SG/SM/6454

SI NOUS SAVONS MENER UNE ACTION PRÉVENTIVE EFFICACE, NOUS RESTERONS POUR LES GÉNÉRATIONS FUTURES LA GÉNÉRATION QUI AURA EU LA VOLONTÉ DE LES PRÉSERVER DU FLÉAU DE LA GUERRE

11 février 1998


Communiqué de Presse
SG/SM/6454


SI NOUS SAVONS MENER UNE ACTION PRÉVENTIVE EFFICACE, NOUS RESTERONS POUR LES GÉNÉRATIONS FUTURES LA GÉNÉRATION QUI AURA EU LA VOLONTÉ DE LES PRÉSERVER DU FLÉAU DE LA GUERRE

19980211 Déclaration du Secrétaire général au Forum sur le rapport final de la Commission Carnegie pour la prévention des conflits mortels

On trouvera ci-après le texte de la déclaration faite par le Secrétaire général, M. Kofi Annan, lors du forum organisé le 5 février 1998, au Siège, sur le thème "L'ONU, élément central de la prévention; la prévention, élément central de l'ONU" à l'occasion de la présentation du rapport final de la Commission Carnegie pour la prévention des conflits mortels.

Je suis particulièrement heureux d'accueillir aujourd'hui autant d'amis et de serviteurs fidèles de l'Organisation des Nations Unies. Je remercie l'ancien Secrétaire d'État américain, M. Cyrus Vance, de ses remarques obligeantes à mon égard. C'est un énorme encouragement que de voir réunis ici autant de grands alliés de l'ONU autour du thème de la prévention des conflits mondiaux.

Avant d'évoquer devant vous l'idée que je me fais de la mission de l'ONU dans le domaine de la prévention des conflits, je voudrais appeler votre attention sur l'extraordinaire réalisation qui motive notre présence en ce lieu. En une époque où les conflits violents sont trop souvent passés sous silence ou trop facilement acceptés, où l'on préfère détourner les yeux plutôt que de regarder la vérité en face, la Commission Carnegie a lancé au monde un appel à l'action. Vous nous avez rappelé qu'il vaut mieux prévenir que guérir. Et vous nous avez donné une idée plus précise que jamais auparavant, des moyens, des possibilités et des promesses qu'offre la prévention. Nous vous devons énormément.

Le rapport final de la Commission Carnegie part de trois hypothèses de base : tout d'abord, que les conflits mortels ne sont pas inévitables; ensuite, qu'il est de plus en plus urgent d'apporter une solution à ce genre de conflits; et enfin, qu'il est possible de mener une action préventive efficace.

Il lance un indubitable défi à la communauté internationale — créer une culture valorisant la prévention — que cette dernière peut et doit relever.

Pour l'Organisation des Nations Unies, il ne saurait y avoir de but plus noble, d'engagement plus fort ni d'ambition plus motivante que de prévenir les conflits armés. La prévention des conflits commence et finit par la protection de la vie humaine et la promotion du développement humain. Sa mission par excellence est d'assurer la sécurité humaine. Et c'est par le biais de la prévention efficace et durable des conflits qu'elle peut espérer s'en acquitter.

Partout dans le monde aujourd'hui, mais surtout en Afrique et dans d'autres régions du Sud, les conflits modernes prennent la forme de guerres internes.

Ces guerres ont de plus en plus pour principal objet la destruction non pas des seules armées mais aussi des populations civiles et d'ethnies entières. La prévention dans ce cas ne consiste plus simplement à défendre des alliés ou leurs intérêts mais à défendre l'humanité-même.

Et pourtant nous semblons ne jamais rien apprendre. À chaque fois, nous laissons les divergences tourner en différends et les différends dégénérer à leur tour en conflits mortels. À chaque fois, nous refusons de voir les signes avant-coureurs et d'entendre les appels au secours. Ce n'est que lorsque la mort et la destruction commencent à frapper que nous finissons par intervenir, à un prix humain et matériel plus élevé, et moins de vies à sauver car les victimes sont déjà nombreuses. C'est lorsqu'il est trop tard que nous reconnaissons l'utilité de la prévention.

À mon avis, si la prévention échoue là où elle devrait manifestement donner des résultats, c'est essentiellement pour trois raisons : tout d'abord, la réticence d'une ou de plusieurs des parties à un conflit à accepter toute intervention extérieure, ensuite le manque de volonté politique des membres les plus influents de la communauté internationale et enfin l'absence de stratégies intégrées de prévention des conflits au sein du système des Nations Unies et de la communauté internationale.

