SG/SM/6404

LE REFUS DU CONGRÈS D'ACQUITTER SES ARRIERES DE CONTRIBUTION SOULÈVE UN CERTAIN NOMBRE DE QUESTIONS TROUBLANTES AU SUJET DES ETATS-UNIS

4 décembre 1997


Communiqué de Presse
SG/SM/6404


LE REFUS DU CONGRÈS D'ACQUITTER SES ARRIERES DE CONTRIBUTION SOULÈVE UN CERTAIN NOMBRE DE QUESTIONS TROUBLANTES AU SUJET DES ETATS-UNIS

19971204 On trouvera ci-après le texte d'une allocution sur "l'ONU de demain" que le Secrétaire général, M. Kofi Annan, prononcera ce soir à la Woodrow Wilson School of Public and International Affairs de l'Université de Princeton.

C'est pour moi un véritable plaisir que d'être ici ce soir parmi vous, dans ce prestigieux centre d'enseignement supérieur. Un dialogue animé s'est déjà engagé entre nos institutions respectives. Pas plus tard que la semaine dernière, le doyen Rothschild a été convié à un petit déjeuner organisé à l'ONU à l'intention des doyens de facultés d'études internationales. Nous avons examiné ensemble les moyens de nous adresser directement à la prochaine génération de dirigeants et de citoyens du monde et de l'éduquer, et je suis reconnaissant aux doyens de leur appui et des conseils qu'ils ont bien voulu me prodiguer.

De Princeton sont issus au fil des années un nombre impressionnant de lauréats du prix Nobel — physiciens, spécialistes de la biologie moléculaire, mathématiciens, etc. Avec les autres prix Nobel du monde entier, ces lauréats constituent nos ressources intellectuelles les plus précieuses. Ils sont nombreux d'ailleurs, notamment dans le domaine économique, à avoir travaillé pour les Nations Unies à un moment ou à un autre de leur carrière.

J'ai récemment écrit à tous les lauréats du prix Nobel pour leur demander si je pouvais de temps à autre faire appel à eux lorsque nous avons besoin de conseils et de suggestions. J'espère que Philip Anderson, professeur au département de physique de Princeton, ne m'en voudra pas de le mettre sur la sellette en révélant qu'il a été parmi les premiers à me répondre. Il s'est déclaré disposé à me venir en aide, et a comparé nos deux métiers en se livrant à une boutade amusante. Les scientifiques ont souvent raison, a-t-il dit, mais seulement à la longue, tandis que l'art de la politique, c'est d'avoir raison au bon moment, et au bon moment seulement!

En tant que Secrétaire général et, en particulier, alors qu'approche le premier anniversaire de mon entrée en fonctions, je sais combien il importe d'agir au bon moment.

J'ai pris mes fonctions avec en tête une image de l'ONU de demain : je la voyais revitalisée, transformée pour mieux servir l'humanité.

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Je savais que l'Organisation devrait repenser certaines notions qui avaient fait long feu, moderniser ses pratiques et revoir ses priorités, afin de les adapter à l'évolution des besoins en cette nouvelle ère de l'histoire du monde. En même temps, j'étais fier de ses nombreux succès et bien conscient de la nécessité de faire fond sur ces acquis.

Comme les années précédentes, la communauté internationale a en 1997 maintes fois fait appel à l'Organisation des Nations Unies pour résoudre différents problèmes de portée mondiale.

Alors que la rébellion faisait rage dans l'ex-Zaïre, les agents des organismes de secours ont apporté une aide d'urgence aux réfugiés et aux personnes déplacées; des émissaires des Nations Unies ont facilité la passation pacifique des pouvoirs; et les spécialistes de l'ONU en matière de droits de l'homme ont été appelés à la rescousse pour tenter de faire la lumière sur les allégations faisant état d'atrocités et autres violations.

Alors que le conflit continuait de déchirer un Afghanistan déjà dévasté, on a demandé à l'ONU d'aider à atténuer les souffrances de la population et de protéger les droits des femmes et des filles soumises à des restrictions et harcelées exclusivement en raison de leur sexe. Nous avons également fait une nouvelle tentative pour débarrasser le pays des cultures de stupéfiants.

