SG/SM/6532

LOS ANGELES, LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL SOULIGNE QUE L'ACTION HUMANITAIRE D'AUJOURD'HUI A BESOIN D'UN SOUTIEN POLITIQUE ET FINANCIER

1 mai 1998


Communiqué de Presse
SG/SM/6532


LOS ANGELES, LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL SOULIGNE QUE L'ACTION HUMANITAIRE D'AUJOURD'HUI A BESOIN D'UN SOUTIEN POLITIQUE ET FINANCIER

19980501 On trouvera ci-après le texte de l'allocution que le Secrétaire général, M. Kofi Annan, a prononcée le 21 avril devant le World Affairs Council de la ville de Los Angeles :

Je suis heureux de me trouver aujourd'hui parmi vous pour participer à cet important forum. Je sais que vous entretenez depuis longtemps un dialogue sur les grands problèmes de notre temps, ceux qui se posent aux États-Unis même et ceux qui existent ailleurs dans le monde. Durant ce court voyage, j'ai senti dans cet État de Californie tout le dynamisme d'une véritable interaction entre le passé et l'avenir, et entre les États-Unis et ses voisins de l'autre côté du Pacifique, qui explique pourquoi la Californie est si présente dans la vie américaine et dans la vie internationale. Je me réjouis donc de pouvoir vous faire part de quelques-unes de mes observations.

Je rentre d'un voyage qui m'a mené dans plusieurs pays et a été pour moi une expérience très émouvante.

Au Moyen-Orient, où je me suis rendu en Israël et dans les pays voisins, j'ai constaté que tous les peuples de la région aspirent à la paix, désirent ardemment vivre en sûreté et dans la stabilité, sans avoir peur, à l'abri des bouleversements violents.

À Genève, où j'ai assisté à l'inauguration de la session annuelle de la Commission des droits de l'homme, j'ai entendu les espoirs s'exprimer avec encore plus de force — peut-être, disait-on, allons-nous nous rapprocher de cet inaltérable idéal que nous présente depuis cinquante ans la Déclaration universelle des droits de l'homme — la reconnaissance de dignité et de l'égalité de tous les êtres humains.

Cette multitude de voix, celles-là et des milliers d'autres, qui s'élèvent vers l'ONU est l'une des choses qui m'étonnent le plus dans mes fonctions de Secrétaire général. Partout dans le monde, des gens attendent de l'ONU qu'elle les épaule, ou qu'elle les guide, ou tout simplement qu'elle les entende. On attend encore plus de notre Organisation, d'une ONU unifiée, depuis qu'en février dernier le conflit avec l'Iraq a été écarté. Je voudrais bien, quant à moi, que la communauté internationale traite les autres grands problèmes avec autant d'empressement et de détermination qu'elle en a mis à régler, du moins pour l'instant, cette crise avec l'Iraq.

L'ONU elle aussi peut faire entendre une voix, celle des faibles et des déshérités, de ceux qui sont dans la détresse, de ceux qui sont en danger. Je travaille avec elle depuis assez longtemps pour m'être rendu compte que les populations frappées par une guerre ou une catastrophe naturelle, voire les deux à la fois, sont parmi les plus vulnérables qui soient. Je voudrais donc vous parler aujourd'hui de l'impératif humanitaire des Nations Unies.

Il semblait à la fin de la guerre froide que nous allions entrer dans une ère de paix et de sécurité, mais nous avons bientôt compris qu'il n'en serait rien. Les affrontements nationalistes et les bouleversements politiques ont produit une série de désastres humanitaires d'une ampleur et d'une soudaineté sans précédent.

Les situations catastrophiques ne sont pas inconnues en Californie. Que ce soit les tremblements de terre ou les ravages que cause cette année "El Niño", vous connaissez le drame des maisons détruites, des gens qui restent sans travail, des morts que l'on retire des décombres. Mais imaginez que vous viviez dans un pays en développement qui n'a pas les infrastructures et la maîtrise technique nécessaires pour faire face à une situation catastrophique, qu'elle soit provoquée par un fléau naturel ou par l'action humaine. Nos écrans de télévision nous montrent beaucoup de ces tragédies, par exemple la guerre en Bosnie-Herzégovine ou le génocide au Rwanda. Mais beaucoup d'autres aussi passent inaperçues. Et pourtant, il s'en produit tous les jours quelque part sur la planète.

