En cours au Siège de l'ONU

GA/9290

PEU D'ONG SCRUTENT LE FONCTIONNEMENT ET LES DÉCISIONS DU CONSEIL DE SÉCURITÉ, CONSTATE LE PRÉSIDENT DE L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE

17 septembre 1997


Communiqué de Presse
GA/9290
PI/1028


PEU D'ONG SCRUTENT LE FONCTIONNEMENT ET LES DÉCISIONS DU CONSEIL DE SÉCURITÉ, CONSTATE LE PRÉSIDENT DE L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE

19970917 Il déclare que les exemples de partenariat fructueux entre gouvernements et ONG sont l'exception et non la règle à l'ONU

On trouvera ci-après le texte de l'allocution d'ouverture que M. Razali Ismail (Malaisie), Président de l'Assemblée générale, a adressée le 10 septembre aux participants à la cinquantième Conférence annuelle DPI/ONG, tenue au Siège de l'ONU, et dans laquelle l'accent est mis sur le thème "Construire ensemble".

La collaboration entre les ONG, les gouvernements et l'ONU a beaucoup progressé en 50 ans. Il y a certainement du vrai dans cette affirmation et l'on pourra donc légitimement s'étonner que le thème de cette conférence soit "Construire ensemble" après une association d'aussi longue date. Cependant, un regard critique porté sur les 10 dernières années permet de constater que les exemples de partenariat fructueux entre les gouvernements et les ONG ne sont pas la règle mais l'exception à l'ONU, et restent empreints de part et d'autre d'une méfiance et d'une ignorance qui transcendent le droit de participer aux conférences mondiales et aux réunions du Conseil économique et social, et transcendent aussi le fait qu'il est admis que les ONG sont des acteurs indispensables à l'ère où les marchés, les organismes multinationaux et la société civile se voient investis d'un pouvoir qui n'est plus l'apanage de l'État-nation.

Instaurer des partenariats dans le cadre de l'ONU, comme avec la plupart des organisations, c'est faire jouer un mécanisme complexe de rapports de forces. Même ici, dans la salle de l'Assemblée générale, bastion de la démocratie et de l'égalité souveraine entre les États, ni les nations, ni les relations qu'elles entretiennent les unes avec les autres n'attestent de l'existence de ces principes, qui entrent rarement en ligne de compte dans le processus de décision intergouvernemental de l'ONU. La Charte des Nations Unies, pourtant, repose sur ces principes.

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Jusqu'à une période récente, l'ONU était une assemblée d'États souverains, dont les activités normatives et opérationnelles étaient décidées par des États-nations. Les bouleversements apportés par la révolution des télécommunications menacent sérieusement cet état de fait. L'éclatement du monopole qu'ils exerçaient sur la collecte et la gestion des informations est à l'origine d'un certain déclin des États, à mesure que l'information devient instantanément accessible et exploitable et que d'autres acteurs accèdent au savoir. Et, pour reprendre quelques clichés à la mode, savoir, c'est pouvoir, et pouvoir mobiliser l'opinion publique, c'est contrôler le monde. À cause de ces changements, les gouvernements craignent les ONG, évitent autant que possible d'avoir affaire à elles ou s'efforcent de les contrôler, dans le meilleur des cas. Certains gouvernements n'ont pour seule expérience des ONG que ce qu'ils pourraient considérer comme la séance annuelle de diatribe contre les droits de l'homme, à la Commission des droits de l'homme. Je vous engage instamment à faire le premier pas en allant au devant des ONG, à parler à leurs représentants, à oublier vos politiques l'espace d'un instant et à goûter la compagnie des ONG en les démythifiant et en renonçant aux stéréotypes.

Ce ne sont certes pas les contradictions qui manquent. Ainsi, les gouvernements sont conscients qu'ils ont besoin d'organisations multilatérales plus efficaces pour venir à bout de difficultés d'ordre international dont la liste va en s'allongeant, mais redoutent dans le même temps les émules et ceux qui ont accès à la scène internationale. Cette ambivalence est manifeste à l'ONU, où les gouvernements confient à l'Organisation de nouvelles responsabilités tout en réaffirmant le principe essentiel de la souveraineté, à savoir la non-ingérence dans les affaires intérieures des États. Cette ambivalence a permis aux ONG d'entrer sur le terrain politique pour s'occuper de ce type de question d'intérêt mondial, bien qu'il y ait une rétroaction même à ce niveau. Par exemple, le fait que les ONG aient réussi à donner forme au programme d'action de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (CNUED) et à promouvoir une convention- cadre sur les changements climatiques a incité les gouvernements à faire montre d'une circonspection accrue lorsqu'ils autorisent les ONG à participer au processus officiel de décision, tandis que les industriels s'empressaient de constituer leurs propres groupes d'"experts" pour contrer l'action des groupes de pression écologistes.

