SG/SM/6530

LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL SOULIGNE QU'EN SE PENCHANT SUR LEUR PROPRE VIE LES AMÉRICAINS PEUVENT PRENDRE CONSCIENCE DE L'ACTION DU SYSTÈME DES NATIONS UNIES

20 avril 1998


Communiqué de Presse
SG/SM/6530


LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL SOULIGNE QU'EN SE PENCHANT SUR LEUR PROPRE VIE LES AMÉRICAINS PEUVENT PRENDRE CONSCIENCE DE L'ACTION DU SYSTÈME DES NATIONS UNIES

19980420 On trouvera ci-après le texte de l'allocution prononcée ce jour par le Secrétaire général, Kofi Annan, lors du déjeuner organisé à San Francisco par le San Francisco World Affairs Council, Commonwealth Club and United Nations Association.

J'éprouve un grand plaisir à me trouver parmi vous aujourd'hui et à visiter la Californie et la magnifique région de San Francisco. Pour un Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, le fait de se rendre à San Francisco revêt une importance particulière. C'est revenir aux origines, à l'endroit même où la Charte porteuse de l'espoir de l'humanité tout entière a vu le jour.

Je sais que le San Francisco de la chanson est la ville où on laisse son coeur, mais pour moi c'est aussi la ville — moderne, en phase avec son temps — où s'est forgée et où a pris corps l'âme des Nations Unies. À ce moment crucial pour la communauté internationale, je suis heureux d'avoir la possibilité de connaître ce que pensent les Californiens de l'état du monde, tel qu'il est et surtout tel qu'il est en train de devenir.

Pourquoi ce moment est-il un moment crucial? Parce qu'il est plein de promesses mais aussi de périls, à la fois complexe et contradictoire. Une région retrouve la paix, une autre subit les ravages de la haine. Une richesse inouïe côtoie un extrême dénuement. La mondialisation ouvre de nouvelles perspectives et nous rapproche les uns des autres, et en même temps l'intolérance continue de nous diviser.

Pour l'Organisation des Nations Unies elle-même, s'il m'est permis de paraphraser Dickens, c'est aussi le meilleur et le pire moment. L'accord conclu récemment avec Bagdad sur les facilités d'accès accordées aux inspecteurs des Nations Unies montre quel outil formidable l'ONU peut être pour une communauté internationale unie et déterminée. Ce n'est une "victoire", ou une "défaite" pour personne, ni pour un pays ni pour un groupe de pays. C'est une victoire de la paix, de la raison, de la diplomatie.

Alors que nous mettons en oeuvre l'accord conclu et que nous veillons à la pleine application des résolutions du Conseil de sécurité, je ne puis m'empêcher de penser aux autres défis que nous devons relever. Ce que nous avons réussi à faire en Iraq, nous devons aussi le faire dans tous les domaines qui nous intéressent, la lutte contre le trafic de drogue, par exemple, ou la défense des droits de l'homme, ou encore la création d'une cour criminelle internationale. Il nous faut seulement mobiliser la volonté politique nécessaire. Je dis "seulement" car je suis convaincu que la volonté politique n'est pas limitée, comme le prétendent certains. Tout comme le soleil de Californie, c'est une ressource renouvelable.

C'est pourquoi j'ose avoir de l'ambition pour notre organisation. En même temps, je suis limité et préoccupé par la précarité et l'instabilité de sa situation financière. Je n'exagère pas quand j'affirme que l'ONU est menacée : menacée de devoir réduire ses activités, menacée de ne plus pouvoir répondre aux attentes les plus élémentaires des habitants de la planète.

Comme vous le savez, les États-Unis sont le plus gros débiteur. Ce qu'on sait moins, c'est que les arriérés des autres pays représentent 40 % environ de la dette. Seuls 56 pays ont payé leur contribution. Le manque de volonté politique est criant, malgré le succès remporté à Bagdad, malgré la "révolution tranquille" que représentent ma réforme de l'ONU et la rénovation de notre Organisation, et malgré la longue liste de succès que l'ONU a inscrits à son actif depuis un demi-siècle. Loin d'être réglé, le problème est peut-être en train de s'aggraver.

