SG/SM/6412

IL FAUT QUE LES GENS TALENTUEUX ET COURAGEUX CROIENT EN LA CAPACITE DE LA FONCTION PUBLIQUE DE CHANGER LES CHOSES

9 décembre 1997


Communiqué de Presse
SG/SM/6412


IL FAUT QUE LES GENS TALENTUEUX ET COURAGEUX CROIENT EN LA CAPACITE DE LA FONCTION PUBLIQUE DE CHANGER LES CHOSES

19971209 Voici le texte de la déclaration que le Secrétaire général Kofi Annan a faite le 3 décembre à Toronto devant l'Association du Canada pour les Nations Unies :

N'importe quel Secrétaire général des Nations Unies qui effectue une visite au Canada se retrouve un peu en famille. Pour moi, qui ai longtemps travaillé au maintien de la paix, c'est comme si je rentrais dans mon foyer.

En 1956, Lester Pearson, alors Premier Ministre canadien, exposait au monde sa conception du maintien de la paix, qui est aussi la nôtre aujourd'hui. M. Pearson — qui aurait fait un excellent Secrétaire général — avait placé la barre très haut pour son pays en l'engageant de la sorte à servir les idéaux qui sont le fondement même de l'ONU. Depuis, les Canadiens n'ont jamais trahi cette attente.

Les opérations de maintien de la paix ont évolué au cours des années. Aujourd'hui, ceux qui partent en mission peuvent être chargés aussi bien de surveiller des élections, de protéger l'acheminement de l'assistance humanitaire ou d'aider à reconstruire des routes et des ponts que de contrôler l'application d'un cessez-le-feu ou de patrouiller dans une zone tampon. Tout au long de ces années, aucune nation n'a pris autant d'initiatives ni n'a rendu autant de services dans ce domaine que le vôtre.

Le maintien de la paix reste au coeur des activités de l'ONU. Mais aujourd'hui, la paix et la stabilité ne sont plus conçues en termes uniquement militaires; ces notions signifient bien davantage que l'absence de conflit.

Développement économique, justice sociale, protection de l'environnement, démocratisation, désarmement, respect des droits de l'homme : voilà les principaux piliers sur lesquels on peut bâtir un univers de paix et de stabilité.

A l'heure actuelle, les fondations de cet édifice subissent des secousses. Nous vivons dans un monde où le changement, rapide et constant, à l'échelle tant nationale qu'internationale, doit être accepté comme une condition indispensable à la vie, un monde dans lequel de nouvelles forces sont à l'oeuvre et transforment jusqu'à la structure de nos sociétés.

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C'est dans les Etats "faillis", en proie à des conflits, que ce phénomène est le plus manifeste. Nous avons vu ce qui se passe quand le centre du pouvoir s'effondre, quand les affrontements entre milices rivales font taire la voix de la raison, quand on réduit les citoyens à la précarité permanente, quand des puissances extérieures s'ingèrent dans l'administration du pays. Nous l'avons vu en Angola, en Somalie, au Zaïre, en Bosnie.

Mais dans les pays développés aussi, l'autorité de l'Etat est remise en question : de nouveaux acteurs ne cessent d'apparaître au sein de la société civile; le gouvernement doit, dans ses décisions, prendre en compte la volonté d'organes non élus; les nouvelles technologies engendrent une véritable révolution; certains éléments de ce que j'appellerai la société "incivile" constituent une menace insidieuse pour les institutions.

La mondialisation, la démocratisation et la libéralisation de l'économie ont provoqué des bouleversements spectaculaires. Ayant acquis de nouvelles libertés et voyant s'ouvrir de nouvelles possibilités, les citoyens nourrissent de plus grandes attentes. La société civile n'hésite plus à faire entendre sa voix ni à demander des comptes au gouvernement.

Dans le même temps, les frontières internationales s'estompent, et les problèmes qui touchent aujourd'hui un pays sont susceptibles de concerner tous les autres demain. Cela est vrai des changements environnementaux, du crime organisé et du trafic de stupéfiants, pour ne citer que quelques-uns de ces problèmes.

Plus aucun pays n'est à l'abri des répercussions de mesures qu'on a prises — ou de l'absence de mesures — dans un autre pays ou de l'autre côté du globe. La crise financière qui a éclaté ces derniers mois en Asie de l'Est en est une bonne illustration : c'est la première fois que des perturbations nées dans le monde en développement sont ressenties avec autant de force sur les marchés des capitaux du Nord.

Les secousses qui ont ébranlé les places financières de Malaisie, Thaïlande, Indonésie ou Hong-kong ont durement éprouvé Wall Street, et pourraient entraîner une diminution d'un point du taux de croissance mondial. La Corée du Sud et le Japon ont à leur tour été touchés, et cela présente bel et bien un danger pour le monde entier. Si, comme le pensent certains économistes, la situation devait continuer d'empirer, les retombées finiraient par se faire sentir sur l'ensemble de la planète.

