En cours au Siège de l'ONU

SG/SM/6366

C'EST L'IGNORANCE, ET NON LA CONNAISSANCE, QUI DRESSE LES HOMMES LES UNS CONTRE LES AUTRES, DECLARE M. KOFI ANNAN

28 octobre 1997


Communiqué de Presse
SG/SM/6366


C'EST L'IGNORANCE, ET NON LA CONNAISSANCE, QUI DRESSE LES HOMMES LES UNS CONTRE LES AUTRES, DECLARE M. KOFI ANNAN

19971028 On trouvera ci-après le texte de l'allocution prononcée par le Secrétaire général, M. Kofi Annan, à la Conférence de l'Institut des communications à Aspen (Colorado), le samedi 18 octobre :

Je tiens d'abord à remercier mon vieil ami et collaborateur Olara Otunnu de ses paroles si élogieuses. C'est un allié dévoué de l'Organisation des Nations Unies depuis de nombreuses années. Je lui suis particulièrement reconnaissant d'avoir accepté la semaine dernière d'être mon Représentant spécial pour la protection des enfants en période de conflit armé. Cette question mérite toute notre attention et je suis convaincu que, grâce à lui, elle sera traitée comme il convient.

Je suis très heureux d'être parmi vous ce soir à Aspen. Vous venez de passer deux journées passionnantes en la compagnie d'éminentes personnalités, toutes animées de la même volonté d'améliorer le sort du monde. Qu'il s'agisse de l'avenir de l'économie internationale, des valeurs de l'Asie ou du processus de paix au Moyen-Orient, vous avez su expliquer pourquoi le sort du monde est important.

Le sort du monde est important parce que nous ne pouvons plus concevoir que certains puissent s'enrichir indéfiniment alors que d'autres vivent dans la pauvreté. Parce que nous sommes désormais sûrs que de grandes récompenses attendent ceux qui s'efforcent de rapprocher les nations. Parce qu'aucun pays ne peut à lui seul relever les grands défis de notre époque.

L'Organisation des Nations Unies est née de la conviction qu'un jour le monde formerait un tout. Ce jour-là est arrivé. Nul ne le comprend mieux que vous, hommes et femmes, dont l'ambition est de mettre la meilleure information possible à la disposition du plus grand nombre de personnes possible.

C'est d'ailleurs une des personnalités phares de votre profession, mon ami Ted Turner, qui en a donné le meilleur exemple en annonçant qu'il faisait don d'un milliard de dollars à l'Organisation des Nations Unies. Il a aussi promis, soit dit en passant, de presser ses amis de faire de même. J'espère qu'il a tenu promesse.

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Ce que vous faites a transformé le monde et ce nouveau monde a changé la nature de votre travail. En ce sens, Mesdames et Messieurs, nous partageons le même sort.

Le monde actuel offre à l'Organisation des Nations Unies des perspectives que même ses fondateurs n'auraient pu imaginer.

Leur idéal, qu'ils s'étaient forgé en tirant les leçons des guerres mondiales et des conflits idéologiques, a inspiré les espoirs qu'exprime la Charte des Nations Unies.

Mais, pendant la longue période de paralysie de la guerre froide, ils n'auraient pu imaginer qu'un jour des soldats de la paix originaires de tous les continents oeuvreraient ensemble pour contenir les crises, que tous les pays s'accorderaient à reconnaître la nature économique des causes de conflit, que le développement serait considéré comme la condition de la paix, et que la démocratie et les droits de l'homme seraient reconnus comme le fondement de toute société équitable.

C'est pourquoi l'Organisation des Nations Unies est à une période charnière de son existence; c'est pourquoi aussi nous devons réformer notre Organisation et allons le faire, pourquoi nous avons besoin de l'appui et de la confiance de tous les peuples pour pouvoir répondre à leurs aspirations et aborder le XXIe siècle dans les meilleures conditions.

L'Organisation des Nations Unies est aujourd'hui présente dans le monde entier pour y faire régner les conditions d'existence fondamentales : la paix, le développement, un environnement sûr, la sécurité alimentaire, des logements pour tous et de meilleures perspectives d'avenir. Elle s'y emploie non parce qu'elle croit que tous les êtres humains sont identiques, mais parce qu'elle sait qu'ils ont tous besoin de se nourrir, de vivre libres et de compter sur un avenir stable.

Il n'existe pas de modèle unique en matière de démocratie, de droits de l'homme ou d'expression culturelle qui soit applicable à tous les pays. Mais tous devraient garantir la démocratie, l'exercice des droits fondamentaux et la liberté d'expression culturelle. Le génie humain fera en sorte que chaque société, dans le respect de ses propres traditions et de son histoire, consacre et défende ces valeurs. J'en suis convaincu.

C'est pourquoi lorsque je parle des droits de l'homme en Afrique, je parle de "droits africains", c'est-à-dire des droits qui doivent trouver leur expression dans la langue du peuple qu'ils protègent.

