SG/SM/6368

LE PRINCIPE DIRECTEUR DE LA REFORME DES NATIONS UNIES CONSISTE À CANALISER LES RESSOURCES DANS L'INTERET COMMUN, EXPLIQUE LE SECRETAIRE GENERAL

29 octobre 1997


Communiqué de Presse
SG/SM/6368


LE PRINCIPE DIRECTEUR DE LA REFORME DES NATIONS UNIES CONSISTE À CANALISER LES RESSOURCES DANS L'INTERET COMMUN, EXPLIQUE LE SECRETAIRE GENERAL

19971029 On trouvera ci-après le texte d'une déclaration que le Secrétaire général, M. Kofi Annan doit prononcer le 20 octobre devant le Chicago Council on Foreign Relations :

Merci, Monsieur le Président, de m'avoir si aimablement présenté. Je tiens tout d'abord à dire le plaisir que j'éprouve à me trouver parmi vous et à m'adresser à un auditoire aussi distingué. J'estime en effet très important d'expliquer le rôle et le but de l'ONU à un public aussi vaste que possible et j'espère avoir l'occasion de le faire plus souvent. Je suis donc enchanté d'avoir été invité par votre organisation auguste et respectée, au coeur de l'Amérique.

Les poètes ont appelé votre ville "la reine de l'Ouest", "la ville des grandes visions, à l'avant-garde du combat pour la liberté" et, surtout peut-être, "la ville des hommes aux larges épaules".

À un niveau plus personnel, le jumelage de Chicago avec Accra, la capitale de mon pays, le Ghana, revêt une grande signification à mes yeux.

Je n'en suis que plus honoré de m'adresser à vous à l'occasion du soixante-quinzième anniversaire du Conseil, qui fait de votre organisation l'aînée de l'ONU, de 23 ans. J'espère que les enseignements que je tirerai des échanges que j'aurai avec vous ce soir s'inscriront dans un dialogue long et fructueux, celui du Secrétaire général avec la société civile dont j'ai fait l'une de mes missions.

J'occupe le poste de Secrétaire général depuis maintenant 10 mois. Durant cette période, je me suis attaché à susciter une révolution tranquille qui vise à réformer l'Organisation, ce que j'estime souhaitable et nécessaire. Vous êtes certainement au courant du débat qui s'est ouvert sur les objectifs et les recommandations de mon programme de réforme.

Le processus de réforme répond au même souci que toutes les activités de l'ONU : canaliser les ressources des Nations Unies de façon qu'elles servent concrètement l'intérêt commun des nations. Je voudrais vous donner ce soir quelques exemples de nos activités sur le terrain. Qu'elles aient trait aux droits de l'homme, à l'assistance électorale, au déminage, au maintien de la paix ou à la lutte contre la criminalité organisée, elles ont toutes en commun d'être utiles non seulement pour les pays où elles sont menées mais pour l'humanité tout entière.

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Je commencerai par une question qui nous concerne tous en tant qu'êtres humains : il s'agit des droits de l'homme. Le monde change. Les techniques modernes, les communications et l'ouverture des frontières entraînent des mouvements et des échanges d'idées à une échelle sans précédent. Les nations qui refusent de se conformer aux principes fondamentaux qui sont à la base d'un comportement acceptable ne peuvent plus se cacher derrière leurs frontières.

Il est donc d'autant plus urgent de donner une expression concrète à l'engagement des Nations Unies en faveur des droits de l'homme.

Pendant plusieurs décennies, les activités de l'ONU dans le domaine des droits de l'homme ont surtout consisté à poser des normes et des règles. Dans l'ensemble, ce travail a abouti.

Au cours des années 90, on est passé du normatif à l'application concrète. Nous sommes actuellement à l'oeuvre dans plus de 10 pays répartis sur quatre continents. Des spécialistes des droits de l'homme accompagnent souvent les opérations de maintien de la paix. Nous fournissons des services consultatifs destinés à renforcer le pouvoir judiciaire. Des rapporteurs spéciaux enquêtent sur la torture, le travail des enfants, la prostitution enfantine, l'intolérance religieuse et la violence à l'égard des femmes.

Je suis fier d'annoncer que le personnel de l'ONU au service des droits de l'homme est désormais plus nombreux sur le terrain qu'au Siège.

Enfin, l'ONU est une autorité mondiale dans le domaine des droits de l'homme. Je suis ravi que Mme Robinson, ancienne présidente de l'Irlande, soit devenue notre Haut Commissaire aux droits de l'homme. Sa personnalité unique, qui allie autorité, détermination et sensibilité, faisait d'elle une candidate toute désignée pour ce poste.

