En cours au Siège de l'ONU

SG/SM/6531

LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL FAIT VALOIR LE RÔLE UNIQUE DE L'ORGANISATION DES NATIONS UNIES DANS LA PRÉVENTION ET LE RÈGLEMENT DES CONFLITS

29 avril 1998


Communiqué de Presse
SG/SM/6531


LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL FAIT VALOIR LE RÔLE UNIQUE DE L'ORGANISATION DES NATIONS UNIES DANS LA PRÉVENTION ET LE RÈGLEMENT DES CONFLITS

19980429 On trouvera ci-après le texte de l'allocution que le Secrétaire général de l'ONU a prononcée le 20 avril sur le thème "Guerre, paix et Nations Unies" à la School of International and Area Studies de l'Université de Californie, Berkeley.

Je tiens à vous remercier, Monsieur le doyen Buxbaum, de votre aimable et chaleureuse déclaration. C'est avec un sentiment de profonde reconnaissance que je reçois la médaille de Berkeley, une distinction qui, au- delà de ma personne, honore l'Organisation des Nations Unies tout entière. Depuis déjà des années — et de différentes manières — Berkeley a marqué l'Organisation de sa brillante empreinte. Comme certains parmi vous le savent, en effet, c'est à Berkeley qu'a été imprimé le document original de la Charte des Nations Unies.

C'est avec reconnaissance que je saisis l'occasion qui m'est donnée de m'exprimer devant cet éminent auditoire sur le rôle des Nations Unies dans la prévention des guerres et la promotion de la paix dans le monde. La responsabilité qu'assume l'Organisation dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité est notre mission première — et le premier des buts que définit la Charte des Nations Unies. La manière dont nous nous acquittons de cette mission exercera une profonde influence sur notre avenir et aussi sur la légitimité et l'autorité de la communauté internationale.

Le déclin des allégeances idéologiques et politiques à l'une ou l'autre des grandes puissances au cours de la dernière décennie a donné libre cours aux mouvements nationaux d'autodétermination et de libéralisation politique, parfois dans une atmosphère pacifique mais d'autres fois dans la violence.

Lorsque ces mouvements provoquent une violence généralisée, la réaction de la communauté internationale consiste, dans une proportion assez inquiétante, à céder à un sentiment d'impuissance et à la résignation. On dit que ces défaillances du système étatique et les guerres civiles et ethniques qu'elles entraînent si souvent sont inévitables. On dit également que les difficultés auxquelles se heurtent parfois les interventions de la communauté internationale ne font que confirmer le caractère insoluble de ces problèmes.

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Je voudrais partager avec vous une autre opinion selon laquelle ces défaillances, ces guerres, ces bouleversements sont l'expression de problèmes politiques et économiques qui appellent des solutions politiques et économiques. Le conflit qui déchire une région et la tyrannie qui en opprime une autre n'ont rien d'inévitable. La liberté, la paix et les droits de l'homme sont des notions aussi universelles que politiques qui se prêtent, partout dans le monde, à l'action de l'homme.

Ce sont des notions qui concernent l'humanité tout entière, sans distinction de sexe, de nationalité, de couleur ou de croyance. N'oublions pas que c'est en notre nom à "nous, peuples des Nations Unies", qu'a été élaborée la Charte.

Je consacrerai aujourd'hui mon intervention à ce que j'estime être la pierre angulaire d'un nouvel ordre international durable, à savoir la légitimité et la crédibilité des efforts que déploie la communauté internationale pour prévenir les conflits, promouvoir le règlement pacifique des différends et, le cas échéant, y mettre un terme par le recours à la force. Je vous expliquerai que seule l'Organisation des Nations Unies peut satisfaire à ces critères mais que, pour ce faire, elle doit rechercher et regagner la confiance de la communauté internationale.

Créée à la suite des affrontements des deux guerres mondiales, l'Organisation des Nations Unies avait pour mission première la recherche de la paix et, selon les termes toujours d'actualité de la Charte, devait "préserver les générations futures du fléau de la guerre".