Et d'autres crises de ce type suivront. C'est pourquoi il est plus important que jamais que les Etats Membres ne se contentent pas de parler d'une seule voix mais agissent concrètement comme des nations unies pour s'attaquer à ces problèmes sans frontières. Je suis convaincu que c'est en s'efforçant ensemble d'appliquer les principes d'une bonne gouvernance qu'ils y parviendront.

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La promotion de la bonne gouvernance fait d'ores et déjà partie des principales activités de l'ONU. L'objectif, crucial, du développement durable nous oblige à consacrer énormément d'efforts à la mise en place d'infrastructures institutionnelles adéquates dans les pays en développement. Nous voulons propager dans le monde entier les principes de stabilité, de confiance, de légitimité et de responsabilité propres à une bonne gouvernance, sans laquelle il ne saurait y avoir de développement durable ni équitable.

Un gouvernement fort, qui vise à plus d'efficacité, de transparence, de responsabilité et de souplesse, dans le respect de l'Etat de droit : telle est l'une des conditions, et non une conséquence, du développement durable.

Sans bonne gouvernance et tout ce que cette notion recouvre — état de droit, administration transparente, légitimité politique et réglementation adéquate —, le monde en développement restera irrémédiablement à la traîne, quel que soit le volume des investissements, et en dépit d'éphémères miracles économiques.

En effet, vouloir édifier une société, qu'elle soit nationale ou internationale, en négligeant les principes d'une bonne gouvernance, revient à bâtir sur le sable.

De plus en plus, les Etats Membres s'accordent à reconnaître que la bonne gouvernance est l'un des piliers de la paix, de la prospérité et de la démocratie. Ils se tournent vers l'ONU parce qu'ils savent que, depuis la fin de la guerre froide, notre expérience et nos connaissances dans ce domaine se sont considérablement étendues.

Il n'est pratiquement aucun aspect de la bonne gouvernance auquel nos programmes ne s'intéressent : nous aidons certains pays à se doter d'un cadre juridique bien conçu et d'un appareil judiciaire efficace. Nous assurons, souvent dans le cadre d'opérations de maintien de la paix, la formation de base d'officiers et d'agents de police, que nous sensibilisons au respect des droits de l'homme.

Nous favorisons la création d'institutions nationales ou d'ONG spécialisées dans la défense des droits de l'homme.

Nous proposons des programmes d'assistance électorale dont de nombreux pays ont déjà bénéficié. Nous encourageons l'investissement et prônons les principes d'une saine concurrence. Nous insistons sur les avantages d'une administration intègre et responsable.

Cette expérience que nous avons acquise au plan national, je suggère que nous l'appliquions à l'échelle internationale. Je crois que, maintenant que nous avons pris conscience de l'importance de mettre en place des institutions crédibles à l'intérieur des Etats, nous devons redoubler d'efforts pour élaborer un ensemble de normes propres à régir les relations entre les Etats.

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Je crois que, puisque nous savons désormais que certaines forces interviennent à l'échelle planétaire sans que nous en ayons la maîtrise, nous devons nous efforcer de concevoir des mécanismes et des structures qui, au niveau mondial, nous permettent d'en contrôler les effets.

Je crois que la bonne gouvernance est aujourd'hui un enjeu pour le monde entier.

Mon propos n'est pas de prôner l'instauration d'un gouvernement mondial mais, bien plutôt, d'inviter toutes les nations à réfléchir ensemble aux règles qui doivent régir les relations entre entités souveraines.

Cette démarche ne doit pas servir de prétexte aux gouvernements pour relâcher les efforts qui sont faits au niveau national; au contraire, elle doit inciter les pays à se doter de politiques solides qui puissent ensuite guider l'action menée sur le plan international.

La mondialisation oblige les Etats à coopérer pour faire face aux menaces qui les concernent tous; elle les oblige à dépasser leurs différences économiques, politiques et culturelles pour travailler ensemble à des buts communs. Car c'est ensemble, en évaluant de façon concertée les mesures mises en oeuvre par tel ou tel gouvernement pour désamorcer un conflit naissant, qu'ils pourront parvenir à gérer ou éviter des crises régionales. Ensemble, ils peuvent entreprendre de nouvelles recherches, mettre au point de nouvelles technologies et les diffuser, ou encore élaborer des dispositifs internationaux pour parer les effets déstabilisateurs des crises financières qui s'étendent à plusieurs marchés.

Mais, en dernière analyse, aucun pays ne saurait se passer de la protection qu'offrent des politiques internes prudentes et souples. Le raisonnement vaut dans les deux sens : si la bonne gouvernance mondiale commence à l'intérieur de chaque pays, elle favorise en retour la mise en place des normes, des politiques et des institutions aux niveaux national et local, et contribue à leur renforcement.