Les organismes des Nations Unies sont nombreux à porter secours aux populations éprouvées. Vous les connaissez bien : l'UNICEF, l'Organisation mondiale de la santé, le Programme alimentaire mondial, le Programme des Nations Unies pour le développement, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, pour n'en citer que quelques-uns.

Ils coopèrent pour cela avec diverses organisations, entre autres le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et les diverses organisations non gouvernementales, par exemple CARE. En outre, des "secouristes internationaux", venus de tous les horizons, quittent de par le monde leur foyer et un pays où ils vivaient en sûreté pour aller participer, souvent dans des conditions dangereuses, aux opérations des Nations Unies.

Considérons par exemple la tâche d'un agent du Programme alimentaire mondial en poste à Lokichoggio, au Kenya, qui participe aux opérations de secours international au Soudan.

Le drame humanitaire au Soudan est aussi complexe et aussi difficile à surmonter que possible. Voilà 14 ans que dure la guerre civile, sans qu'aucun camp l'emporte par les armes et sans qu'il y ait de solution politique. À cela se sont ajoutés les ravages de la sécheresse, la population abandonnant les villages où elle devrait normalement semer et récolter.

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Ce n'est pas seulement l'absence de routes pavées et des autres éléments d'infrastructure qui entrave les secours. Chacun des deux camps fait de l'aide humanitaire un instrument de guerre, restreignant l'accès des organismes de secours aux zones où se trouvent les populations en détresse, interdisant les opérations de leurs avions, y compris les indispensables avions-cargos qui transportent les approvisionnements, attaquant leurs convois, leur personnel et les camps de réfugiés.

Comme souvent lorsqu'un conflit se prolonge, on assiste à une sorte de lassitude de la compassion, la communauté internationale paraît se désintéresser de la situation. Alors qu'à une certaine époque, nous pouvions recueillir suffisamment de fonds pour remédier aux trois quarts des besoins du pays, aujourd'hui nous avons juste de quoi en couvrir 5 %. Il y a déjà eu plus d'un million de morts, plus d'un million de personnes risquent actuellement de mourir de faim, et pourtant le Soudan n'est pas loin de disparaître complètement des préoccupations — c'est maintenant l'une des "tragédies oubliées" de la planète.

Le personnel de l'opération survie que les Nations Unies ont lancé en 1989 au Soudan doit veiller à ce que les vivres servent bien à nourrir les plus vulnérables. Il aide à recueillir les sacs d'approvisionnement là où ils sont largués et à les empiler et compter. Puis il faut prendre des décisions pénibles. Il y a parfois 300 personnes qui attendent là, assises sur le sol, et seulement 100 sacs de vivres. Ces gens ont parfois marché pendant des jours pour obtenir de quoi manger, et maintenant, ceux qu'on ne peut approvisionner devront attendre des jours encore, voire des semaines.

Il ne faut surtout pas que la population considère que l'aide extérieure la dispense de ses travaux agricoles ordinaires. C'est pourquoi on ne lui donne pas seulement des vivres, mais aussi des semences et des instruments aratoires. En effet, il faut absolument qu'une oeuvre de développement s'inscrivant dans la durée s'articule sur les secours d'urgence. Or bien souvent, il n'y a aucun rapport entre les deux actions; nous devons donc autant que possible favoriser la continuité.

Si les Nations Unies peuvent aider à soulager les souffrances, c'est grâce à chacun de ceux qui composent le personnel humanitaire — les agents qui conduisent les camions, ceux qui manoeuvrent les bateaux, les infirmières, les vétérinaires — tous ces gens qui accomplissent leur mission, au Soudan et ailleurs, malgré des difficultés sans nombre.

Une autre tragédie oubliée se déroule en Afghanistan, où les ravages de la guerre, de la pauvreté et d'une catastrophe naturelle se sont conjugués pour créer une situation qui n'est pas moins terrible et complexe que celle qui existe au Soudan.

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En février dernier, un tremblement de terre de magnitude 6.1 sur l'échelle de Richter a dévasté une province isolée dans les montagnes. Il fallait une journée de marche, à pied et à dos d'âne, pour atteindre la plus proche ville d'où la catastrophe pouvait être annoncée par radio. Les autres pays et les loueurs privés n'étaient pour la plupart guère disposés, pour des raisons de sécurité, à mettre des avions ou des hélicoptères à la disposition des opérations de secours, de sorte que le plus gros de la tâche a été effectué par camion.

