SG/SM/6484

IL EST TEMPS QUE LES DROITS DE L'HOMME DEVIENNENT VÉRITABLEMENT LE BIEN COMMUN DE TOUS LES PEUPLES, DÉCLARE LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL À LA CONFÉRENCE DE L'AMERICAN BAR ASSOCIATION

17 mars 1998


Communiqué de Presse
SG/SM/6484
HR/4354


IL EST TEMPS QUE LES DROITS DE L'HOMME DEVIENNENT VÉRITABLEMENT LE BIEN COMMUN DE TOUS LES PEUPLES, DÉCLARE LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL À LA CONFÉRENCE DE L'AMERICAN BAR ASSOCIATION

19980317 Texte de l'allocution que le Secrétaire général Kofi Annan a prononcé le 12 mars à la Conférence de l'American Bar Association à l'occasion du cinquantenaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme et de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide :

C'est pour moi une joie et un honneur de m'adresser à vous ce soir. Le programme qui va occuper votre éminente assemblée d'universitaires et d'experts dans les deux prochains jours est véritablement un motif d'espoir et une source d'inspiration.

Vous êtes réunis ici dans un esprit de fête, pour célébrer le cinquantenaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme, pour marquer le cinquantième anniversaire de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, et pour rappeler qu'il y a un demi-siècle exactement l'Assemblée générale des Nations Unies adoptait pour la première fois une résolution demandant à tous les États Membres d'envisager la possibilité de créer une cour criminelle internationale.

Vous êtes aussi rassemblés pour rappeler solennellement notre dette envers les pionniers qui ont proclamé l'universalité des droits de l'homme, et pour prendre de nouveau l'engagement de mieux faire là où nous avons failli ou échoué.

La pierre angulaire de notre action, notre étoile du berger en cette année de cinquantenaire, c'est la dignité et la valeur inhérentes à tout être humain.

Mon cher ami Elie Wiesel, à qui vous rendez hommage ce soir, a consacré une bonne partie de son existence à défendre ce droit de l'homme fondamental et à réclamer justice partout et chaque fois qu'il était bafoué ou remis en question.

- 2 - SG/SM/6484 HR/4354 17 mars 1998

Dans son premier livre, La Nuit, il a raconté ses années dans les camps de concentration nazis. Je ne vois pas meilleur sujet de méditation pour nous ce soir que ce célèbre ouvrage, dont j'aimerais vous lire un passage :

"Jamais je n’oublierai cette nuit, la première nuit de camp qui a fait de ma vie une nuit longue et sept fois verrouillée. Jamais je n'oublierai cette fumée. Jamais je n'oublierai les petits visages des enfants dont j'avais vu les corps se transformer en volutes sous un azur muet. Jamais je n'oublierai ces flammes."

Ces mots, et des milliers d'autres écrits depuis, ont fait d'Elie Wiesel notre guide et notre témoin face à l'un des crimes les plus sanglants d'un siècle qui pourtant n'en est pas avare. L'ancien déporté a trouvé la force de continuer à vivre, de se remettre à écrire et de devenir, pour notre profit à tous, l'un de nos plus ardents défenseurs des droits de l'homme.

Elie Wiesel a émergé des ténèbres de l'Holocauste, il s'est arraché de sa rencontre dévastatrice avec le mal absolu pour nous apporter la lumière. Je me joins à vous ce soir pour saluer son courage et pour le remercier d'être devenu un ami si proche des Nations Unies.

Je tiens aussi à souligner que l'Holocauste a été une épouvantable tragédie non seulement pour le peuple juif mais aussi pour toutes les autres victimes du nazisme, et en l'occurrence pour l'humanité tout entière. À ce titre, c’est une leçon pour chacun de nous.

Le fait que la Déclaration universelle des droits de l'homme ait été adoptée dans le sillage immédiat de l'Holocauste prouve, selon moi, que la leçon commence à porter. Car, pour que les droits de l'homme aient un sens, nous devons réagir chaque fois que, quelque part dans le monde, on viole les droits de l'individu. C'est ce qu'a parfaitement exprimé le théologien allemand Martin Niemoeller dans un texte devenu célèbre :

"En Allemagne, il y a d'abord eu les communistes, et je n'ai rien dit parce que je n'étais pas communiste. Puis il y a eu les Juifs, et je n'ai rien dit parce que je n'étais pas juif. Puis il y a eu les syndicalistes, et je n'ai rien dit parce que je n'étais pas syndicaliste. Et puis il y a eu les catholiques, et je n'ai rien dit parce j'étais protestant. Puis ils vont venus me chercher, mais alors il n'y avait plus personne pour dire quelque chose."

Les ténèbres et la lumière s'affrontent encore aujourd'hui.

Il suffit de voir les journaux de ces derniers jours. À la une, la photo d'un policier qui s'acharne à coups de matraque et à coups de pied sur un vieillard armé en tout et pour tout de sa canne. Et sur la même page, un reportage sur les femmes qui, dans le monde entier, revendiquent leurs droits et se mobilisent pour lutter contre la violence familiale

- 3 - SG/SM/6484 HR/4354 17 mars 1998

Prenons aussi l'histoire récente des Nations Unies. Les opérations de maintien de la paix en El Salvador et au Mozambique ont aidé les peuples de ces pays à tourner le dos à la guerre civile pour se consacrer aux tâches de la démocratisation et du développement.