Au cours du demi-siècle qui s'est écoulé depuis que les nations du monde ont souscrit à ces paroles nobles et porteuses d'espoir, les "Casques bleus" des Nations Unies ont pris part à plus de 40 interventions sur quatre continents. Ils ont patrouillé les frontières inter-États et contenu les conflits à l'intérieur des États. Ils ont fait observer des cessez-le-feu et assuré la protection de convois humanitaires.

Ils ont sauvé des dizaines de milliers de vies.

S'agissant des opérations de maintien de la paix des Nations Unies, le passage des opérations de type traditionnel consistant à patrouiller des zones tampons et des lignes de cessez-le-feu aux interventions modernes et plus complexes réalisées en ex-Yousgoslavie ne s'est pas fait sans heurts et sans encombres.

Cette évolution a entraîné des malentendus d'ordre conceptuel et suscité des attentes démesurées, décevant maints espoirs et brisant des réputations. Elle nous a incités à revoir nos obligations et à remettre en question les conceptions de fond que nous entretenions sur la nature même de la guerre et le coût fort élevé de la paix dans la période de l'après-guerre froide.

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Alors que les attentes dépassaient nettement les possibilités, les exigences des uns et des autres méconnaissaient les réalités sur le terrain. Aux responsables du maintien de la paix à qui on demandait l'impossible, il arrivait ainsi de ne même pas réaliser ce qui était possible.

Aurions-nous dû intervenir plus activement au Rwanda pour éviter la catastrophe? Aurions-nous dû pouvoir saisir les caches d'armes pour éliminer les risques que courait la population tutsie face aux extrémistes hutus lorsque ces derniers ont lancé leur campagne de génocide? Avec le recul dont nous disposons à présent, la réponse est évidemment "oui".

En Bosnie, aurions-nous dû pouvoir empêcher la chute des zones de sécurité et protéger la population de Srebrenica de la terreur et de la mort aux mains de leurs ennemis? Bien entendu.

Mais pouvions-nous nous acquitter de ces missions avec les moyens et le mandat dont nous disposions? Absolument pas.

Toute évaluation de l'action de maintien de la paix des Nations Unies doit partir de ce constat, si l'on veut restaurer la crédibilité et la légitimité de l'Organisation. Personne ne regrette davantage que nous à l'ONU les tragédies qui ont déchiré la Bosnie et le Rwanda. Il nous a été demandé d'intervenir lorsque toutes les autres interventions avaient échoué et à un moment où aucune puissance ou alliance ayant les capacités d'agir pour le compte de la communauté internationale n'en avait la volonté politique. Lorsque l'opinion mondiale demande au monde de "faire quelque chose", nous n'avons pas le choix, que nous disposions ou non des moyens nécessaires.

Il est évident que l'annonce de la fin des opérations de maintien de la paix, pour paraphraser Mark Twain, est grandement exagérée. En effet, le nombre des agents chargés du maintien de la paix dans le monde est à peu près le même qu'au plus fort des opérations de maintien de la paix en 1994.

Seulement, la plupart de ces agents ne portent plus, aujourd'hui, le "bleu des Nations Unies". Ils assurent le maintien de la paix sous la bannière de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN), de la Communauté d'États indépendants (CEI) ou de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). Toutefois, dans de nombreuses régions, de telles organisations régionales sont soit inexistantes soit incapables, lorsqu'elles existent, d'entreprendre des opérations de maintien de la paix. En pareil cas, c'est inévitablement aux Nations Unies qu'il est demandé de "faire quelque chose".

Que peut donc être ce "quelque chose"?

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On ne peut envisager de rééditer les opérations traditionnelles de maintien de la paix qui avaient cours durant la guerre froide, pour la simple raison que les structures de la guerre froide limitaient les risques qui pouvaient peser sur les agents de maintien de la paix et compromettre leur mission.

Dans le nouveau désordre international, à quels enjeux devons-nous donc faire face en matière de maintien de la paix?

Le maintien de la paix exige aujourd'hui que l'on repense non seulement la question des ressources mais aussi celle des méthodes à utiliser pour mener à bien les missions définies par le Conseil de sécurité. Nous savons d'expérience que si l'impartialité est un facteur vital dans les opérations de maintien de la paix, ce dont il s'agit c'est d'une impartialité dans l'exécution de la mission et non pas d'une neutralité passive entre les belligérants. Cette distinction revêt une importance cruciale, notamment dans les conflits civils où l'extermination de populations civiles non armées est parfois le seul objectif des affrontements.