Lorsque les ONG souhaitent être accréditées auprès d'un organisme de l'ONU, les gouvernements envisagent habituellement la situation sous l'angle juridique. C'est ainsi qu'ils subordonnent leur participation à des accords de coopération au maintien de leurs prérogatives, du consentement découlant de l'autorité de l'État et fondent leur consentement sur l'application des règles et l'idée suivant laquelle il est d'une certaine façon conforme à leurs intérêts bien compris. L'ONU, en tant qu'organisation internationale, est en

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définitive considérée comme une émanation des intérêts nationaux, qui tient la souveraineté nationale pour suprême sans se préoccuper ni de la forme ni de l'origine de sa définition. Les ONG ne s'insèrent dans ce schéma qu'en tant que groupes dont les activités doivent être réglementées par les États et aller dans le sens des entreprises et des stratégies plus vastes dont les États décident.

Les participants au Forum des ONG qui s'est tenu parallèlement à la CNUED ont clairement reconnu qu'il était nécessaire de démocratiser le système international, en affirmant dans la Déclaration des peuples du monde : "Nous, peuples du monde, mobiliserons les forces de la société civile transnationale en établissant un programme qui ralliera la vaste majorité d'entre nous et unira nos nombreux mouvements sociaux dans la quête de sociétés humaines équitables, viables et participatives. Ce faisant, nous forgerons nos propres moyens et des processus qui nous permettront de redéfinir la nature et le sens du progrès humain et de transformer des institutions qui ne répondent plus à nos besoins."

Dans quelle mesure a-t-on atteint ces objectifs? Les ONG, animées des meilleures intentions du monde, semblent elles aussi céder devant le difficile passage de la parole à l'acte. Des progrès remarquables ont sans conteste été faits en matière d'exploitation des technologies d'information pour relier entre eux des groupes de citoyens au-delà des frontières nationales, mais cette autonomisation ne suffit toujours pas à modifier véritablement ou durablement certaines décisions cruciales que prennent les gouvernements, ou à influer sur le processus de décision. À l'ONU, beaucoup d'ONG passent au crible les initiatives des gouvernements à travers le prisme de leurs préoccupations propres; rares sont celles qui scrutent le fonctionnement ou les décisions du Conseil de sécurité, seul organe des Nations Unies doté de pouvoirs exécutifs. Et où sont donc ceux qui prônaient haut et fort l'intégration des droits de l'homme dans le droit international, mais ont oublié de dénoncer les dettes des États-Unis d'Amérique envers l'ONU?

Au risque de paraître excessif, je soulignerai que très peu d'ambassadeurs seraient prêts à convenir du savoir-faire et de l'utilité des ONG. Et pourtant, les ONG non seulement contribuent au développement davantage que l'ensemble du système des Nations Unies (exception faite de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international), mais encore fournissent des services en matière de développement, d'éducation et de soins de santé dans des domaines auxquels les gouvernements et le secteur privé n'ont pas accès ou qu'ils ignorent. Les gouvernements et l'ONU auraient beaucoup à tirer des idées nouvelles auxquelles les ONG donnent naissance. Mais souvent, les méthodes ou les moyens utilisés pour transmettre le message (plaidoyer, intervention directe, protestations, analyse politique, mise en oeuvre, suivi, respect des engagements ou campagnes de relations publiques habilement menées)

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peuvent reléguer au second plan le message lui-même. C'est la diversité de leurs activités, de leurs méthodes, de leurs travaux et de leurs intérêts qui font la plus grande force et la plus grande faiblesse des ONG. En instaurant de nouveaux partenariats avec les gouvernements et l'ONU, les ONG doivent absolument continuer de mettre en avant des priorités, d'exiger des procédures qui permettent aux groupes non gouvernementaux de s'exprimer et d'exiger aussi de nouvelles normes de responsabilité.