De même, lorsque l'Iraq a recommencé de faire obstacle aux activités des inspecteurs des Nations Unies, l'ONU s'est trouvée au centre des efforts déployés au niveau multilatéral pour obtenir de ce pays qu'il respecte les résolutions du Conseil de sécurité. Je tiens à vous rappeler que la Commission spéciale a détruit plus d'armes que ne l'avait fait la guerre du Golfe. Seule l'Organisation des Nations Unies pouvait avoir la légitimité et l'autorité requises pour parvenir à tel résultat.

Ces crises et conflits, tristes témoignages du goût des hommes pour la guerre et les effusions de sang, n'ont cessé de jalonner l'histoire de l'ONU et montrent à quel point elle conserve toute son utilité.

Mais, au cours de l'année écoulée, on a observé à l'ONU quelque chose d'entièrement nouveau : un mouvement de réforme sincère et résolu. Il s'agit en quelque sorte d'un contre-phénomène qui témoigne, lui, de la ténacité de l'espoir au coeur de l'homme.

La réforme repose sur la conviction que l'ONU doit être plus cohérente, plus souple et plus homogène pour s'acquitter des tâches de plus en plus complexes que les Etats Membres lui confient. Le monde change et l'Organisation mondiale doit changer avec lui.

Dès mon entrée en fonctions, j'ai entrepris un examen en détail de nos activités. J'ai commencé à apporter un certain nombre de modifications à la façon dont nous organisions notre travail et nous acquittions de nos responsabilités.

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En juillet, j'ai présenté à l'Assemblée générale un programme de réformes et de renouveau qui renfermait les mesures les plus vastes et les plus ambitieuses jamais envisagées durant les 52 années d'existence de l'Organisation. Les Etats Membres ont examiné de très près ce programme.

Il y a à peine 12 jours, un fait est passé quasiment inaperçu au milieu du fracas causé par l'affrontement entre l'Iraq et le Conseil de sécurité : l'Assemblée générale a adopté une résolution dans laquelle elle a approuvé l'intégralité de la première partie de mon plan, c'est-à-dire les mesures qui relèvent de ma compétence.

L'adoption de cette résolution revêt une importance historique pour l'Organisation et ce, pour diverses raisons, dont la moindre n'est pas que nous nous sommes montrés capables de nous réformer.

J'ai le plaisir de vous rappeler que l'an prochain, le budget de l'Organisation connaîtra à nouveau une croissance nulle. Les effectifs auront baissé de 25 % par rapport à il y a 13 ans. Les départements dont les activités et les mandats se chevauchaient ont été fusionnés. Les dépenses d'administration ont été réduites d'un tiers.

Mais la réforme de l'ONU représente bien plus que la somme de ces économies.

Les économies réalisées sur le plan administratif doivent constituer un dividende pour le développement. Nous intensifions notre lutte contre les trafiquants de drogues, ceux qui se livrent au blanchiment de l'argent, les criminels et les terroristes — forces insidieuses sur lesquelles repose ce que j'appelle la "société incivile".

Un code de conduite a été élaboré afin que les fonctionnaires des Nations Unies adhèrent aux normes de conduite les plus élevées. Nos relations avec le secteur privé prenant une importance croissante, nous nous doterons d'un centre de coordination qui nous permettra de tirer meilleur parti dans l'intérêt de tous des vastes ressources qu'offrent le commerce et l'industrie.

J'ai mis en place une nouvelle structure de direction et de gestion, et créé un conseil de direction qui se réunit toutes les semaines pour améliorer la coordination et favoriser la consultation. Grâce aux nouvelles technologies, notamment à la technique de la téléconférence, des collègues en poste à Genève, Vienne ou ailleurs peuvent participer à ces réunions.

Les Etats Membres examinent actuellement diverses autres mesures qui ne peuvent être prises sans leur accord.

J'ai proposé de créer un poste de Vice-Secrétaire général.

J'ai demandé que toutes les activités nouvelles fassent l'objet d'une clause-couperet.

- 4 - SG/SM/6404 4 décembre 1997

J'ai recommandé d'établir un budget fondé sur les résultats, ce qui permettrait de remédier aux inconvénients de la microgestion sans sacrifier pour autant la performance et l'obligation de rendre compte.

J'ai également suggéré qu'une commission examine les moyens d'améliorer la cohérence du système élargi des institutions spécialisées — chacune de ces institutions étant actuellement responsable devant son propre organe directeur.