Ce ne sont jamais les populations qui se plaignent que les droits de l'homme sont une notion imposée par l'Occident ou le Nord, c'est plus souvent que jamais les dirigeants. Mais la démocratie progresse dans le monde et ces dirigeants ne pourront pas toujours agir à leur guise.

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C'est pourquoi je suis convaincu que ces droits l'emporteront un jour.

Il n'est pas nécessaire d'expliquer ce que signifient les droits de l'homme à une mère asiatique ou à un père africain dont le fils ou la fille a été torturé ou assassiné. Ils le savent malheureusement beaucoup mieux que nous. Ce dont ils ont besoin, et ce que nous devons leur offrir, c'est une conception des droits de l'homme qui ne soit étrangère à personne et innée à tous. Dans chaque culture, qu'elle soit africaine, asiatique ou autre, il existe des traditions de tolérance et ce sont elles qui, à mon avis, constituent le fondement des droits de l'homme.

Lorsque nous parlons de liberté d'expression, de pluralisme ou du droit de vivre à l'abri de la violence, nous parlons de tolérance. Encourager la tolérance, la défendre et la consacrer, c'est garantir toutes les libertés. Sans elle, nous ne pouvons en garantir aucune.

Votre monde, le monde des médias, de l'information et de la connaissance, est au coeur de notre Organisation réformée et de notre lutte pour la tolérance dans le monde entier.

Nous, à l'Organisation des Nations Unies, sommes convaincus que l'information a un immense pouvoir de libération, qui doit être mis au service de la lutte générale pour la paix, le développement et les droits de l'homme.

Nous en sommes convaincus, parce que nous pensons que c'est l'ignorance, et non la connaissance, qui dresse les hommes les uns contre les autres. C'est l'ignorance, et non la connaissance, qui transforme des enfants en combattants. C'est l'ignorance, et non la connaissance, qui conduit certains à préconiser la tyrannie au lieu de la démocratie.

C'est l'ignorance, et non la connaissance, qui amène certains à penser que les conflits sont inévitables. C'est l'ignorance, et non la connaissance, qui amène d'autres à affirmer qu'il y a des mondes multiples, alors que nous savons qu'il n'y en a qu'un : le nôtre.

Dans ce monde qui est le nôtre, les dangers comme les possibilités ne connaissent ni frontière, ni catégorie, ni classe, ni croyance.

Quand le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés aide des hommes et des femmes à fuir un conflit en Afrique centrale, il contribue à empêcher que ce conflit ne s'étende et à en protéger les victimes civiles.

Quand l'Organisation des Nations Unies fournit une aide humanitaire à la République populaire démocratique de Corée, elle empêche aussi la crise de s'aggraver, réduit les tensions et ouvre la voie à la réconciliation et à la paix. Quand elle démine au Cambodge, elle prépare le retour des réfugiés et le début de la reconstruction.

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Quand l'Organisation des Nations Unies forme des policiers et encourage l'intégration en Bosnie, elle garantit un avenir plus juste aux peuples de Bosnie et la stabilité dans l'ensemble des Balkans.

C'est à cette Organisation que je pense lorsque j'entends nos détracteurs parler uniquement de gaspillage et de double emploi.

C'est à cette Organisation que je pense lorsque je vois l'Organisation réformée et renouvelée dont le monde a plus que jamais besoin.

Pour terminer, je voudrais vous parler de Leah Melnick, une jeune Américaine à laquelle je pense aussi lorsque j'entends ceux qui doutent de nos intentions ou déplorent nos faiblesses.

Alors qu'elle n'avait pas encore 30 ans, elle avait déjà travaillé pour le compte de l'ONU au Cambodge, en Croatie et en Bosnie, sans doute trois des pays les plus tourmentés de la planète. Elle y était allée pour promouvoir les droits de l'homme et rétablir la confiance et la sécurité, qui sont la condition d'une paix durable.

Elle était partie sans penser à elle, certaine qu'elle allait contribuer — et de quelle manière — à montrer aux populations éprouvées de contrées lointaines que le monde ne les avait pas oubliées et qu'il se préoccupait de leur sort.

Il y a exactement un mois, Leah Melnick a trouvé la mort dans les montagnes de Bosnie. Elle voyageait avec 11 autres travailleurs humanitaires et représentants de l'Organisation des Nations Unies, qui ont également été tués lorsque leur hélicoptère s'est écrasé et a pris feu.

Ces 12 hommes et femmes originaires de quatre pays et de deux continents s'étaient mis au service du peuple de Bosnie, faisant ainsi honneur à notre humanité et à notre monde — le vôtre comme le mien.

q Ils avaient compris la portée et la profondeur de notre attachement à promouvoir la réconciliation et la reconstruction après les conflits, à rendre la justice lorsque les droits de l'homme sont violés et à favoriser le développement, condition sine qua non d'une paix durable.

C'est pour poursuivre leur oeuvre, pour rendre l'Organisation plus efficace et plus apte à répondre aux besoins de l'humanité et pour réconcilier la théorie et la réalité que nous efforçons de réformer l'Organisation, de l'améliorer de la rationaliser et de la renforcer.

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