DH/225

LE COMITE CRITIQUE LA LOI D'AMNISTIE EN VIGUEUR EN URUGUAY ET SES INCIDENCES NEGATIVES SUR L'ELUCIDATION DES CAS DES PERSONNES DISPARUES

27 mars 1998


Communiqué de Presse
DH/225


LE COMITE CRITIQUE LA LOI D'AMNISTIE EN VIGUEUR EN URUGUAY ET SES INCIDENCES NEGATIVES SUR L'ELUCIDATION DES CAS DES PERSONNES DISPARUES

19980327 Le Comité des droits de l'homme a terminé cet après-midi son dialogue avec les représentants de l'Uruguay dans le cadre de l'examen du quatrième rapport périodique de ce pays sur les progrès réalisés dans les efforts déployés au niveau national pour assurer la jouissance des droits énoncés dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, depuis la soumission du troisième rapport périodique en 1993.

Répondant aux questions posées dans la matinée par les experts, les représentants de l'Uruguay ont assuré le Comité qu'ils feraient part des préoccupations du Comité relatives notamment à la loi d'amnistie. Ils ont assuré les experts que le gouvernement faisait tout ce qui était en son pouvoir pour régler la question des personnes disparues. Précisant que ce débat tombe dans le domaine public, il a indiqué que les prochaines élections nationales qui se tiendront l'année prochaine, donneront à la population l'occasion de choisir par les urnes la méthode à suivre. Il a précisé que si la torture n'est pas sanctionnée par le code pénal, de nombreux projets de lois en ce sens sont en cours d'examen. Il a ajouté que les allégations de recours à la torture ne constituaient que des cas isolés.

Les représentants ont également répondu aux questions portant sur le statut du Pacte, les institutions relatives aux droits de l'homme, le traitement des prisonniers, la liberté d'expression, les droits des minorités, les cas relevant du premier Protocole facultatif et la diffusion d'informations sur le Pacte. Ils ont affirmé que les dispositions du Pacte pouvaient être directement invoquées devant les tribunaux et qu'un projet de loi prévoit la création d'un organe indépendant de surveillance de l'application des normes internationales dans ce domaine et d'une fonction de défenseur du peuple qui pourra recevoir des plaintes et lancer des enquêtes informelles.

Les experts ont félicité l'Uruguay pour son rapport complet qui traite non seulement des réalisations accomplies mais également des difficultés rencontrées dans l'application du Pacte. Néanmoins, les incidences de la loi d'amnistie sur l'élucidation des disparitions de personnes, la durée de la détention provisoire ou encore la persistance de la discrimination à l'égard des femmes dans de nombreux domaines ont soulevé de nombreuses interrogations.

(à suivre - 1a)

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Le Comité des droits de l'homme reprendra ses travaux lundi 30 mars à 10 heures. Il examinera le projet d'Observation générale relatif à l'article 12 du Pacte.

L'examen du quatrième rapport périodique de l'Equateur qui était initialement prévu le lundi 30 mars a été reporté à une session ultérieure du Comité.

Réponses de l'Uruguay aux observations des experts

M. JORGE TALICE, Ambassadeur, Ministère des relations extérieures de l'Uruguay, a précisé qu'il prenait bonne note des observations faites par le Comité au sujet de la loi d'amnistie. Il a toutefois attiré l'attention du Comité sur l'évolution qui a eu lieu dans son pays ces derniers temps. L'Uruguay s'efforce de trouver des solutions au problème des disparus. Le gouvernement ne s'oppose pas à la recherche de nouvelles solutions à ce problème qui relève du domaine public. L'année prochaine, la population décidera de la voie à suivre par les urnes. M. Talice a expliqué par ailleurs que le crime de torture n'est pas encore sanctionné par le Code pénal même si l'on est conscient que ce crime doit faire l'objet d'une loi. De nombreux projets sont actuellement à l'étude au Parlement. Il a précisé qu'en Uruguay, la torture n'est pas une pratique généralisée ce dont témoignent les rapports des organisations non gouvernementales. Il a reconnu néanmoins l'existence de cas isolés. Il a par ailleurs dit son ignorance quant au fait que sur les 54 policiers incriminés pour violation des droits de l'homme, la plupart sont en liberté. M. Talice a expliqué que la criminalisation de nouveaux actes et le durcissement des peines pour les délits déjà reconnues en tant que telles, correspondait à l'augmentation du nombre de délits et au besoin de protéger la population en matière de sécurité.