De tous ces facteurs, le plus important est la volonté d'agir. S'il n'y pas volonté politique d'agir lorsqu'il le faut, s'il n'y a pas volonté de répondre à un appel qui ne peut être ignoré, alors la meilleure coordination ou alerte rapide elle-même ne donnera pas de résultats concrets.

Tous les États Membres aux prises à des situations de conflit doivent admettre que, loin de porter atteinte à leur souveraineté, l'alerte rapide et la diplomatie préventive visent à soutenir et restaurer l'autorité légitime et l'ordre mondial. Pour ce faire, les Membres des Nations Unies tous ensemble doivent donner le mandat et les ressources qui s'imposent pour assurer les activités de prévention. Fort heureusement, l'expérience de l'ONU en matière de prévention est aussi vieille que la Charte elle-même.

( suivre)

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Dans toute mission diplomatique et tout projet de développement dans lesquels elle s'engage, l'ONU effectue un travail de prévention. Le Secrétaire général lui-même use, avec succès, de ses bons offices dans le domaine de la diplomatie préventive depuis des années. Bien qu'établie de longue date, cette pratique pourrait encore se développer bien davantage.

Au cours de la première année au poste de Secrétaire général, j'ai relancé nos efforts d'instauration de la paix à Chypre, au Timor oriental, au Sahara occidental, en Afghanistan et dans la région des Grands Lacs en Afrique, pour essayer de mettre fin aux différends aux racines inextricables qui déchirent tous ces pays depuis tant d'années. Nous entendons continuer à chercher de nouveaux moyens de favoriser le rapprochement des factions opposées et l'instauration de la paix pour assurer la sécurité et la prospérité de toutes les parties.

Dans l'ensemble du système des Nations Unies, un dispositif de prévention plus systématique et intégrée est en cours d'établissement. Avec le Département des opérations de maintien de la paix et le Bureau pour la coordination des affaires humanitaires, le Département des affaires politiques a pris la direction des opérations d'alerte rapide et de prévention des Nations Unies.

Dans son rapport, la Commission Carnegie établit une distinction intéressante entre "prévention opérationnelle" et "prévention structurelle". La stratégie de prévention opérationnelle poursuivie par l'ONU s'articule autour de quatre grands axes : alerte rapide, diplomatie préventive, déploiement préventif et action humanitaire rapide. Sa stratégie de prévention structurelle comprend trois autres activités : désarmement préventif, développement et consolidation de la paix. Au coeur de tous ces efforts, on retrouve la promotion des droits de l'homme, la démocratisation et la bonne gestion des affaires publiques en tant que fondements de la paix.

Le déploiement préventif, dans un cas particulier, a déjà donné des résultats remarquables dans la région explosive des Balkans. Mais la force mise en place dans ce cadre n'est qu'un mince rempart contre la violence.

Le rôle joué jusqu'à présent par la Force de déploiement préventif des Nations Unies (FORDEPRENU) dans l'ex-République yougoslave de Macédoine n'en donne pas moins à penser que le déploiement préventif, s'il est bien réglementé et appuyé, peut faire la différence entre la guerre et la paix.

Le désarmement préventif est une autre mesure dont l'importance doit être reconnue et soulignée. Du Nicaragua au Mozambique, les Nations Unies ont désarmé bien des combattants dans le cadre de leurs opérations de maintien de la paix.

( suivre)

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Dans d'autres cas, la destruction des armes du passé empêche leur utilisation future. C'est également le but recherché par les Nations Unies en Iraq où les inspections de leur Commission spéciale ont fait plus pour l'élimination des armes de destruction massive que toutes les opérations de la guerre du golfe Persique.

Des mesures doivent aussi être prises d'urgence pour limiter la circulation des armes classiques. Nous devons notamment redoubler d'efforts pour empêcher la prolifération des armes légères qui sont utilisées dans la plupart des conflits contemporains. Dans le cadre de mon plan de réformes, j'ai par conséquent créé un nouveau Département des affaires de désarmement auquel j'ai confié toutes sortes de tâches nouvelles et en premier lieu celle consistant à mener une action de microdésarmement, en collaboration avec les gouvernements, pour s'attaquer au problème du trafic illicite d'armes légères.

Mais nous ne pouvons pas agir seuls. Pour avoir des effets durables, la prévention doit être appuyée par tous et assurée par les populations et les parties elles-mêmes. Le rôle et la responsabilité de ces dernières sont fondamentaux, de même que ceux des pays qui produisent des armes ou en facilitent le transit.