Ce serait être bien naïf que de croire au succès garanti de toutes les initiatives des ONG. Si les résultats sont nombreux et variés, il n'en demeure pas moins que certaines activités ont échoué : c'est tout particulièrement le cas de la participation des ONG aux interventions de secours organisées pendant les récentes crises humanitaires qui ont servi de cadre au "nettoyage ethnique". Dans certains cas, en particulier au plan opérationnel, les ONG doivent éviter de privilégier l'action au détriment de la réflexion si elles entendent instaurer des partenariats plus solides propices à la réalisation des projets et des programmes de l'ONU. Elles devraient également se tenir à l'écart des campagnes d'appel de fonds qui comptent sur l'appui mirobolant de Hollywood, car ce genre d'initiatives peut compromettre les actions à plus long terme lancées pour sensibiliser le public à la complexité des questions et à l'aider à choisir en connaissance de cause.

La critique que les gouvernements adressent traditionnellement aux ONG porte sur la nature de la représentation au sein de ces organisations. Il n'est ni possible ni souhaitable de normaliser les critères relatifs aux ONG, mais l'opacité de celles-ci — en ce qui concerne leur fonctionnement aussi bien que leur structure — continue d'incommoder la plupart des responsables gouvernementaux, même si les procédures d'accréditation auprès du Conseil économique et social fonctionnent plutôt bien. Il s'agit là encore d'un problème de perception. Après tout, les ONG ne sont pas nécessairement démocratiques en elles-mêmes. Certaines sont organisées en coalition dans des réseaux "horizontaux", d'autres obéissent à une hiérarchie et sont dirigées par des élites qui, dans leurs décisions, font en réalité valoir leurs programmes plutôt que les programmes de ceux qu'elles représentent, et ne se distinguent donc guère des gouvernements auxquels elles se mesurent. Les meilleures, les plus compétentes et les plus passionnées ont souvent une vision trop étroite et jugent chaque décision politique à l'aune de son effet sur leurs intérêts particuliers : le besoin de gérer des budgets de plus en plus importants n'est pas forcément compatible avec une démarche et un esprit indépendants.

Les gouvernements prétendent en outre que pour aussi efficaces qu'elles soient, les ONG continuent de représenter des intérêts spéciaux, et que l'absence de procédures électorales dans ces organisations leur interdit d'être représentées comme les gouvernements. Les défenseurs de cette thèse ne

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se demandent évidemment pas si les gouvernements représentés à l'ONU sont plus représentatifs d'une démocratie inspirée des principes universels des droits de l'homme, si les procédures électorales et la "responsabilité" doivent être considérées comme les critères de la représentation légitime et populaire. On pourrait aussi avancer que la représentation issue du vote peut amener le chef de file, pensant et agissant au nom de ceux qui l'ont choisi, à abuser du mandat qui lui a été confié.

La manière dont les partenariats s'instaurent entre les ONG, les gouvernements et le Secrétariat déterminera en grande partie le succès de l'ONU au cours du siècle à venir. Les politiques qui sous-tendent l'instauration de partenariats sont bien sûr terriblement complexes, chargées de craintes, de stéréotypes, d'indifférence, d'interdictions juridiques et d'ambiguïtés, et ce jeu n'épargne personne. Ce n'est qu'en examinant ces contradictions sous tous leurs angles que l'on peut entretenir des partenariats faits de confiance mutuelle, de coopération et de complémentarité. Pour l'heure, nous sommes toujours à la "case départ". Lorsque nous parlons de l'ONU, faisons-nous la différence entre les organismes, les fonds et les programmes des Nations Unies et les processus intergouvernementaux? Cette question peut sembler élémentaire, mais même des soi-disant initiés comme moi ignorent quasiment tout de la sociologie des cultures qui existent dans la famille des Nations Unies. Et lorsque l'on parle d'ONG, ne devrait-on pas, enfin, distinguer les organisations à but non lucratif des organisations commerciales?

L'approche spéculative et évolutive de l'instauration de partenariats a certains avantages, mais s'interroger sérieusement sur les principes fondamentaux en a aussi. Cette conférence serait utile si elle permettait de répondre à certaines questions. Permettez-moi d'en poser quelques-unes : les ONG estiment-elles vraiment qu'il est stratégiquement utile de s'associer plus étroitement aux organes intergouvernementaux, ou pensent-elles au contraire que cela compromettra trop cette indépendance à laquelle elles tiennent tant? Les ONG sont-elles aujourd'hui trop diverses et incapables de construire des accords de participation cohérents qui fassent appel aux structures hiérarchiques en place, par exemple la CONGO? Comment apaise-t-on les tensions entre ONG internationales et ONG locales? Est-il vrai que la plupart des gouvernements ne préconisent la participation du public et la démocratisation que par opportunisme politique, ou sont-ils réellement convaincus des bénéfices à long terme de la diversité d'opinion qu'ils prônent? Le Secrétariat estime-t-il que la présence des ONG à l'ONU est un instrument précieux de coopération avec des alliés multilatéralistes, ou ne faut-il voir là qu'une ennuyeuse question d'accréditation, de nombre de sièges et de réorganisation d'un protocole désuet?

