SG/SM/6359

APPRÉHENDÉE À LA LUMIÈRE DE L'ÉTHIQUE, L'HISTOIRE PEUT NOUS DONNER LES CLEFS DE L'AVENIR, DÉCLARE LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL À UN DÎNER BIENFAISANCE DONNÉ À NEW YORK

15 octobre 1997


Communiqué de Presse
SG/SM/6359


APPRÉHENDÉE À LA LUMIÈRE DE L'ÉTHIQUE, L'HISTOIRE PEUT NOUS DONNER LES CLEFS DE L'AVENIR, DÉCLARE LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL À UN DÎNER BIENFAISANCE DONNÉ À NEW YORK

19971015 On lira ci-après le texte du discours prononcé le 14 octobre à New York par le Secrétaire général, M. Kofi Annan, lors du quatrième dîner de bienfaisance annuel organisé par la société Lehman Brothers dans le cadre du programme "L'histoire et nous".

Merci, cher Monsieur Appiah, des mots aimables que vous avez eus pour me présenter. Ce n'est pas tous les jours que j'ai le plaisir d'être présenté par un compatriote, Ghanéen comme moi, lors d'un gala à New York. Je suis enchanté, cela va de soi, de me trouver parmi vous ce soir. Lorsque M. Roosevelt m'a proposé de faire un exposé devant cette assemblée choisie, j'ai compris que ce n'était pas une occasion à prendre à la légère car elle m'offre la possibilité de m'adresser à un grand nombre de ceux qui président aujourd'hui ou qui présideront demain aux destinées de la société civile américaine.

Permettez-moi pour commencer de vous dire tout le bien que je pense du programme "L'histoire et nous". L'histoire nous ouvre les portes de l'avenir, car il ne peut y avoir de vision sans un sens de l'histoire. Mais l'histoire ne doit pas être vue à travers une boule de cristal, elle doit être appréhendée à la lumière de l'éthique. C'est dans cet éclairage que je voudrais, ce soir, aborder cet aspect de votre programme, qui a trait aux droits de l'homme et à la contribution que peuvent faire à cet égard les hommes et les femmes qui composent la société civile.

Les Nations Unies sont nées de la résistance au fascisme et au nazisme, de la conviction que seul un effort mené solidairement par les nations permettrait de venir à bout de ces maux. L'horreur inspirée par l'holocauste a fait comprendre aux rédacteurs de la Charte le rôle de premier plan que devaient jouer les droits de l'homme dans un nouveau cadre de paix et de sécurité. La Charte des Nations Unies a conféré pour la première fois une portée universelle à la notion des droits de l'homme. En adoptant la Charte, la communauté internationale a reconnu que tous les membres de la famille humaine avaient des droits égaux. Elle a considéré qu'en signant la Charte, les États s'engageaient à assurer "le respect universel et effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales de tous les êtres humains, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion".

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C'est ainsi que la Déclaration universelle des droits de l'homme a été adoptée en 1948. Pendant près de deux ans, sous la direction d'Eleanor Roosevelt, la Commission des droits de l'homme avait travaillé à élaborer le projet. Au cours de plus de 80 séances tenues au Palais de Chaillot à Paris, l'Assemblée générale avait examiné ce projet, l'avait révisé et avait adopté des amendements. Bien qu'elle ne soit pas un document ayant force obligatoire, la Déclaration des droits de l'homme n'en a pas moins été la première source d'inspiration des efforts déployés par les pays et la communauté internationale pour protéger et promouvoir les droits de l'homme et les libertés fondamentales. Les grands principes de la Déclaration ont inspiré les constitutions de nombreux pays qui ont accédé depuis à l'indépendance.

Conçue comme "l'idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations", la Déclaration est devenue le critère qui permet de vérifier dans quelle mesure les droits de l'homme sont respectés effectivement dans le monde. Le premier article de la Déclaration est rédigé en des termes très simples, je cite : "Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité."

Pour nombre d'entre nous, ce premier article n'a rien perdu de sa force, de sa pertinence et de son importance aujourd'hui par rapport au moment où il a été conçu. Mais pour d'autres, les vérités que nous considérons comme universelles n'ont pas ce caractère. Ceux-là prétendent qu'il appartient à chaque société d'opter pour le système qui lui convient le mieux à un moment donné. Selon eux, la reconnaissance de l'universalité des droits de l'homme représenterait à la fois un empiétement sur leur souveraineté et un ferment de chaos politique et social.