Il me semble que le moment et le lieu sont bien choisis pour réfléchir sur la signification et l'importance de l'ONU dans notre vie de tous les jours. Je voudrais tout d'abord dissiper quelques idées fausses.

Premièrement, l'ONU n'est pas une bureaucratie hypertrophiée. Elle compte cinq fois moins d'employés que MacDonald. Ses effectifs ont été réduits de 25 % au cours de la dernière décennie et le budget de l'année dernière, opérations de maintien de la paix comprises, était inférieur à celui de la ville de San Francisco.

Deuxièmement, l'ONU n'est pas une machine à produire du papier. Nous utilisons en un an la quantité de papier que le New York Times emploie pour une seule édition du dimanche.

Troisièmement, nous n'avons aucune visée sur les terres ou les biens des États-Unis ou de quelque pays que ce soit. Les panneaux "Liste du patrimoine mondial" ou "Réserve de la biosphère" de l'UNESCO, dont vous avez peut-être entendu parler à propos de sites comme les parcs de Yosemite et de Yellowstone ou le Grand Canyon, ne font que rappeler ce qui est déjà évident : ce sont des sites magnifiques, d'une beauté naturelle exceptionnelle, qui méritent d'être visités et protégés.

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Enfin, il y a ces fameux hélicoptères noirs, une idée plutôt risible si ce n'était en même temps si tragique. Nous n'avons pas d'hélicoptères. Ceux que les gouvernements nous fournissent pour les opérations de maintien de la paix sont peints en blanc. Quand une crise éclate, comme au Rwanda il y a quatre ans, notre temps de réaction peut faire la différence entre la vie et la mort. L'ONU n'ayant en propre ni soldats, ni équipement, elle se trouve dans la situation du pompier qui devrait construire sa caserne à chaque incendie.

Il y a un remède. Loin de moi l'idée de demander la constitution d'une armée permanente, mais il y a une lacune à combler. Des dizaines de pays ont désigné des unités d'intervention stationnées sur leur territoire mais prêtes à tout moment pour un déploiement rapide. J'espère que cette initiative sera utile et qu'elle ne servira pas simplement à nous répondre plus rapidement "non" quand une crise éclatera et que nous aurons besoin de contingents.

Nous venons de rappeler tout ce que l'ONU n'est pas. Mais qu'est-elle vraiment? Qu'est-ce qu'elle est pour vous? Ses activités ont-elles une influence sur votre vie?

Ici à San Francisco, comme partout dans le monde, l'ONU est connue comme l'organisation qui défend des valeurs universelles telles que l'égalité et la tolérance, la justice et le progrès, la démocratie et la paix ou encore l'harmonie entre les peuples et entre les nations.

La plupart des gens connaissent assez bien notre travail sur le terrain : l'action des Casques bleus, les secours en cas de catastrophe, la protection des réfugiés et la surveillance des élections, la vaccination des enfants contre certaines maladies mortelles. Toutes ces activités ont valu à l'Organisation des Nations Unies sept prix Nobel de la paix.

Pour connue qu'elle soit, l'ONU, je le sais, peut paraître lointaine, en particulier pour les pays développés. Nous agissons dans des zones de conflits que vous ne connaissez que peu ou pas du tout, dans des régions pauvres éloignées des grands itinéraires touristiques, ou dans la coulisse, dans des cliniques et des salles de classe où les progrès réalisés, réguliers mais lents, ne font pas la une des journaux.

Les médias peuvent vous rapprocher de cette réalité. Parfois, ils sensibilisent l'opinion publique et incitent à agir. Mais il arrive aussi qu'ils aient l'effet contraire, et qu'ils accentuent la distance entre votre vie, dans l'un des plus riches pays du monde, et la vie des autres, ailleurs, un ailleurs plus pauvre et plus dangereux. Ce qui nous sauve, c'est le sentiment d'appartenir à la même humanité. C'est ce qui explique que l'ONU ait vu le jour et que les sondages révèlent que les Américains, que l'homme de la rue, appuient son action, quoique dise et fasse le Congrès.

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Je voudrais aussi vous faire comprendre que même ici, aux États-Unis, l'ONU a une influence sur votre vie de tous les jours. Voyez par exemple ce que j'ai fait depuis hier.