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Répondre à ces questions, à supposer que cela soit possible, supposerait en premier lieu la désintégration des mythes. Construire ensemble, d'autre part, exige de toutes les parties intéressées une réflexion approfondie et une planification stratégique. J'ai le sentiment que le dialogue entre les ONG, les gouvernements et l'ONU vient tout juste de commencer. N'est-ce pas paradoxal que les modalités de participation des ONG soient plus restrictives lorsque les délégations gouvernementales négocient des accords formels de participation? Les gouvernements estiment qu'il est urgent de faire participer davantage les ONG aux travaux de l'ONU et le groupe de travail chargé de la question de la consolidation du système des Nations Unies a établi un rapport à ce sujet, mais le sous-groupe des ONG mis en place pour étudier la question n'a même pas réussi à convenir d'un mandat, après 30 heures de discussion. C'est la rançon du consensus, si nécessaire dans la plupart des instances.

En examinant cette question, chaque entité du système des Nations Unies tentera de déterminer au cas par cas les avantages et les inconvénients du partenariat, mais considérer les ONG, les gouvernements et le Secrétariat simplement comme trois groupes d'intérêt homogènes est superficiel et aberrant. La Mission de mon propre pays, dont on sait combien il est favorable aux ONG, compte elle-même des diplomates dont l'opinion est plutôt conservatrice au regard de ma tolérance. Il importe de se rappeler que le travail au jour le jour est fait par des personnes qui reçoivent différentes instructions, ou aucune, de la part de leurs gouvernements ou de leurs ministères. La qualité et l'esprit des contacts personnels peut beaucoup faciliter ou au contraire ralentir l'instauration de partenariats véritables, et dans le cas de l'ONU, la personnalité peut avoir autant de poids que la politique ou les instructions reçues.

L'une des principales ambiguïtés que les ONG doivent lever pour instaurer des partenariats est cet amalgame de conflit, de concurrence et de coopération dont il faut tenir compte pour déterminer l'étroitesse des liens avec les gouvernements ou les organismes des Nations Unies. Les ONG sont seules à pouvoir en décider en ce qui les concerne. Dans le cas du système des Nations Unies, si l'on a intérêt à entretenir des relations souples avec les ONG à but non lucratif, les implications de l'association avec des ONG et des fondations à but lucratif ou commercial sont potentiellement graves, d'autant plus que l'on a assisté ces dernières années à une prolifération des groupes de pression politico-financiers qui, agissant derrière de fausses enseignes, peuvent utiliser leur argent et leur influence pour déprécier les normes et les valeurs de l'Organisation des Nations Unies et battre en brèche l'autorité des gouvernements.

La présence des ONG à l'ONU, que ce soit à l'échelle locale, nationale ou internationale, est un facteur d'harmonie et devrait être encouragée. Approfondir le partenariat avec les ONG ne signifie pas nécessairement

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instaurer des relations officielles. En réalité, les partenariats informels sont souvent plus efficaces pour atteindre les objectifs fixés avec les effets voulus que les partenariats qui se décident à un déjeuner ou à une réception. On serait plus proche de la réalité si les opinions gouvernementales, intergouvernementales et non gouvernementales mêlées se faisaient peu à peu entendre lors des débats et des réunions organisés par l'ONU pour résoudre certains problèmes, que lorsque l'opinion exprimée est celle d'une Organisation des Nations Unies dominée par des États-nations. L'Organisation s'en trouverait à coup sûr renforcée et mieux à même d'assurer un minimum de cette gouvernance globale à laquelle les peuples et les gouvernements du monde aspirent si ardemment.

L'ONU a pour objectifs universels, pour honorer les engagements pris en vertu de la Charte, une transparence, une responsabilité et une participation accrues. Si les conditions voulues sont réunies, si l'on sait se montrer patient, tolérant et large d'esprit, l'épanouissement des ONG et leur utilité pour l'exécution des activités opérationnelles et normatives du système des Nations Unies pourraient donner à celle-ci les moyens d'une plus grande transparence, d'une plus grande responsabilité et d'une plus grande participation. Et, je le crois, d'une plus grande légitimité.

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