SG/SM/6441

MARTIN LUTHER KING A SU MIEUX QUE QUICONQUE PARLER DES IDÉAUX DE PAIX, DE DIGNITÉ ET DE JUSTICE, SANS ÉQUIVOQUE, INLASSABLEMENT, AVEC UNE INCOMPARABLE FORCE DE CONVICTION

21 janvier 1998


Communiqué de Presse
SG/SM/6441


MARTIN LUTHER KING A SU MIEUX QUE QUICONQUE PARLER DES IDÉAUX DE PAIX, DE DIGNITÉ ET DE JUSTICE, SANS ÉQUIVOQUE, INLASSABLEMENT, AVEC UNE INCOMPARABLE FORCE DE CONVICTION

19980121 On trouvera ci-après le texte de la déclaration que le Secrétaire général, M. Kofi Annan, a faite le 19 janvier devant un auditoire réuni à la Brooklyn Academy of Music pour célébrer la Journée consacrée à Martin Luther King :

Vous m'avez fait l'honneur de m'inviter à marquer avec vous cette Journée à la mémoire de Martin Luther King et c'est avec émotion que je m'associe à cette évocation. Je tiens à remercier vivement tous ceux qui ont contribué à l'organisation de cette manifestation, en particulier Bruce Ratner, Harvey Lichtenstein, la Brooklyn Academy of Music et la municipalité de Brooklyn.

"Le monde dans lequel nous entrons est celui de la proximité. Aucun individu, aucune nation, ne peut plus aujourd'hui survivre dans l'isolement. Le génie de l'homme a comprimé les distances, ralenti la progression du temps, ouvert des routes dans la stratosphère. On peut aujourd'hui prendre son petit déjeuner à New York et dîner à Paris.

Dans ce monde qui forme désormais une unité physique, il nous faut maintenant infuser une unité spirituelle. Notre génie des sciences a créé une communauté de voisins; nous devons maintenant employer notre génie moral et spirituel à faire de cette communauté une fraternité."

Ce n'est pas moi qui tiens ce discours. Ce sont les paroles de Martin Luther King lui-même.

C'est la vision remarquablement prophétique d'un homme qui, dès 1957, a caractérisé le monde comme il nous apparaît aujourd'hui, un village planétaire.

Mais Martin Luther King va encore plus loin. Il a compris que dans ce village qu'est devenu notre globe nous avions une mission morale : faire en sorte que le progrès ne réside pas seulement dans le pouvoir des humains sur les choses mais aussi dans une fraternelle ouverture d'esprit à l'égard les uns des autres.

Dans l'Amérique de 1957, le mouvement pour l'égalité et la justice entre les races avait à affronter les forces déchaînées de l'obscurantisme. C'était l'époque où des racistes blancs faisaient sauter à la dynamite une école élémentaire de Nashville qui avait inscrit un enfant noir, le seul, parmi les élèves, l'époque où le Président Eisenhower annonçait par une émission spéciale de la télévision qu'il avait ordonné à l'armée fédérale d'accompagner neuf enfants noirs de l'Arkansas au lycée de Little Rock. Mais 1957 fut aussi l'année de l'indépendance pour mon pays, le Ghana, jusque-là sous la régie britannique. Martin Luther King, qui était allé assister aux fêtes marquant la naissance du nouvel État, affirmait cette année-là aussi que le mouvement de libération des Africains américains avait un pendant en divers endroits du monde colonisé; il voyait là, disait-il, "l'oeuvre de la Providence en train de se dérouler".

Le monde nouveau, nous disait encore Martin Luther King, présentait des défis nouveaux. Il fallait tout d'abord, comme le faisait ressortir la déclaration que j'ai citée au début, faire de ce village planétaire une fraternité humaine.

Il faudrait aussi parvenir à l'excellence en tout. Des portes allaient s'ouvrir, toutes les races, toutes les nationalités, allaient entrer en concurrence. Il serait capital que tout le monde s'instruise. Pourquoi serait-ce capital? Parce que l'instruction, Martin Luther King le savait, est le meilleur investissement qui soit pour la cause de la liberté.

Enfin, il faudrait — c'était le troisième défi — que l'amour et la justice remplacent l'hostilité et l'injustice du monde ancien. Pour Martin Luther King, le recours à la violence, même si c'était pour servir la justice, empoisonnerait les générations futures, condamnées à vivre perpétuellement dans le chaos, qui serait l'essentiel de notre héritage et qui ne mènerait à rien.

Je pose la question : auquel de ces impératifs peut-on se soustraire aujourd'hui?

Mais comment une race humaine mue par l'intolérance et la haine comme elle l'est encore aujourd'hui peut-elle rendre l'hommage qui convient à un homme qui a consacré sa vie à combattre cette même haine et intolérance et qui en est mort?