Cette commission ferait rapport à l'Assemblée du nouveau millénaire en l'an 2000, lors d'une session extraordinaire au cours de laquelle les chefs de gouvernement pourraient dire comment ils voient les perspectives qui s'ouvrent et les problèmes qui se posent à l'orée du XXIe siècle et au-delà. Pour bien montrer combien je suis très attaché à la participation populaire, j'ai proposé qu'un Forum du millénaire réunisse parallèlement les représentants des organisations non gouvernementales et des organismes de la société civile.

Ce ne sont là que quelques-unes des mesures qui permettent à l'ONU d'aller de l'avant. Considérées comme un tout, elles soutiennent avantageusement la comparaison avec n'importe quelle autre réforme entreprise à ce jour par un organisme du secteur public, où que ce soit. Elles servent les intérêts des peuples dans le monde entier — y compris aux Etats-Unis.

Les avantages que présentent l'ONU pour les Etats-Unis sont évidents. Ils l'ont toujours été. Mais je ne vous demande pas de me croire sur parole.

En août 1996, un groupe d'experts venus de tous les horizons de l'opinion politique américaine, parrainé par le Council on Foreign Relations et le financier philanthrope George Soros, est parvenu à la conclusion que l'ONU avait bien servi les intérêts des Etats-Unis chaque fois que le président des Etats-Unis avait adopté une position ferme et bien définie.

Le Secrétaire d'Etat Madeleine Albright a dit elle-même à la Sous-Commission des crédits du Sénat que l'ONU et les autres organisations internationales "contribuaient de bien des manières et dans de bonnes conditions d'économie et d'efficacité, à la sécurité, à la prospérité et à la sûreté des Etats-Unis".

Mais au-delà des considérations pragmatiques comme le partage des charges et la légitimité, il existe une affinité entre nos valeurs fondamentales — un lien essentiel qui s'est forgé dès l'origine de l'ONU lorsque le Président Roosevelt a appelé à la création d'un instrument de progrès commun à l'échelle mondiale.

C'est là une des principales raisons pour lesquelles le refus du Congrès de voter l'octroi de crédits pour acquitter les arriérés m'a autant consterné.

- 5 - SG/SM/6404 4 décembre 1997

Bien entendu le vote portait sur une question de politique intérieure sans rapport avec l'Organisation. Il s'agissait de l'avortement. Autrement dit, la loi concernant l'ONU n'a pas été examinée pour elle-même. Nous avons servi de monnaie d'échange dans une partie où l'on jouait gros. Nous méritons mieux que cela, surtout en ce moment.

Au moment où l'ONU relève le défi de la réforme, où elle donne une nouvelle fois sa mesure en faisant face à la menace que fait peser l'Iraq sur la paix et la sécurité internationales, le contraste troublant entre ce que les Etats Membres attendent de l'Organisation et les moyens qu'ils lui donnent est particulièrement frappant.

En fait, et bien qu'il s'agisse d'argent, le message du Congrès présente indubitablement un caractère politique. Qu'on ne s'y trompe pas, la question n'est pas de savoir si les Etats-Unis font confiance aux Nations Unies ou non; ce sujet-là a été rebattu à l'envi.

Non, c'est des Etats-Unis eux-mêmes qu'il s'agit : l'inertie du Congrès soulève en effet des questions troublantes. La volonté d'être la première puissance mondiale ferait-elle peu à peu défaut à Washington, au moment même où nombre de pays attendent des Etats-Unis qu'ils jouent un rôle de chef de file? Les Etats-Unis douteraient-ils des multiples avantages qu'offre la coopération multinationale au moment même où ils recherchent une telle coopération face à l'Iraq? Envisageraient-ils de renoncer à promouvoir la liberté, la démocratie, la croissance et l'avènement d'un avenir meilleur, causes dont ils se sont pourtant faits les champions?

En cette ère de mondialisation, les Etats-Unis ont besoin de l'ONU et l'ONU a besoin des Etats-Unis. Cette relation est l’une des plus importantes qu'il soit à l'heure actuelle.

Je sais que le Président Clinton et son gouvernement sont quant à eux fermement résolus à appuyer l'Organisation et les réformes que j'ai entreprises. J'ai toute raison de croire que la situation se redressera rapidement.