Il faut réétudier la notion même de "partie" à un conflit, étant donné la multiplication des conflits où le pouvoir d'État est pratiquement inexistant, tandis que des milices rivales opèrent en toute autonomie et que des puissances étrangères interviennent sur plusieurs fronts. S'il n'enlève pas aux conflits civils et ethniques l'apparence de conflits internes, cet éclatement de l'autorité n'en entraîne pas moins de graves répercussions à l'échelon international.

La déstabilisation des pays voisins due à la montée des tensions et à l'afflux de réfugiés nous fait mieux comprendre les risques qui pèsent sur la paix et la sécurité internationales.

D'un point de vue pratique, nous devons nous assurer d'une bonne connaissance des causes profondes des litiges et veiller à ce que la communauté internationale encourage concrètement l'arrêt des conflits même si elle reste consciente qu'en dernier ressort, la volonté de réconciliation doit émaner des parties elles-mêmes.

Nous savons bien que la rapidité d'une intervention peut garantir non seulement le succès de notre mission mais aussi notre capacité de sauver la vie de nombreux innocents. Nous savons aussi qu'une force de maintien de la paix doit être crédible et qu'une démonstration de force convaincante peut remédier à la nécessité de recourir à l'usage de la force.

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Tous ces enseignements ont trouvé leur application dans la plus grande opération de maintien de la paix actuellement en cours : l'intervention de la Force de stabilisation dirigée par l'OTAN en Bosnie. Mais ces enseignements s'appliquent également aux opérations présentes ou à venir des Nations Unies.

À ce propos, il est essentiel d'apprécier correctement la notion tant débattue de la stratégie de retrait concernant les opérations militaires. Personne ne concevrait sans doute que l'on puisse entreprendre une mission qui ne soit pas assortie de directives et d'objectifs bien définis ainsi que d'un calendrier d'exécution précis. Personne ne concevrait non plus qu'une mission puisse se poursuivre indéfiniment. Mais que ce soit en Bosnie, dans l'immédiat, ou partout ailleurs, il convient de nuancer cette question.

Il faut en effet pondérer ces préoccupations compte tenu de la nécessité d'éviter une reprise des affrontements, et ce non seulement pour protéger les populations civiles mais aussi pour préserver l'investissement considérable que la communauté internationale a consenti pour rétablir la paix. C'est pourquoi je me félicite que l'OTAN puisse prolonger sa présence en Bosnie au-delà de juin prochain. Ensemble, nous pourrons remettre la Bosnie sur le chemin de la paix, de l'intégration et de la légalité.

Cette action multiforme visant à rétablir la paix et qui fait appel à tous les instruments dont dispose la communauté internationale témoigne de la nécessité reconnue de consolider la paix une fois qu'elle a été rétablie.

Chaque volet de la reconstruction nationale doit être soutenu par les organes politiques et les agences de développement des différentes institutions de la communauté internationale, qu'il s'agisse, par exemple, de l'ONU ou de la Banque mondiale.

La reconstruction englobe des tâches telles que la réfection des routes, des écoles et des hôpitaux, mais aussi la constitution de forces régulières de police formées pour faire respecter les droits de l'homme et non pour les bafouer. Elle vise également à asseoir la prééminence du droit et à instaurer des institutions démocratiques qui garantissent notamment des élections libres, sans cependant se limiter à ce seul volet.

C'est au prix de ces conditions préalables que l'arrêt d'un conflit et la conclusion d'un accord de paix ouvriront les perspectives d'une stabilité qui fait si cruellement défaut aux pays déchirés par la guerre.

C'est seulement dans ce contexte que pourront s'épanouir les valeurs propres à la bonne gouvernance et à un État transparent, efficace et légitime. C'est alors seulement que nous pourrons envisager la création d'un climat favorable à l'investissement et à la croissance dans ces sociétés. C'est enfin à ce prix que la logique de la guerre cédera véritablement le pas à la dynamique de la paix.