La prévention à long terme, quant à elle, peut être assurée par de nombreux éléments de la communauté internationale. Dans certains cas, l'Organisation des Nations Unies, seule détentrice d'un mandat universel, doit prendre l'initiative. Mais, dans d'autres, les organisations régionales ou sous-régionales, de par leur proximité avec la zone touchée ou leur expérience passée, sont mieux à même de prévenir des conflits mortels. Dans tous les cas, l'ONU se tient prête à appuyer les efforts déployés et à coordonner les programmes d'assistance multilatérale.

On ne peut mettre en oeuvre avec succès les politiques de prévention que j'ai évoquées jusqu'à présent — alerte rapide, diplomatie préventive, déploiement préventif et désarmement préventif — que si l'on s'attaque avec la même volonté et la même sagesse aux racines profondes des conflits.

Ces racines sont souvent d'ordre économique ou social. La pauvreté, le sous-développement chronique et la faiblesse des institutions, ou leur absence, font obstacle au dialogue et favorisent le recours à la violence. Pour prévenir les conflits, il faut soutenir lentement mais sûrement un processus de développement économique durable qui s'inscrit dans la durée en respectant les droits de l'homme et le gouvernement légitime.

Pour bien aborder le XXIe siècle, l'Organisation des Nations Unies doit devenir l'ordonnatrice mondiale de l'action préventive prospective et efficace.

( suivre)

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Tous mes efforts à venir iront dans ce sens et je suis reconnaissant aux États Membres qui ouvrent la voie. En 1996, la Norvège a été à l'origine de la création d'un fonds pour l'action préventive qui vise à renforcer la capacité du Secrétaire général de mener une action préventive rapide et efficace.

Je suis reconnaissant aux autres gouvernements qui y ont déjà versé des contributions. Je me réjouis également de la décision récente du Gouvernement japonais de convoquer une conférence internationale sur les stratégies préventives. Les pays donateurs, tout comme les nations victimes de conflits, savent désormais ce qu'il en coûte de ne pas recourir à la prévention et qu'il est de leur intérêt de se tourner vers elle en priorité.

Selon un proverbe chinois, il est toujours difficile de trouver de l'argent pour des médicaments mais jamais pour un cercueil.

Si l'on en croit les conflits internes et les guerres ethniques de ces 10 dernières années, ce proverbe s'applique on ne peut mieux à notre époque.

N'avons nous pas vu assez de cercueils — du Rwanda jusqu'à la Bosnie-Herzégovine en passant par le Cambodge — pour accepter de payer le prix de la prévention? N'avons-nous pas enfin assez souffert pour avoir appris notre leçon et compris que nous pouvons, si nous le voulons, empêcher les conflits mortels? N'avons nous pas entendu le général Romeo Dallaire dire que l'envoi de 5 000 soldats au Rwanda aurait sauvé 500 000 vies?

Nous n'avons vraiment plus d'excuses. Nous n'avons pas d'excuses pour notre inaction et notre refus de voir les choses en face. Souvent nous savons, avant même les victimes, qu'un conflit va éclater. Nous le savons parce que nous vivons dans un monde interdépendant — interdépendant dans l'adversité et dans la prospérité. Nous ne pouvons plus nous contenter de promesses de prévention qui ne sont jamais tenues. Les enjeux, les espoirs, les besoins sont trop grands.

Lorsque les fondateurs de l'ONU ont rédigé la Charte, ils ne se faisaient pas d'illusions sur la nature humaine. Ils avaient vu l'humanité à l'oeuvre au cours d'une guerre d'une brutalité sans pareille et d'une cruauté sans précédent. Ils avaient surtout vu la prévention échouer alors qu'il était encore possible d'éviter la guerre dont les signes avant-coureurs étaient visibles.

Avec ce rapport, la Commission Carnegie a redonné un sens aux fervents espoirs que nos fondateurs plaçaient dans l'avenir de la prévention et dans la faculté de l'humanité de tirer des enseignements du passé.

De fait, ma vision de l'ONU est celle d'une grande organisation qui mettrait la prévention au service de la sécurité universelle.

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Assurer la sécurité de l'humanité sur tous les plans — économique, politique et social — tel est le but que la prévention atteindra si elle sait être efficace.

Notre souvenir restera gravé dans la mémoire des générations futures comme celui de la génération qui aura eu la volonté de les préserver du fléau de la guerre.

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