Il a fallu progresser à travers les glissements de terrain et les nouvelles secousses sismiques, au milieu d'un brouillard épais qui souvent empêchait le parachutage des vivres, sur des routes presque impraticables qui se perdaient sous une profonde couche de boue et de neige et où les véhicules avançaient centimètre par centimètre. Le transport des tentes, bâches, couvertures et vivres devait ensuite se poursuivre à dos de mulet. Chaque fois que l'on entrait sur le territoire d'une faction ou dans une nouvelle zone, il fallait négocier avec les chefs ou les autorités. Et pourtant, les organismes des Nations Unies et ceux qui travaillaient avec eux ont réussi à distribuer plus de 700 tonnes de secours dans le mois qui a suivi le séisme.

En Afghanistan, il faut aussi compter avec l'insécurité et les vols et pillages qui sont la norme dans une partie du pays, et avec le peu de cas qui est fait des droits de l'homme sur le reste du territoire. Là où les Taliban dominent, les femmes ne sont pas autorisées à travailler hors du foyer, excepté dans quelques cas très restreints, leurs filles ont peu de chance de s'instruire, et les unes et les autres ont maintenant des difficultés à se faire soigner.

Les Taliban ont entravé encore un peu plus l'action humanitaire le mois dernier, lorsqu'ils ont décidé qu'aucune femme musulmane non afghane ne serait désormais autorisée à se déplacer dans le pays si elle n'était pas accompagnée d'un homme qui soit un proche parent. Ma collègue, Carol Bellamy, qui est maintenant la Directrice générale de l'UNICEF, et avait avant cela dirigé le Peace Corps, se faisant l'interprète de tous les organismes des Nations Unies qui mènent une action humanitaire en Afghanistan, a déclaré aux Taliban que ce décret était inadmissible et devait être annulé; elle a aussi souligné que les droits fondamentaux des personnes doivent être respectés et demandé la reprise de négociations sur l'accès des femmes aux services de santé et à l'enseignement.

Les organismes humanitaires à l'oeuvre dans la région des Grands Lacs en Afrique se sont trouvés devant un dilemme. Lorsqu'en août 1994, des centaines de milliers de Rwandais jetés sur les routes de l'exode ont déferlé en quelques jours vers ce qui était alors le Zaïre, il n'y avait pas que des femmes et des enfants parmi eux; on y trouvait aussi beaucoup de soldats et

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beaucoup de miliciens et d'extrémistes qui avaient activement participé au génocide. Les organismes humanitaires, en tête desquels se trouvait le HCR, n'avaient aucun moyen de distinguer entre les innocents et les coupables. Ils étaient bien obligés de distribuer à tous indistinctement les vivres, médicaments, couvertures et matériaux d'abri.

Ces organismes se sont donc vu reprocher d'entretenir l'insécurité, puisque les éléments les plus acharnés profitaient eux aussi de l'aide alimentaire. Mais quelle était la solution?

Mon prédécesseur a essayé d'obtenir le concours des États Membres pour que l'on puisse séparer les éléments qui faisaient partie de troupes armées et les autres, ceux qui étaient coupables et ceux qui n'avaient pas versé le sang. Les gouvernements n'ont pas voulu entendre ses multiples sollicitations. Pouvions-nous alors laisser mourir des centaines et des milliers de femmes et d'enfants, des malheureux qui en fait étaient les otages des responsables du génocide?

Dans des circonstances comme celles-là, c'est l'impératif proprement humanitaire qui doit l'emporter : le devoir commande de chercher avant tout à sauver des êtres humains de la mort. Comme à beaucoup d'autres égards lorsqu'il s'agit du Rwanda et de la région des Grands Lacs, la tragédie politique qui a emporté des multitudes a coûté terriblement cher.

La guerre a changé de nature. Aujourd'hui, elle revêt le plus souvent la forme de luttes intestines et la distinction entre combattants et civils est devenus plus floue. Les victimes sont maintenant à 90 % des civils, à comparer avec les 5 % de la première guerre mondiale, ce qui avait pourtant été jugé intolérable à l'époque. Jamais jusqu'à présent, on n'avait vu autant d'individus avoir entre les mains autant d'armes capables de donner la mort — et ces mains sont souvent celles d'enfants, 250 000 d'entre eux qui sont enrôlés dans les troupes combattantes dès l'âge de 10 ou 12 ans.