Il est vrai qu'il n'existe pas dans le domaine des droits de l'homme un modèle unique, occidental ou autre, qui s'imposerait comme archétype pour tous les pays en transition. Les droits de l'homme ne se trouvent pas sur les rayons poussiéreux des bibliothèques de droit, ils sont gravés dans les coeurs et les esprits des êtres humains. Mais il ne faut pas qu'il y ait le moindre doute là-dessus : nos comportements sont régis par certaines règles tout à fait essentielles que nul ne peut enfreindre. Les droits fondamentaux de l'homme sont inscrits dans la nature de l'homme, ils sont le tissu même de la vie.

À l'Organisation des Nations Unies et à son Secrétaire général incombe le rôle essentiel de formuler, promouvoir et sauvegarder ces droits. Dans les mois qui ont précédé mon élection, on a beaucoup entendu parler de discipline budgétaire et d'efficacité administrative. Il reste, comme je l'ai dit au moment de prendre mes fonctions, que ce qu'il y a de plus important et que nous ne pouvons jamais perdre de vue, c'est la dimension éthique de notre tâche.

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Prenons par exemple l'Afrique, le continent dont je suis originaire. Il y a quatre mois, lorsque j'ai pris la parole à Harare, au Zimbabwe, devant l'Organisation de l'unité africaine (OUA), le message que je voulais faire passer était tout ensemble difficile et des plus simples. Permettez-moi de vous en exposer ici les grandes lignes. L'Afrique a connu une série de transformations au cours des cinquante dernières années. À la décolonisation et à la lutte contre l'apartheid a fait suite une période marquée, hélas! par des guerres civiles et des coups d'État militaires. À présent, une troisième vague devrait déferler sur l'Afrique, une vague de paix qui lui dispensera les bienfaits de la démocratie et des droits de l'homme.

Il ne saurait y avoir de troisième vague sans la volonté du peuple. Pour ceux d'entre vous qui ne seraient pas au courant, je voudrais rappeler que, pas plus tard que mercredi dernier, le Conseil de sécurité des Nations Unies a pris une initiative sans précédent en exigeant de la junte militaire qu'elle abandonne le pouvoir en Sierra Leone, dans une résolution où il appuie les responsables de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et la détermination fermement exprimée de l'OUA en décrétant des sanctions jusqu'au moment où le gouvernement élu démocratiquement aura été rétabli. On peut voir dans cette résolution une indication de plus que l'Afrique ne tolérera plus que des juntes autoproclamées fomentent des coups d'État militaires contre des gouvernements élus démocratiquement.

Je ne suis pas d'accord avec ceux qui seraient tentés de prétendre que des régimes militaires favorisent la stabilisé et la prévisibilité ou contribuent au progrès économique. En effet, il suffit de voir l'Amérique du Sud, où les militaires ont été renvoyés dans leurs casernes et où l'économie est florissante. Partout dans le monde, les conséquences désastreuses des coups d'État apparaissent de plus en plus, y compris aux yeux de ceux qui les font, dès lors qu'ils deviennent les victimes du coup d'État suivant.

Certains Africains voient dans le souci des droits de l'homme un luxe de riche, qui n'est pas à la portée de l'Afrique, voire un complot fomenté par l'Occident industrialisé. Cette manière de voir me choque, car elle nie l'aspiration à la dignité humaine qui est ancrée dans le coeur de tout Africain. Les mères africaines ne pleurent-elles pas lorsque leurs fils et leurs filles sont massacrés ou torturés par les agents d'un régime tyrannique? Les pères africains ne souffrent-ils par lorsque leurs enfants sont injustement emprisonnés? N'est-ce pas toute l'Afrique qui se sent diminuée lorsque la voix d'un seul de ses enfants est réduite au silence?

Les droits de l'homme ont droit de cité en Afrique, tout comme en Asie, en Europe ou dans les Amériques. Aucun pays, aucun continent n'en a le monopole, car ils sont ce que l'humanité elle-même a de plus précieux.