En attendant, l'ONU est confrontée à ce qui pourrait bien être la plus grave crise de trésorerie de son histoire. Le milliard de dollars que Ted Turner nous a promis sera d'un grand secours. Mais ce cadeau généreux ne changera rien à la situation et ne saurait en aucun cas dégager les Etats Membres de leur responsabilité financière vis-à-vis de l'Organisation.

C'est pourquoi j'ai prié l'Assemblée générale de me donner d'urgence son avis sur les deux points suivants : comment faire en sorte que les Etats Membres versent ponctuellement leur quote-part? Faut-il continuer à financer des activités inscrites au budget ordinaire à l'aide des ressources allouées aux opérations de maintien de la paix?

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On pourrait recourir à diverses mesures d'incitation ou de pénalisation pour accélérer les mouvements de trésorerie. Il ne s'agit pas de recommandations que j'ai faites à l'Assemblée générale mais d'idées avancées par des Etats Membres. Certains proposent par exemple de réduire le montant de la contribution des pays qui versent l'intégralité de leur quote-part dans les délais prescrits.

Pensant que des mesures de pénalisation seraient plus efficaces, d'autres proposent d'appliquer de façon plus rigoureuse la disposition de la Charte, en vertu de laquelle un État Membre ayant deux années de retard dans le paiement de sa contribution ne peut pas participer au vote à l'Assemblée générale.

Nous pourrions également envisager de faire payer un intérêt aux Etats débiteurs. Nous pourrions cesser provisoirement d'engager leurs nationaux. Nous pourrions décider de ne plus y effectuer d'achats.

D'autres encore font valoir que l'ONU devrait pouvoir emprunter auprès de la Banque mondiale ou d'autres institutions financières.

Dans mon plan de réforme, je propose de créer un fonds d'avances renouvelables, financé par des contributions volontaires ou par d'autres moyens, dans lequel l'Organisation pourrait puiser en cas de besoin.

Toutes ces mesures prêtent à controverse; certaines soulèvent des points de droit, risquent d'être incompatibles avec la Charte et peuvent même se révéler contre-productives. Si j'en fais état, c'est uniquement pour vous donner une idée de la teneur du débat en cours.

À l'heure actuelle, nous finançons nos dépenses ordinaires à l'aide du budget des opérations de maintien de la paix. C'est imprudent dans le meilleur des cas, et cela nous met dans l'impossibilité de rembourser les pays qui fournissent des contingents. C'est en fait grâce à la patience dont fait preuve ce groupe de pays — bien souvent des pays en développement pauvres — que nous survivons aux difficultés de trésorerie causées par les retards de paiement des principaux contribuants. Le fait que les Etats-Unis bénéficient en réalité d'un prêt non rémunéré qui leur est consenti par le Bangladesh, Fidji, le Ghana et le Népal ne manque pas d'ironie.

Mais l'ONU ayant réduit ses opérations de maintien de la paix, même ces ressources viennent à épuisement. Il va donc falloir que les choses changent.

L'ONU a besoin de l'appui de ses Etats Membres et de leurs critiques constructives. C'est dans cet esprit que j'ai élaboré mon plan de réforme, un esprit de partenariat honnête et d'engagement commun au service d'une mission véritablement mondiale.

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J'ai dit qu'il s'agissait d'une révolution silencieuse, mais l'heure est venue de faire aussi parler de nous, de mentionner les nombreux succès que nous avons remportés au fil des années, nos initiatives en faveur du développement, la protection de l'environnement, les droits de l'homme et d'autres causes humanitaires, qui représentent 80 % de nos activités. Il est temps aussi de proclamer que nous sommes fermement résolus à tirer tout le parti possible, au sens le plus large du terme, des possibilités fantastiques offertes par notre époque.

Un autre lauréat du prix Nobel qui enseignait à Princeton, je veux parler d'Albert Einstein, a dit un jour que la crainte de la bombe atomique pourrait avoir pour conséquence positive de contraindre l'humanité à mettre de l'ordre dans ses affaires internationales. Mais nous avons toujours peur de la bombe atomique, et pourtant nous n'avons toujours pas mis nos affaires en ordre.

À mon avis, ce sera peut-être l'ONU de demain, laquelle n'aura pourtant ni le désir ni les moyens de contraindre l'humanité à quoi que ce soit, qui lui permettra de réaliser ses aspirations les plus nobles à la paix, à la justice et au bien-être. Je suis résolument attaché à cette cause. Je sais que je peux compter sur votre aide.

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