Si l'aide humanitaire a pris une nouvelle ampleur ces dernières années, on en est aussi venu à se demander si elle répond bien à sa vocation. On a dit par exemple qu'en Bosnie-Herzégovine, elle avait surtout servi de substitut à des mesures politiques ou des actions militaires résolues qui auraient peut-être eu des effets sur les causes profondes du conflit et amené un règlement plus rapide; on lui reproche d'absorber en Afrique et ailleurs des moyens déjà insuffisants qui, dit-on, seraient plus utilement consacrés au développement.

L'action humanitaire que mènent en commun les organismes des Nations Unies, les institutions gouvernementales et les ONG a sauvé des millions de personnes de la mort. Elle ne prétend pas à plus, elle est seulement conçue pour soulager les souffrances et empêcher les gens de mourir. Mais si elle n'a pas d'effet sur les causes profondes d'un problème brûlant,

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elle peut toutefois ménager une plage de répit pour que ceux dont la politique est le métier s'emploient, eux, à traiter ces causes. Les tragédies humanitaires se créent rarement d'elles-mêmes, si tant est que ce soit jamais le cas, et il est encore plus rare que leur solution soit purement humanitaire elle aussi.

Une société qui ne respecte pas rigoureusement les droits fondamentaux et ne protège pas les minorités, qui n'a pas au moins quelque perspective de progrès politique, économique et social continu, s'expose à un drame humain. Lorsque nous apportons des secours humanitaires, nous ne devons jamais oublier que cela ne saurait en aucune façon remplacer la volonté de trouver une solution politique, ou de mettre en oeuvre les moyens militaires nécessaires, pour remédier durablement à la situation.

L'ONU est particulièrement compétente pour aider à cet effet, puisque les questions politiques, militaires, économiques et de développement lui sont parfaitement familières et qu'elle a les moyens techniques de les traiter. Mais pour ramener des conditions de paix, pour relancer une action de développement, pour établir ou restaurer une démocratie, toutes ses forces vives doivent agir à l'unisson. C'est là ma grande tâche. Mais je ne peux pas l'accomplir à moi seul, il me faut le soutien des États Membres.

Or il arrive trop souvent que les organismes humanitaires se trouvent seuls en première ligne, parce que les États Membres ne veulent pas intervenir, ou parce qu'ils ne sont pas d'accord sur ce qu'il convient de faire sur le plan politique ou militaire. Nous assistons parfois à un dangereux glissement vers l'isolationnisme. Mais dans le monde d'aujourd'hui, où tous les fils d'entrecroisent, le drame qui déchirait hier un pays lointain sera demain à nos portes. Que l'on s'affronte en Afghanistan, et cela se répercute sur le prix de la drogue dans les rues de Los Angeles, et les attentats terroristes se multiplient dans le reste du monde.

S'il faut que l'aide humanitaire soit doublée d'une action politique, il est tout aussi important qu'elle soit suffisamment financée. Parmi ceux qui, dans le monde, contribuent le plus généreusement au financement des opérations de secours des Nations Unies, se trouvent les États-Unis, sans lesquels cette oeuvre humanitaire, qui est tributaire des contributions volontaires, ne pourrait pas s'accomplir.

Mais cette générosité ne dispense pas pour autant les États-Unis de l'obligation de régler leur dette à l'égard de l'ONU. Jusqu'à ce qu'ils le fassent, notre action humanitaire ne sera pas tout ce qu'elle pourrait être, car pour remédier à un drame humain, ou essayer de l'éviter, il faut que toutes les composantes de l'Organisation agissent ensemble.

La mission de l'ONU consiste essentiellement à apporter la sécurité aux populations qui sont directement en danger, sont menacées dans leur tranquillité ou n'ont jamais vécu dans la paix. Je parle de la sécurité des individus, qui est le fondement de la sécurité de l'État. Il ne s'agit pas

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seulement de la sécurité qu'assurent les armes, mais aussi de celle qu'apportent le respect des droits de l'homme et la démocratie, le développement et la primauté du droit, non pas seulement la sécurité dans l'abstrait, mais son émanation dans nos foyers. C'est cela notre impératif humanitaire.

La plus grande menace qui pesait sur la paix mondiale, la rivalité des superpuissances, est maintenant écartée, et pourtant il n'y a jamais eu autant de gens en danger, souvent en danger de mort. C'est le grand paradoxe de notre temps. Ces gens-là ont plus que jamais besoin de vous. Aidez-nous à les aider.

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