Au sujet de la détention préventive, il a convenu que ce chiffre de 80% était trop important et qu'il sera réduit grâce à l'entrée en vigueur du nouveau Code de procédure pénale. Au sujet du décret sur les limitations administratives aux libertés individuelles, il a précisé que l'Institut de détention n'existe plus. Ne peuvent être détenues que les personnes ayant commis un délit ou étant censé avoir commis un délit. A propos des cours de formation des forces de police et des forces de l'ordre, il a signalé tout particulièrement la conclusion d'un accord contracté avec le Centre des droits de l'homme des Nations Unies. Au sujet de la discrimination à l'égard de la femme dans le monde du travail et son accès aux postes de prise de décision, M. Talice a expliqué que l'Uruguay fait des progrès. Il n'existe aucune disposition législative restreignant l'accès des femmes aux postes de direction. Il y a de nombreux exemples de femmes ministres ou ambassadeurs. Actuellement le Ministre d'Etat du travail est une femme.

M. GUSTAVO ALVAREZ, Ministère des relations extérieures, a précisé que la proportion de femmes à la vie politique et économique est de 25%, ce qui représente le pourcentage le plus élevé dans la région.

M. TALICE a repris la parole pour expliquer au sujet du délit de viol que la solution que l'ont apporte vise en priorité à préserver l'unité familiale. Le crime de viol est passible de poursuites si une plainte a été déposée par la victime. Mais les poursuites seront abandonnées si la victime

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se marie avec l'accusé. Pour ce qui est de la reconnaissance des enfants de mineurs, M. Talice a indiqué qu'il ne pouvait pas expliquer les raisons de la différence entre les hommes et les femmes. Pour ce qui est de l'application des articles 9 et 14 du Pacte, il a précisé que toutes les étapes de l'enquête sont publiques. Le prévenu bénéficie de la présence de son avocat dès la première phase de la procédure judiciaire. Toute personne pourra assister aux différentes audiences et entendre les éléments de preuve avancés par les parties ce qui assure la transparence de la procédure pénale. Ce principe est limité dans certaines cas où la connaissance préalable des faits mettrait en danger leur explication. Au sujet des cas de détention provisoire, M. TALICE a expliqué que le juge possède un pouvoir discrétionnaire qui néanmoins sera toujours compatible avec l'article 9 du Pacte qui prévoit des restrictions à la liberté de mouvement du prévenu.

Répondant à une question sur l'indépendance de la magistrature, il a observé qu'actuellement le juge a toujours des pouvoirs importants en matière pénale. S'il est vrai que celui-ci intervient depuis la première étape du procès, l'enquête en revanche relève du Ministère public. Au sujet de la suspension des droits politiques de l'inculpé, M. Talice a précisé que le nouveau Code de procédure pénale repose sur une disposition de la Constitution qui stipule que l'on peut suspendre la citoyenneté de la personne traduite en justice et par conséquent les droits politiques s'il s'agit d'un délit susceptible d'être sanctionnée par une incarcération. Le recours en habeas corpus est utilisé de façon restrictive lors des états d'urgence pour que les principes fondamentaux contenus dans l'article 17 de la Constitution soient respectés. Pour ce qui est des expériences médicales, il a assuré les membres du Comité qu'il n'existait pas de telles pratiques.

Confirmant que le divorce est invoqué par la femme uniquement, il a expliqué que cette disposition ancienne provient du fait que la femme vivait dans un état de soumission à son mari. Par ailleurs, la liberté de circulation peut être limitée pour des raisons de sécurité nationale.

