième rapport périodique du Guatemala souligne que la situation actuelle du pays est caractérisée dans une large mesure par le dynamisme insufflé aux négociations de paix mais qu'il est clair qu'il faut de toute urgence faire en sorte d'améliorer l'administration de la justice en particulier compte tenu du comportement irrégulier des fonctionnaires du

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système judiciaire. Face à cette situation déplorable, le Gouvernement a estimé, dans son programme d'action pour 1996-2000, qu'il était impératif d'organiser de manière efficace l'appareil judiciaire afin que la population reprenne confiance dans l'administration de la justice. Il est indiqué que pendant la période du 1er janvier au 30 juin 1996, diverses institutions et organisations non gouvernementales ont procédé à des études statistiques sur le respect ou la violation des droits de l'homme au Guatemala, lesquelles font apparaître une diminution des cas de torture signalés. En revanche, indique le rapport, on continue d'enregistrer des plaintes pour traitements cruels, inhumains ou dégradants commis en particulier par des agents de l'État.

Le Code pénal a fait l'objet, en 1995, de modifications visant à qualifier de délit les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées et la torture, tous actes qui n'étaient pas prévus jusqu'alors dans la législation guatémaltèque. En outre, les procédures illégales de recrutement et la conscription obligatoire ont été totalement supprimées et l'État est resté fidèle à son engagement de ne pas encourager la formation de nouveaux comités de volontaires pour la défense civile. De nombreux membres de la police nationale ont été démis de leurs fonctions et mis à la disposition des autorités au motif qu'ils auraient participé à des violations des droits de l'homme et commis des fautes justifiant leur remplacement. Six anciens policiers, accusés de mauvais traitements à l'encontre d'enfants de la rue, font l'objet d'un mandat d'arrêt. En 1995 et 1996, l'école d'études judiciaires a organisé des stages de formation à l'intention de fonctionnaires du système judiciaire. Le rapport note qu'il subsiste un climat de violence qui est source d'insécurité pour la population. Il note également un nombre élevé de menaces, d'enlèvements et d'autres délits dont les auteurs n'ont pas encore été identifiés ainsi que les réserves émises par la population quant à l'efficacité des institutions chargées d'enquêter sur ces délits et de les punir. Toutefois, le Gouvernement s'emploie à surmonter ces obstacles et juge indispensable d'accélérer la mise en place d'une politique globale de lutte contre l'impunité et d'établir des mécanismes efficaces de coordination entre l'autorité judiciaire, le ministère public et les forces de sécurité.

Examen du rapport du Guatemala

M. Alejandro González Poblete, rapporteur chargé de l'examen du rapport du Guatemala, a estimé que l'on ne peut examiner la situation de la torture au Guatemala sans tenir compte de la situation générale qui prévaut dans le pays. Il n'y a que seize mois que les accords de paix ont été signés, a rappelé l'expert, et le pays doit relever des défis considérables, notamment dans le domaine judiciaire, militaire et policier. Les efforts déployés en matière de sécurité n'ont pas été suffisants, la corruption existe toujours et des problèmes subsistent dans l'administration de la justice, a noté M. González, qui a ajouté que le degré d'impunité dont joui l'armée ainsi que le rôle excessif qu'elle a joué au sein de la société guatémaltèque a contribué à la crise de la justice.

M. González a souligné que le rapport du Guatemala affirme que les cas de torture ont nettement diminué en 1996 mais il a remarqué que le document ne dit rien des mesures qui ont été prises pour châtier les auteurs d'actes de torture. Selon la MINUGUA, seules quatre plaintes pour tortures auraient été jugées recevables en 1996 et deux vérifiées. En outre, 20 cas de traitements

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cruels, inhumains ou dégradants auraient été enregistrés en 1995 et 12 en 1996 alors que 93 cas de mauvais traitements ont été notés par la MINUGUA en 1996. Le rapport d'Amnesty international mentionne trois cas de tortures en 1996 tandis que celui de Human Rights Watch de 1998 ne fait mention d'aucun cas établi de tortures pour 1997 mais mentionne des menaces de mort et des enlèvements pour extorsion.

M. González Poblete a mis l'accent sur la situation des enfants «oubliés» du Guatemala, les enfants des rues, qui ne disposent d'aucune protection et d'aucune surveillance, et dont le nombre est évalué entre 1 500 et 5 000. Quatorze enfants des rues sont morts entre 1996 et 1997 à la suite de tortures, ce qui signifie qu'autant d'enfants des rues sont morts en deux ans que durant les cinq années précédentes. L'État n'a pas mené à cet égard les enquêtes indispensables ni traduit les responsables en justice, a déclaré M. González Poblete. L'incrimination de la torture comme «délit» n'est pas exactement conforme à la définition donnée par la Convention mais il convient de se féliciter des peines de prison qui ont été prévues pour sanctionner les auteurs d'actes de torture. Le rapporteur s'est également félicité de la suppression des auxiliaires militaires, qui a permis de renforcer l'autorité civile, et de la démobilisation des comités de défense civile. Il a souligné que le nombre important d'armes aux mains de civils contribue de façon importante au niveau d'insécurité. En outre, les menaces et intimidations dont font l'objet les juges et les magistrats gênent les enquêtes pour homicides. Le rapporteur a notamment souhaité savoir si l'initiative prise par le Gouvernement pour constituer un service de protection des juges et des avocats a déjà donné des résultats et si ce service est doté d'un budget adéquat.

M. Bent Sørensen, corapporteur pour le Guatemala, a constaté que le rapport ne mentionne pas l'application de la Convention article par article, ce qui rend l'examen de ce document assez difficile. Il a souhaité savoir si le code pénal guatémaltèque, qui dispose que les conséquences d'actes posés par des agents publics dans l'exercice de leurs fonctions ne seront pas interprétés comme constituant des actes de torture, n'est pas en contradiction directe avec l'article 3 de la Convention. M. Sørensen a en outre indiqué que selon le code pénal, la torture est définie comme un acte exécuté en vertu d'un ordre et a souhaité savoir ce qu'il se passe si la torture est exécutée sans qu'un ordre ait été donné. En outre, a-t-il dit, il semble qu'aux termes de la loi guatémaltèque, les actes de torture se produisent «principalement» dans le cadre d'enlèvements, mais qu'en est-il des tortures infligées dans un poste de police, par exemple ? Le corapporteur a souhaité savoir combien le pays compte de prisonniers et combien de lieux de détention. Combien de prisonniers sont en garde à vue ? Il a souhaité savoir si le Guatemala a envisagé de prendre des mesures pour accélérer l'examen des dossiers des détenus. Comment les juges sont-ils élus, quels sont leurs droits et quels sont leurs revenus, a demandé M. Sørensen. Il a également souhaité que la délégation explique s'il existe un système de visite et d'inspection des prisons. L'expert a souhaité savoir si le pays offre des réparations aux victimes et comment les autorités s'attaquent concrètement à l'impunité.

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Un expert du Comité a voulu savoir pourquoi le Guatemala ne s'était pas inspiré directement de la Convention contre la torture pour codifier et criminaliser la torture au lieu d'établir un document «imparfait et incomplet». Un autre a également souhaité connaître les mesures prises par les autorités guatémaltèques pour s'assurer que les comités de défense ne se livrent pas à la violence.

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