Les questions de démocratisation et de bonne gestion des affaires publiques vont de pair avec celles des droits de l'homme. On tend de plus en plus à poser en principe de par le monde que les coups d'état militaires perpétrés par des juntes autoproclamées contre des gouvernements élus ne sont tout simplement pas acceptables. Le Conseil de sécurité a imposé récemment des sanctions à l'encontre des dirigeants du Sierra Leone, appuyant ainsi la ferme position adoptée par la région et par l'Organisation de l'unité africaine.

Le vent de démocratisation qui souffle sur la planète a apporté à l'ONU un nombre sans précédent de demandes d'assistance électorale : pas moins de 80 au cours des cinq dernières années. L'Organisation aide des équipes d'observateurs internationaux à évaluer la légitimité d'un processus électoral et de son résultat. Dans plusieurs pays elle guide, contrôle, et parfois même, organise des élections.

Certes l'assistance électorale contribue à consolider la paix mais cette activité tournée vers l'avenir impose aussi de panser les blessures du passé. L'une des séquelles les plus tangibles des guerres modernes tient en deux mots : les mines terrestres. Longtemps après l'extinction des conflits, ces

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armes abominables guettent en silence le moment où elles pourront tuer ou amputer des victimes civiles innocentes — souvent des femmes et des enfants qui ne se doutent de rien.

Couronnement du processus d'Ottawa, l'accord conclu à Oslo en septembre dernier interdit la fabrication, la production, le stockage et l'utilisation de mines terrestres.

Je me félicite que la Campagne internationale pour l'interdiction des mines terrestres, qui est à l'origine du processus, ait reçu le prix Nobel de la paix cette année.

La patience et la persévérance qui sont déployées pour déminer resteront néanmoins nécessaires dans les années à venir car les mines se comptent par millions.

Dans certains pays, les explosions font des ravages tels que chaque famille — je dis bien, chaque famille — compte une victime, morte ou estropiée, d'une mine ou d'un engin non explosé. En Angola, aucun spécialiste digne de ce nom ne saurait donner une estimation, fût-elle approximative, du nombre de mines posées durant les 25 années qu'a duré le conflit. La raison en est simple : les protagonistes eux-mêmes n'en savent rien.

Dans plusieurs pays, l'ONU collabore avec des organisations non gouvernementales et des organismes locaux pour déminer certes, mais aussi pour apprendre à la population, en particulier aux enfants, comment se comporter face à des explosifs. Nous utilisons pour cela, à titre d'auxiliaires pédagogiques, des spectacles de marionnettes ou des troupes itinérantes. Le but à long terme est de mettre en place une capacité locale de déminage dans le pays en question.

J'aborderai à présent un tout autre problème : le crime organisé. Chicago a connu ce fléau de près dans le passé; jugulé ici depuis longtemps, il se manifeste dans le reste du monde de manière de plus en plus évidente depuis la fin de la guerre froide. Alors que les frontières sont chaque jour plus poreuses, les trafiquants de drogue, les blanchisseurs d'argent et les terroristes représentent une menace nouvelle et insidieuse.

Cette année, nous avons rassemblé les diverses activités que nous menons pour lutter contre cette menace sous un même toit : le Bureau du contrôle des drogues et de la prévention du crime à Vienne, à la tête duquel j'ai nommé l'un des grands experts mondiaux du domaine, l'ancien sénateur italien, Pino Arlacchi.

L'une des priorités de M. Arlacchi est d'adopter une approche intégrée de la lutte contre la drogue car, comme il me l'a expliqué, dans la réalité, il n'y a pas de frontière claire entre le crime organisé et le trafic de drogue.

Chers amis, outre l'anniversaire de votre organisation, je tiens à mentionner ce soir un autre anniversaire, celui du drapeau de l'ONU, qui a été

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créé il y a 50 ans aujourd'hui. À l'heure actuelle, ce drapeau flotte sur 15 missions de maintien de la paix, de la Géorgie à l'Angola, de Haïti au Liban. Plus de 22 000 soldats et civils servent sous cette bannière.

Maintenir et rétablir la paix et la sécurité est l'un des buts principaux de l'ONU. Au fil des ans, les casques bleus sont devenus un symbole mondial de paix et d'espoir. Depuis peu, le maintien de la paix déborde de son cadre traditionnel qui le cantonnait essentiellement à des zones démilitarisées ou à la surveillance des cessez-le-feu.