M. ALVAREZ a apporté une précision relative aux mesures prises par le pouvoir exécutif dans le cas de disparitions et il a précisé que 27 cas de disparitions forcées avaient été constatées. Il a également précisé que la mise en place d'un organe indépendant pour enquêter sur ces disparitions était à l'étude. Il a signalé au sujet du travail forcé des enfants, qu'une disposition dans la loi sur les enfants sanctionnent les contrevenants. Les entreprises qui n'honorent pas les normes se verront infliger une amende. Le Tribunal de la famille pourra également intervenir. Au sujet de l'indépendance de la magistrature, il a expliqué que la Cour suprême nommée par l'Assemblée générale (réunion des deux chambres) est l'organe judiciaire suprême. Il existe des Cours d'appel nommées par la Cour suprême de justice

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sur autorisation préalable du Sénat. La Cour suprême nomme les magistrats. Notre pouvoir judiciaire agit en toute indépendance et il n'existe pas de corruption. Les autres questions en suspens feront l'objet d'un complément d'informations écrit, a indiqué M. TALICE.

Réponses de l'Uruguay aux questions écrites préparées par le Groupe de travail présession

M. JORGE TALICE, Ambassadeur, Ministère des relations extérieures, s'agissant du statut du Pacte (article 2 du Pacte), a indiqué que les dispositions du Pacte pouvaient être directement invoquées devant les tribunaux. Les normes conventionnelles émanant des traités internationaux ratifiés par l'Uruguay sont directement applicables au niveau national et ont la même force que la loi interne. Il est vrai qu'il n'existe pas dans le système juridique une norme constitutionnelle expresse à cet égard. Mais on admet qu'un traité dûment ratifié est applicable directement dans le droit national sans complément législatif. La jurisprudence invoque les normes internationales lorsqu'il s'agit de violations des droits de l'homme.

Répondant à la question sur les institutions relatives aux droits de l'homme (article 2 du Pacte), M. GUSTAVO ALVAREZ, Ministère des relations extérieures, a expliqué que les tribunaux pouvaient être saisis pour des délits en matière de droits de l'homme. Un projet de loi prévoit, en outre, la création d'un organe indépendant de surveillance de l'application des normes internationales dans le domaine des droits de l'homme, comme recommandé précédemment par le Comité. On prévoit également de créer un poste de défenseur du peuple qui travaillera en toute autonomie et en toute indépendance. Selon le projet, ses compétences s'étendront à l'administration centrale et à toutes les entités de l'Etat, ainsi qu'aux organisations de services publics ou sociaux. Le projet exclut toutefois de son domaine de compétence les administrations municipales. On envisage cependant de créer des bureaux à cet effet, ainsi que de nommer des défenseurs de quartiers. Les plaintes seront adressées gratuitement et sans formalité au défenseur du peuple qui pourra lancer une enquête informelle. Certaines personnes, comme les fonctionnaires, seront tenues de collaborer avec lui.

S'agissant du traitement des prisonniers (article 10 du Pacte), M. TALICE a affirmé que des mesures avaient été prises pour améliorer la situation des détenus dans les prisons. Le code pénal qui va bientôt entrer en vigueur prévoit, en outre, de créer des postes de responsables de la surveillance de la situation dans les prisons, afin de sauvegarder la jouissance des droits et des intérêts des détenus. Le sort des prisonniers fait l'objet d'un contrôle intégral de la part de juges spécialisés indépendants du pouvoir judiciaire. Il a reconnu que la situation générale des prisons connaissait des carences dues à l'importance de la population carcérale. Entre mars 1995 et aujourd'hui, la population carcérale a augmenté

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d'environ 27%. Le Gouvernement a construit de nouvelles prisons et entrepris des travaux d'agrandissement. Les organisations des droits de l'homme qui ont visité plusieurs prisons du pays l'an dernier, ont estimé que le traitement de la population carcérale était largement satisfaisant.

Au sujet de la liberté d'expression (article 19 du Pacte), et en particulier des recommandations du Comité en vue de l'abrogation de certains articles de la Loi sur la presse considérés comme faisant obstacle à la liberté d'expression, il a affirmé que malgré cette loi, l'Uruguay avait la pleine jouissance de la liberté d'expression. Le Gouvernement estime que les infractions indiquées dans la Loi sur la presse répondent à la nécessité de responsabiliser ceux qui diffusent l'information et de prévenir tout abus. Ces dispositions ne restreignent nullement la liberté d'expression qui est absolue et n'est soumise à aucune censure préalable. Elles protègent l'honneur de la personne, la sécurité nationale et l'ordre public.