Comment un monde en proie à l'injustice et à l'hostilité comme il l'est aujourd'hui encore peut-il se montrer digne du sacrifice de cet homme?

Comment ce monde qui n'hésite pas à se présenter comme une communauté de voisins peut-il apprendre à se conduire comme une communauté fraternelle?

( suivre)

- 3 - SG/SM/6441 21 janvier 1998

Je suis particulièrement heureux de commémorer, avec vous, Martin Luther King en cette année du cinquantenaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Je considère en effet que le message que nous a laissé le champion des droits civils des Africains américains et ce que nous dit la Déclaration sont deux voix à l'unisson. Je considère en effet que les droits civils sont eux aussi des droits fondamentaux de l'être humain.

La Déclaration des droits de l'homme a été une source d'inspiration primordiale pour tous ceux qui ont travaillé, dans le cadre national ou avec la communauté internationale, à protéger les droits et libertés fondamentaux. Beaucoup de pays, lorsque plus tard ils sont devenus indépendants, ont repris dans leur constitution les grands principes qu'elle consacre. Conçue comme "l'idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations", elle est devenue la norme de référence pour déterminer si les droits fondamentaux de la personne sont reconnus et effectivement respectés comme l'imposent les règles établies par consensus général.

Mais, aujourd'hui, certains estiment que les valeurs dites universelles ne sont pas, en fait, absolues, et qu'il appartient à chaque société de déterminer elle-même ce qui lui convient dans les circonstances du moment. Selon eux, affirmer l'universalité des droits de l'homme revient à porter atteinte à la souveraineté nationale et à susciter à coup sûr le désordre politique et social.

Voyez par exemple ce qui se passe sur le continent d'où je viens, en Afrique. Pour certains Africains, cet intérêt primordial porté aux droits de l'homme est un luxe de riche que l'Afrique n'a pas encore les moyens de s'offrir, voire un complot ourdi par l'Occident industrialisé.

J'estime, moi, que c'est faire injure aux hommes et aux femmes d'Afrique, c'est faire fi de l'aspiration à la dignité que chacun d'entre eux éprouve dans son coeur.

Est-ce que les mères africaines ne pleurent pas comme les autres lorsque leurs fils et leurs filles sont assassinés ou torturés par les agents d'un pouvoir oppresseur? Est-ce que les pères africains ne souffrent pas comme les autres lorsque leurs enfants sont jetés en prison au mépris de toute justice? Est-ce que l'Afrique tout entière ne se sent pas amputée lorsqu'on étouffe la voix d'un seul de ses enfants?

Les droits de l'homme valent pour tous les humains, ceux d'Afrique et ceux d'Asie, ceux d'Europe et ceux des Amériques. Ils n'appartiennent à aucun gouvernement en particulier, ne sont limités à aucun continent, car ils sont les fondements de l'humanité elle-même.

Le premier article de la Déclaration des droits de l'homme est très simple. Il dit exactement ceci : "Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité."

( suivre)

- 4 - SG/SM/6441 21 janvier 1998

La fraternité, encore elle. Ce premier article n'est pas moins valide, pas moins justifié, pas moins important aujourd'hui qu'il ne l'était le jour où il a été rédigé. Il en va de même du message de Martin Luther King. C'est en écoutant ce message que nous pouvons rendre hommage à celui dont il émane.

Il arrive de temps à autre, pas très souvent, qu'un être humain laisse sa marque au coeur même de notre existence. Martin Luther King était l'un de ces êtres, que nous ayons ou non entendu sa parole lorsqu'il était vivant.

On a dit qu'il suffit d'une seule âme courageuse pour cristalliser une majorité. Martin Luther King était aussi l'un de ces hommes.

C'est pour cela qu'aujourd'hui encore nous recueillons le fruit de ce qu'a été sa vie, que nous en bénéficions tous quotidiennement, près de 30 ans après sa mort.

Martin Luther King a su mieux que quiconque parler des idéaux de paix, de dignité et de justice, sans équivoque, inlassablement, avec une incomparable force de conviction. Et une voix comme la sienne ne fait pas que nous parler, elle parle aussi pour nous.

C'est pourquoi sa mémoire méritera toujours d'être honorée, comme nous le faisons aujourd'hui. C'est pourquoi aussi je vous engage à célébrer avec moi, en ce cinquantenaire de la Déclaration des droits de l'homme, les droits fondamentaux de l'être humain. Le respect de ces droits représente le meilleur de ce qui est en nous. Rendons-les vivaces. Donnons-leur toute leur signification. Honorons-les par la justice. C'est le meilleur hommage que nous puissions rendre à Martin Luther King.

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