L'objectif est de créer un environnement favorable à la croissance et à la prospérité auxquelles chaque être humain aspire.

La bonne gouvernance est l'oeuvre de gens compétents. La fonction publique a, aujourd'hui plus que jamais, besoin d'individus dévoués et talentueux. Or, les motivations sont insuffisantes. Certes, les organismes du système des Nations Unies et les administrations nationales ont la chance de compter dans leurs rangs des individus exceptionnels. Dans de nombreux pays, cependant, les meilleurs tendent de plus en plus à se détourner des carrières de la fonction publique au profit du secteur privé, du monde des affaires ou de la société civile.

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De cette dernière sont d'ailleurs issues des personnalités véritablement remarquables. Sans Jody Williams, Coordonnatrice de la Campagne internationale pour l'interdiction des mines terrestres, nous ne serions pas ici aujourd'hui pour signer ce traité interdisant la production, le transfert, le stockage et l'emploi des mines antipersonnel. Mme Williams a mené son action en étroite liaison avec, d'un côté, plus d'un millier d'organisations non gouvernementales partout dans le monde et, de l'autre, des gouvernements comme le vôtre, et cette collaboration est un modèle du genre. Je voudrais aussi saluer l'esprit d'initiative et le courage de Lloyd Axworthy qui, au début, a prêché dans le désert.

Sans les efforts de ces personnes, efforts qui, nous pouvons le dire maintenant, ont porté leurs fruits, on continuerait sans aucun doute à poser ces armes effroyables par millions pour qu'un jour ou l'autre elles tuent ou mutilent des femmes et des enfants innocents.

On dit — à juste titre — à propos de Mme Williams qu'il suffit d'une personne courageuse pour constituer une majorité. Mais pourquoi n'existe-t-il donc pas davantage de Jody Williams au sein de la fonction publique? La raison est simple : de nos jours, les gouvernements, quels qu'ils soient, sont souvent considérés avec scepticisme, voire méfiance. On les trouve inefficaces ou inadaptés. On les accuse d'incompétence, et même de corruption. En un mot, on estime trop souvent que la fonction publique ne répond pas aux besoins de la population.

Et c'est là, comme je le disais au début, que réside le vrai danger. En effet, lorsqu'une société, un Etat ou un système est incapable de résoudre de façon constructive les problèmes auxquels il est confronté, lorsque le fossé grandit entre ses capacités et ce que la population en attend, alors sa crédibilité même est rapidement mise en doute.

Notre mission, par conséquent, n'est pas seulement de convaincre des gens talentueux et courageux que, s'ils choisissent la fonction publique, leur action contribuera à faire changer les choses; il s'agit aussi de leur faire comprendre que, sans eux, il n'y aura jamais de bonne gouvernance.

L'ONU dispose de nombreux outils pour travailler à l'instauration de la bonne gouvernance. Je viens d'évoquer devant vous certains domaines auxquels plusieurs composantes du système des Nations Unies consacrent leurs activités principales. J'ai par ailleurs, comme vous le savez, entamé une révolution silencieuse qui consiste à réformer l'Organisation pour qu'elle soit plus en phase avec les changements que connaît la planète.

L'Assemblée générale a désormais approuvé dans son intégralité le premier volet du plan de réformes que j'ai proposé au mois de juillet; elle discute actuellement du deuxième volet. Il s'agit de propositions qui visent à renouveler et revitaliser le système des Nations Unies, afin qu'il soit mieux armé pour remplir les missions dont j'ai parlé. Je dois à cet égard remercier M. Maurice Strong, Canadien et Coordonnateur de la réforme de l'ONU, à qui je suis grandement redevable.

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Pratiquement tous les départements et toutes les activités des Nations Unies seront concernés par ces réformes, qui entrent dans le cadre de mon mandat en tant que Secrétaire général.

Que ce soit le Programme des Nations Unies pour l'environnement ou celui pour le développement, le Bureau de contrôle des drogues et de la prévention du crime ou le Fonds des Nations Unies pour l'enfance, ces organismes sont vos outils. Utilisez-les, améliorez-les, affinez-les. Ils ont besoin de bons artisans, de penseurs audacieux, de volontés fortes pour fonctionner, et pour nous permettre de maintenir l'univers sur la voie de la paix et de la stabilité, quelles que soient les tempêtes qui le menacent à l'avenir.

Peut-être me l'avez-vous déjà entendu dire : aucun gouvernement, aussi puissant soit-il, n'y parviendra seul. L'ONU n'a pas non plus cette faculté. C'est sur vous tous que je compte, vous qui êtes réunis ici ce soir, parce que c'est ensemble que nous pouvons vraiment changer les choses.

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