M. ALVAREZ a indiqué que l'approche avait été modifiée en ce qui concerne les droits des minorités et la discrimination raciale (article 2 (1), 26 et 27 du Pacte). Toute discrimination raciale est pénalisée par la loi, conformément aux dispositions du Pacte. Dans le cadre des mesures prises pour mettre en oeuvre les recommandations du Comité pour l'élimination de la discrimination raciale, un recensement des minorités ethniques a été réalisé. Toutefois, en raison de la lenteur du processus, les informations recueillies seront fournies lors de la présentation du prochain rapport au Comité pour l'élimination de la discrimination raciale en août prochain à Genève. M. Alvarez a fait état de contacts avec tous les secteurs de la société civile, les ONG, et en particulier des représentants d'ONG afro-uruguayennes.

M. TALICE a précisé qu'en ce qui concerne les cas toujours en suspens dans le cadre du premier Protocole facultatif, l'Uruguay avait fourni il y a deux jours des informations écrites sur les mesures adoptées par le Gouvernement en ce qui concerne l'exécution de deux recommandations du Comité concernant les affaires Cariboni et Rodriguez. Il a indiqué avoir distribué un document sur ce sujet aux membres du Comité. Dans ces deux affaires, opposant des particuliers à l'Etat uruguayen pour violation des droits de l'homme durant la dictature, les intéressés n'ont pas utilisé les recours existants afin de réclamer les indemnisations auxquelles ils ont droit, a-t-il expliqué, s'étonnant d'ailleurs du fait que ces deux personnes n'ont pas agi alors que la situation dure depuis assez longtemps. En raison des délais de prescription, toute réclamation future devant les tribunaux pourrait en effet être impossible.

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S'agissant de la diffusion d'informations concernant le Pacte (article 2 du Pacte), il a indiqué que depuis le rétablissement de la démocratie en 1985, le Gouvernement s'était efforcé de diffuser toute les informations concernant les droits reconnus dans le Pacte, ainsi que les dispositions des autres instruments juridiques relatifs aux droits de l'homme auquel l'Uruguay est partie. Au moment de la rédaction des rapports périodiques, il y a des contacts avec tous les départements qui s'occupent de ces questions. En outre, des mécanismes officieux de dialogue et de consultations ont été mis en place avec les ONG. Après la préparation du rapport et son examen par le Comité, un communiqué de presse est élaboré et diffusé le plus largement possible. Il comprend un résumé du rapport et, s'il est opportun, les observations du Comité. Des colloques ont, en outre, été organisés au cours desquels les divers rapports périodiques ont été distribués. Le quatrième rapport périodique a été diffusé auprès de la presse il y a quelques jours.

Questions des experts

M. MARTIN SCHEININ, Expert de la Finlande, rappelant que le Comité avait contesté la loi d'amnistie, a demandé si le gouvernement pouvait mettre les arguments du Comité à profit lors des discussions qui porteront sur cette Loi. Au sujet des droits des minorités et du recensement en cours sur la composition de la population, il a demandé à l'Etat partie s'il connaissait déjà la teneur de ce recensement. Il a néanmoins noté qu'il y a une contradiction dans le rapport qui affirme à la fois l'absence de minorités ethniques et l'existence de groupes se réclamant d'une minorité éthnique. Avez-vous des informations sur l'existence de minorités éthniques et dans quelle mesure est-on considéré comme une minorité ethnique, a-t-il demandé.

M. MAXWELL YALDEN, Expert du Canada, s'est félicité du ton rafraîchissant du rapport qui fait référence aussi bien aux problèmes qu'aux réalisations. Il a néanmoins estimé que la proportion de femmes aux postes à responsabilité pouvait sensiblement s'accroître. Il a également mis en garde contre les conséquences sérieuses de la loi d'amnistie. Il a dit en outre ne pas comprendre les attributions du Comité des droits de l'homme de la Chambre des représentant. S'agissant du projet de loi sur les fonctionnaires coupables de négligence dans le travail, il a souhaité connaître la date d'entrée en vigueur de ce texte. Il a demandé que le texte de cette loi soit envoyé au Secrétariat du Comité. Pour ce qui est des droits des personnes appartenant aux minorités, il a fait état d'études indiquant une proportion importante d'afro-uruguayens et de personnes se réclamant de la tribu des Guarani. Pourtant, a-t-il relevé, le rapport fait état de groupes éthniques mais pas de minorités éthniques. Ces personnes existent et constituent bien une minorité autochtone. Il faut que le gouvernement aille plus loin dans l'identification des minorités et dans l'élimination de la discrimination à leur égard.