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Les opérations de maintien de la paix qu'engage la communauté internationale au nom de l'intérêt général doivent satisfaire au double critère de la légitimité et de la crédibilité. Une force crédible mais dépourvue de légitimité obtiendra peut-être des résultats rapides mais n'aura pas, à long terme, l'appui de la communauté internationale. À son tour, une force légitime mais manquant de crédibilité sera sans doute soutenue par la communauté internationale, mais ne pourra sans doute pas s'acquitter des aspects les plus élémentaires de sa mission.

Or, associées sous l'égide des Nations Unies, crédibilité et légitimité sont non seulement productives mais aussi créatrices d'une synergie propre à favoriser la réalisation de cet idéal que s'est assigné la communauté internationale. Pour parvenir à cette communauté de vues et d'objectifs, il nous faut restaurer la confiance de la communauté internationale vis-à-vis des Nations Unies.

Les opérations de maintien de la paix ont été discréditées dans des situations telles que celles qui prévalaient en Bosnie et en Somalie où l'on cherchait à maintenir une paix inexistante. Appliqué à bon escient, comme dans le cas de la Namibie, du Salvador et du Mozambique, le maintien de la paix se révèle une pièce maîtresse dans le dispositif des Nations Unies.

Pour les Nations Unies, il est aussi capital de prévenir les conflits que d'assurer le maintien de la paix.

Je voudrais, à cet égard, vous parler de la nature, du contenu et des perspectives de l'accord auquel je suis parvenu avec le Gouvernement iraquien. C'est avec l'accord unanime des membres du Conseil de sécurité que je me suis rendu à Bagdad pour tenter de trouver une solution à la crise de la Commission spéciale des Nations Unies (CSNU). La crise a, pour l'instant au moins, été évitée.

Le mandat de la mission décidée par le Conseil de sécurité a été réaffirmé. L'accès des inspecteurs de l'ONU a non seulement été rétabli mais étendu à tous les sites. L'autorité du Président exécutif de la Commission spéciale des Nations Unies a été reconnue et renforcée.

Le seul et unique objet de l'accord conclu est que l'Irak s'acquitte intégralement de ses obligations. C'est la condition sine qua non de l'aboutissement du processus de désarmement décidé par les Nations Unies et d'une levée prochaine des sanctions conformément aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité.

Que l'on ait en vue une personne, une nation ou un groupe de nations, l'accord conclu à Bagdad ne constitue ni une "victoire" ni une "défaite". Bien entendu, l'ONU et la communauté internationale n'ont rien perdu et n'ont rien cédé sur le fond. Cependant, le fait que l'on ait pu éviter, ne serait- ce que momentanément, la reprise des hostilités militaires dans le Golfe est une victoire pour la paix et pour le règlement des conflits par la diplomatie.

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Mais l'accord a aussi montré que, pour réussir, la diplomatie doit être secondée par la force et par la justice.

Il a également permis de rappeler au monde la raison d'être de notre organisation : éviter que des conflits n'éclatent lorsque la diplomatie permet de faire respecter la volonté de la communauté internationale; rechercher et trouver des solutions à caractère international aux problèmes internationaux; amener une partie récalcitrante à respecter le droit et les accords internationaux sans saper à tout jamais sa dignité et sa volonté de coopérer; s'assurer en l'espèce, par le biais des inspections sur place et des négociations, de la destruction des armes de destruction massive — objectif qu'aucun bombardement aérien ne pourrait atteindre.

Si cet accord est scrupuleusement mis en application et permet, à terme, d'aborder une ère nouvelle dans le Golfe, si cette initiative diplomatique fondée sur l'équité mais aussi soutenue par la fermeté et la force résiste à l'épreuve du temps, un précédent inestimable aura été durablement établi pour les Nations Unies et la communauté internationale.

Ce qu'il nous a été donné de voir, c'est l'expression d'un monde agissant de concert et où des États, confrontés à un défi commun, ont conjugué leurs efforts pour écarter le risque de la guerre, un monde dont les différences nourrissent une coopération pacifique et où toutes les cultures et tous les États s'expriment librement, tout en reconnaissant les limites de l'isolement et les avantages que présente une action concertée dans tous les domaines de l'activité humaine. Ce concert des nations, faut-il le préciser, existe déjà et porte un nom — les Nations Unies.

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