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Je sais que le programme "L'histoire et nous" s'intéresse aux grandes figures qui illustrent ce que doit être un comportement moral face au mal et à l'injustice et qu'au nombre de ces grande figures votre organisation compte Raoul Wallenberg. J'ai assisté en 1997 à l'inauguration d'un monument à la mémoire de Wallenberg. Ce fut pour moi un moment particulièrement émouvant, comme Secrétaire général de l'ONU et à titre personnel, car Raoul Wallenberg était l'oncle de ma femme. Par sa vie et ses actes, il a fourni une démonstration éclatante du rôle essentiel que peut jouer un spectateur, un tiers plongé au coeur de la tourmente. Par son intervention il a rendu l'espoir aux victimes, il les a encouragées à combattre et à résister, à persévérer et à porter témoignage. Il a éveillé notre conscience collective. Pourtant, la question demeure entière : pourquoi y a-t-il eu si peu de Wallenberg?

Pour d'autres, pour nous tous, pour les générations futures, le témoignage de sa vie devrait être une source d'inspiration et une incitation à l'action. Comme Edmund Burke l'a dit, "Pour assurer le triomphe du mal, il suffit que les hommes de bonne volonté ne fassent rien." Au cours des années à venir, les occasions de "faire quelque chose" ne manqueront pas aux hommes et aux femmes de bonne volonté. Pour marquer le cinquantième anniversaire de la Déclaration des droits de l'homme au mois de décembre de l'année prochaine, 1998 a été proclamée Année des droits de l'homme. Sous la direction éclairée de Mary Robinson, ancienne Présidente de l'Irlande, le Bureau du Haut Commissaire aux droits de l'homme encourage tous les acteurs de la société civile à mobiliser l'attention de la communauté internationale.

À présent que le monde de l'après-guerre froide commence à prendre forme, l'ONU s'intéresse à des domaines et à des problèmes nouveaux face auxquels les pays pris individuellement sont désarmés, comme l'environnement, le développement durable, la criminalité, le terrorisme et la mondialisation. L'ONU aborde ces nouveaux domaines avec de nouveaux partenaires, des citoyens comme vous, des organisations comme "L'histoire et nous" pour réaliser ensemble avec eux des objectifs communs et renforcer sans commune mesure l'action des pays et de l'Organisation elle-même. De tels partenariats avec la société civile vont aller en augmentant.

Aucune activité de la société civile ne revêt autant d'importance que l'éducation, l'enseignement tourné vers l'avenir, et c'est pour cela que des programmes comme les vôtres doivent sans cesse relever le défi du renouvellement. Comme vous, l'ONU n'a de cesse d'encourager l'éducation. Des nombreuses années que j'ai consacrées au service de l'Organisation mondiale, j'ai retiré une conviction : il ne saurait y avoir de stabilité politique sans des citoyens informés, de progrès économique sans une main-d'oeuvre qualifiée ni de justice sociale sans une société éclairée.

L'ONU doit certes contribuer à encourager l'éducation, mais de leur côté, les éducateurs assument aussi certaines responsabilités vis-à-vis de l'Organisation, surtout au moment où certains citoyens, en particulier aux

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États-Unis, ont perdu confiance dans l'Organisation. On peut les comprendre jusqu'à un certain point, mais il faut savoir aussi que, conscients de la nécessité de nous réformer, nous sommes précisément en train de lancer le programme de réforme le plus ambitieux de toute l'histoire de notre Organisation.

Serait-ce m'aventurer trop loin que d'affirmer qu'il entre dans ce désenchantement une bonne part de mythe, de manque d'information et d'ignorance pure et simple? L'ONU ne saurait gagner et conserver la confiance des États Membres et de la société si ceux-ci ne lui apportent pas leur soutien, qu'il s'agisse d'un soutien politique, militaire, moral ou financier. Mais le soutien le plus sûr doit trouver à s'ancrer dans une véritable connaissance de l'Organisation et de son action. Mes chers amis, la position importante que vous occupez dans la société civile vous donne la possibilité de faire une contribution de premier plan à l'action de l'ONU en mettant l'accent sur l'éducation et la tolérance. Les atouts dont nous disposons sont à la mesure des défis qu'il nous faut relever. Peu importe où nous vivons dans le monde, ce qui importe, c'est le caractère. Il n'y a pas un moment à perdre.

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