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M. PRAFULLACHANDRA NATWARLAL BHAGWATI, expert de l'Inde, a félicité le Gouvernement uruguayen pour son excellent rapport. La situation des droits de l'homme est tout à fait satisfaisante. Il a cependant souhaité savoir si un registre présentant l'identité des personnes arrêtées et détenues existait. Existe-t-il des dispositions visant à fournir une assistance juridique aux indigents ? Il a en outre manifesté sa surprise de lire dans le rapport que les groupes autochtones et autres n'ont pas les attributs d'une minorité. Le signification de la minorité au regard de l'article 27 du Pacte a déjà été expliqué dans nos observations générales. Quelles sont donc les mesures prises pour assurer leur protection ? Existe-t-il une loi sur la liberté d'information et dans la négative envisagez-vous de promulguer une telle loi ? Est-ce qu'un journaliste est tenu de divulguer ses sources d'information, a-t-il également demandé.

Mme CECILIA MEDINA QUIROGA, Experte du Chili, a fait référence à la réponse ambiguë à la question de savoir si le Pacte a prévalence sur les lois qui lui sont postérieures. Elle a suggéré qu'un amendement à la Constitution consacre la prévalence du Pacte sur ces lois.

Mme ELIZABETH EVATT, Experte de l'Australie, a demandé confirmation de la prévalence des lois postérieures au Pacte.

M. FAUSTO POCAR, Expert de l'Italie, a demandé si les avocats peuvent s'appuyer sur les observations du Comité pour demander réparations à l'Etat.

M. ABDALLAH ZAKHIA, Expert du Liban, a demandé si la loi d'amnistie s'applique simplement aux violations des droits de l'homme ou aux crimes contre l'humanité. Il a également demandé si les ONG peuvent intervenir devant les tribunaux en cas de violation des droits de l'homme.

Réponse des représentants de l'Uruguay aux questions des experts

M. TALICE a souligné le fait que la loi d'amnistie avait été adoptée à une époque très difficile pour le pays où il a fallu choisir entre la paix et la justice. De par les circonstances, il a fallu sacrifier le principe de la justice. La loi a été attaquée pour non constitutionnalité devant la Cour suprême qui a toutefois décidé du contraire. Ceux qui s'opposaient à cette loi ont pris l'initiative de consulter par référendum la population uruguayenne qui s'est prononcée en faveur du maintien de cette loi en avril 1989, a-t-il déclaré, expliquant que l'Uruguay cherche des solutions pour faire face aux problèmes qui découlent de l'application de cette loi, comme par exemple la question d'élucider les disparitions. Peut-être y aura-t-il dans le futur des éléments nouveaux en ce qui concerne la possibilité de revoir cette loi, mais cela dépendra du peuple, a-t-il estimé.

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M. ALVAREZ a renvoyé les experts aux rapports soumis au Comité pour l'élimination de la discrimination raciale sur cette question et celle des minorités. Il a souligné l'intention du Gouvernement d'intégrer ces groupes minoritaires, estimant qu'il y a eu une évolution sur ce sujet depuis le dernier rapport périodique. L'Uruguay présentera les résultats de l'enquête sur les groupes ethniques du pays et leur situation économique et sociale dans son prochain rapport au Comité pour l'élimination de la discrimination raciale. Officiellement, on estime que les groupes ethniques représentent 5 à 7% de la population.