Je suis arrivé à San Francisco hier après-midi, après un vol agréable, passé à lire et à regarder un film. Après m'être installé à l'hôtel, j'ai passé quelques coups de fil. J'ai dîné de fruits de mer arrosés d'un délicieux vin californien. Avant de me coucher, j'ai regardé le journal à la télévision. Et avant de venir ici, j'ai pris un bon petit déjeuner californien, à base de fruits et de pain complet. Qu'y a-t-il de commun entre le système des Nations Unies et ces scènes de la vie ordinaire? Revoyons le film au ralenti.

Je vous ai dit que j'avais fait un voyage sans problème. Grâce à l'Organisation de l'aviation civile internationale, il y a maintenant des normes universelles de sécurité applicables aux avions et aux aéroports, une langue commune — l'anglais — pour les communications et des normes professionnelles pour les pilotes, les hôtesses et les stewards, les aiguilleurs du ciel, les équipes au sol et les équipes de maintenance.

Je voudrais aussi mentionner l'Organisation météorologique mondiale, responsable de la Veille météorologique mondiale, qui permet aux avions de prendre les itinéraires les plus sûrs en cas de mauvais temps. Et n'oublions pas le film que j'ai pu regarder pendant le vol, qui nous rappelle que l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle contribue à protéger les droits d'auteur, d'une importance cruciale pour l'une des principales exportations californiennes : les films cinématographiques.

Je vous ai dit ensuite que j'avais passé des coups de téléphone. Depuis mon entrée en fonctions, je me suis rarement éloigné d'un téléphone de plus de quelques mètres. C'est parfois un peu envahissant mais, le plus souvent, c'est très pratique : je peux faire une promenade dans les bois tout en travaillant. Je suis donc redevable à l'Union internationale des télécommunications, qui contribue à regrouper les infrastructures nationales en réseaux mondiaux et gère l'attribution des fréquences radio et le positionnement des satellites. C'est à elle aussi que je dois en grande partie d'avoir pu regarder les informations hier soir à la télévision, et notamment des reportages sur des événements survenus à l'étranger.

Passons maintenant à mes repas. Ce n'est pas aux Californiens qu'il faut apprendre à produire des denrées de haute qualité. La Central Valley est l'une des merveilles du monde. Mais, même là, le système des Nations Unies joue un rôle.

L'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ont fixé des normes internationales pour les additifs alimentaires et des plafonds pour les résidus de pesticides. L'Organisation internationale du Travail (OIT) s'attache à promouvoir la sécurité des ouvriers agricoles immigrés. La

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Convention des Nations Unies sur le droit de la mer stipule que les États côtiers ont des droits souverains sur les ressources naturelles et certaines activités économiques dans une zone économique exclusive de 200 milles nautiques, ce qui signifie que les eaux californiennes sont à l'abri d'une intrusion de bateaux de pêche d'autres pays.

Il ne s'agit pas de gouvernement mondial; seulement de nations souveraines comme les États-Unis, qui conjuguent leurs efforts pour une cause commune. Il ne s'agit pas non plus d'ingérence, mais d'une approche pragmatique des problèmes. L'ONU est un outil, un moyen, un instrument entre vos mains. Elle est là pour aider les pays à appréhender le nouveau visage de la vie internationale.

Cessons donc de faire la distinction entre la vie des uns et des autres et pensons à notre vie à tous. Si vous pensiez que l'ONU était une sorte d'organisation caritative, ne s'occupant que des pauvres et des malheureux de la planète, regardez-y de plus près : les Américains ne font pas que financer les activités de l'ONU, ils en bénéficient chaque jour.

Quand j'ai pris mes fonctions, je me suis engagé à rapprocher l'Organisation de ceux qu'elle a mission de servir. Nous touchons au but, parfois dans le cadre d'opérations à grande échelle, parfois dans le cadre d'actions beaucoup plus modestes. Dans tous les cas, nous sommes guidés par la Charte. Nous sommes en prise directe avec votre vie et vos aspirations. Mais j'ai besoin de votre aide. J'ai besoin de vos idées, de votre énergie, de votre voix. J'ai surtout besoin que vous fassiez savoir à vos représentants combien vous êtes attachés à l'Organisation des Nations Unies. Tâchons, tous ensemble, de bâtir et de protéger l'édifice fragile de la paix au plein sens du terme.

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