Mais ailleurs — au Rwanda et en Bosnie-Herzégovine, par exemple — les horreurs de la seconde guerre mondiale se sont répétées. Plus jamais ça, avions-nous promis : et pourtant on a vu ressurgir les camps, les atrocités, les exterminations. Le génocide fait désormais aussi partie du vocabulaire de notre époque.

Nous avançons et nous reculons tout à la fois. Pendant que la paix revient dans telle région du globe, la haine se déchaîne dans telle autre. Des richesses inouïes s'étalent à côté des pires misères. La mondialisation nous rapproche, et l'intolérance nous dresse les uns contre les autres.

Beaucoup de nos acquis sont certes fragiles, mais certains ont survécu. C'est le cas par exemple de la Convention sur le génocide, adoptée lorsqu'il s'est avéré que l'on risquait davantage d'être jugé et condamné pour avoir tué une seule personne que pour en avoir massacré 100 000.

La Déclaration universelle des droits de l'homme est une autre conquête de notre temps. Les États-Unis sont à juste titre fiers de leur Déclaration d'indépendance, un texte unanimement salué, qui affirmait il y a déjà plus de deux siècles la primauté des droits, de la liberté et de la dignité de l'individu, et qui a, du reste, inspiré la Déclaration universelle des droits de l'homme.

Pourtant, les principes fondateurs de la Déclaration universelle sont présents dans toutes les cultures et toutes les traditions, et ils sont enseignés dans toutes les grandes religions. La Déclaration elle-même est le fruit des débats d'un groupe représentatif d'intellectuels, dont beaucoup venaient de pays non occidentaux, et elle tire sa légitimité de l'adhésion des 185 États Membres que comptent les Nations Unies.

La Déclaration universelle des droits de l'homme et la Convention sur le génocide sont, depuis un demi-siècle, les deux piliers d'un régime international des droits de l'homme qui définit les droits des femmes, des enfants, des réfugiés, des minorités, des peuples autochtones et des autres individus, et qui offre une protection contre la torture et la discrimination raciale.

Mais, au cours de ce même demi-siècle — depuis presque aussi longtemps que les Nations Unies existent —, personne n'a véritablement trouvé le moyen de poursuivre et de châtier les auteurs d'actes de génocide et de crimes contre l'humanité.

- 4 - SG/SM/6484 HR/4354 17 mars 1998

En l'absence de cour criminelle internationale, et face aux violations graves et aux atrocités commises au Rwanda et en ex-Yougoslavie, le Conseil de sécurité a établi deux tribunaux spéciaux. Ces instances ont bien travaillé et elles établissent une solide jurisprudence.

Au début de cette semaine, par exemple, un milicien serbe de Bosnie accusé d’avoir violé deux Musulmanes en 1992, pendant le conflit en Bosnie- Herzégovine, a plaidé coupable. C'est la première fois que la chose se produit dans une affaire de viol en tant que crime de guerre.

La cour criminelle internationale reste toutefois le chaînon manquant du système juridique international. Elle permettrait pourtant de remédier aux lacunes des tribunaux spéciaux, comme par exemple le risque de justice sélective. Et elle pourrait prendre le relais si les institutions judiciaires nationales ne peuvent pas ou ne veulent pas agir.

Elle pourrait aussi arrêter l'engrenage infernal des atrocités et des représailles dans lequel chaque massacre en appelle un autre, en garantissant que quelques-uns au moins des coupables sont traduits devant la justice.

La cour criminelle internationale pourrait mettre fin aux situations d'impunité en appliquant le principe de la responsabilité individuelle en matière criminelle, à savoir qu'à tous les échelons gouvernementaux et dans toute la chaîne de commandement militaire, chaque individu sans exception est responsable de ses actes.

Bref, la cour internationale mettrait les chefs militaires et les futurs criminels de guerre devant leurs responsabilités.

Nous aurons l'occasion de parvenir à ce résultat dans trois mois, quand sera convoquée à Rome une conférence internationale de plénipotentiaires chargée de conclure une convention portant création d’une cour criminelle internationale. En cette année d'anniversaire, à l'heure où s'achève notre siècle sanguinaire, je ne vois pas d'occasion plus propice pour renforcer les idéaux de la Convention sur le génocide. Nous devons tous faire notre possible pour que la loi du plus fort soit remplacée par la force de la loi.

Notre époque — et jusqu'à la décennie actuelle — a montré que l'homme était capable du pire. Mais je reste tout aussi convaincu de notre capacité à faire le bien, à apporter l'espoir à ceux qui souffrent et à donner sens et humanité à nos existences. Nous devons poursuivre la croisade que nous avons entreprise ensemble pour que les droits de l'homme deviennent le bien commun de tous les peuples du monde. Faisons-le dès cette année.

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