Aujourd'hui, le personnel de maintien de la paix, qu'il soit militaire ou civil, peut tout aussi bien être appelé à surveiller des élections, défendre les droits de l'homme, protéger des cargaisons d'assistance humanitaire ou aider à reconstruire des routes et des ponts.

La paix a cela de commun avec la santé que, bien souvent, nous ne prenons conscience de son prix qu'en la perdant. Plus nous pourrons intervenir rapidement dans les crises, mieux cela vaudra. Plusieurs Etats Membres sont en train de mettre sur pied des unités militaires qui pourraient être déployées sans retard à la suite d'une décision du Conseil de sécurité. Certains de ces pays constituent une brigade d'intervention rapide. Nous espérons que, grâce à cela, il ne faudra plus attendre des mois pour déployer une mission sur le terrain.

Parmi les pays qui se sont proposés pour la brigade d'intervention rapide, nombreux sont ceux qui fournissent depuis longtemps du personnel pour le maintien de la paix. Un ressortissant sur 100 de l'un de ces pays, la Norvège, a participé à une mission de maintien de la paix de l'ONU.

Mesdames et Messieurs, j'ai essayé de vous donner une idée de ce que nous faisons dans la pratique pour régler des problèmes qu'aucun gouvernement, quelle que soit sa puissance, ne peut régler seul; des problèmes qui affectent tous les individus, tous les pays et tous les gouvernements, parce qu'ils affectent l'humanité tout entière.

Je ne peux terminer ce discours sans mentionner la question du financement. Le Président Clinton a promis dans son discours à la cinquante-deuxième session de l'Assemblée générale, le mois dernier, de continuer à militer auprès du Congrès pour que la contribution des Etats-Unis soit versée dans son intégralité.

Le montant dû par les Etats-Unis s'élève à 1,4 milliard de dollars. Ce n'est certes pas une somme négligeable mais je vous demande de réfléchir un instant à ce qu'elle représente pour un grand pays comme le vôtre : il en coûterait moins de six dollars par habitant pour rembourser une dette accumulée pendant plus d'une décennie.

Ce montant représente un trajet de métro à Chicago pour une famille américaine typique de quatre personnes.

Il est également important de comprendre que l'essentiel du montant en question est dû par l'ONU à des pays qui ont fourni des troupes pour le

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maintien de la paix, dans la plupart des cas, des pays pauvres, comme le Bangladesh, Fidji et la Tunisie. Nous ne pouvons les rembourser que si des pays comme les Etats-Unis versent leur dû. C'est pour eux, et pour l'ONU que je vous demande d'appeler votre représentant au Congrès ou votre sénateur. J'espère qu'il n'y en a pas dans cette salle, car je n'avais pas l'intention de froisser qui que ce soit.

Les Etats-Unis ont été parmi les premiers à exiger une réforme de l'ONU. Il y a bien sûr parmi les détracteurs de l'Organisation, des individus que nous ne pouvons espérer jamais contenter; ils semblent avoir embrassé le dénigrement de l'ONU pour carrière; ils hurlent "réformez-vous ou disparaissez", et je présume qu'aucune réforme ne leur suffira jamais.

Mais, comme le souligne le programme de réforme, nous devons réagir aux critiques dans un esprit positif et c'est ce que nous faisons. L'ONU a connu les meilleurs moments de son histoire lorsqu'elle essayait de progresser par l'innovation, que ce soit sur le terrain ou au Siège, en temps de paix ou en temps de guerre. L'objectif de la réforme est de rendre l'ONU plus active, plus rapide, plus souple, dans les domaines que j'ai évoqués ce soir et dans bien d'autres encore. En bref il s'agit de rendre l'ONU performante dans un monde bien réel en constante évolution.

Je voudrais conclure en vous rappelant ce que l'un de mes prédécesseurs a déclaré ici il y a 37 ans.

Lorsque Dag Hammarskjöld a prononcé ces mots à l'inauguration des nouveaux bâtiments de la faculté de droit de l'Université de Chicago, l'ONU avait moins de 15 ans.

"Il se peut qu'une nouvelle génération", a dit Hammarskjöld, "considère avec quelque ironie les résultats de nos efforts actuels. Elle verra nos errements et elle aura du mal à comprendre pourquoi nous n'avons pas mieux vu la voie à prendre."

Cette nouvelle génération, c'est nous. Nous voyons le chemin parcouru depuis Hammarskjöld et celui qui reste à parcourir. Je vous demande instamment de vous engager résolument et j'espère que les générations à venir ne nous reprocheront pas notre action, qu'elles seront convaincues qu'il valait la peine de faire ce que nous faisons et qu'il valait la peine de bien le faire.

Je vous remercie de votre appui.

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