M. TALICE a précisé que, bien que la loi visant à la création du poste de défenseur du peuple soit toujours à l'état de projet, le Gouvernement est conscient de la nécessité de l'établissement d'une telle instance. Les commissions du Parlement, en particulier la commission des droits de l'homme, exercent un certain contrôle sur la situation des droits de l'homme. Il a précisé que sans la jurisprudence le Pacte a préséance sur les lois nationales. Toutefois, certains estiment qu'ils sont sur un pied d'égalité. Il a ajouté qu'en ce qui concerne les traités relatifs aux droits de l'homme, le traité s'applique au niveau national, même s'il existe une loi postérieure contradictoire. Dans le domaine judiciaire, les garanties en ce qui concerne le droit à un recours utile sont pleinement consacrées dans la loi et encore plus dans le nouveau code pénal. Des garanties sont également prévues en ce qui concerne l'accès des personnes défavorisées à la justice. Il a souligné la transparence en ce qui concerne les activités du Gouvernement. Un projet de loi sur la corruption dans la fonction publique vient d'ailleurs d'être présenté au Parlement. S'agissant de la liberté d'expression, il a précisé que seulement ceux qui diffusent une information fausse en toute connaissance de cause risquent d'être poursuivis. Il a précisé, par ailleurs, que le délai de prescription était de 4 ans pour ce qui est des réclamations au Gouvernement, tout en estimant qu'il ne peut y avoir prescription dans le domaine des droits de l'homme. Le fait que "la seule volonté de la femme" peut être un motif de divorce a été un progrès et donne toujours de bons résultats dans la pratique, a-t-il affirmé. Il a encore précisé que la loi d'amnistie porte sur les violations des droits de l'homme durant la dictature et ne concerne pas les crimes contre l'humanité.

Dans ses observations finales, Mme CHRISTINE CHANET, Présidente du Comité des droits de l'homme, a remercié la délégation pour le dialogue suivi qu'elle entretient avec le Comité. Elle a souligné l'évolution positive en ce qui concerne l'application des droits énoncés dans le Pacte et a mentionné en particulier la réforme du Code de l'enfance et le nouveau code de procédure pénale qui doit être adopté prochainement. Il reste toutefois des préoccupations, dont la loi d'amnistie qui sacrifie la justice à la paix. Cette loi implique qu'on passe outre au droit de savoir. Tout ne peut pas se résoudre dans une réparation financière et dans l'oubli. L'expérience montre qu'il y a un risque qu'on perde à terme et la justice et la paix, a-t-elle

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déclaré, en invitant l'Uruguay à évaluer ce risque. Par ailleurs, il reste encore un certain nombre d'inégalités entre les hommes et les femmes et il y a encore un déficit au détriment des femmes, même si en matière de divorce elles sont privilégiées. A cet égard, il y a toutefois discrimination à l'égard des hommes. La Présidente a souligné les progrès notoires en matière de détention provisoire, estimant toutefois que l'Uruguay n'est pas encore en conformité complète avec le Pacte, puisque la présomption d'innocence n'est pas entièrement prise en compte. S'agissant du Protocole facultatif, elle a estimé qu'on ne peut pas exiger de personnes qui, pour accéder au Comité doivent avoir épuisé tous les recours, qu'elles reprennent ensuite le parcours du combattant. Quand il y a décision du Comité, la balle est dans le camp du Gouvernement, sinon ce serait amoindrir le droit conféré par le Protocole, a-t-elle affirmé. Enfin, elle a déploré le fait que la question des minorités soit très souvent vue sous l'angle de la discrimination et de la non discrimination. Les minorités ont en commun une langue, une culture et une religion et ont droit à la reconnaissance de leur langue, de leur culture et de leur religion. Elle a souhaité que le 5ième rapport périodique de l'Uruguay donne également lieu à des félicitations pour les progrès accomplis.

M. TALICE s'est déclaré particulièrement heureux des félicitations de la Présidente et des experts concernant les progrès réalisés dans la promotion et la protection des droits de l'homme en Uruguay. Nous savions qu'il y aurait des commentaires négatifs, en particulier sur la loi d'amnistie. Mais, a-t-il affirmé, l'Uruguay continue de progresser. Dans certains pays, il est parfois nécessaire pour sauvegarder les droits de l'homme de faire passer la paix avant la justice. L'éthique de la responsabilité l'emporte sur l'éthique de la conviction. C'est ce qui a poussé le Gouvernement à adopter cette loi et non la volonté de pardonner, a-t-il souligné.

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N.B. : Le titre de M. JORGE TALICE doit se lire : "Ambassadeur, Ministère des relations extérieures de l'Uruguay" et non "Représentant permanent auprès des Nations Unies" comme indiqué par erreur dans notre communiqué DH/224 de ce matin.

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